Le bourreau du Nevada (The hangman, 1959, Michael Curtiz)
Très chouette, ce western de Curtiz dont j'ai trouvé le scénario plus subtil que la moyenne du genre. Faut dire qu'il est signé de Dudley Nichols et parait-il aussi de W. R. Burnett.
A priori, la trame de base est usée jusqu'à la corde de potence : Mac Bovard est un marshall auréolé d'une réputation infaillible à la recherche un homme accusé d'avoir participé à un hold-up sanglant. Il découvre assez vite que ce dernier a refait sa vie, changé de nom (Butterfield est devenu Bishop) et mène non seulement une existence tout à fait rangée mais en plus semble unanimement apprécié de ses nouveaux concitoyens, ce qui ne va pas lui rendre la tâche aisée.
cf La brève séquence chez le barbier où l'on sent poindre une légère inquiétude chez Bovard (sans que ça dégénère façon
La femme à abattre, Sergio Leone ou Coppola).
En marshall, Robert Taylor est égal à lui-même, une nouvelle fois dans son emploi de seconde carrière : le dur-à-cuire qui a vu du pays avec un bon fond sous une triple-couche de cynisme.
"
I'm not a sentimentalist. I've seen too much of life." déclare-t-il dès sa rencontre avec Selah Jennison, l'ex-petite amie de l'homme qu'il recherche.
Bovard est connu de tous comme "
The hangman" car ceux qu'il traque finissent toujours la corde au cou. Mais il déteste ce surnom. Lui est plutôt du genre : "
boulot-boulot menuise-menuise". Un buriné qui n'a pas de temps à perdre pour enfiler des gants, se foutant de paraître brutal ou indélicat. Comme lorsqu'il s'incruste dans la chambre d'hôtel de Selah à peine sortie du bain pendant qu'elle se rhabille puis cette séquence encore plus gonflée où il décide de la surveiller en passant la nuit assis sur une chaise bloquant la porte pour finir endormi sur le lit, menotté à la belle !
Selah lui rendra la monnaie de sa pièce quelques instants plus tard en le re-menottant à elle et en planquant la clé. Ces deux-là sont faits pour être ensemble, tels Richard Hannay et Pamela des
39 marches.
Pas le genre non plus à compter fleurette, l'ami Bovard. A peine a-t-il fait la connaissance de Selah qu'il ne trouve rien de plus élégant que lui sortir qu'elle semble davantage avoir 30 que 24 ans et que d'ici peu elle en paraîtra 40 !
Un héros taylorien-type qu'il éleva au rang de chef-d'oeuvre dans
Convoi de femmes de Wellmann.
Selah Jennison
*, c'est Tina Louise, comme d'hab', absolument magnifique. Sa splendeur sculpturale m'a toujours fait penser à l'insertion d'une beauté latine dans l'univers du western, davantage friand en blondes +/- réservées. Impression renforcé par son apparition parmi les lingères en sueur, telle Silvana Mangano ou Sophia Loren. Et pour ne rien gâcher, elle se révèle une excellente actrice au jeu naturel, sans chichis. 1959 fut une belle année pour Tina Louise qui sera aussi au centre de
La chevauchée des bannis, le sombre joyau d'André de Toth.
Aussi rayonnante, sensuelle, digne et classieuse en haillons que vêtue de probité candide (?) et d'un drap de bain, en train d'enfiler de pauvres bas troués ou transformée en (très) belle de l'Ouest. Ce qui donnera une séquence assez géniale :
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- Bovard, qui s'en sert comme appât, lui demande de traverser la rue dans sa superbe tenue, assuré que Bishop/Butterfield la reconnaîtra et se trahira. Ce qu'il ignore, c'est qu'elle a auparavant prévenu son ancien amant du subterfuge, lui demandant de faire comme si de rien n'était. Le résultat mêle suspens dramatique et pure comédie. Au passage de cette merveille solaire (qui annonce l'arrivée de Claudia Cardinale dans Il était une fois dans l'Ouest), tous les hommes du bled s'en décrochent la mâchoire, se prennent un poteau ou trébuchent (il y a même un chien qui prévient son maître !). Tous... sauf Bishop qui croise sans un regard la plus belle femme à l'Ouest du Pecos !!!
Parmi les autres belles idées :
- l'intervention du vieux caporal au début du film après que l'officier ait balayé la proposition tarifée mais non réglementaire de Bovard. J'ai cru d'abord qu'avec son air un peu trop affable, il allait se proposer comme indic et agrémenter son rata avec la récompense de 500$ (somme qui devait dépasser une année de solde)... mais pas du tout. C'est vraiment un chic type qui suggère au marshall d'en parler à l'ex-compagne de l'homme recherché, ayant pitié de cette jeune veuve de soldat qui s'use la santé en bossant comme lavandière ;
- Murphy, le vilain barbu qui s'est pris une rouste par Bishop après avoir lâchement tabassé son pote mexicain...
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- ...et qui accepte apparemment par vengeance autant qu'appât du gain l'offre de Bovard... se révèle en fait de mèche avec Bishop. Retournement un peu inattendu tout de même de la part d'un personnage présenté comme une grosse brute ;
- le fait (assez marrant) que Bovard tape dans l'oeil des femmes de tous âges de la ville par son allure et l'aura qui l'accompagne... sans jamais y prêter attention. Il est tellement désabusé qu'il ne remarque même pas qu'il commence à attirer Selah. Au lieu de çà, il lui sort le couplet classique sur son passé qui l'a rendu tel qu'il est aujourd'hui : un homme de loi vieillissant et sans illusions. La traitant même paternellement de "
petite fille" ;
- et tout simplement le personnage de Selah Jennison, jeune femme déjà bien cabossée par la vie mais qui garde la tête haute. A aucun moment, on ne la surprendra se lamenter sur son sort ni sur le fait que son ex-amant soit désormais marié et bientôt père. Elle l'aidera comme si ils étaient encore ensemble, sans aucune jalousie vis-à-vis de l'épouse (incarnée comme il se doit par une sage et assez commune blonde). Des relations beaucoup plus adultes et modernes que les sempiternelles crises de larmes et autres crêpages de chignons.
Les points faibles maintenant, car il y en a :
- le personnage-cliché très vite pénible du petit Mexicain, grand pote du suspect, interprété par l'inévitable Pedro Gonzalez Gonzalez (qui sera la même année le Carlos de
Rio Bravo). Forcément comique, inoffensif et même ridiculisé quand il tente, fou de rage de descendre Bovard à deux reprises avec une maladresse de gamin, sa carabine semblant trop grande pour lui.
**
- pas de quoi s'étendre sur Jack Lord (Bishop/Butterfield). Bien qu'au centre de l'histoire et malgré son allure cool et sa belle gueule, il manque singulièrement d'épaisseur ;
- le jeune et placide shérif joué par Fess Parker est bien sympathique mais un peu "grand couillon" sur les bords avec sa longue carcasse voûtée et son accent traînant. Sa cour d'ado timide à Tina Louise fait presque pitié mais bien entendu, il saura à la fin s'effacer de bonne grâce et avec un brave sourire quand elle choisira de partir avec son beau héros ténébreux (bien qu'en âge d'être son père)...
"
Ne m'en veuillez pas trop !" lui lance Taylor à la fin (dans la VF
***). Non, c'est rien, il vient juste de lui piquer Tina Louise sous le nez. A part ça, tout baigne...
- Allez... Sans rancune, pal !
- Yep.
A noter ce détail remarqué cent fois mais qui m'amusera toujours : sur les plans larges, l'immense Fess Parker, qui frôlait le double-mètre, domine Taylor d'une bonne tête... mais le cadreur s'arrangent souvent pour qu'ils se retrouvent à égalité les plans rapprochés. Parker courbant l'échine ou alors la vieille astuce du marche-pied comme sur la seconde image où Taylor et Louise sont sur le perron, 20cm au-dessus de Parker, dans la rue.
Comme dans la plupart des westerns, Curtiz ménage des pauses de comédie. On a ainsi droit au running-gag de la vieille chouette très émoustillée par Bovard et qui cherche à plusieurs reprises à s'incruster à sa table en minaudant. Par dépit, elle le dénoncera ensuite au shérif telle une grenouille de bénitier sous prétexte qu'il a passé la nuit en loucedé avec Tina Louise. Avant de quitter l'hôtel, outrée, le nez pincé.
(*) Prénom transformé en Stella dans l'atroce VF, sans doute pour éviter la confusion entre Selah et "celle-là" dans les dialogues.
(**) Ce cliché du petit bonhomme rigolo associé à un grand costaud peut, quand il est bien utilisé, donner de formidables résultats, comme le duo Fanfan & Nénesse dans Les grandes gueules d'Enrico... qui n'est rien d'autre qu'un - épatant - western transposé dans la forêt vosgienne.
Mais dans le cas présent, à ranger dans la longue et souvent triste galerie des faire-valoirs exoticomico-ethniques du cinéma hollywoodien, aux côtés de l'ample Mamma à grande gueule, du garçon de train, d'ascenseur, liftier ou bagagiste Noir qui a toujours le mot pour rire, du blanchisseur chinois à nattes tout en courbettes et au sabir incompréhensible quand il s'énerve tout seul, du marchand d'"aïssakrima" italien exubérant et du tailleur, coiffeur, réceptionniste ou maître d'hôtel français précieux (ces derniers pouvant toutefois se révéler très drôles quand il sont interprétés par Eric Blore).
(***) Dans la VO, Bovard lui dit en fait : "Take care of yourself". Mais pour le pauvre shérif, le résultat est le même.
Tina entre Fess et Robert...