Nouvelle version plus détaillée, et en images, de mes réponses au questionnaire. J’y ai répondu à ces questions d’une manière biaisée, en tout cas personnelle, en m’arrêtant davantage sur l’attraction exercée sur moi par certaines actrices, certaines scènes, que sur une approche purement analytique de la création érotique au cinéma. D’où ce message ponctué par des photos et des commentaires sur les films et héro(ïne)s de mon paysage érotique personnel, tel que le cinéma me l’a érigé. Je me rends compte après coup que ces interludes sont même plus longs que les réponses aux questions elles-même – je m’en excuse.
Deux remarques :
1. Mes réponses et évocations auront trait à des actrices bien davantage qu’à des acteurs. Aucune discrimination de ma part, mais il se trouve que je me conjugue au masculin, et qu’a priori je suis hétéro.
2. Elles reflètent également le fait que mes émois ont été forgés principalement par le cinéma américain, plutôt contemporain. On ne choisit pas.
C’est parti.
1 - Quel est votre plus ancien souvenir d'émoi érotique ayant un lien avec le cinéma ?
Question difficile, je pourrais citer plusieurs béguins fondateurs. Je me rappelle par exemple avoir été durablement amoureux de la Sorsha (Joanne Whalley) de
Willow, avec sa chevelure rousse comme une crinière flamboyante. Ce n’est sans doute pas le plus ancien souvenir, mais je n’étais pas très vieux quand j’ai découvert
Total Recall et Sharon Stone en épouse vicieuse, trempée de sueur, qui au terme d’une partie de tennis virtuel, allume son Schwarzie de mari. Elle me faisait un effet bœuf et il en reste aujourd’hui quelque chose, alors ce sera ma réponse.
Le sourire coquin, les mains ligotées, l’attitude provocante : Verhoeven sait y faire, Sharon aussi.
2 - Quels films (un par décennie depuis les années 20) représentent pour vous le summum de l'érotisme ?
Mes réponses sont grevées par ma connaissance de plus en plus lacunaire du cinéma au fur et à mesure que l’on remonte dans le temps, mais ça peut donner quelque chose comme ça :
Années 30 :
King Kong
Années 40 :
La Féline
Années 50 :
Vertigo
Années 60 :
La Fièvre dans le Sang
Années 70 : ???
Années 80 :
Blue Velvet
Années 90 :
Hot Spot
Années 2000 :
Mulholland Drive
Années 2010 :
Mektoub, my Love (Canto Uno, en attendant le deux)
3 - Quel acteur/quelle actrice a su vous montrer la plus belle chevelure ?
La première qui me vient est sans doute Rita Hayworth, et notamment son très fameux strip-tease ganté dans
Gilda, où elle fait danser ses cheveux avec un art très consommé de l’incitation sensuelle. Sinon, même si je ne suis pas un fan de l’actrice (ni des films dans lesquels elle a joué), les chevelures lâchées de Brigitte Bardot dans les années 60, c’était quelque chose.
Hommage à deux monstres sacrés du cinéma américain, Gene Tierney et Liz Taylor. La première a illuminé les films de Preminger, de Mankiewicz ou de Lubitsch de son exquise délicatesse. Sa merveilleuse photogénie de brune aux yeux d’amande a créé une fascination envoûtante et distante à la fois. L’aura, quoi.
La seconde n’a cessé de nourrir l’écran de sa puissance de séduction et de son rayonnement charnel. Éternelle puppy love
de porcelaine aux prunelles violettes et aux boucles brunes, au jeu d’instinct, aux ruses et aux brutalités de fauve de luxe.
4 - Les plus beaux pieds ?
N'étant pas vraiment un fétichiste des pieds, j’aurais du mal à me remémorer des exemples marquants. La seule scène qui me vient est celle du réveil original d’Amanda Langlet dans
Pauline à la plage, lorsque Féodor Atkine, pris d’une soudaine impulsion, ne peut résister à l’envie d’embrasser les voûtes plantaires de la demoiselle endormie.
5 - Si tout comme dans La Rose pourpre du Caire, un personnage devait sortir de l'écran et vous accompagner quelques jours avant de disparaître à jamais, qui serait-il ?
Là encore, je pourrais citer un certain nombre de personnages. Je vais essayer de varier les réponses (passées ou à venir) et citer l’une des plus séduisantes actrices qui soient : Natalie Wood. Dans l’idéal, ce serait la jeune fille fragile et désemparée de
La Fièvre dans le Sang, mais en laquelle bouillonne quelque chose d’éminemment érotique, à l’écoute de tous ses sens en éveil, qui sortirait de la fiction.
Elle a joué chez Nicholas Ray, John Ford, Elia Kazan… Talent précoce qui s’est vite mesuré à des professionnels aussi redoutables qu’Orson Welles, Gene Tierney ou John Wayne, elle a toujours brillé de sa beauté délicate et de sa vulnérabilité, puisé dans les eaux instables de la névrose ou de l’hypersensibilité un jeu d’une intensité rare : c’est Natalie Wood.
Elle est un monument à elle seule du cinéma européen des années 60-70, et a notamment formé un couple superbe avec ce monstre d’acteur qu’est Michel Piccoli, chez Sautet. Très vite sortie de son rôle de petite fiancée de l’Europe et des conventions d’opérette, elle a imposé un érotisme ambigu, profondément moderne : c’est Romy Schneider.
Deux splendides actrices.
6 - Quelle est votre scène de pluie préférée ?
Il y en a sans doute beaucoup d’autres si on prend le temps d’y réfléchir, mais là ça me semble évident : l’étreinte humide de Scarlett Johansson et Jonathan Rhys-Meyers dans
Match Point, qui rappelle que la libido de Woody Allen sait se faire communicative quand il le veut. Scarlett, ses formes affolantes, sa candeur un peu embrumée de nouvelle Marilyn, est de manière générale une bombe de séduction – pardon pour l’évidence, mais il fallait que ce soit dit dans ce questionnaire.
7 - Y a-t-il une musique de film qui saurait accompagner vos ébats amoureux ?
Je pense que le leitmotiv langoureux d’
In the Mood for Love serait particulièrement indiqué, pour se caler sur le tango du désir auquel se livrent les très glamours Tony Leung et Maggie Cheung.
Parce que Wong Kar-wai est un esthète de l’attraction sensuelle, un chorégraphe des regards, des étoffes, des gestes suggestifs, des draps moulant les corps gouvernés par l’amour. In the Mood for Love
en a donné une expression magnifique, sur le mode de la concrétisation éternellement différée. 2046
a franchi un pas supplémentaire dans l’ivresse et la volupté – voir comment la belle Zhang Ziyi y est filmée, au sommet d’un Olympe féminin nourri de fétichisme et de mélancolie.
8 - Avez-vous vu dans un film un vêtement que vous aimeriez porter ou offrir ?
Je ne vois pas, et encore moins le rapport avec ce qui nous occupe ici.
9 - Existe-t-il une actrice de films pornographiques que vous aimeriez voir dans un film d'un autre genre ?
Pas particulièrement, mais peut-être parce que je ne suis pas franchement un expert en la matière.
Deux sœurs, deux blondes, deux charmes différents. Rosanna était particulièrement délicieuse dans After Hours
, où, un peu étrange, un peu névrosée, toujours fragile, elle enclenchait la folle spirale nocturne de Griffin Dunne. Patricia faisait monter la température dans True Romance
, mais c’est David Lynch qui a formalisé le plus intensément son potentiel érotique, mi-épouse éteinte, mi-garce fatale.
10 - Quelle est la scène (ou le film) ayant le mieux stimulé votre odorat ?
Certains passages d’
A la verticale de l’été de Tran Anh Hung flattent intensément les narines ; on a la sensation de respirer directement les fragrances les plus enivrantes.
11 - Si vous pouviez prolonger une séquence soudain interrompue, quelle porte fermée rouvririez-vous, quel rideau tiré écarteriez-vous ou quel panoramique s'esquivant vers le décor anodin, redresseriez-vous ?
J’aurais aimé voir le contre-champ du plan où la jeune ado de
Prête à Tout observe, en douce, Nicole Kidman et Joaquin Phoenix en pleins ébats. Juste pour le plaisir (et l’obligation) de citer ce film, cette actrice, ce rôle, dans ce questionnaire. Un des personnages les plus extraordinairement
hot que je connaisse. D’où le gif suivant…
Reine de celluloïd des années 90, actrice d’exception, capable d’épancher une sensualité incendiaire de la façon la plus naturelle qui soit. La Suzanne de Prête à Tout
fait tourner la tête de tout le monde – son mari, deux jeunes benêts, leur copine, et tout spectateur normalement constitué. Sa danse lascive devant un Joaquin Phoenix en mode mâchoire décrochée donne une bonne idée du truc. Par ailleurs, il suffit du tout premier plan et du tout dernier d’Eyes Wide Shut
pour s’apercevoir que le grand Stan lui-même avait tout compris.
12 - Quelle actrice ou quel acteur a su vous montrer la plus belle poitrine ?
Ça se bouscule au portillon. Cette partie de l’anatomie n’étant soumise à aucun critère de perfection (petits, grands, ronds ou pointus, tous ont leur chance pourvu qu’ils s’harmonisent avec le reste du corps), les souvenirs émus s’accumulent. Je pense par exemple à la nuisette d’Uma Thurman, peu connue à l’époque, délicatement retirée dans
Les Liaisons Dangereuses. Dans
Mulholland Drive, les somptueux appas de la non moins sublime Laura Harring mettent Naomi Watts dans tous ses états, le souffle court et la main tremblante – on la comprend. Ailleurs encore Salma Hayek, bustée comme il faut, nous fait entrapercevoir d’irréprochables atouts dans
Frida. Je pourrais continuer longtemps…
Si je m’arrête aux poitrines non dévoilées (ce n’est certes pas la question), j’aurais envie de citer les courbes parfaites de Sophia Loren ou – plus encore – celles de Janet Leigh, chez Hitchcock, Welles ou Fleischer.
13 - Les plus belles dents ?
Rossy De Palma ?
Non sérieusement, je ne vois pas… Une actrice comme Nastassja Kinski tire peut-être une partie de son charme de là.
Un grand classique, qu’il n’est certes pas très original d’évoquer ici mais sur lequel je ne peux pas faire l’impasse. Parce que Le Nom de la Rose
est un de mes films de chevet, et parce que les émois de Christian Slater, novice moine, devant la sauvageonne qui s’offre à lui sont restitués par Annaud avec un équilibre parfait entre suggestion et trivialité.
14 - Vous êtes enfermé jusqu'au matin, avec le partenaire de jeu de votre choix, dans un musée berlinois qui a reconstitué des centaines de décors de films. Lequel choisissez-vous pour votre nuit ?
La chambre de Maud (Françoise Fabian), donnant sur les prairies ondoyantes des
Moissons du Ciel.
15 - Quel est pour vous le mot, la phrase ou le dialogue le plus empreint de sensualité ?
Un monologue-fleuve : celui d’Alma dans
Persona, qui relate les détails d’une relation physique passée avec une crudité effarante. Ce ne sont sans doute pas les mots, les répliques les plus sensuelles au sens strict, mais il se dégage de cette séquence quelque chose de profondément impudique. De manière générale, il faut rappeler à quel point Bergman pouvait se montrer érotique, et rendre hommage à la beauté de son gynécée. La ressemblance entre Bibi Andersson et Liv Ullmann (actrices très séduisantes toutes les deux), le processus de transfert qui s’opère entre elles, sont d’autant plus troublants qu’ils expriment ce qui se jouait dans la vie sentimentale de l’auteur : il quittait la première après dix ans de conjugalité pour la deuxième, avec laquelle il allait vivre longtemps. Ces deux comédiennes ont pris en charge une grande partie de la tension sexuelle qui se joue chez Bergman, mais il y en a beaucoup d’autres. Harriet Andersson et sa sensualité épanouie dans
Monika, les actrices rayonnantes de
Sourires d’une Nuit d’été, Gunnel Lindblom en mère avide qui séduit à tout va dans l’atmosphère moite du
Silence… autant d’exemples frappants.
Si je ne m'arrête qu'à une réplique, c'est de très loin le "
I want to with you… I'm in love with you", susurré par la Betty de
Mulholland Drive, qui remporte la palme. Coulant de ses lèvres avec un abandon éperdu, l’aveu nous fait entendre son cœur affolé battant la chamade, ressentir sa confusion, son trouble, son ivresse presque incrédule face au bonheur amoureux et charnel qui la submerge. Cette déclaration n’est pas qu’empreinte d’une fiévreuse sensualité, elle est surtout incroyablement romantique. Et elle me permet d’introduire la mosaïque suivante.
J’ai mis le paquet niveau photos parce qu’elle une de mes chouchoutes depuis près de vingt ans maintenant. Son adorable minois, son charme fou, sa voix claire aux intonations mélodieuses, sa sensualité mutine et innocente à la fois ont toujours imprimé la pellicule des films dans lesquels joue la fragile comédienne australo-britannique. Mais c’est bien celui de Lynch, où sa prestation hypersexuée embrase l’écran, qui a fait de la très craquante Naomi Watts une pure actrice-fantasme (Hitchcock en aurait été dingue), et qui l’a propulsée au firmament de mon panthéon érotique personnel. Juste aux côtés d'une Italienne aussi brune qu'elle est blonde, aussi méditerranéenne qu'elle est anglo-saxonne (voir plus bas).
16 - Quelle est votre scène de douche préférée ?
Pas une scène de douche mais un bain : celui pris par Jennifer Jason Leigh et Rutger Hauer dans
La Chair et le Sang. Pour son atmosphère embuée et la manière à la fois crue et suggestive dont Verhoeven laisse percevoir ce qui je joue entre les deux.
Comme scène de douche, je pourrais citer l’ouverture de
Pulsions, où Angie Dickinson (doublée, on le sait) s’octroie un petit moment de plaisir. Ce vieux Brian est un expert des bons instants sous la douche, de toute manière – se rappeler l’entame de
Carrie dans le même genre.
17 - Existe-t-il une actrice que vous aimeriez voir dans un film pornographique ?
Un certain nombre, éventuellement, pour des raisons bassement libidineuses.
Toutes les actrices que j’aime, que j’admire, qui me font chavirer, il est hors de question cependant que les vois dans un film X, j’aurais l’impression de me salir les yeux.
Où réside l’attraction exercée par Ingrid Bergman ? Certainement pas dans une séduction offensive, un érotisme plaqué sur son visage ou véhiculé par des attitudes sulfureuses. Plutôt dans la douceur des traits, ce visage rond qui promet naturel, probité, énergie, pureté. Et bien évidemment dans l’émotion que ses héroïnes suscitent, romantiques éternelles chez Curtiz ou Hitchcock (rappelons l’interminable baiser en pointillés des Enchaînés
), mais souvent victimes de longs cauchemars qui craquellent son image positive et l’emplissent d’une troublante indécision. Hérétique que je suis, je dois m’avouer beaucoup moins sensible à sa période rossellinienne.
Autre génération, et érotisme bien plus provocant chez Faye Dunaway, entrée dans l’histoire en incarnant pour Arthur Penn une Bonnie alanguie dans la torpeur du Mississipi des années 30. Impossible d’oublier sa première apparition par la fenêtre ouverte de sa chambre, toute en allures aguichantes et garanties d’abandon. Par la suite, son physique altier et l’élan vital de son énergie auront chargé d’une volcanique sensualité aussi bien ses personnages d’aventurières calculatrices que de mantes sophistiquées. Elle est de la race des ces sensitives un peu déséquilibrées, à laquelle appartient aussi une Jane Fonda.
18 - Quel film et/ou quel cinéaste vous paraît le moins érotique ?
On peut parfois être surpris par un réalisateur. Je n’aurais par exemple jamais cru Ken Loach capable de susciter l’émoi charnel jusqu’à ce que je découvre les scènes d’amour de son superbe
Just a Kiss.
Mais pour répondre à la question, j’ai du mal à discerner le début d’un commencement de préoccupation érotique chez un Robert Bresson ou un Jacques Tati. Et pour faire un peu de provoc’, je trouve
Le Dernier Tango à Paris, alors même qu’il en fait son sujet central, totalement débandant, froid et ultra-glauque.
19 - Quelle actrice ou quel acteur a su vous montrer le plus beau ventre ?
Pfiou… Asia Argento et son tatouage, bien mis en valeur dans
New Rose Hotel. Ou encore, dans un tout autre genre, Hafsia Herzi lorsqu’elle se livre à une danse sensuelle à la fin de
La Graine et le Mulet.
Pour rappeler à quel point certaines actrices de l’âge d’or pouvaient rayonner de vitalité sucrée ou d’animale sensualité. Teresa Wright a prêté sa frimousse à la Charlie de L’Ombre d’un Doute
ou à la Peggy des Plus Belles Années de notre Vie
: l’essence même du charme pétillant, quand bien même gronde dans son jeu quelque chose de sombre et de furieux qui ne fait qu’attiser sa force de séduction.
Jennifer Jones a catalysé, dans Duel au Soleil
, toute l’énergie érotique qui gouverne le cinéma de King Vidor : fière, indomptable, sauvage. Ce qui subsiste d’enfantin dans son visage très photogénique et les courbes d’un corps juvénile, son espèce d’arrogance naturelle aussi, impriment à l’écran une présence assez ardente.
20 - Les plus belles mains ?
Je trouve les mains (de femmes) souvent très séduisantes, déployant un attrait érotique assez fort. J’aurais envie de citer certaines actrices rohmeriennes, dont le charme discret passe notamment par la gestuelle, ce qu’elles font de leurs petites mains fébriles ou troublées, la manière dont elles les passent dans leurs cheveux… : Marie Rivière, Charlotte Véry, Emmanuelle Chaulet (le genre de nanas dont on prend conscience du potentiel de séduction, de manière évidente, dans l’aventure que l’on partage avec elles le long d’un film).
21 - Quelle est la scène (ou le film) ayant le mieux stimulé votre goût ?
J’ai beaucoup de mal à me rappeler. Je me souviens de certaines scènes culinaires très appétissantes dans
Head On de Fatih Akin, alors faute de mieux…
La suprêmement belle Nastassja Kinski. Celle dont les lèvres si attirantes faisait naître le trouble en accueillant une simple fraise dans Tess
, celle qui dans le monde pervers de La Féline
promenait une sensualité effarouchée, celle qui hantait de sa beauté évanescente les rêveries du Coup de Cœur
de Coppola ou les souvenirs du sublime Paris, Texas
de Wenders. Icône des années 80, elle ne fut peut-être jamais aussi désirable que dans le superbe Maria's Lovers
de Kontchalovski, où, consumée de désir pour un époux rendu impuissant par l’intensité de ses sentiments, elle rend brûlantes un certain nombre de situations osées qui exhalent l’érotisme frémissant de sa personnalité.
(elle parle de moi, là)
À regarder Natalie Portman, son fin visage, sa silhouette gracile, ses gestes délicats, on se demande parfois s’il existe plus jolie actrice au monde. Toutefois je ne saurais citer, comme les précédentes comédiennes, un film où sa présence aurait quelque chose de fondamentalement érotique – encore que dans le Closer
de Mike Nichols, elle offre au chanceux Clive Owen un lap assez corsé. De manière générale, dire que son charme agit est un euphémisme de compèt’.
22 - Quelle est votre comédie musicale préférée ?
Je ne vois pas très bien le rapport avec la choucroute, mais je vais évoquer comme Major Tom le souvenir de
All That Jazz ! de Bob Fosse, à travers le mémorable numéro
Air Otica et sa chorégraphie de corps dénudés qui se frôlent, s’apprivoisent, s’enlacent.
23 - Quelle est votre scène muette entre deux amants préférée ?
Les exemples sont légion. Il y en a beaucoup dans le sublimissime
Sur la Route de Madison, que ce soit dans la voiture sur le chemin de terre, ou dans la maison lorsque, au téléphone, Francesca réajuste la chemise de Robert, dans un geste désinvolte qui dit tout le bonheur serein dans lequel ils baignent à cet instant.
Pedro Almodovar, ses atmosphères transpirantes, ses ardeurs épicées, sa faculté intuitive à injecter chair, frémissements et sueur à ses sujets. De la caliente Penelope Cruz à l’affolante Elena Ayana, ses actrices peuvent se flatter d’avoir offert à la féminité certains de ses visages les plus irradiants. Et lorsqu’il filme ses personnages en ébats, Pedro sait y faire, comme dans cette très belle séquence d’En Chair et en os.
24 - Quel film vous a toujours semblé manquer d'une ou de plusieurs séquences érotiques ?
Ces films sont généralement sinon mauvais, du moins frustrants. Donc je ne les retiens pas vraiment. Les exemples qui me viennent éventuellement en tête trouvent leur beauté dans l’ellipse ou l’allusion : ce n’est ainsi pas un manque. Cependant, j’ai toujours trouvé que Spielberg ou Scorsese, peut-être par crainte mais plus probablement par désintérêt, n’ont jamais montré ce qu’ils étaient capables de faire dans ce domaine-là. J’aime tellement ces cinéastes par ailleurs que je serais curieux de les voir s’essayer à ce genre de scènes – encore que
Munich donne un bout de réponse, pas forcément très convaincante d’ailleurs.
25 - Quel est pour vous le plus beau plan de femme ou d'homme endormi ?
Alice/Nicole Kidman dans
Eyes Wide Shut : le masque, le drap rouge, la lumière bleutée.
26 - Quelle actrice ou quel acteur a su vous montrer la plus belle nuque ?
Audrey Hepburn peut prétendre au titre sans trop de problème : son charme tout nouveau de garçonnet manqué, mais très féminin par sa grâce, sa personnalité aigüe, espiègle et radieuse, a quelque chose d’assez unique. Je ne sais pas pourquoi, mais son rayonnement juvénile me ramène souvent à son long coup de cygne, et par extension à sa nuque.
Audrey version Anna Karénine chez Stanley Donen. Cette femme a été créée pour tester l’humanité de toutes les générations de cinéphiles qui se sont succédées depuis un demi-siècle : celui qui ne fond pas devant elle est prié de consulter d’urgence un médecin.
27 - Le plus beau sexe ?
Je ne sais pas si
beau est le terme qui convient, mais comme beaucoup je n’oublierai jamais le déballage
cash de Julianne Moore dans
Short Cuts.
Que dire de plus ? L’image parle d’elle-même (j’aurais pu en trouver bien d’autres) – si on tend l’oreille, on peut même entendre le miroir gémir d’allégresse. Dans Hot Spot
, le petit numéro de miss Connelly face à Don Johnson, dans un registre de biche innocente mais parfaitement consciente de l’effet qu’elle produit, laisse au bord de l’apoplexie.
28 - Vous prenez miraculeusement, au sein d'un film, la place d'un potentiel partenaire sexuel : lequel ?
Elle pose la main de l’homme sur sa fesse, se colle à lui pour mieux le contrôler, le suspend à ses lèvres en ponctuant ses répliques de baisers humides. La petite ingénue devient, le temps d’une scène très chaude, cette authentique
bombshell qui met la pellicule en feu, fait de son bout d’essai un corps-à-corps brûlant dont le magnétisme intransitif et l’intensité érotique rendent folle toute l’équipe de casting. N’importe quel amoureux du cinéma aura reconnu la fameuse audition de
Mulholland Drive. Je donnerais beaucoup pour me substituer à Woody et me faire allumer par Betty, sa liquéfiante partenaire, mais je risquerais de perdre la tête et de ne plus la retrouver.
Cependant, puisque je cite bien trop souvent ce film (désolé), je vais choisir de m’arrêter sur un autre, sans doute pas très original car très ancré dans l’imaginaire collectif, et relevant du fantasme ultime dans la mesure où il implique rien moins que le plus grand sex-symbol de tous les temps. Ça se passe dans
Certains l’aiment chaud. Sur le canapé, Marilyn Monroe, toute en ingénuité incendiaire, essaie de raviver la libido (faussement) éteinte de Tony Curtis, par une savante batterie de préliminaires. Billy Wilder déguise en gag innocent une scène des plus voluptueuses, et nous rappelle que le désir fait tourner le monde. Avoir été à la ville l’époux de Janet Leigh est déjà une sacrée veine (leur fille pourrait aussi être citée dans ce questionnaire, au passage), alors je pense que, juste le temps d’une séquence, Tony pourrait me céder sa place et me laisser goûter à la bouche de la capiteuse Sugar Kane.
29 - Quelle voix vous a le plus troublé au cinéma ?
Le célèbre regard "dessous fuyant" de Lauren Bacall, sa manière d’allumer une cigarette, sont particulièrement mis en valeur par le timbre caressant de sa voix. Dans un tout autre registre, je trouve la voix rauque de Claudia Cardinale aussi ensorcelante que son physique. Même catégorie : celle de Scarlett Johansson, enivrante. Les susurrements de chatte de Jennifer Tilly font aussi leur effet… Il y a beaucoup de voix qui me troublent, c’est un élément fondamental de la séduction.
Le premier instant italien. Claudia Cardinale, c’est donc une voix, mais c’est aussi une beauté sculpturale, une présence et un rayonnement à se damner. La plus belle Italienne de Tunis (la plus belle Italienne tout court ?) est de ces déesses de l’écran qui font trépigner d’impatience chaque fois qu’elle disparaît de l’image, y compris lorsque ceux qui la font attendre s’appellent Visconti ou Fellini. Chez Leone, son bain à bulles, son étreinte avec Henry Fonda, sa traversée du désert devant les travailleurs assoiffés sont autant d’instants whalala. Je dois faire cette confession : s'il fallait ne retenir qu'une actrice de toute l'histoire du cinéma, alors je choisirais probablement l'éternelle CC.
Aaaahhh Claudia...
Le deuxième instant italien. Son époustouflante beauté néoclassique, son visage de Madone et son corps de Vénus sont à l'origine, sans doute, de l'un des mythes sexuels les plus pérennes de l'histoire de cinéma : tour à tour femme du peuple et héroïne ultra-sophistiquée. Avec son tempérament de feu, celui de la méditerranéenne volcanique et fougueuse comme une louve, elle fut l'équivalent féminin de Marcello Mastroianni, son partenaire récurrent : la classe incarnée. Il suffit de la voir dans La Ciocara
, en mère courage, ou dans le glamourissime Arabesque
(juste une scène : celle où elle fait des œillades à un soldat impassible de la Royal Guard), pour tomber sous son emprise.
Aaaahhh Sophia...
30 - Y a-t-il un film classé X, dont vous aimeriez découvrir le remake sans aucune scène pornographique ?
Je ne vois pas, je ne m’y connais pas assez. Mais a priori j’aurais envie de répondre qu’un tel film n’existe pas.
31 - Quelle actrice ou quel acteur a su vous montrer les plus belles fesses ?
Difficile à dire. Je me souviens notamment que Bernadette Lafont dans
La Maman et la Putain, au-delà de son
full frontal, est particulièrement... appétissante. Côté messieurs, George Clooney n’a pas à se plaindre de lui-même dans
Solaris.
Parce que l’érotisme peut prendre des chemins moins évidents, plus troubles, et qu’il implique aussi de se poser la question : si je retournais ma cuti, quels mâles me feraient de l’effet ? En voici quelques-uns parmi d’autres, acteurs de classe et de charisme devant lesquels je me dis régulièrement "ah, il est quand même sacrément beau, ce con." George Clooney, sa désinvolture à la Cary Grant, Montgomery Clift, son regard magnétique, Viggo Mortensen, sa douceur vénéneuse, Mark Ruffalo, sa séduction latine et décontractée (il faudrait que je mate We don’t live here anymore
d’ailleurs, vu sa partenaire). J’adore ces mecs-là, leur présence, la sympathie qu’ils m’inspirent, l’évidence avec lesquelles ils imposent une idée très saine de la virilité.
32 - Le plus beau sourire ?
Le septième art, un sourire (féminin) : l’association est tellement canonique. J’aurais envie de dire que c’est pour ça que je vais au cinéma, alors un sourire… il y en a des dizaines ! Je ne peux pas faire autrement que citer des héroïnes de mon panthéon, parmi celles qui ont su m’émouvoir au point de m’éprendre d’elles. Je vais m’arrêter à cinq, sinon je m’engage dans une liste sans fin. Au risque de passer pour un monomaniaque, je dirai donc que je suis amoureux pour la vie du sourire ensoleillé de la douce Betty/Naomi Watts, mais aussi de la dynamique Lindsay/Mary Elizabeth Mastrantonio, de la névrosée Mabel/Gena Rowlands, de la féline Selina/Michelle Pfeiffer ou encore de la fragile Delphine/Marie Rivière qui illumine la fin du
Rayon Vert.
33- Existe-t-il un plan, une séquence ou un film qui aient réussi à vous émoustiller sans avoir à priori été conçus à cet effet ?
Un certain nombre, probablement. Celui qui me vient en premier est la séquence du bal masqué dans
Batman, le Défi, lorsque Selina et Bruce dansent et flirtent avec un abandon mêlé de désarroi et de fêlure. Je trouve Michelle Pfeiffer proprement affriolante à cet instant. Mais je la trouve affriolante durant tout le film (une des grandes souveraines de mon paysage psycho-érotique).
Elle a enchanté de sa présence gracieuse les films de De Palma, Scorsese, Miller et bien d’autres. Michelle Pfeiffer c’est un visage délicat, de beaux yeux céruléens, une élégance olympienne. C’est aussi et surtout, pour moi, la Catwoman de Burton, Musidora moderne qui miaule, ondule, affole tout son petit monde, et impose un sex-appeal qui se nourrit de détresse et d’humanité blessée.
34 - Quelle actrice ou quel acteur aimeriez-vous voir grimé en l'autre sexe ?
Là comme ça, je ne vois pas. Je trouve Sigourney Weaver et Jude Law, pour ne citer qu’eux, tout deux très séduisants dans leur beauté androgyne, c’est tout ce que je peux dire. Mais je ne réponds pas vraiment à la question.
35 - Quel regard-caméra vous a le plus ému ?
Je vais en citer deux parmi d’autres, qui ont en commun d’être italiens. Le premier est celui de la jeune fille blonde qui clôture
La Dolce Vita, lorsqu’un monstre échoué sur la plage vient d’être découvert et que Mastroianni s’aperçoit de la présence de cette adolescente. Elle le regarde en souriant, et tourne doucement son visage vers le spectateur, fraîche, jolie, innocente. Fondu au noir. Le second est celui de Giovanna Mezzogiorno à la fin de
Vincere : se lit dans ses yeux toute la détresse, et en même temps la fierté et l’honneur irréductibles, d’une femme sacrifiée par la folie du régime fasciste. Mais l’un comme l’autre n’ont aucun rapport avec notre sujet.
Les deux anges ô combien émoustillantes de Mulholland Drive
, débordantes de sex-appeal, grandes icônes érotiques du cinéma contemporain. J’ai déjà accouché d’écrits démesurément longs sur la suavité de ce film, sur l’osmose de ce couple enivrant, sur cette relation combustible et émerveillée, mais comment l’éluder ici ? On savait Lynch expert en la matière (Blue Velvet
ou Lost Highway
ont imposé quelques standards). Frédéric Bonnaud en avait d'ailleurs fait le sujet d'un excellent texte dans un hors-série des Inrocks (attention c'est long) :
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PULSIONS PUDIQUES
Avant la splendide scène charnelle de Mulholland Drive, le sexe a toujours été problématique chez Lynch. Entre gourdes pucelles et femmes flambées, fascination et phobie, jouissance et punition : évolution de la représentation lynchienne du désir.
Et le profil du sein gauche de Laura Elena Harring changea la face du cinéma de David Lynch. Si Mulholland Drive est bien le chef-d'oeuvre enfin accompli du cinéaste, la séquence d'amour entre les deux femmes - la première, celle de la "version rêvée" - marque un tournant décisif : l'abandon langoureux à une sensualité longtemps empêchée. Pour la première fois, Lynch filme le désir et l'amour physique sans artifice et sans effet. Aux flammes et aux ralentis des films précédents succèdent soudain une impression de plénitude, une sorte de frontalité tendre, inscrite dans une temporalité qui se passe de hachures intempestives et d'inserts tonitruants. Tout en répondant à l'attente du spectateur, qui souhaite ardemment que la gémélitté progressive de Betty et Rita aboutisse à leur étreinte physique et à la découverte des corps des deux comédiennes, cette séquence excède de beaucoup sa véritable durée pour devenir une suspension fascinante et prolongée, un oasis de sérénité qui tranche avec le chaos des signes et des indices. Elle possède la puissance de l'évidence au milieu d'un film qui ne fait qu'entremêler ses fils et ses combinaisons.
Encore ne faut-il pas oublier que cet accomplissement sentimental et sexuel intervient dans la première partie du film, son segment rose et fantasmé, et qu'il trouve son pendant sinistre dans la "version réelle" des événements, avec la scène de baise désespérée sur le canapé, interrompue par Camilla, sur le point de quitter Diane et son appartement vert de jalousie. Le plaisir sans souffrance et sans ambigüité reste donc du domaine du rêve, et ne trouve sa place que dans la version recréée et ressassée d'une histoire d'amour qui a d'ores et déjà très mal tourné. S'il reste fidèle à sa vision romantique de la passion, malheureuse par définition, Lynch se passe désormais de l'arsenal de filtres qu'il avait mis au point pour tenir les corps féminins à distance respecteuse. C'est nouveau.
Après le cauchemar expressionniste d'Eraserhead, où l'enfer est déjà essentiellement domestique et familial, et deux films de commande peu sexués (Elephant Man et Dune), Blue velvet est l'histoire d'un regard captif. Un jeune homme, bien sous tous rapports, découvre un monde de pulsions - "a strange world", comme il ne le cesse de le répéter niaisement à la blonde fadasse avec laquelle il a entrepris de jouer au détective amateur, façon Club des Cinq. Les habitants de ce monde sont des monstres grimaçants, et Jeffrey manque d'en devenir un, sur le versant du voyeurisme, avant de se reprendre in extremis. Mais ce monde est aussi celui de Dorothy Vallens, la chanteuse au corps si beau et si las, souillé et soumis, de plus en plus désirable à mesure qu"'il est immolé dans des rituels de pouvoir. Face à la présence ô combien charnelle, vraie et vivante d'Isabella Rossellini, Lynch semble partagé entre une fascination réelle, qu'il parvient à faire partager, et une retenue qui contient sa part de phobie. Entre attraction et répulsion, c'est un désir d'ordre clinique qu'il décrit. D'un côté, dans la clarté ripolinée de la vie "normale", il n'y a que fadeur ; de l'autre, dans les ténèbres pulsionnelles, le désir est là, mais c'est une jouissance sombre, dangereuse, obtenue au rique de la perversité et de la perte de soi. Entre la gourde pleurnicheuse et la femme flambée qui ne sait jouir qu'en réclamant de la douleur, il n'y a rien, juste un abîme traversé de quelques sas qui attirent irrésistiblement Jeffrey. Adoptant le regard de curiosité de son héros, Lynch filme le corps d'Isabella Rossellini avec des précautions de médecin légiste, comme s'il était d'abord un ensemble de textures dignes d'examen. Sous la lumière crue de l'appartement, vu par les fentes du placard, c'est sa bizarrerie non publicitaire qui est mise en avant. Mais il demeure lointain, irréductible par son étrangeté même, impossible à aimer autrement que dans un schéma de transgression primaire.
Si l'efficacité poétique du film est fondée sur des oppositions nettes et tranchées, leur simplisme constitue aussi sa limite. Et la maîtrise formelle de Lynch, son inventivité de postures lorsqu'il s'agit de filmer des cadavres, contraste avec un discours un peu court quant à la fragilité de l'apparence rassurante des choses. De ce point de vue, la forme feuilletonesque de Twin Peaks permettra au réalisateur d'enrichir ce motif de la pluralité des mondes. On commencera alors vraiment à s'amuser...
Cette longue incapacité lynchienne à figurer le rapport amoureux culmine avec le film suivant, Sailor & Lula. Alors qu'une passion sexuelle est censée unir les deux jeunes gens, Lynch escamote l'essentiel en proposant quelques vagues coïts clipés, à grand renfort d'explosions pétrolières et de déflagrations musicales. Et quand Lula jouit, serait-ce sous les injonctions menaçantes du répugnant Bobby Peru dans la riante cité de Big Tuna, elle tend les doigts de la main en une crispation hautement suggestive. On admettra que c'est pauvre. Mais ce ne serait pas grave si Sailor & Lula n'était à ce point construit sur des références devenues simples chromos régressifs, plus infantiles qu'enfantins.
Avec Twin Peaks, le feuilleton puis le film (Twin Peaks : Fire Walk with Me), Lynch se lâche, ordonne un délire proliférant, mais tout en restant campé sur sa ligne de crête phobique vis-à-vis de la sexualité. Le Mal rôde, symbolisé par le terrifiant hippie Bob et tous ses potes/proies (partouzeurs cocaïnés, pères incestueux, filles trop faciles, adultère à tous les étages, avec le bordel de la frontière canadienne comme point de ralliement obligé), et cette présence constante se traduit par un dérèglement généralisé, dont la malheureuse Laura Palmer est la première victime. Elle baise trop, avec trop de monde. Elle en mourra.
Si Lynch donne libre cours à son côté fleur bleue et à son sens de l'humour dans le feuilleton, avec ses adolescents sincères et perturbés, l'habileté de la virginale Audrey Horne à nouer une queue de cerise avec sa langue ou l'hilarant triangle amoureux autour de Lucy Morgan, le film - qui gagne à être revu - pourrait s'intituler Journal d'une fille perdue. Amusant et inoffensif dans son prologue, il devient aussi sinistre qu'entêtant lorsqu'il se recentre sur le personnage de Laura, malmenée par ses peurs et ses démons. Victime de l'ogre depuis sa puberté, elle se sait perdue, en attente de son supplice final, et ses "perversions" sont aussi tristes qu'elle. Elle ne jouit que pour mieux se perdre, et ainsi hâter une fin qu'elle sent proche et fatale. Cette vision du sexe comme perdition est non seulement moralisante, mais aussi ouvertement chrétienne, puisque la Rédemption interviendra post mortem et que Laura retrouvera l'ange gardien qui l'avait fuie.
Dans cet univers où tout le monde est donné comme coupable, Laura, oie blanche dévoyée, reine de beauté qui se prostitue dans les motesls et partouze au fond des bois, n'a de cesse de protéger Donna, son amie encore immaculée, afin qu'elle ne la rejoigne pas dans le stupre et la débauche. Donna en crève pourtant d'envie... L'empathie de Lynch envers sa pauvre héroïne ne fait aucun doute, et cette sincérité effrayée rend le film touchant, mais Lynch n'est jamais allé aussi loin dans son approche répugnée de la sexualité. Pas de jouissance sans souillure, et la mort au bout du chemin. La messe est dite.
Premier sommet de l'oeuvre, Lost Highway rompt avec la naïveté noirâtre du film précédent. Le Mal n'existe plus guère, ouf, c'est déjà ça de pris... A la surprise générale, Lynch abandonne sa thématique adolescente à propos de la difficile éternité du true love et met ses pas dans ceux d'Antonioni. L'admirable première partie de Lost Highway est sa Notte. Il ne filme que le silence, la distance et l'hébétude qui accompagnent l'agonie amoureuse. Il n'y plus rien entre Fred et Renee, plus de mots, plus de désir, rien que des espaces désormais infranchissables, des vides et des creux. Et c'est dans ce fossé irrémédiable que s'engouffre la fiction délirante, appelée par la pulsion homicide qu'a provoquée l'horreur devant l'amour éteint.
Lost Highway est le film de l'âge adulte, mais sa seconde partie - beaucoup moins convaincante que la première - est son versant régressif. Celui où des choses aussi insolubles que l'enfermement conjugal et la mort lente du désir s'incarnent et se simplifient dans une intrigue de film noir classique avec de nouveau les chromos sixties : la femme fatale blonde platine, les vilains gangsters, les longues voitures noires et le benêt manipulé par l'intrigante, qui joue la comédie du plaisir et de l'amour fou avec lui, alors qu'elle n'aime rien tant qu'être filmée en train de se faire enculer. Magnifique d'opacité triste dans la première partie, Patricia Arquette est réduite au cliché de la serpillère manipulatrice dans la seconde. Et c'est beaucoup moins intéressant, tant la phobie de la sexualité - et en particulier l'insondable mystère de la jouissance féminine - rentre par la fenêtre alors qu'elle semblait être évacué au profit d'une thématique autrement plus complexe. Mais il est vrai que la régression infantile comme réaction vitale devant la fin de l'union amoureuse est le sujet profond de ce film aussi sophistiqué que bancal.
Mulholland Drive, donc. Le film où David Lynch est enfin aussi fleur bleue que terriblement lucide, celui où il s'aperçoit qu'il peut filmer les seins de ses actrices sans leur conférer le statut de funestes appâts ou de natures mortes, celui où il s'ouvre à une sensualité pleine et entière sans la mythifier pour autant. La pulsion sexuelle n'est plus empreinte de malédiction ontologique. Mais la violence du cinéaste force l'admiration lorsqu'il ose saisir crûment, avec une tendresse navrée, la masturbation de Diane après le départ de Camilla, son plaisir désormais introuvable, ses larmes devant l'inanité de l'entreprise, le bruit du frottement de ses doigts sur son sexe et son regard brouillé qui ne parvient plus à faire le point sur les pierres du mur, telle une enfant qui ne peut s'empêcher de jouer avec ses pleurs, alors que c'est une adulte qui souffre le martyre du ressassement amoureux.
FRÉDÉRIC BONNAUD
Et sur Mulholland Drive, le numéro d'été 2020 de La Septième Obsession, consacré au sexe à l'écran, a proposé ce joli texte :
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FIRE DREAMS WITH HER
Betty (Naomi Watts) est déjà dans le lit, le drap sagement remonté au-dessus de sa poitrine. Rita (Laura Harring), elle vient de la salle de bain, enveloppée dans sa serviette. Scène de la vie conjugale ordinaire d’un couple installé. Qui se demande peut-être s’il va faire l’amour, s’il faut se mettre dans ces dispositions. Mais Betty et Rita ne sont pas chez elles et ne forment pas encore un couple. Et savoir qui elles sont respectivement est déjà une aventure. Elles ne se demandent pas si elles vont faire l’amour, elles vont découvrir que c’est inéluctable.
Le désir chauffe les pommettes de Betty et, pour se faire connaître, passe d’abord par le malentendu, bien entendu : non, elle n’invite pas Rita à enlever sa serviette de bain – sous laquelle elle est nue – mais sa perruque blonde. C’est la brune pulpeuse qu’elle brûle de voir, comme inconsciemment, pas la fausse blonde « trompe-la-mort », pas son alter ego. D’abord embarrassée, l’innocence de Betty fait de plus en plus place au désir. Visage tuméfié, menton avide, bouche qui ne peut que s’offrir : au diable les bises sur les fronts candides des enfants qu’on couche, des meilleures copines qui viennent dormir à la maison, place aux baisers dans les puits de chaleur sans fond. Dans lesquels on tombe, amoureuses. Pas de « I love you » ici, mais des « I’m in love with you ». Ce n’est pas que Betty aime Rita. C’est que deux inconnues encore vides se remplissent d’amour. L’une starlette en devenir, l’autre diva sans souvenir, toutes deux ingénues saphiques. Comme elles, nous n’avons jamais vu de baiser, de désir, de poitrine dénudée.
FINI LE RÊVE
Si Betty et Rita se désirent si ardemment, c’est qu’elles sont au sommet d’un rêve qui tremble, touche à sa fin, à ses limites : le cauchemar de la réalité. Betty et Rita ont vu le cadavre de Diane, la Betty de l’envers, de l’enfer, et, secouées, elles ont failli sortir de leurs rôles – dans un fondu enchaîné désynchronisé, elles quittent leurs corps/visages pour finalement les rejoindre.
Leur étreinte est le dernier sursaut d’orgueil, d’amour, de Diane. Le dernier acte de sa réinterprétation exaltée du rêve hollywoodien, de son rêve hollywoodien. Avec Betty, qu’elle voudrait faire passer pour une jeune première, Diane, dévastée, déjà morte, aurait fait en sorte que Rita, Camilla amnésique, ne soit plus la star montante qui la repousse, l’étoile qui lui file entre les doigts, mais au contraire une anonyme qui tombe à nouveau amoureuse d’elle, qui a éperdument besoin d’elle. Et qui, comble du rêve plus qu’ironie du sort, ira, en parfaite débutante, jusqu’à seconder Betty dans ses castings plus vrais que nature où cette dernière impressionne, provoque, envoûte déjà. Dès lors, tout ce qui est conquête d’Hollywood et reconquête de Camilla/Rita entre dans le rêve de Diane : les grandes villas perchées et les piscines suspendues de la « haute », les limousines à rallonge, les sixties mystifiées, les brunes et blondes archétypales, Vertigo comme Les Oiseaux, Rita Hayworth vamp auburn, les Betty et les stars déchues sur Mulholland Drive comme sur Sunset Boulevard de Billy Wilder (sa Betty Schaefer et sa Norma Desmond), les suprêmes récompenses irréelles, le reconnaissance de ses pairs et mères… C’est tout cela qui s’engouffre dans la chambre de Betty et Rita et qui, french kiss & baiser de cinéma, flambe sous les draps.
Mais, on l’a évoqué, ce fantasme grossit dans la psyché jalouse de Diane, pousse sur le terrain lourd de sa culpabilité (Diane a commandité l’assassinat de Camilla), bourgeonne sur son propre cadavre : les eaux noires du polar et de la réalité cauchemardesque qui ont toujours « filtré » (les arcanes de la production, le Winkie’s entre mauvais rêve et réalité, les hommes de main minables, les figures parentales terrifiantes, le cow-boy incongru qui doit bien plus à Glen Baxter qu’au western classique…) finissent par crever le rêve de l’intérieur. Après l’amour, visages imbriqués et vœux de silence d’une actrice en rupture (Persona encore), Rita, possédée, ne peut que répondre à l’appel du Silencio. Dans ce music-hall, cette fabrique d’illusions, monde entre deux mondes, Betty sera prise de convulsions, comme la caméra, à l’approche du theater : le fantasme ne cadre plus, il faut en sortir. La fin du rêve a sonné. Sonnerie aux morts. Du haut de son balcon, de sa loge, menton relevé, perruque couleur clé, une Norma Desmond transformée demandera in fine une éternité de silence pour les âmes perdues d’Hollywood.
Betty disparaît.
Rita tourne la clé bleue.
MILLE FEUX
Côté cauchemar, le fantasme offre peu de résistance. Dans une cuisine ouverte qui dit toute la solitude et le désespoir d’une Diane en manque – d’amour –, une Rita aimante fait une brève apparition, mais est vite absorbée par une Camilla fuyante. Dans l’entre-deux, une Diane qui a encore quelque chose de Betty, une Diane qui y croit toujours, tentera de rejouer, de jouer, notre love scene fiévreuse avec une Camilla presque disposée. Sous les seins qu’on caresse, les cœurs n’y sont plus. « Discontinuité dialoguée » improbable :
Diane : « What was that you were saying, beautiful ? »
Camilla (suave) : « I said… you drive me wild… »
Camilla (sèche) : « We shouldn’t do this anymore… »
Diane : « Don’t say that. Don’t never say that… »
Camilla se refuse à Diane. Qui sombre dans la masturbation sans vision, sans joie, terrible : aucune projection sur le mur cloqué qui, au mieux, au pire, se floute dans un spasme triste, orgasme du déplaisir.
Fantasme défait.
Ou naissant, délirant : vertige de la boucle, vertige de l’amour, oreiller crevé, couverture verte et draps roses, nous sommes aussi au moment où Diane, prostrée, gisante, va inventer Betty et Rita. Le fantasme de Diane est le dernier souhait d’une actrice de complément, d’une condamnée à mort, d’une damnée de l’amour, d’une criminelle. Retour dans cette chambre de rêve où les doigts brûlent, feu Camilla, les cœurs s’enflamment, feu Diane. Coincée dans le montage entre cadavre et cauchemar, cette love scene est le dernier reset, refuge d’une psyché malade, d’un cœur sauvage, d’une libido acculée. S’y déploie une virginité du désir émoustillante et bouleversante. David Lynch, qu’on dit avare d’explications, a pourtant déjà tout expliqué : tous ses films sont « une quête de l’amour dans l’enfer ». Dans leurs chambres respectives, trop loin des feux de la rampe, Diane s’est consumée.
L. Loubaresse
Avec Betty, la blonde fondante, et Rita, la brune pulpeuse, il s’est surpassé et a tué toute la concurrence passée et à venir.
Car le ballet torride exécuté par ces deux canons de beauté touche au sublime lors d’une nuit troublante dont la sensualité épidermique fait grimper le mercure comme dans une étuve. Surchauffées par un désir ardent, les jeunes femmes immortalisent leur idylle au lit, à travers une fournaise d’étreintes moites et de baisers glissants, une extase de caresses fébriles et de mots tendres soupirés dans l’abandon langoureux au plaisir… Leurs peaux satinées s’effleurent, leurs corps enfiévrés se découvrent et s’épousent, le raz-de-marée du sentiment les emporte dans la prise de conscience soudaine de ce qu’elles éprouvent l’une pour l’autre : un grand amour fulgurant. C’est le double effet bang-bang : en plus d’affoler tous les compteurs de volupté, cette scène bouleverse par son lyrisme et sa puissance émotionnelle. Les grisantes bouffées de chaleur qu’elle provoque naissent pourtant d’un contenu très soft, presque pudique (nudité parcimonieuse et elliptique des actrices, images esquivant l’acte sexuel en lui-même). L’érotisme, le vrai, c’est cette séquence de saphisme thermonucléaire, à faire bander un mort. (
et pour rigoler )
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36 - Quel réalisateur est selon vous le mieux parvenu à filmer l'acte sexuel (hors films pornographiques) ?
Je serais en peine de citer un seul nom. J’ai déjà évoqué la plupart dans mes exemples précédents. Il en reste : David Cronenberg par exemple, qui est parvenu à trouver le point de rencontre parfait entre réalisme organique et abandon sensuel. Dans un tout autre genre, Luis Buñuel est un grand cinéaste érotique, ayant réussi à formaliser le sujet dans sa soustraction permanente, dans l’expression du désir frustré et des différentes formes de fétichisme ou de fantasmes obsessionnels.
Un autre film doit également être cité ici : il s’agit bien évidemment de
La Vie d’Adèle. Abdellatif Kechiche y franchit une étape inédite dans la représentation de l’amour physique, impose la beauté et l’évidence de la chimie sexuelle entre deux corps avec une frontalité qui, miraculeusement, évite toute obscénité. Ce qui se produit dans les grandes scènes de lit entre Adèle Exarchopoulos et Léa Seydoux, l’accord profond entre les deux jeunes amantes, l’étendue de leur affinité dans le partage du don de soi et l’offrande de leur plaisir, tout cela relève d’une conjonction de talent, d’audace et d’abandon qui marquera à coup sûr une date nouvelle dans l’érotisme cinématographique.
37 - Est-ce le même que celui que vous considérez comme le plus grand maître en érotisme ?
Non, à mes yeux c’est probablement Alfred Hitchcock. Il est le cinéaste ayant porté l’érotisme à sa dimension la plus charnelle et la plus cérébrale à la fois, en transcendant toujours l’allusion, en en faisant partie intégrante de la puissance de séduction vénéneuse et glamour de ses films. Les films d’Hitchcock sont, pour beaucoup, travaillés par la force souterraine de la pulsion érotique, et sa mise en images a toujours rendu compte de cette tension. C’est d’ailleurs sans doute en partie ce qui explique sa popularité si pérenne d’une part, et l’attention inépuisable que lui portent théoriciens et analystes, friands d’exégèse, d’autre part. La blonde hitchcockienne, c’est plus qu’un programme, c’est un mythe.
Et pour illustrer la substantifique moelle de l’érotisme hitchcockien, quoi de mieux que l’image de l’une de ses égéries (la divine Grace Kelly), embrassant l’un de ses acteurs fétiches (l’immense James Stewart) dans l’un de ses chefs-d’œuvre (Fenêtre sur Cour
) ? Jeffrey est immobilisé dans son fauteuil, une jambe plâtrée, endormi. Sa petite amie Lisa, comme sortie d’un merveilleux rêve, vient déposer un baiser sur ses lèvres, dans un flouté floconneux qui recèle mille promesses. L’art d’évoquer beaucoup en en montrant le moins possible : une certaine idée de l’érotisme, l’une des saintes maximes de la philosophie hitchcockienne.
Voilà, c’est la fin. J’aurais pu citer beaucoup d’autres films, d’autres scènes, d’autres actrices. Je pense en vrac à Jean Peters et son visage de petit chat sauvage, au
Narcisse Noir et ses sœurs chamboulées par les éléments, à Jean Simmons dans le même film, à la belle Paulette Goddard (notamment chez Chaplin), aux superbes actrices de Chabrol (de Stéphane Audran à Emmanuelle Béart, sa caméra a su exploiter pas mal de choses), à la spectaculaire Halle Berry, peu farouche dans
Monster’s Ball, au début d’
Hiroshima mon amour avec ses enlacements primitifs ("
Tu me tues, tu me fais du bien"), au trio de succubes assoiffées (de sang, mais pas que) dans le
Dracula de Coppola…
Bref, je pourrais poursuivre longtemps, mais je pense avoir cité l’essentiel de "
mon" érotisme cinématographique personnel. Comme le disait Truffaut, "
le cinéma est l’art de faire faire de jolies choses à de jolies femmes."
T'as bien raison, François.
EDIT : Si vous êtes arrivé au bout de ce message, je vous enjoins à lire le suivant de Federico : un vrai régal.