Demi-Lune a écrit :
Les 400 coups (1959)
- Au stade où j'en suis dans l'exploration de sa filmographie, c'est le film de Truffaut que je trouve le plus parfait.
Le plus parfait, je ne sais pas, mais le plus personnel, sans doute (avec
La chambre verte).
Le jeune Jean-Pierre Léaud porte littéralement le film sur ses épaules avec une véracité remarquable pour son âge - d'ailleurs, la "professionnalisation" du jeune acteur, au fur et à mesure de l’œuvre de Truffaut, aura pour moi tendance à effacer cette justesse spontanée au profit d'un jeu "à la Truffaut", plus littéraire, plus monocorde, moins convaincante à mon goût.[/list]
Même si j'aime beaucoup le Léaud des films suivants de Truffaut, je suis assez d'acccord.
Tirez sur le pianiste (1960)
- Je ne reviens pas sur ce que j'ai déjà écrit dans le topic du film, si ce n'est pour ajouter que, à mesure que je découvre d'autres films de Truffaut, celui-ci me semble rétrospectivement de plus en plus mineur. De son propre aveu le cinéaste a fait ce film en réaction au précédent, afin de ne pas se faire cataloguer, et a été déçu que le public ne le suive pas dans ses ruptures de ton. Après le coup de maître des 400 coups, il semble se chercher, et délivre un film boiteux à mon goût quoique pas déplaisant.
Bon, là, je ne peux plus être objectif vu que c'est un de mes films de chevet. Mais c'est précisément sa liberté, ses coq-à-l'âne, ses dialogues tendres comme hilarants
*, son esprit cartoon qui me redonnent la banane à chaque vision (et j'ai bien du le voir 10 fois). Et quel sans faute dans la distribution : Aznavour et ses mines de cocker, le charme solaire de Marie Dubois, le naturel confondant de Michèle Mercier, le toujours épatant Albert Rémy (ah, ce dialogue à la Prévert du pré-générique !!) et ces seconds couteaux inoubliables, véritable brochette de Pieds Nickelés, sans oublier ce drôle de p'tit Gavroche à voix éraillée, Richard Kanayan (qui jouait déjà dans
Les 400 coups et qui refera une courte apparition clin d'oeil, 20 ans plus tard, dans
L'amour en fuite).
Non, rien à jeter. Le film de Truffaut le plus "Nouvelle Vague" dans le ton et la forme, au meilleur sens du terme.
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- - Elle vous intéresse tant que ça, ma poitrine ?
- M'en parlez pas ! J'suis médeçin.
Jules et Jim (1962)
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- Film mythique, Jules et Jim m'aura laissé circonspect. Pour dire clairement le fond de ma pensée, j'ai eu l'impression que Truffaut voulait faire du Godard (ce qui n'est pas franchement positif chez moi). Voix-off pontifiante, textes récités par les acteurs d'un ton monocorde et étudié, s'accompagnent d'une expérimentation formelle pas toujours bien maîtrisée jouant sur les formats, le montage, la rudesse des transitions. Le triangle amoureux du postulat n'émeut jamais, ne donne jamais la mesure du déchirement émotionnel qui est en œuvre : c'est quand même l'histoire d'une fille égoïste partagée par deux amis, avec l'assentiment du premier ! Or le film n'inspire aucun bouillonnement, aucune fièvre, échoue pour moi à saisir la douleur sentimentale qui se noue dans ce triangle et qui va conduire au drame. Tout juste retrouve-t-il la fraîcheur et la spontanéité du Truffaut des 400 coups lorsque le triangle est encore idyllique. Pour le reste, le réalisateur s'égare à mes yeux dans un récit artificiel (on n'éprouve rien de l'impasse sentimentale de Moreau et la fin du film fait totalement plouf, sans mauvais jeu de mots, alors qu'elle se voulait être le parachèvement de cette violence émotionnelle que je n'ai jamais senti). Oskar Werner a l'air s'en foutre royalement et de sortir du lit, Henri Serre a un balai dans le cul, et Jeanne Moreau, qui illumine certaines séquences par sa fraîcheur et sa modernité, a un jeu monotone ayant pour effet de rendre très cérémonieux un film déjà décevant dans son absence de sentimentalité. Truffaut, qui semble encore tâtonner, donne trop de primeur à son goût littéraire et phagocyte le cœur derrière une armada de mots (et c'est intéressant de voir qu'il corrigera du tout au tout ce déséquilibre avec son autre adaptation de Roché, Les deux Anglaises et le continent). En résulte un film de parlote, typiquement Nouvelle Vague dans tout ce qu'elle m'agace, mais suffisamment travaillé esthétiquement (je trouve que Truffaut aurait dû continuer à utiliser le Cinémascope qui confère un indéniable plus à son travail), et ambitieux au départ pour ne pas être balayé comme ça d'un revers de la main - d'autant que c'est toujours délicat, rétrospectivement, d'évaluer à quel point ce genre de film a pu avoir d'influence et d'impact sur le cinéma à terme.
Celui-là, j'avoue que je l'ai peut-être trop vu (et aussi trop entendu ses ritournelles qui commencent à me fatiguer). Truffaut a parfaitement rendu le romantisme à la fois enjoué et désespéré du roman de Roché, peut-être même trop respectueusement. Henri Serre m'a toujours semblé le maillon faible en tant que membre du trio amoureux. Il aurait fallu un Claude Rich ou un Jean-Pierre Cassel pour endosser le rôle de Jim. Par contre, avec son jeu désincarné, Serre aurait fait un parfait "modèle" bressonien. Sinon, c'est clairement un film dédié à (et centré sur) Jeanne Moreau, d'où ce déséquilibre d'attention sur le reste de la bande, même si j'aime beaucoup le jeu très fin d'Oskar Werner.
La Mariée était en noir (1967)
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- Truffaut fait son Hitchcock, mais n'est malheureusement pas Hitchcock. Comprendre par-là : il n'en a pas la rigueur. Non en termes d'approche scénaristique (j'y reviendrai en conclusion), mais en termes d'exécution technique. Cela manque de précision, de perfectionnisme, et Truffaut n'est pas un formaliste comme le gros Alfred. Pour autant, la fragilité du film, qui s'explique potentiellement par la trop grande admiration de Truffaut pour Hitchcock (quand l'élève se rapproche ouvertement du modèle, on est tenté fatalement de le juger à l'aune du modèle), n'entache pas la fascination qu'il peut procurer. Ce film a clairement quelque chose, et je l'ai regardé avec beaucoup de plaisir. Quelque part, il m'a paru que Truffaut s'approchait de la force mystérieuse du grand personnage hitchcockien de Marnie, avec la mariée Julie Kohler : involontairement, lui-même délivre un film malade, obsédé par sa protagoniste féminine (les scènes où elle n'apparaît pas semblent étrangement vides et futiles) ; l'ange de la mort laisse progressivement deviner un portrait magnétique, où la détermination vengeresse se dispute à un amour aveugle et virginal. Problème : je doute que Jeanne Moreau était l'actrice idéale pour Truffaut, dans ce rôle. Il aurait sans doute fallu une femme plus hitchcockienne, moins française. Un élément central du film est pour moi sa B.O. J'ai trouvé que la musique de Bernard Herrmann jouait paradoxalement à la fois en la défaveur de Truffaut (du fait de la symbiose artistique Herrmann/Hitchcock, on en revient à cette évaluation par le prisme Hitchcock qui fait du tort à La Mariée était en noir) et en la faveur du film. En effet, j'ai toujours trouvé qu'une musique de Bernard Herrmann sublimait toujours le film pour laquelle elle était composée. C'est difficile à exprimer, mais je dirais que l'essence si caractéristique de sa musique apporte naturellement quelque chose de suprême aux images qu'elle accompagne, comme si on pénétrait dans une sorte de stratosphère. Donc, la patine hitchcockienne de la musique souligne, à mes yeux, ce qui sépare artistiquement Truffaut de Hitchcock, mais dans le même temps l'inspiration herrmannienne, ce lyrisme romantique de l'orchestre, transporte La Mariée était en noir dans un état de fièvre, de passion, de douleur, qui le distingue par conséquent du tout-venant. Enlevez la musique de Herrmann, vous vous apercevrez que le film perd singulièrement de sa superbe. En ce sens, comme je le disais ailleurs, je trouve très injuste la réaction désappointée de Truffaut vis-à-vis de la B.O. (expliquant qu'il ne retravaillera plus avec Herrmann), qui est tout à fait digne du talent du compositeur et constitue, pour moi, l'arc dramatique sur lequel repose le film. Si j'ai des réserves sur la pertinence du choix de Jeanne Moreau, les acteurs masculins sont en revanche parfaits (normal me direz-vous : Claude Rich, Charles Denner, Michael Lonsdale...).
Exact, il y a quelque chose d'un "film malade" ici. Et puis l'hommage à Hitchcock est parfois maladroit, presque scolaire. Jeanne Moreau n'a effectivement rien d'une héroïne hitchcockienne (en fait, la seule actrice trufaldienne qui mériterait ce titre est Claude Jade mais aurait-elle pu endosser le rôle de la mariée ?...). Un film inégal à néanmoins apprécier pour sa galerie d'acteurs, Rich et le fabuleux Denner en tête.
Domicile conjugal (1970)
- Truffaut aurait dû conclure sa saga Doinel ici, avec Peggy sage et Doinel réconciliés et continuant leur vie à deux.
Oui.
La femme d'à côté (1981)
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- La femme d'à côté s'impose comme la continuation de la fibre des deux Anglaises et le continent et de L'histoire d'Adèle H.. Truffaut revisite sa vieille obsession quant à la destruction occasionnée par le sentiment amoureux et l'impasse sentimentale. Aimer ne suffit pas, semble-t-il nous dire tout au long de sa filmographie. Il faut plus que ça, plus que la seule sincérité, plus que la seule passion. Ses personnages sont régulièrement condamnés à faire l'expérience d'un cul-de-sac, comme si la ferveur de leurs sentiments devait nécessairement les conduire dans un empêtrement, dans une impossibilité d'assouvissement. Ici, il va donc ausculter les déchirements d'un homme et d'une femme qui se sont jadis passionnément aimés mais aussi brutalement séparés - Truffaut expose à nouveau l'idée que le sentiment amoureux ne s'efface jamais véritablement, que l'amour déçu ou brisé ne se guérit pas par le poids des ans. Le sentiment se ravive comme une étincelle, à la fois magnifique de fidélité et terrible comme un cancer. Voisins, les deux amants ne se résistent pas longtemps et s'embarquent à nouveau dans une histoire sans issue, écartelés entre le désir irrépressible et la moralité des engagements conjugaux respectifs. Fanny Ardant apparaît comme la descendante de la Catherine de Jules et Jim, incapable de se passer de son amour mais également incapable de vivre avec lui. La femme d'à côté est une lente descente aux enfers dans le chagrin et la douleur d'une passion qu'on ne peut exaucer. Truffaut analyse très bien la contradiction sentimentale, la force du déchirement qui saisit Depardieu (grand) puis Ardant, cette consumation progressive qui conduit au désespoir, à l'aliénation. Le film est moins ouvertement violent psychologiquement que les souffrances de Muriel Brown ou d'Adèle Hugo, pourtant il s'achèvera plus brutalement. Et c'est cette posture nihiliste qui est ma réticence première envers ce film... je ne sais pas, je trouve que le nihilisme ne sied pas forcément à Truffaut, qui est quelqu'un d'humaniste et qui laisse toujours une chance à ses personnages, même lorsqu'ils ont été dévastés par l'amour. Truffaut disait avoir voulu réaliser Adèle H. uniquement pour cette scène où Adèle, livide, fantomatique, passait à côté de Pinson sans le regarder : elle était guérie de sa passion. Une guérison passant par l'aliénation, certes, mais le film choisissait de conclure sur cette note apaisée vis-à-vis des enjeux émotionnels qu'il avait exposés. L'épilogue des deux Anglaises est dur, mais d'un autre côté, Muriel a continué sa vie. Or, dans La femme d'à côté, Truffaut refuse ça. Et cela ne me satisfait pas, personnellement. Je ne dis pas que c'est une mauvaise fin, mais elle ne me semble pas cadrer avec le réalisateur. C'est un aveu d'échec... d'échec face à la vie, alors que tous ses films disent au contraire qu'il faut se battre, toujours.
Peut-être Truffaut a-t-il voulu appliquer à la lettre le postulat hitchcockien qui dit qu'il faut filmer les scènes d'amour comme des scènes de meurtre, et vice versa. En tout cas, je ne vois pas de nihilisme dans sa conclusion ô combien tragique. Plutôt un romantisme sombre hérité de ses lectures du 19ème siècle. Et puis il y a souvent des morts brutales à la fin des films de Truffaut, y compris dans ses oeuvres les plus légères en apparence. Quant à la mort elle-même, il lui consacrera carrément son film le plus difficile (ou moins aimable) avec la troublante
Chambre verte.
Vivement dimanche ! (1983)
- Rien à ajouter sur ce que j'ai écrit dans le topic du film, si ce n'est qu'au regard des autres découvertes, cet ultime Truffaut me semble décidément bien anecdotique.
Hélas oui. Plus je le revois, plus je ne sauve que l'interprétation de Philippe Laudenbach (et, dans une moindre mesure, celle de Philippe Morier-Genoud, en flic débonnaire qui rappelle un peu celui de
Frenzy).
J'éprouve de plus en plus d'affection pour le cinéma de Truffaut. Mais quelque chose me chiffonne quand même. Pour approfondir son cinéma, j'ai commandé et lu François Truffaut au travail, qui détaille son mode opératoire, sa façon de procéder du scénario jusqu'au tournage. A sa lecture, je me rends compte que Truffaut se pose constamment de pertinentes interrogations sur l'écriture de ses films, sur l'adaptation des bouquins qui l'intéressent. Ses idées scénaristiques sont excellentes et toutes ses archives montrent à quel point il s'interroge sur le fonctionnement de ses scènes, sur la manière de les rendre le plus possible meilleures. Et pourtant, quand je regarde ses films... je les apprécie, hein, mais je les trouve quelque part en-deçà de ce que ce travail scénaristique laisse espérer. Tout cela est très subjectif mais je trouve qu'il manque quelque chose à Truffaut réalisateur - quelque chose que je ne sais pas encore trop identifier.
Truffaut était un perpétuel inquiet, un fiévreux. Ça transpire dans la majeure partie de son oeuvre, tout comme dans son jeu d'acteur, si maladroit et si touchant à la fois. Il est resté jusqu'à la fin un grand ado ciné- et bibliophile qui dévorait tout (et toutes
) avec frénésie, perpétuellement angoissé à l'idée qu'il ne serait pas à la hauteur de ses maîtres (Hitchcock, Lubitsch, Chaplin, Renoir, Guitry, Balzac, Stendhal...) Je suis assez d'accord sur ses - relatifs - manques de maîtrise scénaristique mais en même temps, je trouve que ces faiblesses et ces angoisses font partie du charme. Qu'on apprécie ou moins (ou pas) l'oeuvre de Truffaut, elle est cohérente.