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Conversation entre Stig Björkman, Olivier Assayas et Ingmar Bergman.
S.Björkman : Pourquoi avez-vous mis la caméra dans tel axe, à telle hauteur quand vous tourniez tel film en 1949 ?... (Rires)
Bergman : J'ai relu le livre de Truffaut avec Hitchcock. Je l'aime beaucoup. Le seul problème, c'est que ce personnage arrogant, détestable, méchant, très intelligent, qu'est Hitchcock, est un peu apeuré lorsqu'il se retrouve en face de Truffaut. Exactement comme je me trouvais moi-même quand nous avions fait ces entretiens : ils étaient trois, deux idiots et un plus malin... Non, ce ne sont pas des idiots, ils sont étranges. En tout cas la combinaison n'était pas très bonne. Et Truffaut passe son temps à essayer de donner son opinion, page après page, et quelquefois on se demande : "Où est Hitchcock ?" Il disait à Hitchcock ce qu'Hitchcock devait dire... C'est très intéressant de le relire aujourd'hui. Truffaut a, à juste titre, une très grande admiration pour Hitchcock. Il le considère comme le génie qu'il était. Mais il essaye sans arrêt d'expliquer à Hitchcock qu'il a compris Hitchcock mieux que lui-même. Et c'est très touchant.
O.Assayas : J'ai beaucoup aimé Hitchcock, mais aujourd'hui tous les cinéastes sont obsédés par Hitchcock. Il y a quelques années quand on voyait les films américains, on avait l'impression que tous les cinéastes étaient influencés par John Ford, à présent plus du tout, c'est Hitchcock qui a envahi tout le cinéma américain et étouffe sous lui...
Bergman : Ce n'est pas de sa faute...
O.Assayas : ça ne fait pas de lui un moindre cinéaste.
Bergman : C'était un merveilleux cinéaste parce qu'il a su beaucoup expérimenter au sein d' une industrie entièrement commerciale. C'était très difficile. Et si voyez --moi, je peux le voir et le revoir-- ce drôle de film que j'admire tellement, Psychose, c'est incroyable... Cet homme cupide l'a fait avec son propre argent, vous vous rendez compte, une petite équipe, et une telle logique, une telle précision, une telle obsession de la qualité cinématographique. J'admire ce film. Et La Corde, techniquement ce n'est pas une entière réussite mais l'idée était absolument juste.
O.Assayas : Une chose essentielle chez Hitchcock, c'est sa préoccupation d'un rapport direct avec le public. Quand il parle de ses films, il dit toujours : "Là j'ai trompé le public parce que je lui ai fait croire cela, en lui montrant ceci alors qu'il aurait dû regarder telle autre chose." Il a toujours cette façon de jouer avec le spectateur. Quelle est votre relation avec le public de vos films ?
Bergman : Je l'aime. J'aime le public. J'ai toujours pensé : "Je suis très clair, ils doivent comprendre ce que je dis, ce n'est pas difficile" et plusieurs fois, je me suis rendu compte que je n'avais pas été assez simple, assez clair. Mais toute ma vie, et au théâtre aussi, j'ai toujours travaillé avec ou pour le public.
Olivier Assayas et Stig Björkman - Conversation avec Bergman, petite bibliothèque des Cahiers du Cinéma. P. 88 à 90.