Au Service Secret de Sa Majesté (Peter R. Hunt, 1969)
Bien que connaissant tous les épisodes de la saga de fond en comble (au fil des rediffusions qui ont tout autant marqué mon enfance que les chansons-titres que j'écoutais en boucle dans ma chambre sur cassette audio), et les regardant encore volontiers au détour d'un jour férié, je ne crois pas pouvoir me désigner comme un fan des aventures de l'agent britannique, car au final, il n'y a que peu de Bond que j'aime vraiment. Mes Bond préférés ont toujours été ceux, paradoxalement, où l'image de l'agent secret invulnérable, bardé de gadgets improbables et entouré de belles pépés - c'est-à-dire la représentation commune du personnage dans l'imaginaire collectif -, était judicieusement malmenée. Logiquement, mes opus favoris sont donc ceux où Bond n'est qu'un être humain, faillible, doué de sentiments, et pas ce superman unidimensionnel qui fait tomber les filles dans ses bras en un battement de cil et qui trouve toujours un bon mot même dans les situations les plus difficiles (même si ce sont ces aspects qui ont précisément contribué à l'impact populaire du personnage). Les fans me tomberont probablement dessus, mais je trouve personnellement bien plus intéressant de suivre les péripéties d'un héros qui transpire, qui a peur, qui en bave. Cela ne veut pas dire que je n'aime pas tous les autres épisodes, mais si je ne devais qu'en garder qu'une poignée, ce serait sans hésiter
Bons baisers de Russie, les deux Dalton et
Au Service Secret de Sa Majesté. J'ai toujours eu beaucoup d'estime pour ce dernier et sa redécouverte, via le somptueux dvd Ultimate remasterisé, a achevé de me convaincre qu'il s'agissait bien du meilleur Bond de la saga. C'est vraiment l'épisode de tous les superlatifs. Le plus beau, le plus péchu, le plus ample, le plus romantique, le plus, quoi. Pourtant, il semble qu'il ne fasse toujours pas totalement consensus. La faute, à l'évidence, au blocage d'une partie des bondophiles vis-à-vis de l'Australien George Lazenby, jugé et évalué à l'aune de son incontournable prédécesseur, qui constitue encore et toujours, même aujourd'hui (et à raison), l'incarnation parfaite du personnage. Cependant, j'ai toujours trouvé le jugement des fans à l'égard de Lazenby sévère. Succéder à Connery n'était pas chose aisée et il a su apporter la fragilité et l'humanité nécessaires au personnage pour cet opus en particulier, ainsi qu'une allure solide et sensible. Comment Connery se serait débrouillé dans
Au Service Secret de Sa Majesté ? Personne ne pourra jamais le dire, évidemment, et on entre ici dans des spéculations sans fin sans intérêt fondamental. Mais, bien que n'étant pas un exégète bondien, je pense quand même que la question mérite d'être posée dans la mesure où je suis intimement convaincu que Connery n'aurait tout simplement pas cadré dans ce film. Au vu du scénario, au vu des bouleversements que Bond connaît dans cette intrigue, il
fallait un interprète différent, afin que l'identification émotionnelle du spectateur soit plus importante. Homme d'un seul opus, le malchanceux Lazenby peut avoir la fierté de dire qu'il a participé au meilleur de la série et que si c'est précisément le meilleur, c'est aussi, en partie (eh oui !), grâce à lui - grâce au changement bienvenu qu'il apportait, qui allait de paire à ceux que le scénario réserve à l'agent secret. D'ailleurs, pour poursuivre dans mes hérésies, j'avoue honnêtement que je regrette que l'on n'ait pas donné plus longtemps sa chance à cet acteur. Je pense qu'il aurait pu apporter de bonnes choses à la saga sur le long terme. Mais d'un autre côté, si
OHMSS a ce statut si particulier dans le coeur des cinéphiles, c'est peut-être aussi parce qu'il est le seul permis de tuer de l'agent Lazenby. Je me demande si une récurrence de l'acteur dans la saga n'aurait pas, finalement, affaibli la force de cet unique opus.
Pourquoi est-ce, à mon sens, le meilleur de la série ? Parce qu'il se paie le luxe de renouveler la saga, le personnage, aussi bien sur le plan technique que scénaristique. La redécouverte d'
OMHSS m'a fait prendre conscience à quel point la mise en scène de Peter Hunt était en avance sur le cinéma d'action. Le montage, référentiel, est d'une sécheresse assez impressionnante pour l'époque (1969) et même si certains zooms sont un peu superflus, la force que dégage ce travail demeure intacte. Par exemple, la castagne entre Bond et le Noir dans la chambre d'hôtel est d'une violence inaltérée, précisément due pour partie aux audaces d'un montage qui n'hésite pas à utiliser des jump-cuts pour décupler la puissance des coups assenés. De même, si les transparences lors du combat final sur le bobsleigh entre Bond et Blofeld prêtent maintenant gentiment à sourire, eh bien le spectateur n'en a jamais envie grâce à la brutalité d'un montage incroyablement dynamique et visionnaire pour son temps. Le montage et les prises de vue osées participent d'un sentiment de vitesse extrêmement bien foutu et remarquablement immersif. J'ai également été interpelé par ce montage très rapide, quasiment étourdissant, lors de la scène du repas entre Bond et les filles de Piz Gloria : une séquence vraiment curieuse, fascinante, où le cinéaste jongle entre les angles filmés, en plongée totale, entre les têtes et les assiettes qui se vident progressivement des différentes femmes. Je suis peut-être complètement pervers mais je trouve que ce montage, très inhabituel, accentue lourdement la sensualité qui se dégage de cette séquence, portée par les notes lascives de "
Bond meets the girls" de Barry. Toujours côté technique, on ne pourra que louer la remasterisation du dvd, qui rend pleinement justice au travail photographique splendide de Michael Reed. Les Alpes suisses sont magnifiées, offrant des plans aériens vertigineux. Et que dire aussi de la B.O. de John Barry, sinon qu'il s'agit d'un petit chef-d'œuvre, dont les notes mélancoliques (
"We have all... the time... in the world") restent à jamais en mémoire. C'est cette mélancolie qui élève selon moi ce Bond au sommet. Inutile de dévoiler les ressorts de l'histoire. Aussi, j'insisterai - comme tous - sur l'apport absolument déterminant de la resplendissante Diana Rigg, dont la Tracy Di Vicenzo, véritable alter-ego féminin de Bond, peut se targuer d'être la meilleure Bond Girl de toute la saga. Son apparition angélique, alors que Bond est aux abois (captures du bas : gros plan sur les pieds, plan sur Bond, travelling vertical sur les jambes puis le visage souriant de l'actrice) demeure à mon sens la plus belle apparition féminine de l'Histoire du cinéma, plus forte encore que celle de Lana Turner dans
Le facteur sonne toujours deux fois. L'attachement au personnage est réel et la fragilité du couple Bond/Tracy, sincèrement épris, est habilement dosée sans qu'on ne tombe dans la guimauve. La tragique conclusion, toujours aussi déchirante même si on la connaît, en est la meilleure preuve. Telly Savalas, quant à lui, est également excellent. N'ayant jamais lu le roman original de Fleming, je ne sais pas quelle est l'importance du travail de scénarisation effectué pour le film mais je le trouve remarquable dans l'équilibre de sa construction, et sa volonté de pousser plus loin encore les acquis des précédents opus. Le scénario n'a pas peur des longueurs, des pauses romantiques, de bousculer le profil de l'agent secret, ni des énormes moments de bravoure (la course-poursuite de près d'une demi-heure à partir de l'évasion de Bond). Alors que les producteurs auraient pu jeter leur dévolu sur un roman plus "conventionnel" de Fleming, c'est celui-ci qu'ils ont choisi fort pertinemment. En résulte à mon sens un film mythique, grâce à l'addition de tous les talents réunis (mise en scène admirable, Bond Girl, BO, scénario approfondi). Le meilleur, vraiment. Et cette fin, bon sang, cette fin. D'ailleurs, le truc qui me fait grincer des dents à chaque fois, c'est le triomphal James Bond Theme sur le générique final. Totalement hors de propos!