David Lean (1908-1991)

Rubrique consacrée au cinéma et aux films tournés avant 1980.

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Sybille
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Re: David Lean (1908-1991)

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Blythe spirit / L'esprit s'amuse
David Lean (1945)

Après un début loufoque, mais quelque peu lassant, le tout en majeure partie à cause de l'interprétation plus qu'exubérante de la tonique Margaret Rutherford en médium foldingue, le film raconte le retour inattendue de la première femme, alors décédée, du héros, un écrivain joué par Rex Harrison. Cet esprit fantômatique (l'actrice Kay Hammond, revêtue d'un déshabillé et arborant une étrange teinte verdâtre) pertube le train de vie de cette maisonnée bourgeoise, charmant en quelque sorte son ancien mari, mais se plaisant bien évidemment à jouer avec les nerfs de la nouvelle épouse. "Blythe spirit" est tirée de la pièce du même nom de Noël Coward, d'où l'unité de temps et de lieu presque exclusivement respectées, avec un décor presque unique, et une action se déroulant entièrement en l'espace de quelques jours. Ce n'est guère dérangeant. Les dialogues sont par contre loin d'être à la hauteur de ce qu'on serait en droit d'attendre et d'espérer de la part du célèbre dramaturge. Quelques répliques ou moments à peine amusants, voilà à peu près tout ce dont le film nous gratifie au final. Il repose trop sur la répétition de scènes identiques (par exemple les disputes entre Harrison et Constance Cummings, cette dernière persuadée que son mari l'a insultée, alors qu'il s'adressait à sa première femme, que l'autre ne peut voir ni entendre...). Les scènes en question ne sont pourtant pas vraiment de la meilleure qualité. La dernière partie tire beaucoup trop en longueur, et le film qui ne fait seulement qu'1h30, semble alors durer bien plus longtemps. Les acteurs oscillent entre le bon (Harrison, Hammond, voire Rutherford, même s'il faut arriver à la supporter) et le moyen (Cummings, les autres). La grande faiblesse de "Blythe spirit" réside probablement dans les ressorts en fin de compte plutôt usés (et peut-être seulement utilisés à leur strict minimum) dont il tire ses situations. A noter comme souvent dans les films anglais de cette époque, de jolies couleurs. Un film qui aurait sans doute pu être mieux. 5/10
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Sybille
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Re: David Lean (1908-1991)

Message par Sybille »

Madeleine
David Lean (1950)

Conventionnel, mais pas complètement anodin, "Madeleine" est un film austère, un peu figé (à l'image de la théâtralité classique de ses acteurs), et qui au moyen de costumes et de décors luxueux parvient à retranscrire tout le faste discret d'une famille bourgeoise écossaisse du 19ème siècle. Un certain "esprit" de l'époque est également plutôt bien restitué, à savoir l'emprise de la figure paternelle sur le reste de la famille, la soumission volontaire des personnages féminins aux hommes de manière générale, la codification et l'importance du mariage. Le film s'envisage autrement et en premier lieu comme une sorte d'histoire policière, puisqu'il s'agit de la relation d'un supposé assassinat (Madeleine a vraiment existé, mais le mystère est demeuré irrésolu quant à sa qualité d'empoisonneuse). C'est aussi une histoire d'amour, de passion, même si les affections semblent toujours mal placées. Le scénario décrit de la façon la plus honnête possible les évênements qui ont conduit Madeleine à passer en jugement pour meurtre. L'amant est certe quelque peu tourné en ridicule (un beau, mais faible séducteur français qui n'a pour lui que l'élégance de ses manières, et n'aurait semble-t-il aucune objection à contracter un mariage d'argent), mais Madeleine est également loin d'être une figure parfaite. En réalité, aucun des personnages n'est jamais ni idéalisé, ni diabolisé, ou alors pour quelques instants seulement. Il est malaisé dans ces conditions de développer une opinion stable à leur sujet. Ils ne sont pas sympathiques ni, au fond, vraiment intéressants. On a un peu l'impression d'avoir affaire à de l'eau tiède. La photographie est par contre quasiment sublime, avec un noir et blanc irisé, laiteux, remarquable surtout lors des séquences nocturnes, dont une très belle se passant dans un jardin. Rien que pour cela, le film mérite au moins un visionnage, surtout de la part des admirateurs de Lean. 6/10
Nestor Almendros
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Message par Nestor Almendros »

CHAUSSURE A SON PIED (HOBSON'S CHOICE) - TCM

Pas grand chose à ajouter à l'avis de Cinéphage posté page précédente. Le film est comédie sympathique qui n'arrive cependant pas à dépasser son cadre de départ. Visuellement, effectivement, Lean s'approprie assez bien les décors, dans un beau noir & blanc.
Hasard des visionnages, l'intrigue m'a un peu rappelé L'HERITIERE de Wyler avec ce père castrateur absolument détestable qui est dessiné ici sous le prisme de la comédie. Donc, malgré des manières horribles (il faut voir comment il traite sa faille ainée, par exemple, qu'il rit d'elle parce qu'elle lui semble trop vieille pour trouver un mari), le personnage garde un certain attachement avec le spectateur. Parce que derrière ses défauts impardonnables il en a d'autres beaucoup plus risibles (l'alcoolisme) qui le rendent moins crédible, dans sa cruauté, et plus pitoyable. Et également parce que, pour lui aussi, la roue va tourner: il va perdre de sa puissance (sans vouloir la lacher) et se faire dépasser par sa fille. Celle-ci, maline et éduquée à la dure comme un petit soldat, va s'émanciper et trouver avec John Mills, l'ouvrier, un bon élément qu'elle va aider à façonner et même plus.
Donc beaucoup de points communs dans ces rapports de force. Il manque à l'intrigue un élan dramaturgique suffisamment fort pour élever l'histoire à autre chose qu'une sympathique comédie où l'on a heureusement le plaisir de retrouver un Charles Laughton très en forme qui n'hésite pas à se ridiculiser, ce qui n'est déjà pas si mal. D'accord avec Ann Harding, dans un autre topic consacré à Mills, et sur sa transformation minutieuse du personnage et de l'évolution des relations (amoureuses et professionnelles) entre lui et sa femme.
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Re: David Lean (1908-1991)

Message par cinephage »

Nestor Almendros a écrit :Visuellement, effectivement, Lean s'approprie assez bien les décors, dans un beau noir & blanc.
C'est effectivement pour moi l'atout majeur du film.
I love movies from the creation of cinema—from single-shot silent films, to serialized films in the teens, Fritz Lang, and a million others through the twenties—basically, I have a love for cinema through all the decades, from all over the world, from the highbrow to the lowbrow. - David Robert Mitchell
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Sybille
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Re: David Lean (1908-1991)

Message par Sybille »

Brief encounter / Brève rencontre
David Lean (1945)

"Brève rencontre" est le premier film de David Lean que j'ai découvert il y a presque quatre ans. A l'époque je ne savais pas vraiment qui était ce réalisateur, et si j'avais eu envie de voir ce film, c'était à cause d'une photographie aperçue dans un livre, mais où déjà le beau visage aux traits tirés de la mélancolique Celia Johnson m'avait interpellé. Je l'ai donc revu, et même si le film m'avait déjà plu, je pense l'avoir davantage apprécié lors de ce second visionnage.
Car il s'agit évidemment d'un des meilleurs films du réalisateur. Une histoire d'adultère sensible et touchante, un récit d'apparence simple mais toujours juste. La construction du scénario, fait de retours en arrière et majoritairement focalisé sur la femme interprétée par Celia Johnson donne un ton, une signature au film, quelque chose à quoi s'accrocher pour comprendre et compatir, encore mieux que si le film se déroulait d'une façon plus strictement linéaire ou impersonnelle. L'utilisation de sa voix pour raconter ce qui s'est passé, les gros plans sur son visage dans le compartiment du train ou dans son salon une fois de retour chez elle, sont autant de particularités de mise en scène ingénieuses de la part de Lean et de son équipe pour rapprocher davantage le spectateur du destin des personnages. Tout comme la musique de Rachmaninov lui apporte un supplément indéniable, plaçant le film entier sous le signe de la tristesse et du regret nostalgique.
Un quai de gare, un salon de thé sont à peu près les seuls éléments du décor, mais ils suffisent à Lean pour situer et caractériser son histoire, de manière à la fois crédible et sans jamais lasser. Les scènes filmées dans le salon de thé de la gare, même si elles se concentrent évidemment sur le couple, en profitent néanmoins pour montrer un trio constitué de la patronne, de la serveuse et du contrôleur, personnages amusants, gouailleurs, et que l'on se plaît à croire typiquement britanniques. Lorsque le couple s'aventure à l'extérieur, au cinéma, à la campagne, ce sont autant d'instants de bonheur, de liberté volés au temps, aux conventions, au retour à un quotidien peu satisfaisant, même si l'une des grandes forces du film est justement de toujours rester à la mesure des personnages, de se confiner à une certaine modestie, au contraire des voyages lointains, des plages exotiques ou des bals luxueux imaginés par Celia Johnson en une rêverie impossible à concrétiser.
Les dialogues entre Celia Johnson et Trevor Howard restent simples, les deux acteurs faisant preuve d'hésitation ou d'exaltation retenue, et il est difficile de ne pas être ému lors du passage où son train arrive et qu'il lui fait promettre qu'ils se rencontreront à nouveau la semaine suivante.
Un chef-d'oeuvre discret, frémissant et adulte. 8,5/10
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Re: David Lean

Message par AtCloseRange »

Abronsius a écrit :The Passionate Friends (1948) David Lean

Nous sommes en 1949 et David Lean est un cinéaste à succès, ses deux adaptations de Dickens sont derrière lui et font son prestige. The Passionate Friends semble être alors un anachronisme, une redite, un Brief Encounter bis. C'est Ronald Neame qui commence cet opus mais avec beaucoup de difficultés, Lean reprendra les rênes et en fera son film. L'histoire est banale, Mary est amoureuse de Steven mais préfèrera se marier avec Howard qui est bien plus riche, seulement le destin les fait se rencontrer neuf ans après... Mary (Ann Todd, la froide et toute récente hitchcockienne de The paradine Case) est une sorte de madame Bovary, qui rêve sa vie, éternelle insatisfaite perdue dans les limbes aux multiples possibles de sa pensée. Elle rêve même lorsqu'elle est en présence de Steven, interprété assez mièvrement, il est vrai, par un Trevor Howard auquel Lean ne prêtera aucune attention pendant le tournage. Il faut dire qu'il se mariera avec Todd juste après, ceci expliquant cela. Pour elle il reste un fantôme, ce qu'elle lui dit lors de cette échappée alpine. La structure du film reflète l'état mental de Mary avec des flashs backs emboîtés. le premier retour en arrière occupe d'ailleurs presque une heure de film, soit les deux tiers...L'histoire est assez conventionnelle, presque inintéressante. L'élément majeur du film est le personnage du banquier, incarné par le sublime Claude Rains, cet acteur à la présence hypnotique et au charme incomparable.
Je pense globalement la même chose en moins indulgent. C'est assez décevant et il est difficile d'éviter la comparaison avec "Brève Rencontre" et Ann Todd (qui me fait le même effet qu'une Michèle Morgan anglaise) est bien loin de Celia Johnson. Pourtant le film commençait brillamment avec notamment une très belle scène de nouvel an mais rapidement le film est handicapé par ses conventions et une construction temporelle un peu trop artificielle et les quelques éclats de mise en scène (les scènes de métro, la scène vue à travers les jumelles ou la découverte d'Ann Todd en pleurs par son mari) sont malheureusement trop peu nombreux.
Dommage car une fois de plus le DVD du coffret Lean est magnifique et rend un bel hommage à la photo du film.
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Re: David Lean (1908-1991)

Message par Sybille »

The sound barrier / Le mur du son
David Lean (1952)

Peut-être est-ce mon manque d'intérêt pour l'aviation en général, j'ai en tout cas eu un peu de mal à aller au bout de ce film qui relate le courage et les efforts d'un groupe d'hommes pour "franchir le mur du son". La mise en scène n'est réellement marquante qu'au cours des scènes de vol, certe plutôt bien faites techniquement mais à la longue... ça n'est quand même pas suffisant pour faire un bon film. Le récit aurait pu être mieux développé, puisqu'il propose en même temps un conflit familial fondé sur la personnalité d'un père autoritaire, qui se trouve être le directeur tout puissant de l'entreprise de conception des avions. Ralf Richardson incarne cet homme ambitieux et égoïste à la perfection (en particulier en usant d'un timbre de voix que j'ai trouvé assez étrange, mais très approprié). Ann Todd joue plutôt bien sa fille, sans qualité ni défaut vraiment apparents. Le reste de la distribution n'est par contre pas terrible : le rôle des aviateurs allant à ce que l'Angleterre de cette époque pouvait donner de pire en matière de fadeur. On sent que l'histoire elle-même n'a que peu d'importance, ce qui compte, c'est les avions. Ca ne l'empêche cependant pas d'être conventionnelle et sentimentale de bout en bout. Ce n'est pas que le film soit vraiment mauvais, c'est plutôt qu'il n'a quasiment aucun intérêt. 4/10
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Re: David Lean (1908-1991)

Message par Jericho »

Docteur Jivago officiellement annoncé

Classique restauré méticuleusement par Warner (c'est en tout cas ce que nous promet le studio par la voix de George Feltenstein), le Docteur Jivago de David Lean est officiellement annoncé en Blu-ray pour le 4 mai prochain aux Etats-Unis.

Présenté dans un digibook (boîtier-livre) avec un livret de 44 pages et un CD de huit extraits de la musique du film, Jivago sera accompagné d'un commentaire audio de Omar Sharif, Rod Steiger et Sandra Lean, femme de feu David Lean, du documentaire inédit "Doctor Zhivago: A Celebration", d'une introduction par Omar Sharif, d'un making-of, et de 11 featurettes, avec notamment des interviews de Omar Sharif et de Julie Christie. Une bande-annonce viendra compléter le tout. Warner n'a pas encore donné de précisions concernant les spécifications techniques.
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Re: David Lean (1908-1991)

Message par chrislou »

Ils sont un peu saoulant ces éditeurs à faire ce qu'ils veulent avec les visuels, peuvent pas respecter les affiches d'origine ? çà leur coute quoi ? :x
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Re: David Lean (1908-1991)

Message par odelay »

chrislou a écrit :Ils sont un peu saoulant ces éditeurs à faire ce qu'ils veulent avec les visuels, peuvent pas respecter les affiches d'origine ? çà leur coute quoi ? :x
Apparamment, il y a qq fois des droits supplémentaires à payer pour reprendre les affiches d'origine. Mais dans ce cas-là, cet argument n'est pas valable vu que c'est une major et que le DVD avait reprenait l'affiche. Je déteste ce nouveau visuel qui fait passer le film pour une production remplie d'effets numériques.
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Re: David Lean (1908-1991)

Message par chrislou »

ce qui veut dire en fait que les majors sont indifférents face au sabotage d'une oeuvre de leur catalogue, tant qu'ils peuvent récupérer quelques sous en plus..
C'est un peu dommage et déprimant.
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Re: David Lean (1908-1991)

Message par Cathy »

Summertime, Vacances à Venise (1955)

Image[img]http://auteurs_production.s3.amazonaws.com/stills/9119/Summertimew.jpg[/img]


Une vieille fille américaine en vacances à Venise tombe amoureuse d'un italien.

David Lean réalise ici un film plein de charme, de tendresse et de pudeur, sur les amours entre une vieille fille américaine et un séduisant italien. Bien qu'il y ait le côté touristique de Venise, David Lean réussit à capter une certaine âme italienne, et de nombreuses prises de vues évoquent les tableaux de Guardi ou Canaletto. Certes on ne peut échapper à la Piazza San Marco ou au grand canal, mais les caméras se promènent surtout dans les petites rues de Venise, conférant un charme magnifique à cette triste histoire d'amour. David Lean sait conter les histoires d'amour et l'évolution de celles-ci de cette rencontre au café, à celle dans la boutique puis dans la pension.
Katharine Hepburn est superbe en vieille fille qui va finalement succomber à l'amour aux bras d'un Rossano Brazzi toujours aussi séduisant. David Lean montre à la fois la frivolité des italiens qui "déplaisent" au départ cette vieille fille typique, mais aussi le caractère superficiel des touristes américains notamment avec ce couple de touristes dont le mari ne supporte pas les monuments et les musées, mais va finir par succomber au charme de Venise. Il y a aussi cette histoire avec ce petit italien qui ne pense qu'à gagner de l'argent des touristes. Un film dépaysant aux images magnifiques, même si David Lean n'évite pas quelques clichés comme le feu d'artifice quand l'héroïne s'abandonne, et quelques superbes chromos traditionnels, mais il y a un charme, une subtilité qui font de ce film une très jolie romantico-dramatique.
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Re: David Lean (1908-1991)

Message par Rick Blaine »

Great Expectations (Les Grandes Espérances - 1946)

Ne connaissant absolument pas le roman de Dickens, je ne savais pas trop à quel type d'histoire m'attendre et les débuts du film m'ont fait craindre de voir les travers (a mon goût bien sur) classiques du "cinéma avec enfants" : l'enfant innocent est très gentils avec tout le monde, l'adulte est corrompu et méchant (la sœur de Pip) et s'il a une quelconque humanité il est hors du système (Magwich et Miss Havisham). Heureusement, on quitte rapidement cette vision simpliste, les premiers évènements n'étant en fait que le point de départ du chemin initiatique de Pip dont quelques actes visiblement sans importance lors de son enfance vont transformer le destin. Petit à petit, l'apparente simplicité des caractères va s'effacer pour laisser place à des figures beaucoup plus troubles, qui amèneront Pip à évoluer et à comprendre ses erreurs (c'est d'ailleurs apparemment une caractéristiques notable du livre, d'après les cours bonus du DVD opening). Cette galerie de personnages dans laquelle navigue le héros, à la limite du fantastique, est l'une des grandes forces de l'histoire racontée par David Lean qui par ailleurs raconte avec rythme et brio le destin du jeune garçon.

La mise en scène de Lean est somptueuse. Dans des décors magnifiques (récompensés aux oscars, tous comme la très belle photo de Guy Greene). Lean lorgne clairement vers l'impressionnisme allemand, notamment dans la première partie du film, en particulier dans la scène du cimetière, très similaire, dans l'ambiance, à celle que filmera Lang dans Moonfleet. Lean fait de l'éclairage le sous-titre de son film, c'est dans l'ombre que dépérit Miss Havisham, c'est dans des pièces sur-éclairés que Pip s'embourgeoise à Londres, et c'est en ouvrant la fenêtre à la clarté solaire qu'il va libérer Estella de l'envoutement de sa défunte mère adoptive.
Autre point qui retient l'attention, c'est l'utilisation du son. Le vent, le grincement des volets, tout semble magnifiquement utilisé par Lean pour placer le spectateur dans les conditions qu'il désire. Rien n'est artificiel, mais les bruits se remarquent plus, leur utilisation dépasse l'illustration sonore classique. Là aussi, ça m'a évoqué Lang, et principalement Le Testament du Docteur Mabuse, où, de manière plus évidente encore, le metteur en scène joue avec les sons pour capter l'attention du spectateur.

J'ai été un tout petit peu moins convaincu par le casting du film, notamment pour les personnages de Pip et d'Estella. Pour Estella, Jean Simmons semble un peu âgée pour le rôle par rapport au jeune Anthony Wagner. Les acteurs n'ont pourtant que 3 ans d'écart, mais Pip à l'air à peine adolescent quand Estella est déjà une magnifique jeune femme. En passant à l'age adulte, il me semble d'ailleurs qu'on aurait pu retrouver Jean Simmons, maquillage et costume auraient pu, à mon sens, faire l'illusion des quelques années supplémentaire, et on aurait eu le plaisir de la suivre tout au long du film plutôt que de se retrouver avec une Valerie Hobson plutôt fade et qui a du coup du mal à soutenir la comparaison (J'aime beaucoup Jean Simmons, ce dernier commentaire manque donc d'objectivité :D ). Face à elle, John Mills, interprétant Pip adulte, est solide sans être mémorable. Bien évidemment, ces détails n'altère pas la réussite du film, mais sont tout de même notables.
La pioche est bien meilleure du côté des seconds rôles. Francis L. Sullivan est savoureux en Mr. Jaggers et Finlay Currie, tour à tour touchant et effrayant en Abel Magwitch est magnifique. Que dire d'Alec Guinness, toujours génial parfait dans le rôle de l'ami du héros. Cet acteur a décidément mené une carrière somptueuse.

Au final un film hautement recommandable, et une très belle surprise pour mon premier Lean pré-Rivière Kwai
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Re: David Lean (1908-1991)

Message par Sybille »

In which we serve / Ceux qui servent en mer
David Lean (1942)

J'avais lu l'épaisse biographie de Lean par Brownlow il y a deux ans, mais je ne me souviens plus de ce qui était dit au sujet de ce film-là. Cependant la date de réalisation suffit à nous en apprendre beaucoup. On peut donc sûrement le considérer comme un 'film de propagande' : il n'est pas militariste à proprement parler, mais sert bien de réconfort moral, autant pour les soldats que pour les femmes et enfants restés à l'arrière. C'est fait avec tendresse et intelligence, mais l'histoire générale demeure tout de même beaucoup trop sage. Le procédé narratif - où l'on suit la destinée de plusieurs familles en alternant la position des marins en péril, leurs souvenirs et la situation des civils qui leur sont proches - ne manque pas d'intérêt, mais finit par être ressenti comme étant un peu trop mécanique. Egalement film de guerre bien sûr ; d'ailleurs plutôt habilement mené par le duo Noel Coward / David Lean. Certains plans nocturnes des batailles valent ainsi largement le coup d'oeil. Au niveau des acteurs, on retrouve nombre de figures familières (John Mills, Kay Walsh, Celia Johnson, Richard Attenborough...) qui donnent tous une interprétation aussi touchante que leur permet des rôles courts si ce n'est convenus. A l'inverse, Noel Coward semble manquer d'implication. Il récite platement ses dialogues sur un ton monocorde, j'ai vraiment eu du mal à l'imaginer en capitaine d'excellence et meneur de troupes.

Un film parfois intéressant, souvent ennuyeux et dans l'ensemble trop froid. 4/10
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Miss Nobody
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Re: David Lean (1908-1991)

Message par Miss Nobody »

La fille de Ryan - 1970

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Au début du siècle dernier, alors que la guerre des tranchées épuise l'armée britannique, l'Irlande est plus que jamais en quête d'indépendance. Dans un petit village de la péninsule de Dingue (a t-on déjà vu de plus beaux paysages pour filmer un mélodrame?), les esprits rebelles s'échauffent au bar, tandis que la douce Rose, la fille de Ryan, se noie dans ses pensées, en se promenant seule sur la plage. Rose rêve d'ailleurs et d'idéal. Elle aspire à une vie pleine d'amour et fantasme sur son ancien professeur, Charles, celui qui lui parlait d'autres lieux, d'autres temps, d'autres vies. Elle finit par s'offrir à lui, par le supplier de bien vouloir l'aimer... Rose et Charles se marient donc, selon les convenances. Puis consument le mariage, comme le veut la coutume. Et très vite Rose réalise que sa vie sera dénuée de passion et de surprise, au côté de son mari. Frustrée, elle se remet à errer dans ses pensées, à la recherche d'un idéal dont, cette fois, elle ne connaît pas le nom...
Quand Rose, cette Emma Bovary aux cheveux roux, succombe aux charmes d'un bel et sombre officier britannique, elle sent enfin la vie bouillir en elle. Ces deux là ne se parlent pas, ils pansent leurs blessures et consolent leur malheur, par des étreintes passionnées, par des baisers fougueux et de douces caresses... Et leurs sentiments, leur désir, leurs frissons, nous éclaboussent littéralement.

« La fille de Ryan » n'est pas seulement un superbe drame romanesque, c'est aussi un film d'une éblouissante beauté, qui tire le meilleur parti des paysages sauvages et verdoyants de la côté irlandaise. On aura rarement vu mariage aussi parfait: le scénario est palpitant, la mise en scène sublime, et l'émotion filtre magistralement au travers des images. Les plans sont construits avec minutie et talent, en réelle communion avec la nature (David Lean a du passer des heures voire des jours, pour construire des tableaux si parfaits, où même les nuages se meuvent avec précision). Intensément romantiques, les scènes d'amour sont à pleurer. Les acteurs sont admirablement dirigés, malgré la relative fadeur du bellâtre Christopher Jones et le rôle difficile de John Mills. Robert Mitchum, homme amoureux et délaissé, figure quasi-christique du pardon, est particulièrement touchant.
Le film dure plus de trois heures, mais ne possède aucune longueur. On se laisse porter sans peine, au contraire, par les vagues irlandaises, qu'elles caressent le sable doucement ou qu'elles fouettent le visage d'une population en pleine révolution... Impossible alors de ne pas crier au chef d'oeuvre devant cette fresque sublime, ce mélodrame lyrique et subtil, injustement rejeté par la critique et le public en 1970 et encore trop souvent oublié aujourd'hui.


10/10 (soyons fous!)
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