

Année 2010. Alors que le monde vit toujours dans le bras-de-fer de l'antagonisme américano-soviétique, un représentant de l'astronautique russe propose au professeur américain Heywood Floyd (Roy Scheider), ancien directeur évincé de la mission
Discovery, de participer à l'expédition spatiale que l'URSS est en train de mettre sur pied, parallèlement aux Etats-Unis. Il s'agit d'atteindre la navette spatiale
Discovery qui, depuis neuf ans, demeure à l'abandon en orbite de Jupiter - et de percer le mystère qui entoure les disparitions des astronautes David Bowman et Frank Poole, notamment en reconnectant l'ordinateur de bord HAL-9000. Dans un contexte de tension diplomatique bilatérale en Amérique du Sud extrêmement préoccupante, Floyd fait valoir à ses supérieurs tout l'intérêt qu'il y aurait pour les Etats-Unis à coopérer avec la mission soviétique - plus rapide que la leur - afin de mieux contrôler l'accès aux renseignements que fournira la réactivation de HAL-9000. A cette fin, il appareille sur la navette soviétique
Alexei Leonov, commandée par Tanya Kirbuk (Helen Mirren), avec l'ingénieur Curnow (John Lithgow), concepteur de la navette
Discovery, et avec le docteur Chandra (Bob Balaban), le créateur de HAL-9000. Aux confins de l'univers, l'insaisissable monolithe noir continue de graviter dans le giron de Jupiter et d'imposer à ses visiteurs terriens le bon-vouloir de sa force mystique.


En 1968, le monumental
2001 : l'odyssée de l'espace de Stanley Kubrick, d'après l'oeuvre d'Arthur C. Clarke, s'imposait comme une expérience cinématographique sans équivalent, définissant les nouveaux standards de la science-fiction et des trucages, tout en marquant au fer rouge toute une génération de cinéastes en herbe - des Lucas, des Spielberg, des Scott, qui une dizaine d'années plus tard, ayant parfaitement digéré la vision kubrickienne, accouchaient d'oeuvres de SF triomphales tout autant influencées par l'héritage de
2001 (l'importance primordiale des trucages et de la bande son, par exemple) que parfois construites en opposition à lui (un exemple : la vétusté crade du
Nostromo de Scott contre le flambant neuf et aseptisé
Discovery). Les succès d'
Alien ou de la saga
Star Wars font de la science-fiction un genre très en vue à Hollywood et il n'est donc pas surprenant que les gros pontes de la MGM se jettent en 1982 sur le nouveau bouquin de Clarke,
2010 : odyssée deux. Mais Kubrick, contacté, n'est pas intéressé pour transposer la suite de l'odyssée spatiale. C'est finalement au réalisateur américain Peter Hyams, qui vient de boucler un film de SF remarqué (
Outland, 1981) et qui manifeste beaucoup d'intérêt pour le projet, qu'incombera la lourde tâche de succéder au Dieu Kubrick. Il prend contact avec Clarke, avec qui il rédigera, tout le long de l'année 1983, le scénario du film. Il contacte également Kubrick. Hyams raconte : "J'ai eu une longue conversation avec Stanley, et lui ai expliqué ce qui allait se passer. Si cela rencontrait son approbation, je ferais le film ; et si ce n'était pas le cas, je ne le ferais pas. Je n'aurais certainement pas songé faire le film si je n'avais pas eu la bénédiction de Kubrick. C'est l'une de mes idoles, tout simplement l'un des plus grands talents qui aient jamais foulé la Terre. Il a plus ou moins dit : "Bien sûr. Vas-y. Peu m'importe." Et une autre fois il a dit : "N'aies pas peur. Fais juste ton propre film"". Faire son propre film, telle semble bien être la clé et la seule issue de Hyams pour mener à bien cette ambitieuse entreprise. Comment, en effet, peut-on donner une suite réussie à l'intouchable chef-d'oeuvre qu'est
2001 ? N'est-ce pas hérésie que de prétendre, seize ans après, chasser sur les terres de Kubrick et livrer un produit aussi visionnaire et abouti ? Projet en or pour la MGM,
2010 est donc un casse-tête pour le réalisateur qui s'est vu remettre les commandes du navire. Mais Hyams n'est pas idiot : le statut de
2001 et la personnalité unique du génial cinéaste qui en est le géniteur l'empêchent de suivre bêtement le chemin tracé en 1968. Copier pâlement Kubrick pourrait affaiblir la force de
2001 et prêter le cinéaste aux flancs de la critique facile. La meilleure solution est donc d'aborder cette Odyssée Deux de manière relativement neuve. Sans trahir le matériau de Clarke ni fragiliser l'aura de
2001 et de Kubrick, Hyams fait le choix d'un
2010 en filiation directe, respectueux, mais également indépendant, humble, différent.


C'est un choix risqué mais qui se révèle très pertinent, pour peu que l'on fasse un peu abstraction de
2001. Hyams n'est pas Kubrick et son
2010, qui ne peut rivaliser avec l'opus fondateur du Maître, entend par conséquent emprunter des sentiers qui lui sont propres. Des sentiers que l'on peut critiquer, d'ailleurs. Car là où Kubrick faisant dans l'elliptique, dans l'allusif, dans l'écrasante fable philosophique et métaphysique, Hyams et Clarke entendent apporter, de manière relativement plus légère, des réponses aux diverses interrogations qui faisaient toute la richesse thématique et interprétative de
2001. Ainsi découvrera-t-on les raisons du dysfonctionnement de HAL-9000, ce qu'est devenu David Bowman, la nature et la teneur du "message" du monolithe. Kubrick le reprochera. Alors qu'on pourrait accuser Hyams d'avoir défloré la beauté hypnotique du film de Kubrick, les explications de
2010 ne m'ont pas paru - et c'est remarquable - altérer l'opacité de
2001, sa capacité à nous faire s'interroger, la liberté qu'il nous donne dans son interprétation.
2010 apporte quelques lumières qui pourront paraître regrettables aux yeux des puristes, mais ne verse pas non plus dans le surexplicatif, même si certains dialogues (ou le monologue final) sont sans doute dispensables. Le film prolonge les questionnements de Kubrick et ouvre de nouveaux horizons - à l'image de son superbe final dont l'influence sur James Cameron et son
Abyss saute aux yeux -, que l'on est en droit de trouver inférieurs à ceux de Kubrick (du fait d'un relatif "désambuage"), mais qui restent cependant tout à fait cohérents et courageux. De la même manière, si le scénario s'ancre plus dans la temporalité que son prédécesseur - au risque de rendre les scènes terriennes presque étrangement kitsch -, l'affrontement USA-URSS qui est au coeur de l'histoire est une vraie bonne idée. Tout n'est pas toujours réussi : les apparitions/manifestations de Bowman ne sont pas follement convaincantes, et il manque un grain de folie visuelle et musicale à
2010. Là où
2001 était une imposante montagne sacrée qui transpire le génie à chaque plan,
2010 apparaît tant dans sa construction que dans ses visées, plus humble, plus
apaisé. Surtout, le soin apporté à la photographie, aux décors des vaisseaux, sous influence d'
Alien, ainsi qu'aux trucages, souvent époustouflants, font de l'oeuvre de Hyams, sinon un chef-d'oeuvre (c'etait pratiquement mission impossible), du moins un très bon film de SF formellement splendide. Toute l'ironie est que le choix d'avoir voulu rester humble face à l'ombre imposante de Kubrick a finalement relégué
2010 dans un petit oubli assez immérité. Allez, c'est l'année ou jamais pour le réhabiliter !