

Carla Moran voit son quotidien bouleversé lorsqu'une entité invisible la tourmente et la viole à plusieurs reprise, la laissant marquée physiquement. Des psychiatres se penchent sur son cas, puis, devant le peu de résultats, des parapsychologues tentent d'aider la jeune femme.
SPOILERS. Je ne connaissais pas l'existence de
L'Emprise il y a encore deux semaines, et tenais Sidney J. Furie, l'homme aux
Aigle de Fer, en piètre estime. La surprise et le choc n'en furent que plus grands. Count Dooku et Grimmy m'avaient donné des avis positifs sur cette œuvre, mais je ne m'attendais pas à assister à un aussi bon film fantastique, "sérieux", réaliste, percutant, intelligent dans son approche du paranormal. Un film qui s'inscrit dans la droite lignée de
L'Exorciste de William Friedkin en ce qu'il gère en un premier degré constant cette effroyable histoire. Si Friedkin avait eu recours à une mise en images incroyablement sèche et froide, Sidney J. Furie opte pour sa part pour un Scope de haute tenue, et pour une réalisation, à l'inverse du côté "documentaire" de Friedkin, très étudiée et précise, jouant sur les cadrages et les focales, qui comme je l'ai dit ailleurs, m'a évoqué le style de Spielberg ou de De Palma dans les années 1970. La photographie, signée Stephen H. Burum (qui dès la sortie du film, sera ensuite récupéré par Coppola et De Palma), tempère cette mise en scène stylée en proposant des teintes souvent sombres, froides et tristes, en adéquation avec l'effroi qu'inspire cette histoire, tirée de faits réels. C'est également là un autre point de convergence avec le Friedkin : une grande partie du malaise qu'inspirent ces deux films que sont
L'Exorciste et
L'Emprise provient du fait que leurs histoires se basent très largement sur des faits divers paranormaux avérés, sur lesquels l'auteur s'inspire pour créer une intrigue originale (Blatty), ou que l'auteur suit avec fidélité, le cas en lui-même étant suffisamment fascinant (Frank De Fellita). Comme nous l'explique le carton de fin, ces évènements terribles et dérangeants se sont produits en 1976 à Culver City, en Californie. Si Carla Moran est un pseudonyme (la victime des viols de l'Entité s'appelle Doris Bither, et est un des cas les plus célèbres de l'histoire du paranormal), la plupart des choses qui sont montrées dans le film sont apparemment exactes, et vérifiées par témoins. Il semblerait que les Dr. Kerry Gaynor et Barry Taff - conseillers techniques lors du tournage -, comme on le voit dans le film, aient effectivement assisté aux phénomènes électriques dans la chambre de Carla (mais leurs photos furent inutilisables).


Aussi incroyable que cela puisse paraître, le mot d'ordre qui prédomine donc pour
L'Emprise est crédibilité. Il y a un véritable souci du réalisme qui permet à ce film, malgré ses 30 ans au compteur, de demeurer toujours aussi impressionnant et terrifiant. Le scénario très sérieux de De Fellita, tiré de son propre bouquin, ainsi que la mise en scène carrée de Sidney J. Furie, ne sont pas étrangers à cette réussite. En dosant habilement son suspense et ses effets fantastiques, incontournables puisque constatés, le réalisateur évite, jusqu'à l'emprisonnement glaciaire de l'Entité, le piège du spectaculaire grand-guignolesque ; il démultiplie dans le même temps l'effroi suscité par ses insoutenables scènes de viol (où l'on ne voit pourtant rien !!), souvent imprévisibles et toujours brutales, martelées par l'agressif thème de Charles Bernstein (une sorte de rapide battement cardiaque, avec percussions et basse*). A ce titre, il convient de souligner les quelques trucages mécaniques effectués par Stan Winston : l'effroi vient titiller l'échine lorsque l'on voit les empreintes de doigt de l'Entité pétrir les seins de Barbara Hershey. Puisqu'on parle de l'actrice, il va sans dire qu'elle porte le film sur ses épaules. Littéralement possédée (c'est le mot) lors des difficiles séquences impudiques, elle se montre dans le même temps d'une vulnérabilité désarmante, et délivre ici une performance marquante. Ce qui rend également passionnant
L'Emprise, au-delà, évidemment, de la fascination qu'inspire cette histoire cauchemardesque, c'est le soin qui est apporté à l'enquête clinique et psychanalytique du cas de Carla.
L'Emprise n'est pas un bête film de poltergeist, il y a un vrai soin d'écriture sur les possibles raisons psychiques qui pourraient expliquer que Carla se sente violée. On découvre ainsi progressivement, par rapport à son passé, que cette femme voue un rapport presque phobique au sexe : père possiblement incestueux, petit ami l'ayant éveillé à la sexualité et mort prématurément, père de ses deux filles qui l'a abandonnée... En faisant confronter - voire coexister - les deux lectures du cas (lecture psychanalytique et lecture paranormale), le film nous met ainsi dans une position de doute frustrante qui facilite d'autant plus l'empathie pour les personnages, impuissants face à ce cauchemar. Position qui ne sera tranchée que tardivement dans le film.
En ce qui me concerne, j'ai trouvé là un grand film fantastique qui gagnerait à être plus connu**. Une œuvre dérangeante et malaisante, jusque dans sa glaçante et fantomatique réplique finale :
"Welcome home, cunt...".
*Quentin Tarantino a récemment utilisé ce thème principal (usant pour les nerfs) dans
Inglourious Basterds, lorsque le colonel Landa arrive dans le dos de Shoshanna à la table de Goebbels.
**Martin Scorsese, qui a livré à la sortie de
Shutter Island une liste des 11 films les plus terrifiants de l'Histoire du cinéma, a nommé
The Entity en n°4.