Les vedettes féminines des films musicaux

Rubrique consacrée au cinéma et aux films tournés avant 1980.

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Music Man
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Message par Music Man »

Il ne faut pas obligatoirement avoir interprété de nombreux films pour devenir un véritable mythe et rentrer dans la légende. Ainsi, James Dean n’a tenu la vedette que dans 3 films. La très belle chanteuse syrienne Asmahane n’a quant à elle interprété que 2 films (sauf erreur de ma part, car il n’est pas toujours facile de lister les films égyptiens de cette époque) et n’a enregistré que 33 chansons : pourtant, 60 ans après sa mort, elle demeure une des plus grandes légendes du moyen orient. La beauté irréelle de son visage, l’étrangeté de sa voix et surtout son fabuleux parcours font d’elle une héroïne de roman. Plongeons donc quelques instants dans son incroyable destinée.
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De son vrai nom, Amal El Atrash , la chanteuse syrienne Asmahan est une authentique princesse druze née en 1918. La Syrie qui faisait partie de l’empire ottoman depuis plusieurs siècles devient un mandat français en 1920.Peu après le décès de son père en 1924, la petite Amal et sa famille est contrainte de s’enfuir en Egypte suite au coup d’état raté contre les autorités françaises tenté par son oncle Sultan
Sans le sou, sa mère est obligée de chanter dans les cabarets pour gagner sa vie et nourrir ses enfants. Il est certain que ce brusque passage d’une enfance dorée à des conditions plus précaires a probablement perturbé les enfants. Dans la bruyante atmosphère des cabarets, les enfants s’éveillent à la musique.
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Alors que Farid devient un joueur de oud hors pair, Asmahane se fait remarquer par sa voix et son immense beauté. Un visage d’une grande finesse illuminée par des yeux émeraude. Mariée très jeune à un cousin, la jeune femme ne peut se satisfaire des joies de la vie de famille. Malgré la naissance d’une petite fille, elle quitte le foyer conjugal. Encouragée par ses professeurs de chant, elle commence à se produire dans divers cabarets d’Egypte, où elle fait sensation. Sa voix superbe et prenante enjôle. On la compare vite à Oum Kalsoum, la vedette n°1 de la chanson orientale. Elle possède en outre un je ne sais quoi d’occidental dans la façon de chanter ses mélopées qui leur donne beaucoup d’originalité et de modernité. Farid, qui lui aussi se révèle un chanteur de talent, se charge également de lui bâtir un répertoire de qualité.
Les rumeurs iront bon train concernant la façon de vivre de la jeune chanteuse, extrêmement libre (on lui prête des liaisons avec le tuteur du roi Farouk, voire avec le roi Farouk lui-même et bien d’autres personnalités). On prétend qu’elle est alcoolique, dépravée. Il est certain que sa façon de vivre détonnait fortement avec celle de la plupart des femmes du moyen orient de cette époque et qu’on ne lui pardonnait pas son attitude de femme indépendante.
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En 1941, Asmahane paraît pour la première fois à l’écran aux cotés de son frère. Victoire de la jeunesse est un film rudimentaire, mais un must pour les amateurs de musique oriental. Telle une Greta Garbo orientale, Asmahane se révèle fascinante à l’écran. Son regard magnifique semble scintiller sur l’image en noir et blanc, sa façon de se déplacer avec langueur, de tirer calmement sur une cigarette lui confère un rare charisme. Sa présence est étourdissante. Il est probable également que les cinéastes égyptiens avaient déjà tirés beaucoup de leçon du star system et de la manière dont Garbo et Dietrich étaient mises en valeur dans les films hollywoodiens.
Asmahane chante aussi divinement les compositions de son frère.
Pendant la seconde guerre mondiale, il semble que la jeune chanteuse, qui fréquentait beaucoup de hauts personnages, et avait conservé pas mal de connaissances en Syrie se soit lancée dans l’espionnage au profit des gouvernements britanniques et français. Sur une photo de 1941, on la voit d’ailleurs arborer une broche représentant la croix de Lorraine, symbole de la France libre.
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En oeuvrant ainsi avec les alliés, contre l’équivalent du gouvernement de Vichy en Syrie, la star de cinéma pensait sans doute pouvoir ainsi participer à l’indépendance de son pays natal (ou aussi renflouer son compte en banque, car elle était très dépensiaire).
Bien évidemment rien n’est clair sur les activités d’espionnage de la chanteuse. Si on en croit la biographie romancée de Marie Seurat, elle n’espionnait pas seulement pour les britanniques, mais aussi pour l’Egypte et la Turquie…et ne faisait pas preuve de beaucoup de discrétion dans ses manigances.
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En 1944, Asmahane est la vedette d’un mélo aux cotés de Youssef Wahbi « Amour et vengeance » (ressorti en DVD, très bien restauré). Il s’agit d’un assez bon mélodrame nous racontant les déboires d’un homme devenu fou suite à la disparition de sa bien aimée. Très bien mise en valeur, Asmahane resplendit dans les scènes de chant et se révèle plus fascinante que jamais. Hélas, ce sera son dernier film, et elle ne le verra jamais à l’écran. Victime d’un accident de voiture, elle périt noyée dans le Nil.
Les producteurs seront dés lors obligés de changer la fin du film (en faisant mourir l’héroïne d’un accident de la route) pour pouvoir le terminer.
Comme on peut l’imaginer, les hypothèses les plus diverses, voire les plus fantaisistes et un mystère entier entourent les circonstances exactes de son décès. Parmi les plus rumeurs les plus saugrenues, on murmura qu’une de ses rivales chanteuses, peut être Oum Kalsoum l’aurait fait supprimer parce qu’elle lui faisait de l’ombre). Plus vraisemblablement, les activités opaques d’Asmahane dans l’espionnage ont fort probablement mis sa vie en péril. Un chauffeur à la solde d’on ne sait qui a précipité la voiture de la vedette dans le fleuve, juste avant de s’extraire du véhicule. Evidemment, on ne saura jamais la vérité, ce qui nimbe d’un halo de mystère la fin tragique de la diva.
Son frère Farid (qui sera souvent comparé à Tino Rossi), à la présence nettement moins magnétique à mon goût, continuera une carrière extrêmement prestigieuse au cinéma et sur scène, jusqu’à son décès en 1975.
Bien évidemment, la vie d’Asmahane a inspiré plusieurs romanciers dans plusieurs pays, ainsi que des téléfilms. En tous les cas, la magie opère toujours dans le peu de documents filmés qui subsistent de l’artiste syrienne.
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Asmahan chante à sa façon les charmes de Vienne! :
Dernière modification par Music Man le 22 avr. 08, 21:48, modifié 3 fois.
Lylah Clare
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Message par Lylah Clare »

J'en reste baba... Quelle beauté ! Sais -tu si ses films sont édités en zone 2 ?

En tout cas, sa vie pourrait fournir l'intrigue rêvée d'un film de fiction...

Merci pour cette biographie, Music Man. Cette personnalité m'a fait repenser à la première apparition de Dalida dans un film égyptien en 1955 Un verre et une cigarette, mélo de Niazi Mostafa, où elle était splendide, quasiment la Rita Hayworth locale, mettant en danger le couple de Samia Gamal.

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Samia Gamal

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Music Man
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Message par Music Man »

Le DVD du dernier film d'Asmahane était sorti en 2003 chez le même éditeur que le DVD d'un verre, une cigarette, en zone 2 avec sous titres français et une belle restauration d'image.
Le DVD est épuisé, alors il ne reste plus qu'à surveiller les occas sur price minister...
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Line Renaud

Message par Music Man »

Archétype même de la jolie petite française pétillante et sexy, la chanteuse des années 50 Line Renaud a réussi à la force du poignet à bâtir une des carrières les plus enviables et les plus longues du show business français : si on peut remettre en doute ses talents de chanteuse et la qualité de son répertoire, trouver parfois son jeu de comédienne dans des séries télé formatées pour l’audimat vraiment trop forcé, on est obligé de reconnaître que cette femme de tête et de cœur a su aborder tous les virages avec beaucoup de clairvoyance et une infinie réussite. Revisitons le parcours de Mlle Renaud from Armentières to Las Vegas.
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Née en 1928 dans le Nord, la jeune Jacqueline pousse la chansonnette dans l’estaminet que tient sa grand-mère. Pendant la guerre, grâce à un concours de chant, elle devient chanteuse à la radio. Fan de Loulou Gasté, ex collégien de l’orchestre de Ray Ventura, et auteur des derniers tubes de Léo Marjane, elle parvient à rencontrer son idole et devient rapidement sa compagne puis son épouse. Plutôt que les chansons bluesy de Marjane, Loulou lui concocte un répertoire sentimental et bon enfant. Elle n’a pas une voix extraordinaire et parait bien fade par rapport aux grandes dames de la chanson française de l’époque (Piaf, Lucienne Delyle, Jacqueline François, Yvette Giraud…), mais justement comme elle chante comme tout le monde, elle est très facilement adoptée dans les foyers où l’on reprend ses refrains (ma cabane au canada, son premier tube, étoile des neiges, où vas-tu Basile) sans difficulté. Dès 1946, elle est engagée au cinéma, pour de petits rôles chantés. Elle vient promouvoir ses derniers succès dans des films à chansons comme Paris chante toujours (1950) ou la route du bonheur (1952) dans lesquels paraissent toutes les vedettes de la chanson française de Luis Mariano à Yves Montand. On le voit aussi dans Quitte ou double, avec le célèbre homme de radio Zappy Max. Ce sont de petits films sympathiques à réserver aux amateurs de variétés de jadis.
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Occasionnellement, Line tient également la vedette de comédies plus ou moins musicales, destinées à un public populaire pour ne pas dire « campagnard » notamment « ils sont dans les vignes » (dans lequel elle chante le jupon de Lison) ou l’affligeante « Madelon »1955. Ce film de Jean Boyer, basé sur la fameuse chanson, remportera d’ailleurs un gros succès tout à fait immérité. Mis à part une reprise assez réussie de la fameuse chanson, tout y est médiocre et plan-plan, même les l’interprétation de comptines d’autrefois par Line. Très bien managée par l’infatigable Loulou, Line participe à des shows à la radio anglaise puis tente sa chance aux USA. La jolie petite française (elle force beaucoup sur son accent dans ses enregistrements anglais) renvoie aux américains l’image de la française telle qu’ils l’imaginent : sexy, pas forcément intelligente. Elle chante en duo avec Dean Martin « relaxez vous »
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.La Warner Bros lui propose alors un contrat de 7 ans pour jouer dans des comédies musicales…et elle le refuse. A posteriori, Line déclare que si elle avait accepté elle serait devenue à présent une vieille star, certes fortunée mais has been et finissant sa vie toute seule dans une luxueuse villa.
De retour en France, Line continue d’aligner les succès discographiques (le plus souvent des adaptations de tubes américains de Patti Page) et tourne dans une comédie policière, avec chansons, plutôt médiocre « mlle et son gang »1957, aux dialogues 100% en argot ! Cela dit, elle ne s’en sort pas mal.
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En 1959, on la retrouve dans un musical allemand dont la vedette est Germaine Damar : « sur la piste de rock n roll » : Moulée dans une robe rouge, elle multiplie les « oh la la », « c’est la vie » et « chéri » dans son rôle de française allumeuse complètement stéréotypé.
Au début des années 60, la nouvelle vague de chanteurs yéyé va complètement (et injustement) balayer les chanteurs de la génération précédente. Consciente de la nécessité de changer de cap, Line se tourne vers la revue et triomphe pendant toutes les années 60 et 70 à Paris et Las Vegas. Brocardée par Thierry Le Luron qui renvoie d’elle l’image d’une centenaire titubante, à la voix chevrotante, descendant le grand escalier du Casino de Paris, Line se rend compte qu’il est temps pour elle d’évoluer et de revenir à la comédie, d’abord sur les planches (notamment dans pleins feux, inspiré d’All about Eve, où elle joue avec aplomb le personnage de monstre sacré qu’a immortalisé Bette Davis), puis dans de nombreux films et téléfilms.
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Je suis un peu étonné par l’enthousiasme des critiques et des interviewers qui louent ses interprétations. En fait, Line est très inégale : parfois, elle parvient à éclipser une distribution prestigieuse, et peut également être particulièrement exécrable quand elle est mal dirigée. Les téléfilms à grand public qu’elle aligne depuis 20 ans à la télé sont de qualité parfois douteuse, et j’avoue que j’ai tendance à zapper quand je la vois en vedette dans un feuilleton. Cela n’ôte en rien les qualités de cœur incontestables de cette femme courageuse, qui a tant oeuvré pour la lutte contre le SIDA. Mais comme le remarque Nicole Courcel, « il n’y a plus de rôles importants de femmes de 70 ans disponibles à la télévision ; ils sont tous accaparés par Line Renaud ». Il est vrai que ses relations privilégiées avec l’Elysée (elle considère Claude Chirac comme sa fille) et avec tout un clan du show business actuel (sa grande copine Muriel Robin en tête) lui ont peut être été d’un certain secours.
En tout état de cause, on ne peut que saluer la volonté et le professionnalisme de cette femme chaleureuse, à la présence indéniable.
Si Line a chanté occasionnellement dans certaines séries (un téléfilm avec Valérie Kaprisky ou la série américaine Ricky ou la belle vie), il n’est pas impossible qu’elle figure un jour dans un film musical comme elle a pu en tourner autrefois…néanmoins, c’est devenu tellement rare en France.
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Line Renaud dans le scopitone Vacances en Italie (1961) :
Dernière modification par Music Man le 22 avr. 08, 21:51, modifié 1 fois.
Jordan White
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Message par Jordan White »

Je réitère : topic fabuleux. :D
Riche, illustré, passionné.
Continue surtout !
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Je vote pour Victoria Romanova
joe-ernst
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Re: Line Renaud

Message par joe-ernst »

Music Man a écrit :cette femme chaleureuse
Pour l'avoir rencontrée une fois, ce n'est pas vraiment l'impression que j'en ai retiré. J'aurais plutôt dit : hautaine. :(
L'hyperréalisme à la Kechiche, ce n'est pas du tout mon truc. Alain Guiraudie
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Re: Line Renaud

Message par Tarkus1975 »

Music Man a écrit :
Si Line a chanté occasionnellement dans certaines séries (un téléfilm avec Valérie Kaprisky ou la série américaine Ricky ou la belle vie)
ça c'est un vrai scoop :D
Music Man
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Message par Music Man »

Habillée comme un arbre de Noël, coiffée d’incroyables bibis, la brésilienne Carmen Miranda est certainement un des personnages les plus kitch, les plus décalés et les plus exubérants du musical hollywoodien et de fait, l’un des plus imités et caricaturés. Mais elle a également fait connaître la samba et les rythmes de son pays au monde entier, et fait preuve d’un réel talent pour la comédie.
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Née en 1908 au Portugal, la petite gamine gagne le Brésil dès l’âge d’un an. Engagée chez un modiste, elle apprend à confectionner toutes sortes de chapeaux…ce qui lui sera très utile pour le reste de sa carrière ! Attirée par le monde de la chanson, elle se fait remarquer en interprétant des tangos (très en vogue à la fin des années 20), mais très vite va évoluer vers des mélodies plus rythmées. Dès 1930, elle devient une vedette du disque dans son pays et tourne quelques films. Son style est alors bien moins caricatural que dans ses futurs films hollywoodiens : on est surpris de voir la petite chanteuse aux yeux verts, en smoking blanc et chapeau haut de forme comme Eleanor Powell. C’est en s’inspirant des coiffes des danseuses de Baia, que Carmen va petit à petit adopter un look plus coloré et exotique. Un producteur des USA de passage au Brésil la remarque et lui propose de paraître en guest star dans un grand show à Broadway. Elle accepte, à l’unique condition que son orchestre soit engagé avec elle : il faut dire qu’aux USA personne ne maîtrisait les rythmes brésiliens !
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Curieusement, dès les premières interviews données aux USA, Carmen se forge un personnage de fofolle excentrique et folle des hommes en répondant des bêtises aux questions des journalistes : était ce une tactique personnelle ou un conseil de son impresario américain ? En tous les cas, même si elle ne chante qu’un medley de 6 minutes dans la revue « Rues de Paris » destinée à imposer aux USA le crooner français Jean Sablon, elle éclipse tous les autres artistes et on ne parle que d’elle. La Fox alertée par le phénomène, lui propose un rôle dans « Sous le ciel d’Argentine ». Comme elle doit parallèlement honorer son engagement à Broadway, le réalisateur viendra à New York dans un cabaret tourner les 3 séquences de Carmen Miranda : c’est le triomphe. Carmen chante le célèbre « chupeta » dont le succès ne s’est pas démenti. Le public américain l’adore d’emblée : son rythme, ses chansons, son look excentrique avec ses semelles compensées (elle était très petite) et ses chapeaux extravagants.
Tout de suite, elle est imitée (Mickey Rooney dans « Débuts à Broadway» et par la suite Jerry Lewis dans « Fais moi peur », Rita Pavone dans « Rita la moustique » etc.… on ne les compte plus !). En 1940, de retour au Brésil, Carmen entend célébrer son succès avec le public brésilien : en fait, c’est tout juste si elle ne sera pas sifflée ! A la suite d’une cabale probablement montée par l’épouse du président Getulio Vargas (qui selon la rumeur était amoureux de Carmen), la salle réserve à Carmen un accueil si glacial que la star cruellement déçue ne retournera pas de si tôt dans son pays. Dans les journaux, on lui reproche de s’être américanisée et de donner de son pays une image caricaturale et ridicule.
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A la Fox, elle va enchaîner les films musicaux, aux couleurs pimpantes et bariolées. Outre ses talents pour la samba (je pense par exemple à son interprétation de rebola o bola dans Ivresse de Printemps, chantée avec une stupéfiante rapidité), et son incroyable dynamisme, Carmen est fort drôle dans les scènes de comédies, notamment Une nuit à Rio (sortie prévue en DVD en février) et Week-end à la Havane. En utilisant Miranda dans des films musicaux exotiques, Hollywood ne fait pas les choses innocemment : déjà, il essaie de fidéliser le public sud-américain (la guerre l’a privé du marché européen car les films ne sont plus exportés dans les pays occupés), d’amadouer un éventuel allié et aussi de distraire un public qui ne demande qu’à s’évader de la triste réalité (les nazis utiliseront la même technique avec des films comme Zentrale Rio, l’étoile de Rio, La Habanera).
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Banana Split (1943) est probablement le film le plus célèbre de Carmen. Dans ce monument du kitsch, le génial Busby Berkeley ne manque pas d’idées pour mettre en valeur Carmen, comme dans le curieux numéro « Lady with tutti frutti hat » à la fin duquel, on la voit portant un chapeau de bananes qui s’élève jusqu’au ciel. C’est bien délirant, et bien évidemment les esprits chagrins crieront au mauvais goût. En France, où ses films sortiront à la fin du conflit, on la compare à Donald Duck : il n’empêche que sur les affiches européennes, on mise bien plus sur sa présence que sur celle d’Alice Faye, John Payne ou des autres vedettes de ses films. L’élan des américains pour Carmen va s’effondrer juste à la fin de la guerre (est-elle devenue inutile à présent ?). Alice Faye refusant de jouer le rôle principal de « Montmartre à New York », qu’elle trouve nul, à juste raison, Carmen se retrouve pour la première fois tête d’affiche et pâtira sévèrement de son bide au box office. La punition suprême lui sera infligée : un retour au film en noir et blanc, qui convient bien moins à son style, il faut bien le dire ! Carmen quitte alors la Fox. On la retrouve dans le fort drôle Copacabana (1947), avec Groucho Marx, avec lequel elle forme un couple vraiment surréaliste ! Puis dans des rôles secondaires à la MGM aux cotés de Jane Powell. Dans Ainsi sont les femmes (1948) elle chante cuanto la guta, qui sera un succès international.
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A la fin des années 40, Carmen épouse son nouvel imprésario. Alcoolique et violent, il initie Carmen aux joies de la bouteille et du tabac. Très violent, il la bat comme plâtre. Déprimée par la tournure que prend son mariage, et sa carrière et toujours blessée par le dédain des brésiliens à son égard, la pauvre Carmen sombre dans la dépression.
Elle abuse des tranquillisants (et non de drogue, soit disant cachée dans ses semelles compensées comme le prétendait le fielleux « Hollywood Babylone »). Elle fait des séjours dans des hôpitaux psychiatriques où elle subit des électrochocs. Derrière l’artiste pétulante se cache une femme blessée et meurtrie. En 1953, on la retrouve dans une petite comédie marrante avec Dean Martin et Jerry Lewis, où elle apparaît bouffie et vieillie. Elle se tourne ensuite vers la télévision. Vedettes des shows de Jimmy Durante, elle est victime d’un étourdissement à la fin du tournage (en direct) d’un épisode. Elle meurt le soir (en 1955) même d’une crise cardiaque.
Le Brésil soudain pris de remords, lui fera des funérailles nationales. A juste raison : en effet, peu de stars brésiliennes ont été aussi populaires qu’elle sur le plan international. Si elle a donné une image édulcorée et kitsch de son pays, elle a certainement popularisé la samba sur la planète entière. Il existe encore à Rio un musée consacré à Carmen, avec ses incroyables tenues de scènes. Il a fallu donc attendre sa mort pour qu’elle soit réhabilitée. Pour les amateurs de films musicaux, ce tourbillon de bonne humeur et d’auto dérision est en tous les cas toujours aussi délectable.

Carmen chante Tico Tico (1947) :
Dernière modification par Music Man le 22 avr. 08, 21:53, modifié 1 fois.
Lylah Clare
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Message par Lylah Clare »

Merci, Music Man, de faire revivre pour nous cette personnalité flamboyante et haute en couleur. Je ne l'ai vu que dans un ou deux films : austères s'abstenir. Je n'en ferais sans doute pas mon quotidien mais de temps à autre, c'est un cocktail de fruits bien revigorant.
Music Man a écrit : Tout de suite, elle est imitée (Mickey Rooney dans « En avant la musique » et par la suite Jerry Lewis dans « Fais moi peur », Rita Pavone dans « Rita la moustique » etc.… on ne les compte plus !).


D'ailleurs, dans Babes on Broadway, tourné par Busby Berkeley en 1941, Mickey Rooney l'imite en train de chanter (et de danser) Chupeta. Elle lui a en personne donné quelques leçons de samba (Carmen est à gauche sur la photo).

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Sailor G.Kelly
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Message par Sailor G.Kelly »

Music Man a écrit : Vedettes des shows de Jimmy Durante, elle est victime d’un étourdissement à la fin du tournage (en direct) d’un épisode. Elle meurt le soir (en 1955) même d’une crise cardiaque.
Ca alors...J'apprend toujours de ces trucs avec toi, Music Man.


Personnellement, je la connais grace a la trilogie des documentaires "That's Entertainment", j'ai vu quelques numeros, je trouve ca kitch mais les chansons me plaisent. Par contre, sais-tu combien elle mesurait? Car dans l'un de ses numeros, elle parait vraiment petite.

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Message par Lylah Clare »

Sailor G.Kelly a écrit : Personnellement, je la connais grace a la trilogie des documentaires "That's Entertainment", j'ai vu quelques numeros, je trouve ca kitch mais les chansons me plaisent. Par contre, sais-tu combien elle mesurait? Car dans l'un de ses numeros, elle parait vraiment petite.
Elle l'était (voir la photo avec Mickey Rooney) : 1,53 m.
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Message par Music Man »

Les artistes d’Hollywood n’ont pas toujours réussi, loin s’en faut, à briller sur les scènes de Broadway. De même, certaines étoiles de la scène new-yorkaise ne sont pas parvenues à s’imposer sur grand écran. C’est le cas de la chanteuse et comédienne Mary Martin dont la carrière sur scène fut pourtant des plus prestigieuses.
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Née en 1913 dans le Texas, elle se fait remarquer toute jeune en imitant les vedettes de la chanson et du cinéma. Mariée à 17 ans à un avocat, et maman à 18 (d’un petit Larry Hagman qui deviendra célèbre bien plus tard dans la série télé Dallas), elle ouvre une école de danse.
Cependant, très vite, elle se sépare de son mari, place son fils dans une pension militaire « afin qu’il ne devienne pas une fille manquée (je cite) » (il lui en voudra beaucoup et s’en plaindra des décennies pus tard) et part pour Hollywood, où elle est plutôt mal accueillie. Elle passe des bouts d’essai auprès de plusieurs studios qui la rejettent tous au motif qu’elle n’est pas photogénique. Sollicitée par l’Universal pour donner quelques cours de danse à Danielle Darrieux pour le film la coqueluche de Paris (1938), elle est virée par la vedette française qui s’est sentie humiliée quand Mary a dansé brillamment devant tout le plateau le numéro que Danielle n’arrivait pas à apprendre. Remarquée lors d’une soirée par le célèbre compositeur Cole Porter, Mary est engagée pour un petit rôle dans l’opérette Leave it to me, aux cotés d’un Gene Kelly débutant. Le strip-tease qu’elle exécute au milieu d’eskimos, en chantant my heart belongs to Daddy (chanson qui sera reprise plus tard par Peggy Lee et évidemment Marilyn Monroe) fait d’elle une star du jour au lendemain.
Immédiatement, Hollywood qui l’avait toujours rejetée la réclame. La Paramount l’engage, et pendant 4 ans, Mary Martin va paraître dans diverses comédies musicales. Tantôt maquillée comme Claudette Colbert, Rosalind Russell ou sa grande copine Janet Gaynor, on sent que le studio a du mal à lui trouver un créneau et à la mettre en valeur. Pourtant Mary est charmante et chante fort plaisamment dans les deux bons films qu’elle tourne avec Bing Crosby (Birth of the blues et Rythmn on the river) et se distingue des partenaires potiches du crooner par la finesse de son jeu et son élégante présence. Peut être justement que la jeune artiste était un peu trop douée et originale pour interpréter des rôles d’ingénues dans lesquels on cantonnait souvent les chanteuses de comédies musicales.
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.Sa séquence avec le Golden Gate Quartet dans « Au pays du rythme »1942, sur un air entraînant d’Harold Arlen, est peut être la meilleure d’une super production qui ne manque pas de talents. Vedette à tout prix (1941) est une plaisante parodie sur la campagne publicitaire (et la recherche de la Scarlett idéale) qui a précédé le tournage d’Autant en emporte le vent
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En revanche, dans « Happy go lucky » 1943, elle est éclipsée par la turbulente Betty Hutton.
En 1942, Mary épouse un décorateur. Si l’on croit les propos rapportés par Robert Cummings et Gower Champion, il semble que ce mariage arrangé pour les deux protagonistes (c’était chose fréquente à Hollywood) n’était qu’une couverture destinée à cacher l’inavouable grand amour de la vie de Mary : Janet Gaynor (comédienne très populaire au début des années 30), elle-même mariée avec un grand couturier de la MGM, Adrian.
Déçue par le monde du cinéma (elle raconte dans son autobiographie, qu’elle devait se lever tôt et se faire coiffer et maquiller de bonne heure pour attendre parfois toute la journée qu’un qu’on l’appelle finalement pour un close-up, ce qui irritait sa nature impatiente), elle saute de joie quand un producteur de Broadway lui propose de jouer dans un musical du grand Kurt Weill (connu pour sa prestigieuse collaboration avec Brecht), un caprice de Vénus. La Paramount la laisse partir sans difficultés. Le succès du spectacle est à nouveau retentissant : Mary Martin est appelée à Hollywood pour jouer son propre rôle dans une séquence de Nuit et Jour, bio complètement édulcorée (et bien décevante sur un plan strictement musical) de la vie de Cole Porter. Elle y reprend avec talent son « heart belongs to Daddy » : c’est d’ailleurs le meilleur moment du film. Après avoir envisagé de la faire figurer dans une adaptation du caprice de Vénus (c’est Ava Gardner qui héritera du rôle) et dans Romance à Rio (c’est Doris Day qui décrochera le rôle), Hollywood la laisse tomber, après bouts d’essai pour des raisons invariables : pas assez photogénique !
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Mary Martin tourne alors définitivement le dos à Hollywood et va devenir en quelques musicals triomphaux la vraie reine de Broadway. South pacific (1948), Peter Pan (1953) et la Mélodie du Bonheur (1959) et Hello Dolly (1964) seront des succès extraordinaires de sa prestigieuse carrière. Apparemment, Mary avait besoin du contact direct avec le public pour donner le meilleur d’elle-même, et à Broadway, elle est dans son élément. Lors de l’adaptation à l’écran de ces différents monuments, Hollywood n’envisagera même plus une seconde d’engager Mary Martin (trop âgée pour le grand écran). En revanche, ses prestations à la télévision, en live (comme son duo avec Ethel Merman dans un show de 1953) seront très populaires. En 1978, elle refuse de jouer le rôle de Miss Elie dans le feuilleton Dallas aux cotés de son fils (JR). (Ce dernier connaîtra ainsi une gloire tardive dans cette navrante mais ô combien populaire saga.) En revanche, elle joue des rôles de vielle femme dans quelques téléfilms et retrouve sa rivale Ethel Merman dans un grand show à Broadway.
Dans les années 80, Mary Martin et Janet Gaynor seront très gravement blessées dans un accident de voiture. Gaynor qui ne se remettra jamais de l’accident décèdera en 1984 et Mary Martin en 1990 (d’un cancer au colon).
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Si le cinéma n’a pas su exploiter le talent de Mary Martin, il est toujours agréable de visionner ses films (plusieurs sont sortis en DVD) dans lesquels on sent poindre un talent qu’elle mettra pleinement en valeur sur les plus grandes scènes de New-York. Sa voix, à la fois aérienne et parfaitement maîtrisée est également des plus agréable à écouter.

Mary Martin reprend un vieil air français "Tara ra boum di hé" qui fit la gloire vers 1900 de Polaire, la maîtresse de la romancière Colette :
Dernière modification par Music Man le 22 avr. 08, 21:57, modifié 1 fois.
Lylah Clare
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Message par Lylah Clare »

:o On en apprend tous les jours avec toi, Music Man ! Janet Gaynor - Mary Martin, qui l'eût cru ?
Music Man a écrit : Déçue par le monde du cinéma (elle raconte dans son autobiographie, qu’elle devait se lever tôt et se faire coiffer et maquiller de bonne heure pour attendre parfois toute la journée qu’un qu’on l’appelle finalement pour un close-up, ce qui irritait sa nature impatiente), elle saute de joie quand un producteur de Broadway lui propose de jouer dans un musical du grand Kurt Weill (connu pour sa prestigieuse collaboration avec Brecht), un caprice de Vénus.
Pas seulement, quand même... Il a collaboré avec Ira Gershwin, Langston Hughes, Maxwell Anderson, Ogden Nash, A.J. Lerner, avec lesquels il a créé des oeuvres étonnantes par rapport au musical de Broadway mainstream.

Au fait, à part Lady in the dark, réalisé par Mitchell Leisen en 1944 avec Ginger Rodgers et Ray Milland, connais-tu d'autres oeuvres de Kurt Weill adaptées pour le grand écran ou créées pour lui ?
Music Man a écrit : Mary Martin est appelée à Hollywood pour jouer son propre rôle dans une séquence de Nuit et Jour, bio complètement édulcorée (et bien décevante sur un plan strictement musical) de la Cole Porter. Elle y reprend avec talent son « heart belongs to Daddy » : c’est d’ailleurs le meilleur moment du film.
Bah... c'est vrai que c'est un biopic particulièrement fade... d'un autre côté, on ne voit pas vraiment les studios se lancer dans un film qui retracerait la vraie vie de Cole Porter :wink: Mais les chansons de Cole Porter sont toujours bonnes à prendre, même si ici ce n'est pas un grand cru !
Film très "camp", finalement, ces deux-là (Porter et Martin) étant faits pour se rencontrer...
Music Man
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Message par Music Man »

Bonsoir Lylah!
J'aime beaucoup , que dis-je, j'adore les compositions de Kurt Weill et si j'ai parlé de sa collaboration avec Brecht (l'opéra de 4 sous, etc...), c'est parcequ'en France, on a surtout retenu les oeuvres qu'ils ont créé ensemble.
J'avais assisté à un beau spectacle d'Ute Lemper qui s'était spécialisée (avec talent) à une époque dans les reprises de kurt Weill, sans se limiter aux morceaux archis connus que Brecht a parolé avec son immense talent, mais en proposant également les magnifiques chansons de sa période française et américaine, sans Brecht.
Elle y chantait entre autres un superbe je ne t'aime pas (que la très grande Lys Gauty avait créé en 1934), issu de sa période française,"speak low" du caprice de Vénus (créé par Mary Martin) et "september song", magnifique chanson tiré d'un musical "Knickerboker Holiday"qui sera adapté à l'écran avec Nelson Eddy (je précise que je ne l'ai pas vu et que ce film ne doit pas courir les rues).


Ute Lemper chante je ne t'aime pas de Weill, créée en 1934 par Lys Gauty

S'agissant de la vie privée de Mary Martin, je me suis interrogé s'il fallait parler de Janet Gaynor, car jamais les deux femmes n'ont révélé quoi que ce soit sur leur prétendue romance. Néanmoins compte tenu des déclarations de personnalités connues comme Gower Champion ou de l'acteur Robert Cummings, j'en ai parlé un peu...Ai -je eu tort?

Pour Night and day (1945), la bio de Cole Porter,je l'ai trouvé bien décevante. A part Mary Martin excellente, pas vraiment de grands talents pour reprendre les magnifiques compositions de Cole Porter (Ginny Simms chante bien, mais n'a pas de charisme). Ne parlons pas de la vie du musicien, complètement réinventée!
Dernière modification par Music Man le 2 mai 08, 23:39, modifié 1 fois.
Ballin Mundson
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Message par Ballin Mundson »

Music Man a écrit : J'avais assisté à un beau spectacle d'Ute Lemper qui s'était spécialisée (avec talent) à une époque dans les reprises de kurt Weill, sans se limiter aux morceaux archis connus que Brecht a parolé avec son immense talent, mais en proposant également les magnifiques chansons de sa période française et américaine, sans Brecht.
Elle y chantait entre autres un superbe je ne t'aime pas (que la très grande Lys Gauty avait créé en 1934), issu de sa période française,"speak low" du caprice de Vénus (créé par Mary Martin) et "september song", magnifique chanson tiré d'un musical "Knickerboker Holiday"qui sera adapté à l'écran avec Nelson Eddy (je précise que je ne l'ai pas vu et que ce film ne doit pas courir les rues).
il y a d'ailleurs un joli DVD qui complète les 2 CD :
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