Joker (Todd Phillips - 2019)

Rubrique consacrée au cinéma et aux films tournés à partir de 1980.

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G.T.O
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Re: Joker (Todd Phillips - 2019)

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Phnom&Penh a écrit : Tant qu'au "quelque chose de son temps" que saisit le Joker, c'est ce qui se lit quotidiennement dans la presse, et ce qui fait l'originalité de Batman depuis toujours : la fin des classes moyennes, la division entre une classe privilégiée et une classe de consommateurs supposée rester sage. C'est pas nouveau et c'est vendu par ceux qui nous fabriquent ce même monde. Alors, la marque de son temps...bof.
Rockatansky a écrit :Oui je partage ton point de vue, même si j'ai trouvé le film très bien, le Joker en leader des gillets jaunes US j'ai un peu de mal à l'avaler.
La faute à Juan Branco qui en fait, à tort et au prix d'un gauchissement militant, un étendard gilet Jaune. Ce qui est un peu énorme, à côté de la plaque, reconnaissons-le. Déjà parce que grogne sociale ne rime pas exclusivement avec le mouvement Gilet Jaune, qu'elle n'est ni son but ni sa revendication ultime. La grogne est un résultat, un effet. Après, on ne va quand même pas reprocher à un film de nourrir des interprétations, aussi bêtes soient-elles.
Après, concernant ledit propos politique, c'est peut être pas nouveau mais c'est amplifié chez Phillips tant et si bien qu'il apparait nouveau. Pas nouveau dans la partition riches, pauvres ou extinction de la classe moyenne. Le film ne discourt pas sur le destin des classes sociales d'ailleurs. Mieux, il nous donne à ressentir une solitude, gagnée petit à petit par la folie. Donne à voir les éléments d'une transformation et de sa récupération par un collectif.
Il est clair que les méchants de Batman sont politisés ou du moins utilisent la politique à des fins personnelles; cela teinte leurs actes. On peut même voir un semblant de contexte social chez Nolan mais au final, c'est traité comme une toile de fond. Ce que fait Phillips est tout autre: il montre comment le Joker est un produit social. Le fruit de cette détérioration sociale et de l'abandon des politiques, incarnées par l'élection de Wayne. Fleck est présentée comme une victime du système. La détérioration du tissu social, l'abandon des structures sociales, dans un monde fortement clivé, participe directement à la transformation de Fleck en Joker. La folie, chez lui, est de nature sociale. Comme une entrelac de traumas personnels et d'isolement social et déréliction. Je ne crois pas avoir vu ça ailleurs dans les Batman.
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Phnom&Penh
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Re: Joker (Todd Phillips - 2019)

Message par Phnom&Penh »

G.T.O a écrit :Après, concernant ledit propos politique, c'est peut être pas nouveau mais c'est amplifié chez Phillips tant et si bien qu'il apparait nouveau. Pas nouveau dans la partition riches, pauvres ou extinction de la classe moyenne. Le film ne discourt pas sur le destin des classes sociales d'ailleurs. Mieux, il nous donne à ressentir une solitude, gagnée petit à petit par la folie. Donne à voir les éléments d'une transformation et de sa récupération par un collectif.
Je ne voulais pas revenir sur le côté politique parce que je trouvais ça un peu HS dans le topic "Classement 2019", mais puisque tu me cites ici...Je suis entièrement d'accord avec toi sur cette partie. A une exception près, je trouve que cette folie n'est pas réaliste. Le Joker du film est foncièrement victime (début du film), foncièrement malade (son délire sur son idylle avec sa voisine), mais pas foncièrement méchant (il y a toujours une excuse à ses gestes meurtriers, notamment sa filiation non reconnue et pas évidente). Comme je l'ai écrit sur l'autre topic, je ne suis pas psychiatre. Mais...Soit c'est une victime éventuellement dangereuse mais surtout envers lui-même, soit c'est un psychopathe, donc dépourvu de sentiments. Ici, on joue sur le côté "en fait, il est gentil mais a besoin de ses médicaments", et sur le côté "il est cinglé et capable de tuer, même ceux qui ont pitié de lui".
Je trouve qu'un film qui joue autant sur le côté "malade psychiatrique" du personnage aurait du être plus réaliste sur le plan clinique.

G.T.O a écrit :Il est clair que les méchants de Batman sont politisés ou du moins utilisent la politique à des fins personnelles; cela teinte leurs actes. On peut même voir un semblant de contexte social chez Nolan mais au final, c'est traité comme une toile de fond. Ce que fait Phillips est tout autre: il montre comment le Joker est un produit social. Le fruit de cette détérioration sociale et de l'abandon des politiques, incarnées par l'élection de Wayne. Fleck est présentée comme une victime du système. La détérioration du tissu social, l'abandon des structures sociales, dans un monde fortement clivé, participe directement à la transformation de Fleck en Joker. La folie, chez lui, est de nature sociale. Comme une entrelac de traumas personnels et d'isolement social et déréliction. Je ne crois pas avoir vu ça ailleurs dans les Batman
Si je ne me trompe pas, Wayne n'a pas été élu puisqu'il est mort avant l'élection à laquelle il se présentait. C'est un peu tout cela qui me gêne dans la saga Batman. Wayne aurait été élu et aurait été un bon maire. Sauf qu'à défaut d'être un super-riche, il n'est même pas maire. Batman est un super-héros qui défend les pauvres, sauf que son super-pouvoir est avant tout d'être super-riche. Je n'ai jamais été à l'aise avec cette histoire Batman. Les très nombreuses BA sorties avant le film Joker me donnait l'impression qu'on allait en sortir en ayant un vrai méchant qui, certes, avait des raisons de le devenir, mais dénonçait le monde qui l'avait fait naître. Finalement, on a un schyzo qui est censé faire pitié, produit de la société "Gotham", et qui ne rêve que d'être le super-riche à la place de l'autre. Du coup, ce film, dont j'attendais qu'il sorte de l'histoire bancale Batman, y entre totalement. On a deux faux ou peut-être vrais frères, dont l'un a réussi et l'autre pas. Et là, le manichéisme rejoint ce que je n'aime pas dans cette histoire Batman, au fond, il n'y a même plus de super-héros, il y a des héros qui ont les moyens et d'autres pas.
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Supfiction
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Re: Joker (Todd Phillips - 2019)

Message par Supfiction »

Phnom&Penh a écrit :là, le manichéisme rejoint ce que je n'aime pas dans cette histoire Batman, au fond, il n'y a même plus de super-héros, il y a des héros qui ont les moyens et d'autres pas.
Bien résumé. Un film qui se prend très au sérieux à l’aide de clins d’œil très appuyés (aux deux films de Scorsese, et plus subtilement Ace in the hole et probablement aussi Vol au dessus d’un nid de coucou). Peut-être le premier film sur les gilets jaunes.
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Re: Joker (Todd Phillips - 2019)

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Supfiction a écrit :
Phnom&Penh a écrit :là, le manichéisme rejoint ce que je n'aime pas dans cette histoire Batman, au fond, il n'y a même plus de super-héros, il y a des héros qui ont les moyens et d'autres pas.
Bien résumé. Un film qui se prend très au sérieux à l’aide de clins d’œil très appuyés (aux deux films de Scorsese, et plus subtilement Ace in the hole et probablement aussi Vol au dessus d’un nid de coucou). Peut-être le premier film sur les gilets jaunes.
En tout cas, quelque soit ses qualités et ses défauts, le film a le mérite au moins d'être un portrait déguisé de son époque, un film qui s'inscrira comme être un témoignage de l'état de la société post-industrielle occidentale au détour des années 2020...comme le fut The dark knight en son époque et sa réflexion sur la société de surveillance issue du traumatisme des attentats du 11 septembre...

Décidemment, les films issus de l'univers Batman resteront, à mes yeux, et à des degrés divers, les plus intéressants du cinéma de super-héros... peut-être parce que il s'agit aussi peut-être de l'univers le plus réaliste, avec son super-héros qui n'en est pas un (comme le dit très justement Phnom&Penh) finalement puisque Bruce Wayne n'a aucun super-pouvoir, tout comme la plupart des méchants d'ailleurs...il est juste suffisamment riche pour avoir la panoplie nécessaire pour en devenir un... Et pour le coup, je trouve au contraire cela super intéressant car nous rejoignons peut-être la réflexion de Scorsese : l'univers de Batman se prête beaucoup mieux à un travail sur l'humain et proposer un contenu riche qui élève le niveau.
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Re: Joker (Todd Phillips - 2019)

Message par Wulfa »

O'Malley a écrit : En tout cas, quelque soit ses qualités et ses défauts, le film a le mérite au moins d'être un portrait déguisé de son époque, un film qui s'inscrira comme être un témoignage de l'état de la société post-industrielle occidentale au détour des années 2020...comme le fut The dark knight en son époque et sa réflexion sur la société de surveillance issue du traumatisme des attentats du 11 septembre...
C'est vrai, mais comme cela est vrai pour beaucoup de films des époques citées... Ils sont nombreux cette année les films labélisables "gilets jaunes", ou en tout cas, qui basent leur intrigue ou une partie sur les désarrois sociaux économiques de notre époque. Reste à savoir quels films fourniront les témoignages les plus cruciaux ou lucides. Le Joker sera peut-être le témoignage estampillé "récupéré par les studios" (si je suis méchant).
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G.T.O
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Re: Joker (Todd Phillips - 2019)

Message par G.T.O »

Phnom&Penh a écrit : Je ne voulais pas revenir sur le côté politique parce que je trouvais ça un peu HS dans le topic "Classement 2019", mais puisque tu me cites ici...Je suis entièrement d'accord avec toi sur cette partie. A une exception près, je trouve que cette folie n'est pas réaliste. Le Joker du film est foncièrement victime (début du film), foncièrement malade (son délire sur son idylle avec sa voisine), mais pas foncièrement méchant (il y a toujours une excuse à ses gestes meurtriers, notamment sa filiation non reconnue et pas évidente). Comme je l'ai écrit sur l'autre topic, je ne suis pas psychiatre. Mais...Soit c'est une victime éventuellement dangereuse mais surtout envers lui-même, soit c'est un psychopathe, donc dépourvu de sentiments. Ici, on joue sur le côté "en fait, il est gentil mais a besoin de ses médicaments", et sur le côté "il est cinglé et capable de tuer, même ceux qui ont pitié de lui".
Je trouve l'ambiguïté que tu soulèves précisément réaliste. Joker est une figure complexe, à la fois suicidaire, masochiste, agressif et impulsive. Son rire, si mémorable, traduit l'évolution: d'abord, rire nerveux de défense, compulsif, rire d'adaptation sociale, rire d'agressivité... Un méchant, en somme, non dénué d'état d'âme, ce qui est troublant, dont la méchanceté nait de sa souffrance mentale. Ensuite, rappelons-le, les psychopathes sont en peu plus complexe de ce que t'en dis. On trouve énormément de souffrance chez eux, et leur actes procèdent souvent d'un sadisme pulsionnel, qui n'épuise ni leur souffrance ni parfois leurs remords, avec des accents suicidaires. Sadisme, là encore, parfaitement décrit par le film, à travers cette scène largement fantasmée, des félicitations de la voisine qui en héroise l'action punitive.


Phnom&Penh a écrit : Si je ne me trompe pas, Wayne n'a pas été élu puisqu'il est mort avant l'élection à laquelle il se présentait. C'est un peu tout cela qui me gêne dans la saga Batman. Wayne aurait été élu et aurait été un bon maire. Sauf qu'à défaut d'être un super-riche, il n'est même pas maire. Batman est un super-héros qui défend les pauvres, sauf que son super-pouvoir est avant tout d'être super-riche. Je n'ai jamais été à l'aise avec cette histoire Batman. Les très nombreuses BA sorties avant le film Joker me donnait l'impression qu'on allait en sortir en ayant un vrai méchant qui, certes, avait des raisons de le devenir, mais dénonçait le monde qui l'avait fait naître. Finalement, on a un schyzo qui est censé faire pitié, produit de la société "Gotham", et qui ne rêve que d'être le super-riche à la place de l'autre. Du coup, ce film, dont j'attendais qu'il sorte de l'histoire bancale Batman, y entre totalement. On a deux faux ou peut-être vrais frères, dont l'un a réussi et l'autre pas. Et là, le manichéisme rejoint ce que je n'aime pas dans cette histoire Batman, au fond, il n'y a même plus de super-héros, il y a des héros qui ont les moyens et d'autres pas.
Oui, la figure du joker est pathétique. En même temps, qu'il est le pur produit du déclin de la société gothamienne. Quant à sa revendication, je ne suis pas sur qu'il souhaite devenir calife à la place du calife. Dénué d'ambition politique, il devient, à son insu, le symbole d'une révolte. Mais cela ne l'empêche pas de tenir un discours politique comme lors de la scène du plateau tv avec De Niro, où il dénonce clairement l'hypocrisie médiatique, rangée du côté des puissants, et la profonde injustice de la société. Pourfendant une différence de traitement dans l'assassinat des yuppies du métro, qui en dit long sur un type de discours de classes à deux vitesses, il s'attaque à l'appareil médiatique et à son symbole, le présentateur Murray Franklin, vu comme relais du pouvoir.
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Re: Joker (Todd Phillips - 2019)

Message par Coxwell »

G.T.O a écrit :
Je trouve l'ambiguïté que tu soulèves précisément réaliste. Joker est une figure complexe, à la fois suicidaire, masochiste, agressif et impulsive. Son rire, si mémorable, traduit l'évolution: d'abord, rire nerveux de défense, compulsif, rire d'adaptation sociale, rire d'agressivité... Un méchant, en somme, non dénué d'état d'âme, ce qui est troublant, dont la méchanceté nait de sa souffrance mentale. Ensuite, rappelons-le, les psychopathes sont en peu plus complexe de ce que t'en dis. On trouve énormément de souffrance chez eux, et leur actes procèdent souvent d'un sadisme pulsionnel, qui n'épuise ni leur souffrance ni parfois leurs remords, avec des accents suicidaires. Sadisme, là encore, parfaitement décrit par le film, à travers cette scène largement fantasmée, des félicitations de la voisine qui en héroise l'action punitive.
Arthur Fleck n'est pas du tout un "psychopathe". C'est un très beau cas de psychotique à délire paranoïde. Le mimétisme est si bluffant que je soupçonne Joaquin Phoenix d'avoir passé un peu de temps avec des patients de ce type.
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Re: Joker (Todd Phillips - 2019)

Message par Coxwell »

Phnom&Penh a écrit : Je ne voulais pas revenir sur le côté politique parce que je trouvais ça un peu HS dans le topic "Classement 2019", mais puisque tu me cites ici...Je suis entièrement d'accord avec toi sur cette partie. A une exception près, je trouve que cette folie n'est pas réaliste. Le Joker du film est foncièrement victime (début du film), foncièrement malade (son délire sur son idylle avec sa voisine), mais pas foncièrement méchant (il y a toujours une excuse à ses gestes meurtriers, notamment sa filiation non reconnue et pas évidente). Comme je l'ai écrit sur l'autre topic, je ne suis pas psychiatre. Mais...Soit c'est une victime éventuellement dangereuse mais surtout envers lui-même, soit c'est un psychopathe, donc dépourvu de sentiments. Ici, on joue sur le côté "en fait, il est gentil mais a besoin de ses médicaments", et sur le côté "il est cinglé et capable de tuer, même ceux qui ont pitié de lui".
Je trouve qu'un film qui joue autant sur le côté "malade psychiatrique" du personnage aurait du être plus réaliste sur le plan clinique.
Bien au contraire, sur le plan clinique, il est extrêmement fidèle !
C'est caractéristique de structures psychotiques à délire paranoïde, avec des penchants destructeurs voire auto-destructeurs. Il y a quantité de scènes tout à fait symptomatiques (
Spoiler (cliquez pour afficher)
ex: La mort de la mère et la scène du frigo
)
(ma mère, psychiatre, a confirmé lorsque je l'ai vu avec elle, et j'ai moi-même travaillé avec un bon nombre de patients de ce type)
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Re: Joker (Todd Phillips - 2019)

Message par G.T.O »

Coxwell a écrit :
G.T.O a écrit :
Je trouve l'ambiguïté que tu soulèves précisément réaliste. Joker est une figure complexe, à la fois suicidaire, masochiste, agressif et impulsive. Son rire, si mémorable, traduit l'évolution: d'abord, rire nerveux de défense, compulsif, rire d'adaptation sociale, rire d'agressivité... Un méchant, en somme, non dénué d'état d'âme, ce qui est troublant, dont la méchanceté nait de sa souffrance mentale. Ensuite, rappelons-le, les psychopathes sont en peu plus complexe de ce que t'en dis. On trouve énormément de souffrance chez eux, et leur actes procèdent souvent d'un sadisme pulsionnel, qui n'épuise ni leur souffrance ni parfois leurs remords, avec des accents suicidaires. Sadisme, là encore, parfaitement décrit par le film, à travers cette scène largement fantasmée, des félicitations de la voisine qui en héroise l'action punitive.
Arthur Fleck n'est pas du tout un "psychopathe". C'est un très beau cas de psychotique à délire paranoïde. Le mimétisme est si bluffant que je soupçonne Joaquin Phoenix d'avoir passé un peu de temps avec des patients de ce type.
Totalement d'accord avec toi: Fleck est un psychotique, et non un psychopathe. C'est aussi ce qui le rend troublant, contradictoire, complexe, douloureux... On est très loin de la figure du mal sans remords, animé du seul sadisme. Et c'est aussi un très beau cas clinique, dont le réalisme psychologique a d'ailleurs été salué par plusieurs psychiatres.
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Re: Joker (Todd Phillips - 2019)

Message par Supfiction »

G.T.O a écrit :Première image. Un clown se regarde, effondré, dans une glace. De dépit, il écrase la pointe de son pinceau au coin de la bouche, tandis que la caméra remonte jusqu’à son œil, qui vient de relâcher une larme. Glissant ses doigts dans la bouche, l’homme s’efforce d’esquisser un sourire. Évidemment forcé, légèrement monstrueux. Ouverture étrange s’il en est et signe avant coureur que le film ne sera pas une énième relecture mythologique et positif sur l’un des plus beaux méchants de Batman. Mais la confirmation d’une plongée sans fard dans une détresse, où d’une chute va naître une ascension.
J'y vois pour ma part un énième rabâchage du schéma habituel du méchant DC-Marvelien légèrement dérangé et inadapté mais animé des meilleurs intentions au départ qui à forces de coups, déceptions et d'humiliations basculent définitivement dans la violence vindicative.
En cela, ce Joker n'est dans le fond pas tellement différent d'un Edward Nygma (Jim Carey dans Batman Forever) ou du Pingouin de Batman returns. Seulement, on a donné au film une allure plus respectable (pour ne pas dire adulte) délaissant la forme comics (et le fun qui allait avec), ce que faisait déjà The Dark Knight, appliquant une texture 70's et tout plein de références pour flatter la cinéphilie du spectateur même s'il n'a pas vu les films en question (et se contentera dans bien des cas de simplement prendre connaissance auprès de youtubeurs avisés que le film fait référence à Taxi Driver et La valse des pantins). C'est encore et toujours raconter comment un inadapté mal-traité par le destin et par la société (capitaliste) décide de se venger contre elle et devient une icône pour tous les laissés pour comptes. Au moins avec Jack Nicholson, gangster minable dès le départ, on rigolait pour de bon.
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Re: Joker (Todd Phillips - 2019)

Message par Coxwell »

Supfiction a écrit :
G.T.O a écrit :Première image. Un clown se regarde, effondré, dans une glace. De dépit, il écrase la pointe de son pinceau au coin de la bouche, tandis que la caméra remonte jusqu’à son œil, qui vient de relâcher une larme. Glissant ses doigts dans la bouche, l’homme s’efforce d’esquisser un sourire. Évidemment forcé, légèrement monstrueux. Ouverture étrange s’il en est et signe avant coureur que le film ne sera pas une énième relecture mythologique et positif sur l’un des plus beaux méchants de Batman. Mais la confirmation d’une plongée sans fard dans une détresse, où d’une chute va naître une ascension.
J'y vois pour ma part un énième rabâchage du schéma habituel du méchant DC-Marvelien légèrement dérangé et inadapté mais animé des meilleurs intentions au départ qui à forces de coups, déceptions et d'humiliations basculent définitivement dans la violence vindicative.
En cela, ce Joker n'est dans le fond pas tellement différent d'un Edward Nygma (Jim Carey dans Batman Forever) ou du Pingouin de Batman returns. Seulement, on a donné au film une allure plus respectable (pour ne pas dire adulte) délaissant la forme comics (et le fun qui allait avec), ce que faisait déjà The Dark Knight, appliquant une texture 70's et tout plein de références pour flatter la cinéphilie du spectateur même s'il n'a pas vu les films en question (et se contentera dans bien des cas de simplement prendre connaissance auprès de youtubeurs avisés que le film fait référence à Taxi Driver et La valse des pantins). C'est encore et toujours raconter comment un inadapté mal-traité par le destin et par la société (capitaliste) décide de se venger contre elle et devient une icône pour tous les laissés pour comptes. Au moins avec Jack Nicholson, gangster minable dès le départ, on rigolait pour de bon.
La différence fondamentale à mes yeux est le fait de présenter le joker comme un personnage malade, au sens psychiatrique du terme, avec cette structure psychotique bien différente des autres (le perso de taxi driver est davantage un névrosé qui bascule dans l’irréparable, et dont la maladie est complètement dépendante de l’environnement social et culturel).
En réalité, et contrairement à ce qu’on croit, Arthur fleck a le potentiel de destruction / autodestruction indépendamment du contexte qu’on veut bien nous présenter. Ce qui accentue délibérément son évolution n’est pas tant le chaos de la ville que la rupture de son traitement médical :idea:
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Re: Joker (Todd Phillips - 2019)

Message par Alexandre Angel »

Ça me parait juste.
De toute façon, ce film, j'en suis sûr, vieillira impeccablement de par sa forme que je trouve intelligente et très tenue sur le plan graphique.
La séquence de la pancarte qui suit immédiatement le petit prologue devant la glace m'a rempli de bonheur, de jubilation sourde avec son Warner Bros present tout d'enluminure jaune, ses lignes verticales et son ampleur urbaine m'a rappelé, je le redis, certaines planches du grand dessinateur new yorkais Will Eisner.
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Et tout le film tient cette note d'expressivité puissante et sobre, pas du tout cynique, ni branchée. Il ne s'agit pas seulement d'une alternative aux "marvelleries" dominantes : on a aussi affaire à un film original, inhabituel. Le contraire du déjà vu, pour moi.
Comme "le Temps de l'innonce" et "A tombeau ouvert", "Killers of the Flower Moon" , très identifiable martinien, est un film divisiblement indélébile et insoluble, une roulade avant au niveau du sol, une romance dramatique éternuante et hilarante.

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Re: Joker (Todd Phillips - 2019)

Message par O'Malley »

Wulfa a écrit : Le Joker sera peut-être le témoignage estampillé "récupéré par les studios" (si je suis méchant).
ou celui qui aura je pense "marqué" son époque... car tout le monde en parle, le film interpelle le spectacteur non cinéphile et je me demande quand c'est arrivé la dernière fois pour un film hollywoodien.
Alexandre Angel a écrit : La séquence de la pancarte qui suit immédiatement le petit prologue devant la glace m'a rempli de bonheur, de jubilation sourde avec son Warner Bros present tout d'enluminure jaune...
Le film d'ailleurs renoue ponctuellement avec une certaine tradition de la Warner, qui avait disparu depuis une bonne dizaine d'années, à la fois de faire des films socialement ancrés à la lisière du polar et des films subversifs. En beaucoup moins réussi pour ma part mais le fait que le film existe est déjà en soi une bonne chose.
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Re: Joker (Todd Phillips - 2019)

Message par Spike »

Alexandre Angel a écrit :Il ne s'agit pas seulement d'une alternative aux "marvelleries" dominantes : on a aussi affaire à un film original, inhabituel. Le contraire du déjà vu, pour moi.
Personnellement, au cours du visionnage du film, je n'ai cessé de penser à un tas d'autres films (voir ci-dessous), très généralement en défaveur de Joker. Le film n'a en ce qui me concerne rien d'original : il s'agit en gros de la fusion de deux formules (d'une part, le "polar" urbain craspec désespéré à la Taxi Driver / Un Justicier dans la ville de M. Winner / Bad Lieutenant d'A. Ferrara, ... ; d'autre part, le film dont le protagoniste est un malade mental qui imagine certains personnages / certaines situations, ce qui rend ambiguës certaines scènes vues antérieurement).

Taxi Driver
- L'époque à laquelle se déroule le film.
- De Niro, qui jouait le protagoniste dans le film de Scorsese, tient un rôle secondaire dans Joker.
- Le protagoniste est un paria vivant dans un NY sale et en proie au crime. Il souffre de problèmes psychologiques et est incapable de nouer une relation amoureuse.
- La scène où le protagoniste pointe son arme dans son appartement
Spoiler (cliquez pour afficher)
- Le protagoniste souhaite commettre un ultime acte de violence et change de plan au dernier moment (assassinat d'un politicien -> assassinat de proxénètes / suicide -> meurtre de Murray).
- Le mime d'un suicide par balle
La Valse des pantins
- L'époque à laquelle se déroule le film.
- De Niro, qui jouait le protagoniste dans le film de Scorsese, reprend grosso modo dans Joker le rôle tenu par Jerry Lewis dans La Valse des pantins (l'humoriste sensé et célèbre confronté à un comique raté et cinglé).
- Le protagoniste est un comédien raté qui adule un humoriste animant une émission télé et qui fantasme certaines situations.
Spoiler (cliquez pour afficher)
- Le protagoniste torture / tue en direct son idole.
- Malgré les actes répréhensibles qu'il a commis, le protagoniste devient finalement adulé par la population.
Raging Bull
- Le changement de poids extrême de l'acteur principal
- Le protagoniste est un comique pas très drôle (à la fin de Raging Bull, au début de Joker).
- Les scènes devant le miroir

- Network, main-basse sur la télévision
- Le protagoniste, ayant manifestement besoin d'assistance psychologique, devient involontairement le maître à penser des masses, présentées comme décérébrées.
-
Spoiler (cliquez pour afficher)
Un animateur TV est abattu en direct.
- Le plan avec tous les écrans qui s'en suit.

The Machinist
- L'amaigrissement extrême de l'acteur principal
- Le film vaut plus pour son acteur principal qu'autre chose.
-
Spoiler (cliquez pour afficher)
Un des personnages est inventé par le protagoniste / certaines scènes ne se sont pas déroulées comme montré initialement. L'origine du trouble du personnage est un twist.
Un Justicier dans la ville (Michael Winner)
- L'époque à laquelle se déroule le film.
- La scène dans la métro avec les employés de WayneTech
- Le protagoniste, vivant dans un NY sale et en proie au crime, confronté à l'incompétence / la corruption des autorités, décide de se rendre justice à lui-même.

Fight Club
Spoiler (cliquez pour afficher)
- Le protagoniste, souffrant de troubles psychiatriques, a inconsciemment lancé un groupuscule révolutionnaire / un mouvement de révolte.
- La portée politique du film est grandement amoindrie parce que ce leader est un malade mental.
A Beautiful Day
- Le caractère suicidaire du protagoniste / le jeu de Joaquin Phoenix
- Le protagoniste, célibataire, vit toujours chez sa mère âgée, dont il s'occupe.

The Master
- La caractérisation du protagoniste / le jeu de Joaquin Phoenix

Batman (1989)
Spoiler (cliquez pour afficher)
- Le Joker provoque (in)directement la mort des parents Wayne.
O'Malley a écrit :Le film d'ailleurs renoue ponctuellement avec une certaine tradition de la Warner, qui avait disparu depuis une bonne dizaine d'années, à la fois de faire des films socialement ancrés à la lisière du polar et des films subversifs. En beaucoup moins réussi pour ma part mais le fait que le film existe est déjà en soi une bonne chose.
Le film peut au contraire être interprété comme conservateur : les autorités / élites sont montrées comme incompétentes / méprisantes / corrompues et elles défendent envers et contre tout leurs "sbires". Mais les "indignés" de la populace s'empressent de choisir un fou comme modèle et commettent des actes de vandalisme, des meurtres, ... Donc il vaut mieux en fin de compte que rien ne change.
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Alexandre Angel
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Re: Joker (Todd Phillips - 2019)

Message par Alexandre Angel »

A Spike
Si le film s'inscrit dans toutes les traditions et regroupements d'imaginaire que tu cites de manière très complète, ma remarque sur l'originalité porte sur la forme, l'allure générale de Joker, pas sur ses thématiques.
Justement, je n'ai pas trouvé ces références écrasantes et le film n'est pas un à la manière de. Je trouve la narration assez tranquille, posée et qui ne rend des comptes qu'à elle-même. On est loin des maniérismes d'un Fight Club, justement.
Comme "le Temps de l'innonce" et "A tombeau ouvert", "Killers of the Flower Moon" , très identifiable martinien, est un film divisiblement indélébile et insoluble, une roulade avant au niveau du sol, une romance dramatique éternuante et hilarante.

m. Envoyé Spécial à Cannes pour l'Echo Républicain
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