Il était une fois à Hollywood (Quentin Tarantino - 2019)

Rubrique consacrée au cinéma et aux films tournés à partir de 1980.

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Jeremy Fox
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Re: Il était une fois à Hollywood (Quentin Tarantino - 2019)

Message par Jeremy Fox »

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Alexandre Angel a écrit :
Watkinssien a écrit :C'est là où c'est fascinant, c'est d'occulter une autre manière de voir ou de ressentir cette violence. On a l'impression que c'est soit ça ou soit ça la violence chez Tarantino, mais non, il y a d'autres façons de la ressentir (mais je sais que Thaddeus saisit toutes formes de nuances ). Michael Madsen se faisant mordre et tuer par le serpent, par exemple. Quel regard porte-t-il? On peut jubiler! D'accord, je n'ai JAMAIS trouvé cela jubilant. J'ai trouvé cela cruel et en même temps forcément ironique. Le seul des personnages que la protagoniste n'arrive pas à tuer et pourtant c'est l'incarnation littérale de son surnom qui tue cet homme, trahi, solitaire, que l'on a vu se faire humilier, rabaisser. Acceptant de se sentir inférieur à un patron plouc comme chemin de rédemption.Alors, jubilation? Oui, comme une des composantes émotionnelles que l'on peut ressentir. Qu'un cinéaste me fasse passer différentes sensations dans ces moments graphiques, au sein d'un même film, parfois (et souvent même) au sein d'une même séquence, je ne le trouverais jamais nauséabond, mais plutôt conscient des degrés qui composent les spectateurs.Et pour en revenir au film de ce topic, il parvient à une intelligence encore plus sereine pour évoquer cette mixité sensitive qu'il y a dans certaines séquences.
Je suis d'accord avec ça.
Parce qu'il y a violence, cette dernière serait soit dégueu soit jubilatoire. Alors certes, elle est le plus souvent sardonique.
Mais c'est que la représentation, ou plutôt , l'occurrence de la violence chez Tarantino, n'est jamais unidimensionnelle : elle n'est pas sans nuances, véhicule ses contradictions et nous déstabilise de son ambivalence.
Oui, j'ai joui lorsque Aldo Raine grave une croix gammée sur le front de Hans Landa. Pourquoi? On est d'accord que ce n'est pas par sadisme et que je ne suis pas plus psychopathe que tous ceux qui ne le sont pas spécialement. Alors quoi?
Pour le plaisir enfantin de voir punir le méchant? Même pas. Comme Michael Madsen dans Kill Bill mais d'une façon différente, Hans Landa est attachant. Oui, j'ai bien dit attachant, parce qu'il est pulpy, qu'il dit "bingo!!", qu'il est parfois boudeur ("Décidément, vous et moi ne sommes pas soumis au même registre de respect mutuel"), qu'il a Bac+18 en italien et surtout, parce qu'il a la tête impayable de Christoph Waltz.
Bien sûr, il est un immonde enculé : l'incarnation du bourreau consciencieux et zélé, comme il devait tant y en avoir...
Mais quand Brad Pitt et son "bâtard" lui font son affaire, une étrange conjonction de ressentis peuvent être repérés.
Le plaisir, en ce qui me concerne, trouve sa pitance à plusieurs endroits. D'abord dans la bouclure impeccable d'un scénario qui se donne à voir (à lire) comme tel : on apprécie la tournure comme d'autres applaudissaient à Rostand. Ensuite, je suis, à ce moment-là, reconnaissant envers Tarantino pour sa lucidité, son absence totale de niaiserie, de bons sentiments, de concession : à une barbarie en répond une autre. Pitt et ses bâtards ne sont jamais sympathiques ni attachants. Au pire, ils sont (comme vient de le dire Tavernier sur son blog) inintéressants et Tavernier trouve le film sensiblement plus complexe et riche quand ils ne sont pas à l'image. En tous cas, lorsque le front de Landa est taillé au couteau et en gros plan, ses cris sont terribles (et bien faits!) et nous voyons ses mains arracher des touffes d'herbe. Il n'y a rien de fun : c'est de la série noire, et le plaisir (adulte) qui va avec. Et le fait d'enchainer direct avec la tarentelle géniale d'Ennio Morricone (celle d' Allonsanfan, des frères Taviani), nous emporte dans un souffle que peu de films contemporains ont su générer.

Cette illustration rejoint un peu ce que tu dis, il me semble
8) Vous savez mettre des mots justes sur mon ressenti.

En tout cas Tarantino suscite des débats de haute volée.
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Wuwei
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Re: Il était une fois à Hollywood (Quentin Tarantino - 2019)

Message par Wuwei »

je suis allé le revoir (vraiment suite aux pages de discussions d'ici) et j'ai du mal à ne pas rester sur mes impressions premières.

Toutefois, je me dis que ce lien pourrait en intéresser certain.e.s ici :
http://thenewbev.com/blog/2019/09/taran ... hollywood/
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Thaddeus
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Re: Il était une fois à Hollywood (Quentin Tarantino - 2019)

Message par Thaddeus »

Phnom&Penh a écrit :Je n'ai jamais écrit que certains pensaient que des films comme Kill Bill rendaient psychopathes. J'ai écrit - et c'est juste mon avis - que certains tarés (désolé de faire court et vulgaire, mais je ne me prends pas pour un psychiatre) aimaient les films réellement violents. Et que la violence fun n'en était justement pas. C'est de la violence qui fait plaisir, est irréaliste, et s'oublie une fois le film vu. A mon avis, elle ne peut pas fasciner un malade parce que par essence, elle n'est pas réaliste. Par contre la vraie violence, je ne condamne pas mais je me pose quelquefois des questions.
Je ne suis pas là pour parler psychologie ou sociologie, mais cinéma.
La manière dont les uns et les autres réagissent devant les différentes formes de violence d'un film, c'est intéressant mais ce n'est pas le sujet. Le sujet, c'est le film, et rien d'autre. Ce qui le cimente, ce qui le sous-tend, le propos qui l'articule, les méthodes qu'il emploie pour y parvenir. En bref, les intentions du réalisateur, et la concrétisation (ou non) de ces intentions.
Et je constate (une fois de plus) un énorme écart dans nos perceptions de la violence chez Tarantino. Pour moi, comme je l'ai expliqué, elle n'est, la plupart du temps, pas du tout "irréaliste". La violence, la mort ne sont pas traitées comme des abstractions, des phénomènes totalement détachés de leur réalité concrète. Ce n'est pas le type qui tombe à l'arrière-plan d'un western de série, pas les silhouettes des terroristes qui s'écroulent par dizaines dans un Bruce Willis. Ces derniers exemples (qui sont légion) représentent la violence et la mort de manière dédramatisée, irréaliste, comme une simple donnée visuelle. Cette violence-là n'est pas censée éprouver le spectateur, c'est tout juste si on la remarque. Et cela peut déranger pour d'autres raisons, que je conçois tout à fait (mais ce serait un autre débat).
Chez Tarantino, le plus souvent, c'est très différent. L'exercice de la violence, de la vengeance, du meurtre, est mis en scène de manière tout à fait réaliste (en tout cas dans les scènes que j'incrimine). Les détails organiques, l'épreuve de la souffrance, le temps de l'agonie, les manifestations physiques de cette dernière sont soigneusement représentés. J'ai donné des exemples plus haut ; ils sont légion. En soit, ce n'est absolument pas un problème (c'était déjà le cas dans Reservoir Dogs, qui me semble inattaquable). Ce qui me pose problème, c'est lorsque ce traitement réaliste de la violence trahit la fascination de son auteur, et plus encore lorsqu'il est censé faire jouir le spectateur. Parce que cette violence est alors le vecteur d'une logique psychologique visant à la légitimer (encore une fois... roulements de tambour : celle de la vengeance, prise par le spectateur à son compte du fait de l'identification recherchée par Tarantino pour celui qui l'exécute).
mais sa vengeance, après ce traitement, elle y a droit 8)
Et ça reste du cinema, ça rend pas méchant, pas vengeur.
Bref, divergence de position radicale. Le principe de la légitimation de la vengeance, c'est justement de dire "qu'on y droit". CQFD.
Quant à l'argument-massue "ça reste du cinéma", je pense qu'on peut dès lors baisser le rideau. :mrgreen:
A partir de là, inutile de s'engager dans tout débat, toute discussion sur les films. Je trouve que c'est rendre peu d'honneur à cet art que l'on aime tant que de déconsidérer ainsi ce qu'il peut avoir de sain ou de nocif, de réduire ainsi la portée de ce qu'il véhicule. Je n'ai jamais dit ou sous-entendu (contrairement à toi lorsque tu "t'interroges" :mrgreen: ) que le cinéma (quel qu'il soit) pouvait rendre méchant ou vengeur. Cela ne m'empêche pas de trouver certaines propositions bien nauséeuses, et de me sentir agressé par elles.
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Jack Griffin
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Re: Il était une fois à Hollywood (Quentin Tarantino - 2019)

Message par Jack Griffin »

En plus court, tu n'aimes pas les ressorts du cinéma d'exploitation, du grindhouse, du pulp.
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Wuwei
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Re: Il était une fois à Hollywood (Quentin Tarantino - 2019)

Message par Wuwei »

je reviens tout de même sur deux points.

la violence dont parle Thaddeus, parce que ça m'interpelle. Je n'étais pas dérangé par elle avant de voir que nombres de gens que je croise la trouver "fun" (je parle dans la globalité des films) là où d'autres étaient gênés par cette même violence, parce qu'ils ressentaient avant tout de la cruauté inutile.
J'avoue que depuis en avoir discuté longuement cela continue de m'interroger, le gore et la violence dans les 8 salopards au bout d'un moment je me demandais ce que ça foutait là, quel propos cela servait (j'veux dire même si c'est "pour le fun", je ne trouve pas ça vraiment fun). En revoyant Kill Bill, j'ai du mal à ne pas m'interroger sur ce qui est fait à l'actrice, sur l'idée de vengeance esthétisée à ce point mais surtout sur la manière dont la récupération du réalisateur d'autant de pans culturels amène finalement à une incompréhension. Enfin disons plutôt à des amalgames, comme si tous les films martiaux, de vengeances se retrouvaient dans un carcan de "genre" et que Tarantino était original parce qu'il jouait avec les codes de ce carcan, alors même qu'il n'y a pas "une" violence martiale ou une violence vengeresse mais plusieurs selon les époques et les lieux.

j'en viens à mon deuxième point, la gestion de la pop culture. J'ai adoré Tarantino (et j'en adore encore certains) parce qu'il m'a fait découvrir plein de choses, parce que je suis allé chercher des références mais (un peu comme avec Jodorowsky quand j'y pense) quand je suis revenu, j'étais un peu déçu.
déçu parce que si certains voyaient (et voient encore) un simple pillage, une récupération pop culturelle d'autres références à la moulinette d'un propos fun, j'entends surtout des gens qui adorent ce côté fun (dans les dialogues, les situations et la violence) et d'autres qui adorent et dissèquent la relecture de Tarantino, alors que j'ai l'impression que la matière de départ se perd dans le processus. Pour le dire vite regarder des vieux films n'est pas forcément "facile", pour une scène brillante il peut y avoir 1 heure de métrage indigeste, on peut louper des références car on ne les comprends pas, il faut passer outre les effets spéciaux, le jeu des acteurs et j'en passe. Or l'appréciation de ces objets est un processus qui permet de s'imprégner d'autres moments, d'autres contextes, d'autres éléments. En "popifiant" un peu tout ça, Tarantino me semble épargner le processus au spectateur et parfois je trouve cela dommage (car systématique aussi).

je comprends que l'on trouve ça divertissant (après tout, ses films sont vendus comme cela et il fait figure de trublion pour les médias) ou génial (après tout il est l'un des seuls cinéastes populaires à proposer des références à d'autres films et à avoir une vraie culture cinématographique). Plus haut un intervenant précise que son collègue de boulot ne connaissait rien du film ou du contexte historique et que de fait une partie du propos lui passait au-dessus de la tête, ça pose la question de la réception culturelle et du "bagage" à avoir quand on regarde un film (ou qu'on lit un livre, etc).
et, c'est ce que je ressens mais un peu à l'inverse, j'ai l'impression qu'une fois revenu à ses films avec plus de bagages culturels, avec plus de réflexion sur la violence, cela flatte surtout mon égo mais que ça reste un peu vain.

Non pas que je "comprenne tout" mais si j'ai apprécie Il était une fois à Hollywood c'est surtout pour les éléments extérieurs et pas du tout pour sa "reconstitution" de l'époque, que je trouve fausse. Oui, c'est émouvant, y'a une réflexion mélancolique sur le cinéma de l'époque mais c'est rêvé, fantasmé pour cinéphiles, ça ne me semble pas vraiment porteur d'une réflexion ou d’une vision plus pertinente que ça (où alors si on glose des heures sur une scène de pieds sales, autant gloser sur la bouffe pour chien et personnellement l'autorité de Brad Pitt avec son chien m'invite à plus de réflexions qu'un énième propos autour de Sharon Tate, fut-il mélancolique et joli. Parce que l'époque n'est pas "vraie" c'est un effet de réel et que dans ce cas on ne parle pas de Sharon Tate mais de ce qu'elle représente, d'un pur objet cinéphilique fantasmé, du coup oui le propos touche le cinéphile. Mais si elle représente une idée de la jeunesse dorée de ces années-là, dégager de la "vraie vie" comme l'est la reconstitution de Tarantino alors on peut élargir le propos mais en ce cas à quoi bon "reconstruire" une époque à ce point. ). Un ami déteste Inglorious basterds parce que, là aussi, la reconstitution n'est pas fidèle, que le film se pare d'une imagerie "réaliste" alors qu'il ne l'est pas et que cela alimente des discussions (vaines pour lui) sur la moralité du film et.ou de l'époque. J'ai sans doute trop lu sur l'époque, sur Polanski, sur sa femme, sur Manson pour ne pas me sentir un peu circonspect devant le proposition du cinéaste, encore une fois cette "popification" et les réflexions qui en découlent m'apparaissent comme trop éloigné du sujet de départ pour être pertinentes, pour toucher la cible (là où d'autres éléments m'interrogent plus, je ne dis pas que tout le film est vain ou mauvais).

de fait, si Jackie Brown reste mon film favori de Tarantino c'est sans doute parce qu'il est le plus proche de sa matière originelle (le livre punch creole), le plus simple, le plus directement "romanesque" mais peut être aussi parce qu'il est le moins vendu comme un mélange entre produit marketing méta-pop-culturel et réflexion-digestion d'un cinéphile pour d'autres cinéphiles.
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cinephage
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Re: Il était une fois à Hollywood (Quentin Tarantino - 2019)

Message par cinephage »

Strum a écrit :Rendre justice, réparer les torts de la réalité, c’est l’ambition que Tarantino a assigné à son cinéma depuis plusieurs films, avec une particularité qui en fait autre chose qu’un simple cinéma de vengeance. Selon une perspective post-moderne, au nom de laquelle la vérité est tenue pour négligeable (dont la rhétorique trumpienne des « faits alternatifs » est un avatar), le réalisateur ne s’embarrasse pas des faits historiques. Fort de son amour du cinéma d’exploitation qui a bercé son enfance et son adolescence, il en détourne les armes et les figures pour les diriger contre ce qui lui déplait dans la réalité, dans une démarche qu’il estime cathartique et proclamant, au moins le temps du film, la supériorité des images sur la réalité.
Je ne te suis définitivement pas sur cette lecture de l'oeuvre de Tatantino. Son cinéma ne rétablit aucune justice, mais il met en avant une proposition : le cinéma réécit en permanence la réalité, pourquoi ne pas s'approprier cette faculté de façon plus massive ?

Pour Tarantino, le cinéma est un espace de fantasme, de liberté, d'imaginaire. Dans cet imaginaire, les hommes peuvent être des surhommes, les femmes sont sublimes et surpuissantes, les bagarres prennent une ampleur extravagante... Pour Tarantino, cette aptitude à accompagner les fantasmes que possède le cinéma peut effectivement reprendre des éléments du réel qui sont frustrants, pour offrir un fantasme, l'image d'un monde plus riche que le monde réel.
Il ne fait donc, dans Once upon a time..., Basterds ou Django, que transposer à des faits historiques ce que le cinéma, notamment celui qu'il affectionne, fait à la réalité du quotidien. Là où l'on transfigure les faits divers, où les héros deviennent machines à tuer surhumaines, où les personnages sont déterminés, forts et surs d'eux-même, il propose d'étendre cette transformation du réel que l'on trouve communément dans le cinéma à des faits historiques. Si un agent secret peut sauver le monde avec quelques gadgets fabuleux et séduire des dizaines de femmes, si un loubard paumé qui vit de braquages peut devenir une figure tragique et sublime, alors pourquoi ne pas s'offrir un rhabillage du réel sur d'autres éléments de la réalité, comme certains grands traumas de l'histoire ?

En offrant un récit qui contrevient à la réalité historique, Tarantino ne nie pas les fait, il offre le fantasme d'une histoire fantasmatique qui proposerait autres chose, comme un Leone transforme la réalité de ce que pouvait être la vie réelle dans l'ouest américain. Il s'agit donc plus ici d'une adoration du cinéma en étendant son pouvoir transformateur à des objets qui sont habituellement laissés de coté. Ici, Tarantino proclame qu'on a le droit de tricher, dans un film, qu'on n'est pas tenu de suivre la réalité historique (chose que l'on sait depuis longtemps, mais on astreint généralement ces divergences à des éléments annexes du film (dates, éléments visuels, ou petits arrangements avec la réalité historique), ils n'en sont pas le coeur. Tarantino s'offre donc le plaisir de transformer l'histoire, de la réécrire selon son coeur, ses fantasmes. Mais je ne crois aucunement qu'il s'agisse d'une difficulté à distinguer le réel du faux, à prendre ses désirs pour des faits, dans une confusion du réel post-trumpienne. Il ne s'agit que de cinéma, de travailler sur ce qu'il raconte, sur les limites de son objet.
I love movies from the creation of cinema—from single-shot silent films, to serialized films in the teens, Fritz Lang, and a million others through the twenties—basically, I have a love for cinema through all the decades, from all over the world, from the highbrow to the lowbrow. - David Robert Mitchell
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Supfiction
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Re: Il était une fois à Hollywood (Quentin Tarantino - 2019)

Message par Supfiction »

Wuwei a écrit :
j'en viens à mon deuxième point, la gestion de la pop culture. J'ai adoré Tarantino (et j'en adore encore certains) parce qu'il m'a fait découvrir plein de choses, parce que je suis allé chercher des références mais (un peu comme avec Jodorowsky quand j'y pense) quand je suis revenu, j'étais un peu déçu.
déçu parce que si certains voyaient (et voient encore) un simple pillage, une récupération pop culturelle d'autres références à la moulinette d'un propos fun, j'entends surtout des gens qui adorent ce côté fun (dans les dialogues, les situations et la violence) et d'autres qui adorent et dissèquent la relecture de Tarantino, alors que j'ai l'impression que la matière de départ se perd dans le processus. Pour le dire vite regarder des vieux films n'est pas forcément "facile", pour une scène brillante il peut y avoir 1 heure de métrage indigeste, on peut louper des références car on ne les comprends pas, il faut passer outre les effets spéciaux, le jeu des acteurs et j'en passe. Or l'appréciation de ces objets est un processus qui permet de s'imprégner d'autres moments, d'autres contextes, d'autres éléments. En "popifiant" un peu tout ça, Tarantino me semble épargner le processus au spectateur et parfois je trouve cela dommage (car systématique aussi).

je comprends que l'on trouve ça divertissant (après tout, ses films sont vendus comme cela et il fait figure de trublion pour les médias) ou génial (après tout il est l'un des seuls cinéastes populaires à proposer des références à d'autres films et à avoir une vraie culture cinématographique). Plus haut un intervenant précise que son collègue de boulot ne connaissait rien du film ou du contexte historique et que de fait une partie du propos lui passait au-dessus de la tête, ça pose la question de la réception culturelle et du "bagage" à avoir quand on regarde un film (ou qu'on lit un livre, etc).
et, c'est ce que je ressens mais un peu à l'inverse, j'ai l'impression qu'une fois revenu à ses films avec plus de bagages culturels, avec plus de réflexion sur la violence, cela flatte surtout mon égo mais que ça reste un peu vain.

Non pas que je "comprenne tout" mais si j'ai apprécie Il était une fois à Hollywood c'est surtout pour les éléments extérieurs et pas du tout pour sa "reconstitution" de l'époque, que je trouve fausse. Oui, c'est émouvant, y'a une réflexion mélancolique sur le cinéma de l'époque mais c'est rêvé, fantasmé pour cinéphiles, ça ne me semble pas vraiment porteur d'une réflexion ou d’une vision plus pertinente que ça (où alors si on glose des heures sur une scène de pieds sales, autant gloser sur la bouffe pour chien et personnellement l'autorité de Brad Pitt avec son chien m'invite à plus de réflexions qu'un énième propos autour de Sharon Tate, fut-il mélancolique et joli. Parce que l'époque n'est pas "vraie" c'est un effet de réel et que dans ce cas on ne parle pas de Sharon Tate mais de ce qu'elle représente, d'un pur objet cinéphilique fantasmé, du coup oui le propos touche le cinéphile. Mais si elle représente une idée de la jeunesse dorée de ces années-là, dégager de la "vraie vie" comme l'est la reconstitution de Tarantino alors on peut élargir le propos mais en ce cas à quoi bon "reconstruire" une époque à ce point. ). Un ami déteste Inglorious basterds parce que, là aussi, la reconstitution n'est pas fidèle, que le film se pare d'une imagerie "réaliste" alors qu'il ne l'est pas et que cela alimente des discussions (vaines pour lui) sur la moralité du film et.ou de l'époque. J'ai sans doute trop lu sur l'époque, sur Polanski, sur sa femme, sur Manson pour ne pas me sentir un peu circonspect devant le proposition du cinéaste, encore une fois cette "popification" et les réflexions qui en découlent m'apparaissent comme trop éloigné du sujet de départ pour être pertinentes, pour toucher la cible (là où d'autres éléments m'interrogent plus, je ne dis pas que tout le film est vain ou mauvais).
C'est quoi "popifiant" ? J'ai pas compris. :)
Sinon ce que tu dis me parle. Notamment sur la reconstitution à la Tarantino, que ce soit d'une époque, d’événements historiques et même maintenant de vraies personnes comme Sharon Tate. Bien qu'ayant finalement succombé au charme du film à sa seconde vision, il me reste cette gêne. D'autant plus que j'ai eu une preuve tangible en discutant avec ce collègue qui n'avait vu que Margot Robbie et absolument pas Sharon Tate dont il méconnaissait toujours totalement le destin à l'issue de la projection du film). Car si on peut se dire qu'aujourd'hui (encore) tout le monde sait que Hitler n'est pas mort brûlé vif par des juifs, le destin de cette femme est inconnu de la majorité des gens.

cinephage a écrit :
Pour Tarantino, le cinéma est un espace de fantasme, de liberté, d'imaginaire. Dans cet imaginaire, les hommes peuvent être des surhommes, les femmes sont sublimes et surpuissantes, les bagarres prennent une ampleur extravagante... Pour Tarantino, cette aptitude à accompagner les fantasmes que possède le cinéma peut effectivement reprendre des éléments du réel qui sont frustrants, pour offrir un fantasme, l'image d'un monde plus riche que le monde réel.
Il ne fait donc, dans Once upon a time..., Basterds ou Django, que transposer à des faits historiques ce que le cinéma, notamment celui qu'il affectionne, fait à la réalité du quotidien. Là où l'on transfigure les faits divers, où les héros deviennent machines à tuer surhumaines, où les personnages sont déterminés, forts et surs d'eux-même, il propose d'étendre cette transformation du réel que l'on trouve communément dans le cinéma à des faits historiques. Si un agent secret peut sauver le monde avec quelques gadgets fabuleux et séduire des dizaines de femmes, si un loubard paumé qui vit de braquages peut devenir une figure tragique et sublime, alors pourquoi ne pas s'offrir un rhabillage du réel sur d'autres éléments de la réalité, comme certains grands traumas de l'histoire ?

En offrant un récit qui contrevient à la réalité historique, Tarantino ne nie pas les fait, il offre le fantasme d'une histoire fantasmatique qui proposerait autres chose, comme un Leone transforme la réalité de ce que pouvait être la vie réelle dans l'ouest américain. Il s'agit donc plus ici d'une adoration du cinéma en étendant son pouvoir transformateur à des objets qui sont habituellement laissés de coté. Ici, Tarantino proclame qu'on a le droit de tricher, dans un film, qu'on n'est pas tenu de suivre la réalité historique (chose que l'on sait depuis longtemps, mais on astreint généralement ces divergences à des éléments annexes du film (dates, éléments visuels, ou petits arrangements avec la réalité historique), ils n'en sont pas le coeur. Tarantino s'offre donc le plaisir de transformer l'histoire, de la réécrire selon son coeur, ses fantasmes. Mais je ne crois aucunement qu'il s'agisse d'une difficulté à distinguer le réel du faux, à prendre ses désirs pour des faits, dans une confusion du réel post-trumpienne. Il ne s'agit que de cinéma, de travailler sur ce qu'il raconte, sur les limites de son objet.
Oui, le cinéma peut être un fantasme. Mais James Bond est un personnage fictif tout comme ses adversaires directs. Sharon Tate est une vraie personne.
Aussi, je trouve que le film aurait gagné moralement à avoir un nota béné final ou je sais pas, à minima une dédicace à Sharon Tate, n'importe quoi, et même si cela aurait surement affadit l'impact cinématographique de la dernière scène, mais quelque-chose qui aurait rétabli la triste vérité.
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Wuwei
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Re: Il était une fois à Hollywood (Quentin Tarantino - 2019)

Message par Wuwei »

Supfiction a écrit :
C'est quoi "popifiant" ? J'ai pas compris. :)
j'veux juste dire (mal et trop vite) qu'il rend "pop" un élément filmique, c'est-à-dire qu'il le rend plus acceptable pour les canons de lectures occidentaux qui sont les nôtres. Ce n'est ni le seul, ni le premier à le faire mais il est certain que de ce point de vue Tarantino oeuvre beaucoup pour ce phénomène hyperculturel (grand partage des références, des codes, sans hiérarchie, etc).
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Re: Il était une fois à Hollywood (Quentin Tarantino - 2019)

Message par Strum »

cinephage a écrit :Je ne te suis définitivement pas sur cette lecture de l'oeuvre de Tatantino. Son cinéma ne rétablit aucune justice, mais il met en avant une proposition : le cinéma réécit en permanence la réalité, pourquoi ne pas s'approprier cette faculté de façon plus massive ?

Pour Tarantino, le cinéma est un espace de fantasme, de liberté, d'imaginaire. Dans cet imaginaire, les hommes peuvent être des surhommes, les femmes sont sublimes et surpuissantes, les bagarres prennent une ampleur extravagante... Pour Tarantino, cette aptitude à accompagner les fantasmes que possède le cinéma peut effectivement reprendre des éléments du réel qui sont frustrants, pour offrir un fantasme, l'image d'un monde plus riche que le monde réel.
Il ne fait donc, dans Once upon a time..., Basterds ou Django, que transposer à des faits historiques ce que le cinéma, notamment celui qu'il affectionne, fait à la réalité du quotidien. Là où l'on transfigure les faits divers, où les héros deviennent machines à tuer surhumaines, où les personnages sont déterminés, forts et surs d'eux-même, il propose d'étendre cette transformation du réel que l'on trouve communément dans le cinéma à des faits historiques. Si un agent secret peut sauver le monde avec quelques gadgets fabuleux et séduire des dizaines de femmes, si un loubard paumé qui vit de braquages peut devenir une figure tragique et sublime, alors pourquoi ne pas s'offrir un rhabillage du réel sur d'autres éléments de la réalité, comme certains grands traumas de l'histoire ?

En offrant un récit qui contrevient à la réalité historique, Tarantino ne nie pas les fait, il offre le fantasme d'une histoire fantasmatique qui proposerait autres chose, comme un Leone transforme la réalité de ce que pouvait être la vie réelle dans l'ouest américain. Il s'agit donc plus ici d'une adoration du cinéma en étendant son pouvoir transformateur à des objets qui sont habituellement laissés de coté. Ici, Tarantino proclame qu'on a le droit de tricher, dans un film, qu'on n'est pas tenu de suivre la réalité historique (chose que l'on sait depuis longtemps, mais on astreint généralement ces divergences à des éléments annexes du film (dates, éléments visuels, ou petits arrangements avec la réalité historique), ils n'en sont pas le coeur. Tarantino s'offre donc le plaisir de transformer l'histoire, de la réécrire selon son coeur, ses fantasmes. Mais je ne crois aucunement qu'il s'agisse d'une difficulté à distinguer le réel du faux, à prendre ses désirs pour des faits, dans une confusion du réel post-trumpienne. Il ne s'agit que de cinéma, de travailler sur ce qu'il raconte, sur les limites de son objet.
Je comprends bien mais en quoi ce que tu dis serait-il en contradiction avec l'idée de "rendre justice" (avec la violence de la loi du talion, indissociable d'une certaine idée de la justice), fut-ce fictivement, fantasmagoriquement ? Je ne dis pas que Tarantino confond la réalité et le cinéma, ni que c'est un cinéaste trumpien, je dis que par son absence de scrupules vis-à-vis de la réalité et de ceux qui la vivent ou l'ont vécu (il faut quand même être gonflé pour mettre en scène Sharon Tate et la faire survivre), il s'inscrit dans une mouvance post-moderne (ayant plusieurs formes et avatars certes) qui tient la réalité et la vérité, non pas comme l'alpha et l'oméga de la vie, mais comme quelque chose avec lequel on peut composer, jouer, que l'on peut négliger dans un mouvement d'humeur, avec parfois une certaine mauvaise foi non dénuée d'agressivité dans certaines interviews (je prenais comme exemple le traitement et les déclarations de Tarantino sur John Ford et Bruce Lee). Le seul horizon de Tarantino est certes le cinéma, et en particulier le cinéma d'exploitation, mais ne regarder que l'horizon du cinéma, ne regarder que des images, peut avoir pour effet, même inconsciemment ou indirectement, de diminuer l'importance du réel. Or, on ne peut totalement séparer cinéma et réalité (un film fait partie de la réalité), ni se dédouaner totalement de sa responsabilité de metteur en scène (surtout quand on met en scènes des personnages de la réalité) en disant "ce n'est que du cinéma" alors que l'on oriente dans le même temps le regard du spectateur (là-dessus, Thaddeus a bien répondu). C'est du moins mon point de vue. Ce faisant, je ne remets pas en cause le talent du réalisateur, j'explique juste pourquoi, à titre personnel, j'aurai toujours des réserves sur son cinéma.
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Re: Il était une fois à Hollywood (Quentin Tarantino - 2019)

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Supfiction a écrit :Oui, le cinéma peut être un fantasme. Mais James Bond est un personnage fictif tout comme ses adversaires directs. Sharon Tate est une vraie personne.
Aussi, je trouve que le film aurait gagné moralement à avoir un nota béné final ou je sais pas, à minima une dédicace à Sharon Tate, n'importe quoi, et même si cela aurait surement affadit l'impact cinématographique de la dernière scène, mais quelque-chose qui aurait rétabli la triste vérité.
C'est précisément l'apport de Tarantino. Il existe une convention du cinéma entre ce qui doit être comme le vrai monde et là où l'on a le droit de tout inventer. Ainsi, le MI6 existe réellement, les pays évoqués aussi. Mais le SPECTRE et les méchants du film pas. D'une façon générale, on a une grosse marge de manoeuvre sur les personnages et les péripéties, mais on respecte la réalité historique. On peut transformer la réalité sociale (des truands ou des policiers qui ne se comportent pas comme de vrais truands et policiers), mais on garde le contexte.

Parfois, le contexte est un peu trahi, mais c'est plutôt pour des raisons de style, de simplification historique (voire d'ignorance à l'occasion).

Tarantino propose de s'affranchir de cette convention, et de changer le contexte lui-même. On connait les faits réels, ils nous propose de rêver d'une autre tournure de l'histoire, aussi invraisemblable que les exploits de tel ou tel héros, mais qui alimente les fantasmes et fait plaisir le temps d'un film...
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Re: Il était une fois à Hollywood (Quentin Tarantino - 2019)

Message par cinephage »

Strum a écrit :Le seul horizon de Tarantino est certes le cinéma, et en particulier le cinéma d'exploitation, mais ne regarder que l'horizon du cinéma, ne regarder que des images, peut avoir pour effet, même inconsciemment ou indirectement, de diminuer l'importance du réel. Or, on ne peut totalement séparer cinéma et réalité (un film fait partie de la réalité), ni se dédouaner totalement de sa responsabilité de metteur en scène (surtout quand on met en scènes des personnages de la réalité) en disant "ce n'est que du cinéma" alors que l'on oriente dans le même temps le regard du spectateur (là-dessus, Thaddeus a bien répondu). C'est du moins mon point de vue. Ce faisant, je ne remets pas en cause le talent du réalisateur, j'explique juste pourquoi, à titre personnel, j'aurai toujours des réserves sur son cinéma.
Mais un Michael Mann qui tourne Heat se dédouane du réel, ses bandits, ses héros, sont invraisemblables. Les braquage ne se déroulent pas ainsi dans la vraie vie. Diminuent-ils l'importance du réel ? Est-ce qu'on devient vraiment criminel parce que tel ou tel film de gangster nous a plu ?
Un Minelli qui tourne une comédie musicale se dédouane aussi du réel, pour des raisons évidentes.
Toute narration, et le cinéma n'y échappe certainement pas, dès lors qu'elle aborde le monde réel, opère un choix, le plus souvent implicite, entre ce qu'on accepte de sacrifier à la fiction et ce qu'on considère comme devant rester proche des faits.

Tarantino ici nous offre un type de glissement assez nouveau, de décalage vis-à-vis du réel, en proposant de raconter des faits contraires à la réalité. En cela, je ne pense pas qu'il confonde ou abuse le spectateur, et je ne trouve pas sa démarche plus irresponsable qu'un John Ford chez qui les bagarres sont de gros chahuts rigolos, sans jamais que soient évoquées les conséquences funestes que peuvent avoir certaines véritables rixes de bar. Je pense également qu'il est moins irresponsable dans sa démarche que certains biopics qui réécrivent l'histoire en écartant tel ou tel aspect dérangeant du personnage réel qu'ils décrivent, car en général, ce sont des faits moins connus que ceux que détourne ouvertement Tarantino. La dissimulation en est donc plus problématique à mes yeux.
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Message par Supfiction »

cinephage a écrit :Je pense également qu'il est moins irresponsable dans sa démarche que certains biopics qui réécrivent l'histoire en écartant tel ou tel aspect dérangeant du personnage réel qu'ils décrivent, car en général, ce sont des faits moins connus que ceux que détourne ouvertement Tarantino. La dissimulation en est donc plus problématique à mes yeux.
C'est la même démarche quand Bohemian Rhapsody raconte presque n'importe quoi sur la vie du groupe pour en faire un truc joli et comestible. A la nuance près que c'est produit par Queen lui-même. En revanche, cela n'a rien à voir avec la démarche d'une comédie musicale (à part les jeunes enfants, tout le monde sait que ce n'est pas vrai) ou de tout ce qui a été fait dans le genre depuis Melies.

Quant aux films historiques et aux westerns, oui, la grossière reconstitution des faits et des modes de vie choque ou amuse (au choix) les spécialistes et historiens.
Alors, quelle différence ?
Peut-être le degré de liberté prise. Jamais Ford n'aurait oser mettre en scène Custer vaincre les indiens et revenir triomphalement en héros. Il s'est contenté d'en faire un grand général pris au piège de son orgueil. En outre, Custer et Wyatt Earp étaient morts depuis suffisamment longtemps pour que Hollywood considère qu'il y avait prescription.

Tarantino est à la fois un acteur et un produit de son époque avec un rapport à la vérité et à l'Histoire beaucoup plus libre.
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Re: Il était une fois à Hollywood (Quentin Tarantino - 2019)

Message par Strum »

cinephage a écrit :Tarantino ici nous offre un type de glissement assez nouveau, de décalage vis-à-vis du réel, en proposant de raconter des faits contraires à la réalité. En cela, je ne pense pas qu'il confonde ou abuse le spectateur, et je ne trouve pas sa démarche plus irresponsable qu'un John Ford chez qui les bagarres sont de gros chahuts rigolos, sans jamais que soient évoquées les conséquences funestes que peuvent avoir certaines véritables rixes de bar. Je pense également qu'il est moins irresponsable dans sa démarche que certains biopics qui réécrivent l'histoire en écartant tel ou tel aspect dérangeant du personnage réel qu'ils décrivent, car en général, ce sont des faits moins connus que ceux que détourne ouvertement Tarantino. La dissimulation en est donc plus problématique à mes yeux.
Pour ma part, je n'ai pas accusé Tarantino de révisionnisme. En effet, il ne dissimule pas ce qui peut être dissimulé ailleurs. Je ne suis pas opposé par principe aux uchronies. Je n'exonère pas non plus les autres réalisateurs. Tu parles de rêve, de plaisir, de fantasme, d'habillage de la réalité. C'est ce que fait le cinéma en effet. Sauf que : Ford et Minnelli, qui ne sont pas dupes des conventions qu'ils utilisent, de la suspension de l'incrédulité qu'ils demandent au spectateur prévenu du contexte, me font rêver. Alors que Tarantino ne me fait absolument pas rêver. Je me sens très éloigné de ses rêves, de ses fantasmes. Brûler un hippie avec un lance-flamme, cela ne me fait pas fantasmer, ni tracer une croix gammée au couteau sur le front d'un nazi. La violence de ses films, qu'il propose comme unique instrument de résolution des conflits, soit m'écoeure, soit me terrifie, soit je la trouve puérile et mensongère (car dans la réalité, c'est l'inverse qui se passe, la violence produit la violence), et je ne l'oublie jamais après la projection. Je n'éprouve aucune catharsis, aucune purgation de rien, je vois juste que les "gentils" sont aussi violents que les "méchants", ne valent pas mieux qu'eux. Je vois que Tarantino veut me faire jubiler car il rigole, jubile de la violence de ses images, mais je ne jubile pas, en fait, je ne comprends même pas comment on peut avoir les idées qu'il a. :) Même la scène de massacre à la fin de Once upon a time... (où nos deux héros sont défoncés, pratique pour les disculper de leurs actes, d'ailleurs la police ne trouve rien à redire) je ne l'ai regardé que d'un oeil. Le monde que substitue Tarantino ne vaut pas mieux que l'ancien. C'est pourquoi, étant incrédule devant cette persistance de Tarantino à dire qu'une violence jubilatoire va résoudre tous les problèmes dans ses récits, je m'interroge sur les conséquences possibles d'une vision du monde où le seul horizon, le seul champ culturel, semble être le cinéma d'exploitation, ses images et ses moyens, plutôt que la réalité. Pardon d'avoir été un peu long, et de m'être répété, mais tu peux voir maintenant, je pense, que je ne suis pas fait pour aimer le cinéma de Tarantino tout en lui reconnaissant un grand talent, tout en ayant été admiratif de plusieurs scènes de de Once upon a time... que j'ai globalement bien aimé, tout en pensant que c'est un cinéaste important de notre époque à sa façon.
Dernière modification par Strum le 11 sept. 19, 16:42, modifié 1 fois.
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Alexandre Angel
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Re: Il était une fois à Hollywood (Quentin Tarantino - 2019)

Message par Alexandre Angel »

Supfiction a écrit :Jamais Ford n'aurait oser mettre en scène Custer vaincre les indiens et revenir triomphalement en héros. Il s'est contenté d'en faire un grand général pris au piège de son orgueil
C'est Raoul Walsh, non?
Supfiction a écrit :Tarantino est à la fois un acteur et un produit de son époque avec un rapport à la vérité et à l'Histoire beaucoup plus libre.

Tu le dis depuis quelques fois mais j'avoue ne pas très bien comprendre ce que tu veux dire.

Je pense que , dans sa démarche (on met le côté "branché" dans le vintage du personnage), Tarantino (je l'ai aussi déjà dit ailleurs) s'inscrit dans une sensibilité chaplinienne, celle du Dictateur, avec la nuance (de taille) que l'on sait. Mais Chaplin aussi change le cours de l'Histoire (en direct, pour le coup) à sa fantaisie en sachant pertinemment que le pire est à venir.
Je crois sincèrement à cette filiation.


.
Dernière modification par Alexandre Angel le 11 sept. 19, 16:40, modifié 1 fois.
Comme "le Temps de l'innonce" et "A tombeau ouvert", "Killers of the Flower Moon" , très identifiable martinien, est un film divisiblement indélébile et insoluble, une roulade avant au niveau du sol, une romance dramatique éternuante et hilarante.

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Thaddeus
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Re: Il était une fois à Hollywood (Quentin Tarantino - 2019)

Message par Thaddeus »

Si Strum n'existait pas, il faudrait l'inventer.
Merci d'expliquer ces choses-là avec ces mots-là. Notamment sur cette résolution systématique des conflits (dans la fiction) et des enjeux (dans la narration) par la violence. C'est exactement cela : de ce que je connais (je n'ai pas vu ses trois derniers films), j'ai l'impression à partir de Kill Bill que pour lui tout doit forcément passer par là, qu'il ne connaît rien d'autre.
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