La passion Van Gogh (Dorota Kobiela & Hugh Welchman - 2017)

Rubrique consacrée au cinéma et aux films tournés à partir de 1980.

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Demi-Lune
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La passion Van Gogh (Dorota Kobiela & Hugh Welchman - 2017)

Message par Demi-Lune »

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En 1891, à Paris, le facteur Joseph Roulin demande à son fils Armand de remettre une lettre à Théodorus van Gogh, le frère du peintre Vincent van Gogh qui s'est donné la mort. Pourtant, Armand apprend que son frère est mort quelques mois plus tard que l'artiste. Dès lors, Armand se rend à Auvers-sur-Oise pour enquêter sur la vie intime et artistique de Vincent van Gogh...

Akira Kurosawa en avait fait un rêve qu'il avait matérialisé à l'écran grâce aux magiciens d'ILM : les toiles de Vincent Van Gogh ont ce quelque chose d'ensorcelant et de mystérieux qui peut donner envie de passer de l'autre côté du miroir.
Cette fois, ce syndrome de Stendhal donne lieu à un projet littéral : improbable coproduction anglo-polonaise, La passion Van Gogh naît de la persévérance de la plasticienne Dorota Kobiela à faire ce qui est maintenant présenté comme le premier film entièrement peint du Cinéma. Je laisse à de meilleurs connaisseurs le soin de contredire ou non cette prouesse. D'autant que ce n'est pas la première fois qu'un film d'animation fait vivre des œuvres d'art - La bataille de Kerjenets de Norstein insufflait déjà la vie à des icônes russes du Moyen Age. Reste que les 62450 plans qui composent La passion Van Gogh, directement puisés dans l’œuvre du génie hollandais puis influencés par son style, ont tous été peints à l'huile dans un studio de Gdansk par une armée de 90 artistes, qui sont repassés derrière les séquences véritablement filmées sur fond vert avec les comédiens. Toutes les peintures ont ensuite été animées par ordinateur, de sorte que les coups de pinceaux apparaissent dans toute leur magie figurative, et dans leur perpétuelle effervescence fauviste : chaque touche de peinture à l'huile a son existence propre et se contemple comme une étoile filante. Le résultat, qui a coûté plusieurs années de labeur, est une extraordinaire expérience plastique et maniériste : les réticences qu'on pourrait avoir par principe sur cette entreprise de "copiste" profanateur s'effacent vite face à la fascination et à l'émotion que provoque cette extrapolation ludique, esthétiquement renversante, et pour moi intègre en ce sens qu'elle réserve le "style Van Gogh" exclusivement à l'après mort, comme si sa peinture, ignorée de son vivant, poursuivait désormais l'inconscient de son entourage et dictait leur propre représentation du monde. Le film se veut objet de contemplation mais n'est pas non plus un simple film-tableaux, ou un gimmick façon générique D'art d'art : l'extrapolation autour du style Van Gogh est pénétrante car l'alchimie cinéma-peinture redessine le regard sur toutes les célèbres toiles dont on pensait avoir fait le tour, et s'approche ce faisant, avec plus de réussite pour moi que les films déjà consacrés au peintre (désolé pour le blasphème), du mystère et de la flamme qui s'attachent tout particulièrement à Van Gogh. L'impression que le film, en revenant à la source (les œuvres, peintes et épistolaires), a vraiment entrouvert une porte sur son esprit, de nature à avoir un pouvoir d'évocation tenace par-delà les générations de spectateurs. Lorsque l'intelligence du projet est en plus soutenue par une intrigue ficelée comme un polar (un célèbre film d'Orson Welles semble officier comme patronage), habile et prenante, alors une seule conclusion s'impose : ce film est non seulement un grand film d'animation, mais il pourrait aussi s'agir d'un grand film tout court.
En tout cas, c'est typiquement le genre d'expériences de cinéma qui réveille et fait directement oublier tous les films du milieu qui sortent toutes les semaines.
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Demi-Lune
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Re: La passion Van Gogh (Dorota Kobiela & Hugh Welchman - 2017)

Message par Demi-Lune »

origan42 a écrit :Unique ! Une enquête à la Citizen Kane pour connaître la vérité sur la mort du peintre.... Tous ces tableaux animés... accompagné d'une belle musique pas envahissante, de personnages attachants, c'est sublime, fascinant, pénétrant, émouvant. Cela nous donne un des chefs-d'oeuvre de l'année et il n'y en a pas tant que ça.
Anorya a écrit :Superbe hommage doublé d'une animation technique stupéfiante qui participe au final de l'émotion. Je ne pense pas qu'on approcherait forcément de la vérité du peintre. Mais en tant que portrait d'un homme torturé c'est bon.
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Re: La passion Van Gogh (Dorota Kobiela & Hugh Welchman - 2017)

Message par Père Jules »

Merci pour ton commentaire. Ta note m'intriguait ;)
EDIT: ah, je vois que Télérama a détesté :mrgreen:
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Demi-Lune
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Re: La passion Van Gogh (Dorota Kobiela & Hugh Welchman - 2017)

Message par Demi-Lune »

Père Jules a écrit :EDIT: ah, je vois que Télérama a détesté :mrgreen:
Fuck 'em :mrgreen:
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AtCloseRange
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Re: La passion Van Gogh (Dorota Kobiela & Hugh Welchman - 2017)

Message par AtCloseRange »

ça donne pas du tout envie #TeamTélérama :mrgreen:
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Alexandre Angel
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Re: La passion Van Gogh (Dorota Kobiela & Hugh Welchman - 2017)

Message par Alexandre Angel »

Demi-Lune a écrit :l'alchimie cinéma-peinture redessine le regard sur toutes les célèbres toiles dont on pensait avoir fait le tour, et s'approche ce faisant, avec plus de réussite pour moi que les films déjà consacrés au peintre (désolé pour le blasphème), du mystère et de la flamme qui s'attachent tout particulièrement à Van Gogh.
Sans l'avoir vu, je n'ai pas de mal à imaginer que tu sois dans le vrai car aucun des films de fiction portant sur Van Gogh ne me semblent porter quelque chose de définitif. Le Minnelli est très respectable mais non exempt d'une certaine pesanteur didactique alors que le savoureux segment de Rêves paraît plus porter sur ce que l'œil de Kurosawa a de van goghien que sur la tentative de laisser éclore un sentiment de vérité. Nous reconnaissons les toiles du peintre en même temps que les propensions coloristes du cinéaste proches du délire (déjà dans Dodeskaden'). Rappelons que Kurosawa donne le rôle de Van Gogh à Martin Scorsese, qui avait réalisé probablement le meilleur film de fiction que je connaisse sur l'acte de peindre : à savoir Life Lessons, segment de New York Stories.
Je pense que le film qui donne le sentiment d'approcher, de toucher même , à la vérité du personnage, de façon biaisée, insolente, sans pratiquement rien montrer de l'acte de peindre ni de la peinture est le Van Gogh, de Pialat. Un chef d'œuvre, pour moi.
Comme "le Temps de l'innonce" et "A tombeau ouvert", "Killers of the Flower Moon" , très identifiable martinien, est un film divisiblement indélébile et insoluble, une roulade avant au niveau du sol, une romance dramatique éternuante et hilarante.

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Demi-Lune
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Re: La passion Van Gogh (Dorota Kobiela & Hugh Welchman - 2017)

Message par Demi-Lune »

Alexandre Angel a écrit :Je pense que le film qui donne le sentiment d'approcher, de toucher même , à la vérité du personnage, de façon biaisée, insolente, sans pratiquement rien montrer de l'acte de peindre ni de la peinture est le Van Gogh, de Pialat. Un chef d'œuvre, pour moi.
Je préfère encore le Minelli à ce film d'un ennui insondable. Pas pu dépasser la première heure, d'ailleurs.
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Alexandre Angel
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Re: La passion Van Gogh (Dorota Kobiela & Hugh Welchman - 2017)

Message par Alexandre Angel »

Demi-Lune a écrit :Je préfère encore le Minelli à ce film d'un ennui insondable. Pas pu dépasser la première heure, d'ailleurs.
Que dire :shock: ? Sinon t'inciter à réessayer..
Comme "le Temps de l'innonce" et "A tombeau ouvert", "Killers of the Flower Moon" , très identifiable martinien, est un film divisiblement indélébile et insoluble, une roulade avant au niveau du sol, une romance dramatique éternuante et hilarante.

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Re: La passion Van Gogh (Dorota Kobiela & Hugh Welchman - 2017)

Message par AtCloseRange »

Alexandre Angel a écrit :
Demi-Lune a écrit :Je préfère encore le Minelli à ce film d'un ennui insondable. Pas pu dépasser la première heure, d'ailleurs.
Que dire :shock: ? Sinon t'inciter à réessayer..
Un pur chef d'œuvre en effet.
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Re: La passion Van Gogh (Dorota Kobiela & Hugh Welchman - 2017)

Message par Jeremy Fox »

Alexandre Angel a écrit :
Demi-Lune a écrit :Je préfère encore le Minelli à ce film d'un ennui insondable. Pas pu dépasser la première heure, d'ailleurs.
Que dire :shock: ? Sinon t'inciter à réessayer..

Pas mieux. Chef d'oeuvre pour ma part !
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Re: La passion Van Gogh (Dorota Kobiela & Hugh Welchman - 2017)

Message par origan42 »

Demi-Lune a écrit :
Alexandre Angel a écrit :Je pense que le film qui donne le sentiment d'approcher, de toucher même , à la vérité du personnage, de façon biaisée, insolente, sans pratiquement rien montrer de l'acte de peindre ni de la peinture est le Van Gogh, de Pialat. Un chef d'œuvre, pour moi.
Je préfère encore le Minelli à ce film d'un ennui insondable. Pas pu dépasser la première heure, d'ailleurs.
Ah ! Tiens... Je croyais être le seul...
Je voulais réessayer :idea:
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Re: La passion Van Gogh (Dorota Kobiela & Hugh Welchman - 2017)

Message par ballantrae »

J'aime bien le côté coloré et très américain du Minelli mais le Pialat est vraiment un chef d'oeuvre absolu, mon Pialat préféré en fait.
Ce film d'animation m'intrigue vraiment et semble assez culotté.
Quant au segment Van Gogh de Kurosawa , il me semble un modèle de légèreté picturale qui ose la naiveté pour mieux chanter l'amour de la couleur qui caractérisait Kurosawa dans ses dessins comme dans ses films à partir de Dodes'kaden effectivement de haute volée pour tout ce qui touche au travail sur la couleur, le délibérément "peint".
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Re: La passion Van Gogh (Dorota Kobiela & Hugh Welchman - 2017)

Message par hansolo »

Ayant bcp aimé l'incarnation de VG par le grand Kirk, j'hésite à sauter le pas.
Je sais que l'intention de ce film est très différente du film de Minelli, mais je m'interroge sur le scénario : il est sensé coller à la réalité de la vie de VG ou juste prendre prétexte de ses œuvres pour une esbroufe visuelle ? (c'est le sentiment que je retire de la Bande annonce qui m'a plu à la première vision mais qui m'interroge désormais)
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Re: La passion Van Gogh (Dorota Kobiela & Hugh Welchman - 2017)

Message par Demi-Lune »

hansolo a écrit :Je sais que l'intention de ce film est très différente du film de Minelli, mais je m'interroge sur le scénario : il est sensé coller à la réalité de la vie de VG ou juste prendre prétexte de ses œuvres pour une esbroufe visuelle ? (c'est le sentiment que je retire de la Bande annonce qui m'a plu à la première vision mais qui m'interroge désormais)
C'est du factuel et du romancé.
Le film se cale sur la structure de Citizen Kane avec un protagoniste (le vrai Armand Roulin) qui investigue sur les circonstances de la mort de Van Gogh en rencontrant et questionnant les gens de son entourage, d'abord à Arles puis à Auvers-sur-Oise. Ce faisant, tous brossent indirectement un portrait de Van Gogh en tant qu'homme (l'artiste étant raconté de la meilleure façon qui soit : par ses toiles). Une grande importance est donnée à sa prétendue instabilité psychologique. Tous ces témoignages procèdent d'une grande documentation et s'appuient sur les confidences des intéressés à l'époque du drame (l'autre source étant les lettres de Van Gogh).
Mais nécessairement, il y a aussi une part de romancé et d'extrapolation dès lors que le film ressuscite tous ces protagonistes, et en vient progressivement à s'interroger sur la version officielle de la mort de Van Gogh (avec, comme dans JFK, cette balle magique complètement incohérente si le geste était de se suicider). Le script s'adosse alors sur une théorie publiée en 2011 par Steven Naifeh et Gregory White Smith, que je ne dévoilerai pas, mais qui n'a pas la prétention d'effeuiller à elle seule le "mystère Van Gogh", irréductible à une simple élucidation policière.
C'est en cela que je trouve l'approche du film habile et intègre : il ne prétend pas décoder ni discourir sur le génie du peintre, mais troubler grâce à l'espèce de vertige qui semble unir le destin funeste de Van Gogh et son œuvre. La coexistence des points de vue des personnages permet à la fois de préserver l'insaisissabilité de cet homme et d'en avoir une perspective renouvelée. Van Gogh apparaît autant proche qu'inaccessible, tel Charles Foster Kane qui emporte avec lui le secret de son Rosebud. Sauf que là, nous n'aurons pas de plan final rien que pour nous, les spectateurs - mais parce que les toiles du maître ont été sous nos yeux tout du long.
A noter que le musée Van Gogh d'Amsterdam a, tout au long de la production, officié comme consultant, et a publiquement approuvé le film et son script.

Pour ceux que ça intéresse, les deux cinéastes reviennent justement sur l'écriture de leur film :
Spoiler (cliquez pour afficher)
DOROTA KOBIELA :

By far the hardest challenge was re-writing the script as an 80 minute film. I see myself as a director, not a writer. I couldn’t just write a biopic like Lust for Life, I could only have scenes that were set in or at least started or finished in Vincent paintings. I would often write scenes that I thought were beautiful and moved the story forward, and then realise they were too removed from the paintings.
[...]
I wrote many stories: stories taken from Vincent’s life; stories that started from particular paintings; stories exclusively from his Dutch period; stories when he was deep in the bohemia of Mountmartre in Paris. But the first concrete script that emerged was set during his last days. This resonated, and also I loved the paintings involved, and the fact they included paintings of people who he had regular contact with at the end: the mercurial Dr Gachet; his mysterious daughter, Marguerite Gachet, painted three times, yet her face always concealed; and the spirited daughter of the owner of the Inn where Vincent died, Adeline Ravoux.

HUGH WELCHMAN :

We had read around 40 different publications about Vincent: biographies, academic, essays and fictional works. Over 4 years we visited 19 museums in 6 countries to view around 400 Van Gogh paintings. We also watched the major feature film and documentary productions about his life and interviewed experts at the Van Gogh Museum.

The demands of writing a script on Vincent were tough. We took as our mantra his words in one of his last letters: “We cannot speak other than by our paintings”. So we showed only what we see in his paintings. With that restriction we had many paths to follow: Vincent’s struggle; the mystery of his death; the development of his art; or an alchemy of the aforementioned.

For us it was very clear that Vincent was not insane. The story shouldn’t be about his madness, it should be sheer bewildering shock at the journey he went on and what he accomplished in 8 short years. But we also had to deal with the widely held perception that he was some tortured mad suffering artist.
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