Thaddeus a écrit :Mais tous ces cinéastes ont débuté il est vrai lors de la décennie précédente.
Je pense d'ailleurs que c'est la limite de l'exercice proposé ici : j'ai quand même l'impression qu'il est rare que des cinéastes deviennent instantanément majeurs au regard de la réception critique. Bien sûr, on peut trouver des tas de contre-exemples (notamment la Nouvelle Vague et le Nouvel Hollywood - et encore, même des mecs comme Coppola ou Scorsese ont commencé petits), mais je pense qu'il y a un phénomène de décantation, qui s'inscrit donc nécessairement sur le moyen terme, lié à une (re)mise en perspective d'une carrière à la lumière de motifs ou de thèmes cumulatifs qui dessinent la vraie stature du cinéaste, sa consistance et son importance au regard et à l'épreuve du temps. Combien de fois on nous a vendu un nouveau grand qui a fait rapidement pschitt... Encore une fois, le propos mériterait d'être nuancé et affiné, mais il y a souvent un espèce de tour de chauffe de quelques films, qui dévoilent un univers et une personnalité, avant qu'il y ait LE film qui fait accéder au niveau supérieur (le Kubrick de
2001 ou le Fellini de
La dolce vita par exemple), ou LE film de la rupture. Asghar Farhadi, que l'on a cité à juste titre, a pour moi vraiment commencé à se distinguer à partir d'
A propos d'Elly même si ses films précédents sont pourtant déjà "du Farhadi" ; mais pour des raisons étranges, l'alchimie ne se produit qu'à partir d'un film bien précis, pour être ensuite maintenue voire perfectionnée, avant éventuellement de décliner.
A titre personnel, je vois peu de cinéastes de cette décennie dont on se souviendra demain, mais c'est parce que la question, même si elle est tentante, est trop prématurée. Quelque part, je suis optimiste : c'est un travail de patience, qui sera récompensée ou non. Des gens comme Farhadi, Nuri Bilge Ceylan, Zvyagintsev, Winding Refn, Dolan, Hosoda, Kore-eda, McQueen, qui comptent à l'heure actuelle qu'on aime ou pas leurs films, ont tous commencé avant 2010. Je crois qu'il faut résister aux déformations de l'immédiateté même si prendre le pouls à un instant T est intéressant, révélateur et pas nécessairement trompeur (ceux qui flairaient la grandeur chez des mecs underground au début comme Lynch ou Cronenberg ont été des prophètes longtemps ignorés). On considèrera peut-être dans dix ou quinze ans comme significatif un cinéaste qui n'a pas encore montré ce qu'il avait vraiment sous le coude. C'est notamment pour ça que je trouve passionnant ce qui se passe en France en ce moment avec la nouvelle garde. Ça bouge de partout, il y a de vraies propositions de cinéma, et je suis impatient de voir si les petits jeunes (ou un peu moins jeunes) vont confirmer ou pas. Inversement, je suis circonspect sur le cas de Denis Villeneuve, qui est un bon réalisateur mais qui depuis
Incendies, me semble avoir été systématiquement en-deçà de ce qu'il est capable d'offrir.