Nocturama (Bertrand Bonello - 2016)

Rubrique consacrée au cinéma et aux films tournés à partir de 1980.

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Demi-Lune
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Nocturama (Bertrand Bonello - 2016)

Message par Demi-Lune »

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C'est finalement bien plus difficile que je ne le pensais que d'écrire au sujet de Nocturama, alors désolé pour le côté fourre-tout de ce commentaire.

Pas de doute, le film va diviser. Il est néanmoins peu probable que Nocturama entraîne une bataille de dreyfusards/antidreyfusards aussi virulente que celle autour d'Holy Motors, qui est un peu devenu malgré lui l'exemple récent du film d'auteur français iconoclaste, admiré et haï. Je gage sur de nombreuses réactions de tiédeur, plus que de rejet, pour le Bonello ; mais je gage aussi que le film fera son chemin en tête et s'imposera comme une proposition particulièrement marquante du cinéma contemporain. Voilà, je prends le pari.
Une chose est en tout cas d'ores et déjà acquise à mes yeux : Nocturama mérite sa place parmi les films les plus forts, les plus ambitieux et les plus dérangeants que le cinéma français ait engendré. Ça ne fait peut-être pas avancer le schmilblick que de sortir ce genre de phrases, mais à un moment, discerner les films qui resteront de ceux qui plairont de manière volatile est un exercice que j'estime être nécessaire. Conviction hier soir de vivre un classique instantané au goût de poudre et de souffre. Avec ses tâtonnements, ses longueurs, ses maladresses, c'est incontestable - et je me doute que le débat reviendra dessus. Mais participant d'un tout fascinant, implacable et déroutant : un film en fusion sous ses atours glacés, qui paraît presque trop "gros" pour le ciné français actuel. J'applaudis le cinéma hexagonal lorsqu'il se donne pareillement les moyens de son ambition, lorsqu'il devient à l'avant-garde de quelque chose. Ce n'est pas que la maîtrise technique, particulièrement évidente dans la première partie, avec son ballet mystérieux dans Paris : c'est cette conjonction rarissime, fascinante, terrifiante, entre un sujet et le malaise indéfinissable de son époque. Pour moi, Bonello a touché du doigt, sous l'angle de l'allégorie abstraite (qui l'oblige maintenant à beaucoup expliquer, faire de la pédagogie en interview, car on marche sur des œufs), quelque chose de vertigineux sur l'air du temps... "ça devait arriver", dit un personnage en caméo. Quelque chose de vertigineux qui reste très ouvert (le propos est loin d'être donné clés en main, et c'est ce qui dérange beaucoup de critiques, qui pointent une opacité intenable) et qui risque donc de susciter quelques débats nourris. Désolé, je suis obligé de faire des circonvolutions pour ne rien spoiler, mais il y a pour moi dans cette capacité à donner corps au malaise qui serpente en France, depuis longtemps, un caractère visionnaire qui n'exclue pas de mettre Nocturama en parallèle des films de Godard des années 60, qui annonçaient mai 68 sans le savoir. "Je ne fais pas de film politique, je filme politiquement" s'explique d'ailleurs Bonello en citant JLG. Certains critiques, comme Libiot dans Libération, estiment à l'inverse que le film, conçu dès 2010 mais tourné après Charlie Hebdo, est déjà dépassé par la réalité, et devient dérisoire, sinon naïf. Il est vrai que le malaise qu'instille le film n'est jamais aussi périlleux que lorsqu'il tend à inverser les rôles sur la fin, dans une recherche d'empathie problématique, aussi bien sur le plan diégétique que sur le plan extra-cinématographique. Mais les critiques qui réfutent le film pour son vide politique appliquent une grille de lecture tributaire d'une redéfinition des enjeux par le jihadisme, là où la démarche de Bonello trouve justement pour moi son trouble dans son "a-religiosité", cette espèce d'angoisse métaphysique de la jeunesse que le film n'enferme dans aucune case précise (l'anticapitalisme semble être un paravent à un effondrement beaucoup plus profond et sourd). A la fois à cause de sa chronologie créative, et grâce au regard du cinéaste, Nocturama exprime quelque chose d'indécidable - un cataclysme social irréductible aux terribles phénomènes actuels. Ce précipice laisse les jambes chancelantes longtemps après le générique de fin, sur fond de The Persuaders de John Barry.

Voilà, tout ça est confus et pas très intéressant, mais faut bien lancer la discussion pour ce film qui le mérite.
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Thaddeus
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Re: Nocturama (Bertrand Bonello - 2016)

Message par Thaddeus »

Demi-Lune a écrit :Voilà, tout ça est confus et pas très intéressant
Pas du tout, bien au contraire.
Normalement j'y vais ce soir. J'espère en sortir avec ton enthousiasme, même si tu places la barre très haut ("Nocturama mérite sa place parmi les films les plus forts, les plus ambitieux et les plus dérangeants que le cinéma français ait engendré"). A ce jour, je n'ai vu que deux films de Bonello : L'Appolonide, que j'ai énormément aimé, et Saint-Laurent, qui m'a laissé plus circonspect. De ma maigre expérience du réalisateur, je perçois en lui un styliste virtuose - c'est un fait acquis - mais également un artiste dont le côté un peu "dandy baudelairien" pourrait facilement passer pour de la pose. La ligne sur laquelle il opère est aussi stimulante que fragile. Que ce Nocturama soit une réussite formelle, les quelques avis que j'ai lu semblent l'affirmer de manière à peu près unanime. C'est sur le fond qu'il pose apparemment débat. Bref, je serai fixé bientôt.
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Demi-Lune
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Re: Nocturama (Bertrand Bonello - 2016)

Message par Demi-Lune »

Thaddeus a écrit :
Demi-Lune a écrit :Voilà, tout ça est confus et pas très intéressant
Pas du tout, bien au contraire.
Normalement j'y vais ce soir. J'espère en sortir avec ton enthousiasme, même si tu places la barre très haut ("Nocturama mérite sa place parmi les films les plus forts, les plus ambitieux et les plus dérangeants que le cinéma français ait engendré").
Toujours le risque de ces grandes phrases enflammées... Le film est agité de maladresses ou de paradoxes sur lesquels on aura peut-être l'occasion de débattre, mais sa place dans le cinéma français me semble extrêmement importante. Hâte de connaître ton retour.

EDIT : Saint Laurent avait été une déception pour moi aussi.
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Re: Nocturama (Bertrand Bonello - 2016)

Message par Blue »

Bonnello fait partie de mes cinéastes français contemporains favoris. Il n'est peut-être pas techniquement un cador absolu, mais il sait se frotter à des sujets sensibles/complexes/ambitieux avec un vrai regard de cinéaste, et ça déjà, c'est pas mal. Je le rapprocherais d'un Olivier Assayas.

Alors certes, il a fait des choses médiocres ("De La Guerre", film foutraque qui est un peu son "Pola X", ou l'oubliable "Quelque Chose D'Organique"), mais aussi des films très intéressants et forts même s'ils sont bancals ("Tiresia" et "Le Pornographe"). Sans oublier ses réussites récentes plus affirmées et qui l'ont fait un peu plus connaître comme "L'Apollonide" et "Saint-Laurent" (qui explose le film de Jalil Lespert à tout point de vue).

Hâte de voir le petit dernier :wink:
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Re: Nocturama (Bertrand Bonello - 2016)

Message par Flol »

Demi-Lune a écrit :Nocturama mérite sa place parmi les films les plus forts, les plus ambitieux et les plus dérangeants que le cinéma français ait engendré
Là-dessus, on est d'accord. Notamment pour la 1ère partie, que j'ai trouvé littéralement sidérante : ces déambulations mortifères filmées le plus souvent de dos évoquent forcément Elephant (aussi bien celui de Gus Van Sant que celui d'Alan Clarke), et c'est tout aussi fort chez Bonello.
Reste que le film m'a moins convaincu sur le fond que sur la forme (brillante, comme d'habitude chez le cinéaste). Il me sera difficile de développer plus en détails, tellement le film me paraît extrêmement complexe à analyser là comme ça, au débotté ; mais les 20 dernières minutes, sommet de tension qui m'a quasiment laissé essoufflé, m'interrogent et me choquent. C'était probablement la volonté même de Bonello, mais il va falloir que je lise quelques papiers à ce sujet pour y voir plus clair.
Spoiler (cliquez pour afficher)
on a beau nous expliquer au détour d'un dialogue que s'agissant d'ennemis d'état, ils ne seront pas pris vivants, j'ai du mal à concevoir que les mecs du GIGN abattent des ados (voire de jeunes ados) non-armés
Sinon entre le titre, la jeunesse désabusée, l'arrière-plan terroriste, la critique du consumérisme et le défilé de marques, on pense aussi forcément à Bret Easton Ellis.
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Re: Nocturama (Bertrand Bonello - 2016)

Message par Jack Griffin »

Ratatouille a écrit : on pense aussi forcément à Bret Easton Ellis.
Et aussi à Holy motors...décidément.
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Re: Nocturama (Bertrand Bonello - 2016)

Message par Billy Budd »

Ratatouille a écrit :Sinon entre le titre, la jeunesse désabusée, l'arrière-plan terroriste, la critique du consumérisme et le défilé de marques, on pense aussi forcément à Bret Easton Ellis.
J'avais lu il y a quelques années qu'il travaillait à l'adaptation de Glamorama, j'imagine que c'est le résultat.
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Re: Nocturama (Bertrand Bonello - 2016)

Message par Flol »

Jack Griffin a écrit :
Ratatouille a écrit : on pense aussi forcément à Bret Easton Ellis.
Et aussi à Holy motors...décidément.
J'essaie de ne plus jamais penser à ce film.
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Demi-Lune
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Re: Nocturama (Bertrand Bonello - 2016)

Message par Demi-Lune »

Let's go!

Spoilers, évidemment.
Ratatouille a écrit :Il me sera difficile de développer plus en détails, tellement le film me paraît extrêmement complexe à analyser là comme ça, au débotté ; mais les 20 dernières minutes, sommet de tension qui m'a quasiment laissé essoufflé, m'interrogent et me choquent. C'était probablement la volonté même de Bonello, mais il va falloir que je lise quelques papiers à ce sujet pour y voir plus clair.
Spoiler (cliquez pour afficher)
on a beau nous expliquer au détour d'un dialogue que s'agissant d'ennemis d'état, ils ne seront pas pris vivants, j'ai du mal à concevoir que les mecs du GIGN abattent des ados (voire de jeunes ados) non-armés
Cette fin m'est effectivement extrêmement dérangeante, mais pour une raison un peu différente que celle que tu as mise en avant. Dans la seconde partie du film, Bonello assouplit les caractérisations en faisant de ses terroristes des figures romantiques dépassées par les événements et renvoyées, dans ce temple de la consommation qu'est la Samaritaine, à la vacuité de leur condition et de leur idéal, dérisoire face à la puissance de feu des grandes marques (Issey Miyake est omniprésent). Il y a notamment cette allégorie du mannequin sans visage qui, à plusieurs reprises (le cauchemar, l'étreinte, le face-à-face avec les vêtements identiques...), fait office de commentaire en miroir. Il y a une idée de dépossession de l'identité qui résonne au méta avec cette résistance métaphysique menée par les jeunes du film. Il est d'ailleurs impossible de ne pas faire un parallèle avec le Zombie de Romero : les retranchés dans le centre commercial se retrouvent avec un trop-plein de tout... et semblent subitement ne plus savoir trop quoi faire avec. Bref. Le processus d'humanisation, perceptible chez certains des jeunes, conduit doucement à une relativisation des valeurs ayant effectivement un goût très amer : non seulement le GIGN abat des ados qui sont pour la plupart non armés, certains même se rendant ostensiblement, mais en plus, Bonello recherche l'empathie pour des terroristes (la bague au doigt, "je t'aime", "on va tous mourir", etc) tout en formalisant l'intervention des forces de l'ordre, aussi méthodique et froide que le plan des jeunes dans Paris, comme étant plus malfaisante que les actions menées par la bande (je ferai remarquer qu'on ne sait pas combien de morts ils ont causé avec leurs explosions). Il est très difficile de se dépatouiller avec cette fin en laissant de côté la réalité du terrorisme en France depuis des mois (ou même cette simple polémique avec le tract pathétique de la CGT sur les sanguinaires CRS), mais c'est quand même délicat de laisser une telle ambiguïté. Cette fin est vraiment, vraiment dérangeante, quel que soit le bout par laquelle on la prenne.
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Re: Nocturama (Bertrand Bonello - 2016)

Message par poet77 »

Michel Ciment, dans la revue "Positif", n'y va pas par quatre chemins et j'estime qu'il a raison. "Refusant toute contextualisation, écrit-il, pour se contenter de poser un regard et de cultiver le flou artistique, Bonello a signé un film irresponsable. L'extase de certains confrères ne changera rien à l'affaire." On ne peut mieux dire ce que j'ai moi-même ressenti à la vue de ce film, en contradiction avec la plupart des critiques que je lisais, la plupart incompréhensiblement positives!
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Demi-Lune
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Re: Nocturama (Bertrand Bonello - 2016)

Message par Demi-Lune »

poet77 a écrit :Michel Ciment, dans la revue "Positif", n'y va pas par quatre chemins et j'estime qu'il a raison. "Refusant toute contextualisation, écrit-il, pour se contenter de poser un regard et de cultiver le flou artistique, Bonello a signé un film irresponsable."
C'est une grille de lecture contaminée par l'actualité et le film n'est plus jugé pour ce qu'il est, mais pour ce qu'il devrait ou aurait dû être après les attentats de Paris.
C'est un prisme qu'on peut difficilement écarter, c'est certain, mais qui ne devrait pas interférer dans un jugement artistique.
Ce refus de la contextualisation, comme dit Ciment, je trouve que c'est précisément la force du film, et ce qui fait que le film restera dérangeant quel que soit l'époque à laquelle on le verra. Bonello touche du doigt quelque chose de très enfoui et universel, une implosion de la jeunesse à l'ère de l'hypermodernité, et ce malaise très profond n'est pas pour moi réductible à des phénomènes de compréhension du terrorisme tel qu'il a frappé la France ces derniers mois (la fameuse phrase de Valls "chercher à comprendre, c'est déjà excuser").
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Re: Nocturama (Bertrand Bonello - 2016)

Message par poet77 »

Pas du tout d'accord. Je pense que Michel Ciment a bien perçu et analysé le malaise que peut et même que doit susciter ce film. Peu importe qu'il ait été pensé et conçu avant les attentats de Paris. De toute façon, en l'occurrence, quel que soit le contexte, ce film est fallacieux, trompeur et dangereux puisqu'il rajoute de la crainte là où il n'y a vraiment pas besoin d'en rajouter. Il ne s'agit en somme que d'une vision d'esthète, mais d'une vision erronée et décérébrée. Comme si la jeunesse d'aujourd'hui pouvait être réduite à ce que montre le film: une bande de jeunes issus de divers milieux et dont on se demande bien comment ils peuvent se retrouver pour fomenter un projet commun, qui plus est un projet de cet ordre. Cela n'a aucun sens, c'est absurde et irresponsable de montrer ça. Hormis ses qualités esthétiques indéniables, ce film est à la fois déraisonnable et scabreux!
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Re: Nocturama (Bertrand Bonello - 2016)

Message par G.T.O »

Demi-Lune a écrit :
poet77 a écrit :Michel Ciment, dans la revue "Positif", n'y va pas par quatre chemins et j'estime qu'il a raison. "Refusant toute contextualisation, écrit-il, pour se contenter de poser un regard et de cultiver le flou artistique, Bonello a signé un film irresponsable."
C'est une grille de lecture contaminée par l'actualité et le film n'est plus jugé pour ce qu'il est, mais pour ce qu'il devrait ou aurait dû être après les attentats de Paris.
C'est un prisme qu'on peut difficilement écarter, c'est certain, mais qui ne devrait pas interférer dans un jugement artistique.
Ce refus de la contextualisation, comme dit Ciment, je trouve que c'est précisément la force du film, et ce qui fait que le film restera dérangeant quel que soit l'époque à laquelle on le verra. Bonello touche du doigt quelque chose de très enfoui et universel, une implosion de la jeunesse à l'ère de l'hypermodernité, et ce malaise très profond n'est pas pour moi réductible à des phénomènes de compréhension du terrorisme tel qu'il a frappé la France ces derniers mois (la fameuse phrase de Valls "chercher à comprendre, c'est déjà excuser").
Totalement d'accord avec toi. Je n'ai pas vu le film de Bonello. Mais le parti-pris de ne pas assigner de cause politique ou de revendication politique à de tels actes participent grandement à une réflexion plus générale, sans doute plus puissante ou au moins aussi pertinente et profonde que celle que pourrait avoir une lecture, disons, d'actualité pour laquelle milite Ciment. Je crois que me souvenir que Bonello disait dans une note d'intention émise je ne sais où et ce, bien avant les attentats, qu'il voulait prendre le poult de la jeunesse française. Qu'il ressentait de sa part comme une envie de tout exploser, de détruire un modèle...Le terrorisme a invalidé, par sa barbarie, toute réflexion ou discours sociétal. C'est regrettable parce qu'à mon sens, le phénomène terroriste a tué dans l'oeuf toute réflexion de hauteur, notamment par l'exigence de positionnement qu'il pose. Rien ne peut être dit, ou presque, notamment sur le malaise social, sur l'absence de perspective de la société actuelle, du vide idéologique qu'il la fonde, sur le consumérisme aliénant évidé de spiritualité...Or, je pense que le terrorisme comble un vide idéologique. Dans le fond, le film de Dumont Hadwijch établissait une diagnostic comparable de la jeunesse, en mettant en scène le fantasme d'un recrutement, d'un conditionnement, d'un acte dépassant l'individualité, extrême en l'occurence, d'un attentat terroriste dans le métro. Scène effrayante d'ailleurs !
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Re: Nocturama (Bertrand Bonello - 2016)

Message par Demi-Lune »

poet77 a écrit :Pas du tout d'accord. Je pense que Michel Ciment a bien perçu et analysé le malaise que peut et même que doit susciter ce film. Peu importe qu'il ait été pensé et conçu avant les attentats de Paris. De toute façon, en l'occurrence, quel que soit le contexte, ce film est fallacieux, trompeur et dangereux puisqu'il rajoute de la crainte là où il n'y a vraiment pas besoin d'en rajouter. Il ne s'agit en somme que d'une vision d'esthète, mais d'une vision erronée et décérébrée. Comme si la jeunesse d'aujourd'hui pouvait être réduite à ce que montre le film: une bande de jeunes issus de divers milieux et dont on se demande bien comment ils peuvent se retrouver pour fomenter un projet commun, qui plus est un projet de cet ordre. Cela n'a aucun sens, c'est absurde et irresponsable de montrer ça. Hormis ses qualités esthétiques indéniables, ce film est à la fois déraisonnable et scabreux!
Il est certain que le film doit susciter du malaise. Mais le malaise exprimé par une partie de la critique par rapport à l'opacité des intentions des jeunes (ce blocage et ces accusations d'irresponsabilité, qui dépendent fondamentalement de la prise de conscience politique et civile après les attentats de Paris) me paraît occulter celui qui guide surtout le film : la place des jeunes dans la société française contemporaine. Comme tu le dis toi-même, les terroristes du film viennent tous de milieux différents. Banlieues, futur énarque, étudiants, classe moyenne... la jeunesse de la France d'en-haut et d'en-bas s'unit dans un même suicide. Car c'est un suicide. Ils ne le savent pas encore, mais toute l'ambiance du film tend vers ce funeste destin, dès le ballet fantomatique dans le métro, ou cette anecdote autour de la Symphonie funèbre de Berlioz. Le pourquoi ? Mais c'est exactement le même précipice qui réunit, déboussolés, classe politique actuelle et critiques ciné face au Bonello, à expliquer cette désaffection de la jeunesse. Ce ras-le-bol face à tout. Trouver ça absurde, c'est vraiment faire la sourde oreille à toute la montée de violence et de désespoir qui secoue la France depuis des années. Le film se fait le reflet de ça, il dit tout sans rien avoir besoin de dire. Le film peut tout à fait être critiqué pour son geste globalisant (toutes les extractions sociales s'unissent), dans sa prétention univoque et pessimiste, sinon nihiliste. Non, toute la jeunesse française n'a pas envie de tout détruire. Bien sûr. Mais critiquer une démarche décérébrée, c'est in fine minimiser l'angoisse et la colère palpables dans une grande partie de la jeunesse (travail, études, crise de confiance dans le politique, injustices sociales, discriminations, etc), qui conduit tragiquement certains vers la voie du jihad, de la radicalisation. Le film résiste à ce prisme intellectuel et le malaise n'en est que plus fort, en titillant quelque chose de beaucoup plus large (la seconde partie dans le centre commercial, cet écrasement identitaire face à la société de consommation, n'est pas là pour rien). Il n'y a rien d'irresponsable dans le geste de Bonello. Comme si Nocturama devait susciter des vocations terroristes ! C'est au contraire un film qui observe lucidement l'air du temps, et qui tend un miroir sur 40 ans d'échec politique et social (ce "modèle" français). C'est ce qui rend les "aidez-moi !" finaux du dernier survivant si viscéralement dérangeants.
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Flol
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Re: Nocturama (Bertrand Bonello - 2016)

Message par Flol »

Un échange intéressant à propos du film :
http://www.debordements.fr/spip.php?article527
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