Toni Erdmann (Maren Ade - 2016)

Rubrique consacrée au cinéma et aux films tournés à partir de 1980.

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Jeremy Fox
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Re: Toni Erdmann (Maren Ade - 2016)

Message par Jeremy Fox »

Les acteurs sont excellents, il y a de bonnes idées et certaines très amusantes, j'ai ressenti la longueur, je me suis même parfois demandé pourquoi autant étirer certaines séquences même si la description du monde du travail dans les hautes sphères est intéressante, mais j'avoue ne pas m'être ennuyé. Cependant, 160 minutes pour en arriver à un "message" "Carpe Diem" que l'on sentait venir depuis le début et aussi peu d'émotions ressenties, j'avoue dans l'ensemble être ressorti avec un sentiment sacrément mitigé dû pour beaucoup à l'accueil que j'ai trouvé disproportionné. Pas désagréable cependant ; de là à avoir envie de le revoir... je ne pense pas.

Thaddeus a écrit :D'Ozu aux Dardenne en passant par Farhadi, Moretti ou Philippe Faucon, nombreux sont les cinéastes qui parviennent à transmettre des choses infimes en passant par le non dit, sans jamais verser dans le mélo, mais avec une chaleur, une proximité, un frémissement émotif qui, personnellement, m'ont fait un peu défaut ici.
Conclusion qui me convient tout à fait.
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Colqhoun
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Re: Toni Erdmann (Maren Ade - 2016)

Message par Colqhoun »

Jeremy Fox a écrit :Cependant, 160 minutes pour en arriver à un "message" "Carpe Diem" que l'on sentait venir depuis le début
Un message Carpe Diem ?
Je crois que c'est prêter au film des intentions un peu simpliste.
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Jeremy Fox
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Re: Toni Erdmann (Maren Ade - 2016)

Message par Jeremy Fox »

Colqhoun a écrit :
Jeremy Fox a écrit :Cependant, 160 minutes pour en arriver à un "message" "Carpe Diem" que l'on sentait venir depuis le début
Un message Carpe Diem ?
Je crois que c'est prêter au film des intentions un peu simpliste.
C'est surtout moi qui ai fait des raccourcis un peu simplifiés car effectivement on trouve aussi autre chose (relations père/fille). Mais je l'ai pourtant ressenti un peu comme ça en sortant de la salle et je me suis surpris à penser "tout ça pour ça" ! "Il faut savoir vivre et apprécier le moment présent, ne pas consacrer sa vie au travail au risque de passer à côté de pleins de choses"... Je ne critique pas cette philosophie qui est aussi la mienne d'ailleurs. Juste que je trouve cette thématique ayant amenée des résultats bien plus touchants et émouvants par ailleurs (en gros la conclusion de Thaddeus) ; d'où ma relative déception.
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Colqhoun
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Re: Toni Erdmann (Maren Ade - 2016)

Message par Colqhoun »

Jeremy Fox a écrit :"Il faut savoir vivre et apprécier le moment présent, ne pas consacrer sa vie au travail au risque de passer à côté de pleins de choses"... Je ne critique pas cette philosophie qui est aussi la mienne d'ailleurs. Juste que je trouve cette thématique ayant amenée des résultats bien plus touchants et émouvants par ailleurs (en gros la conclusion de Thaddeus) ; d'où ma relative déception.
Pour moi le film ne parle même pas vraiment de cela. C'est peut-être l'une des idées qui parcourt le film, mais ça parle d'abord de choses plus douloureuses, plus contemporaines. Notamment sur les incompatibilités de générations à s'entendre, à se comprendre, où le père représente une sorte d'ancien soixante huitard qui se retrouve soudainement confronté à sa fille, une figure du capitalisme féroce du 21e siècle. Et cette confrontation est appuyée par le déplacement de l'action en Roumanie, où là aussi la réalisatrice amène à l'image, à plusieurs reprises, cette fracture entre des générations qui vivent ensemble mais qui n'ont aucun repère commun. Je trouve que le film propose d'abord le constat d'une communication perdue entre les générations et le déséquilibre global que cela génère, plutôt qu'une thématique proactive qui voudrait encourager le spectateur à certaines choses.
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Jeremy Fox
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Re: Toni Erdmann (Maren Ade - 2016)

Message par Jeremy Fox »

Tu n'as pas tort. C'est le fait que le film se termine sur une scène de dialogue que j'avais pressenti dès le début qui m'a fait simplifier la thématique du film. Quoiqu'il en soit, sur l'incommunicabilité entre générations et autres thèmes qui peuvent aboutir à des films bouleversants, je n'ai pas été touché plus que ça.
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Colqhoun
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Re: Toni Erdmann (Maren Ade - 2016)

Message par Colqhoun »

Je n'ai pas été particulièrement bouleversé non plus, mais je ne peux m'empêcher de trouver le film très pertinent dans son écriture et dans sa description des rapports entre le père et sa fille. Je crois avoir été d'abord convaincu par ce travail d'observation et cette manière qu'à la réalisatrice à utiliser les non-dits, les situations de malaise et à faire des dialogues des espaces de communication où finalement rien ne se dit. Après, je crois être assez client de cette retenue germanique qui n'est pas sans rappeler un certain état d'esprit suisse (de manière peut-être un moins brusque cela dit) et qui ne cherche pas à tout prix le flot d'émotions qui viserait à bouleverser le spectateur.
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Thaddeus
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Re: Toni Erdmann (Maren Ade - 2016)

Message par Thaddeus »

Il laissera de marbre la plupart des gens, mais j'avais envie de rapporter cet extrait de la critique de Delorme, tiré du dernier numéro des Cahiers du Cinéma :

"Il faut remonter à Holy Motors pour retrouver le sentiment d'avoir vu un film aussi immense."

Voilà voilà.
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Re: Toni Erdmann (Maren Ade - 2016)

Message par AtCloseRange »

Thaddeus a écrit :Il laissera de marbre la plupart des gens, mais j'avais envie de rapporter cet extrait de la critique de Delorme, tiré du dernier numéro des Cahiers du Cinéma :

"Il faut remonter à Holy Motors pour retrouver le sentiment d'avoir vu un film aussi immense."

Voilà voilà.
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Thaddeus
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Re: Toni Erdmann (Maren Ade - 2016)

Message par Thaddeus »

Mais non, pourquoi ? A chacun de peser cette affirmation, qui peut faire autant saliver que refroidir les ardeurs. Et même s'ils sont sans doute minoritaires sur ce forum, les admirateurs du film de Carax ne manquent pas (cf la liste de BBC postée il y a quelques jours).

Je t'en foutrai, du troll...
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Alexandre Angel
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Re: Toni Erdmann (Maren Ade - 2016)

Message par Alexandre Angel »

Thaddeus a écrit :A chacun de peser cette affirmation, qui peut faire autant saliver que refroidir les ardeurs
En l'occurrence, je suis refroidi (je ne l'ai toujours pas vu :oops: ) et je précise que je partage, à la louche, à 75 %, les avis des Cahiers sur leurs grands films. Dans les 25 % restants, il y a L'Inconnu du lac, par exemple, ou bien Holy Motors, justement. De ce que j'en ressens en vous lisant les uns les autres, je crains que Toni Erdmann, fasse partie de cette part de camembert.
Je vais essayer de faire en sorte de pas mourir idiot.
Comme "le Temps de l'innonce" et "A tombeau ouvert", "Killers of the Flower Moon" , très identifiable martinien, est un film divisiblement indélébile et insoluble, une roulade avant au niveau du sol, une romance dramatique éternuante et hilarante.

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Re: Toni Erdmann (Maren Ade - 2016)

Message par Jack Griffin »

Cela dit il n'y a aucun rapport entre Toni Erdmann et le film de Carax.
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Jeremy Fox
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Re: Toni Erdmann (Maren Ade - 2016)

Message par Jeremy Fox »

Jack Griffin a écrit :Cela dit il n'y a aucun rapport entre Toni Erdmann et le film de Carax.
C'est clair. Alexandre, même si j'ai été déçu, tu ne devrais pas t'en arrêter à ça.
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Alexandre Angel
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Re: Toni Erdmann (Maren Ade - 2016)

Message par Alexandre Angel »

Jeremy Fox a écrit :C'est clair. Alexandre, même si j'ai été déçu, tu ne devrais pas t'en arrêter à ça.
Je ne m'en arrêterai pas là :wink: mais il me faut me magner car, sur Belfort, c'est un miracle qu'il soit encore à l'affiche : il a du avoir son public.
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Alexandre Angel
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Re: Toni Erdmann (Maren Ade - 2016)

Message par Alexandre Angel »

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Jack Griffin a écrit :Cela dit il n'y a aucun rapport entre Toni Erdmann et le film de Carax.
Certes, c'est le moins que je puisse dire. Je peine à trouver les mots pour décrire l'absolu enthousiasme qui m'a étreint pendant les 2h42 incroyablement légères de Toni Erdmann, indiscutable et génial film de l'année pour moi. Evoquer sa chaleur humaine, sa vision politique et sa poésie frontale n'y suffiraient pas. Toni Erdmann est un film d'une délicatesse et d'une finesse absolument sidérants, tenu par une intelligence aussi formelle que scénaristique que l'on ne peut que devoir à une sensibilité vibrante de féminité. Car au conditionnement cinéphilique qui consiste à essayer de trouver ce à quoi ce qui est projeté sur l'écran peut bien nous faire penser, et après avoir un chouia peiné à repérer toute correspondance, j'ai finalement opté pour une cinéaste qui ne m'obsède pourtant pas spécialement mais au souvenir de laquelle la netteté diaphane des images de Maren Ade m'a ramené, à savoir Pascale Ferran, celle de Lady Chatterley et Bird People. Aucun autre rapport, évidemment, qu'un vague sentiment de communauté esthète. Puis, autre chose m'est venu en tête.. Cette façon de voler du temps au temps, de traquer la vérité des êtres, de faire survenir avec patience des dérèglements aussi incongrus qu'écorchés-vifs, ne nous ramène-t-elle pas à l'art de John Cassavetes, et tout spécialement à son Love Streams ? Je n'assènerais jamais de telles références. Je me contente de les suggérer car Toni Erdmann, à part cela, ne doit pas grand-chose à qui que ce soit. Il existe une expression consacrée qui veut que, devant tel ou tel film, on se demande ce qu'il aurait pu être si il avait été meilleur. Devant Toni Erdmann, c'est le contraire, on pourrait imaginer à quoi il aurait ressemblé si il avait été moins bien : un film sympathique presqu'à coup sûr, attachant mais un peu programmatique, prévisible, tout ce qu'il n'est pas. Ici, aucun schématisme, aucune caricature ne viennent nous escroquer. Les séquences de tractations commerciales, de négociations de prolongation de contrats paraissent crédibles, documentées. Aux hôtels de luxe internationaux où transitent femmes et hommes d'affaire virtuoses de l'externalisation s'opposent, non pas des visions de SDF qui auraient rendu le film dirigiste et moralisateur mais de petites touches discrètes de présence miséreuse, génialement extraites d'un étonnant (et respecté) contexte roumain ( les Gitans, lie de la société roumaine, que Sandra Hüller voit depuis sa fenêtre). Ni confortable, ni accablant, d'une drôlerie fantasque et parfois féroce (la séquence du petit four :shock: ), Toni Erdmann revêt d'autant plus les atours de la fable que Maren Ade tire de la réalité roumaine un imaginaire carpatique d'une poésie mystérieuse et indicible (les festivités de la Pâque orthodoxe, le monstrueux dentier de Peter Simonischek, la créature fabuleuse bulgare), antidote humaniste à l'horreur de la mondialisation. Thème pas vraiment nouveau mais décliné ici avec un respect pour le spectateur qui laisse pantois de reconnaissance.
Le cinéma allemand contemporain a enfin trouvé son chef d'œuvre.
Comme "le Temps de l'innonce" et "A tombeau ouvert", "Killers of the Flower Moon" , très identifiable martinien, est un film divisiblement indélébile et insoluble, une roulade avant au niveau du sol, une romance dramatique éternuante et hilarante.

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Strum
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Re: Toni Erdmann (Maren Ade - 2016)

Message par Strum »

Quelques spoilers sur la fin du film. Je me situe à mi-chemin des enthousiastes et des décus. Si le film n'a (sans surprise) rien à voir avec la rumeur euphorique provenant du cirque cannois, j'ai aimé la précision (c'est un film bien écrit) et l'empathie avec lesquelles Maren Ade décrit ce père et sa fille et le conflit de générations qui les oppose (le soixantuitard face à sa fille adhérant aux codes culturels de la mondialisation économique, chacun déçu par l'autre). Plus qu'une satire du capitalisme moderne (que Maren Ade décrit parfois en forçant le trait, mais le plus souvent avec finesse, loin des formulations excessives types "l'horreur économique"), c'est d'abord le portrait d'une femme triste, solitaire et incapable d'exprimer ses émotions, qui ne vit que par et pour son travail, et à qui son père tente de redonner le goût de "la vie" (père et fille en ont une définition différente, c'est là que le bât blesse), des autres et du jeu en s'inventant un alter ego farfelu et farceur se moquant du monde professionnel dans lequel elle baigne. Tentative qu'accompagnent d'amusants quiproquos mais qui ne débouche que sur un burn-out et une mise à nu toute relative (car temporaire) sous la forme d'un retour du refoulé d'Ines (la naked party, qui fait rire, mais c'est le rire du pathétique), et qui fondamentalement ne changera rien à la vie de la jeune fille (seule conséquence : elle change de cabinet de conseil en stratégie ; pire : elle part loin de son père malgré l'armistice figuré par le dentier qu'elle fait sien quelques minutes, non moins solitaire, fuyant à nouveau, comme pendant tout le film, la vie généreuse et poétique telle que la voit son père ; le fossé entre les générations reste béant). Cette fin réaliste qui entérine ce constat d'échec achève de doucher toute impression d'euphorie (la métaphore de la râpe à fromage l'atteste : Toni ne peut que saupoudrer la vie d'Ines de quelques grammes de légèreté, non la transcender malgré le "kukeri" final). Les acteurs sont remarquables et leur prestation est bien mise en avant par une mise en scène d'une relative pauvreté visuelle dans la composition des plans et la qualité de l'image mais attentive au jeu des acteurs par la durée des plans.
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