American Sniper (Clint Eastwood - 2014)

Rubrique consacrée au cinéma et aux films tournés à partir de 1980.

Modérateurs : cinephage, Karras, Rockatansky

Starfox
Stagiaire
Messages : 11
Inscription : 18 févr. 15, 14:18

American Sniper (Clint Eastwood - 2014)

Message par Starfox »

Mon petit avis à chaud...

Portrait assez classique de l'américain moyen qui se sent l'âme d'aller défendre la mère-patrie en Irak parce qu'il a vu - entre autres - les tours jumelles s'écrouler.

Au final, on ne sait pas très bien où tout ça veut venir. Qui est Chris Kyle ? Un authentique héros ? Aux Etats-Unis, apparemment oui. Une bouseux du Texas qui veut dégommer les sales terroristes irakiens (les arabes quoi) ? On a du mal à savoir. En même temps, vu le statut du bonhomme dans son pays, difficile d'imaginer un portrait à charge. Donc tout ça est assez binaire et on en ressort avec la désagréable impression d'avoir été un poil manipulé. C'est le western de base quoi. Les cowboys d'un côté, les indiens de l'autre.

On sait très bien ce que fut la guerre menée par les Etats-Unis en Irak et perso j'aurais aimé un regard un peu plus critique sur ce désastre sans fond dont on mesure encore les effets aujourd'hui. Or on nous sert juste le portrait d'un mec doué pour le tir, qui devient une légende au sein de l'armée et dont on se fout royalement en fait. D'où la pertinence de faire un film sur la vie de ce personnage dont on a du mal à savoir - à travers ce film, pas lu le bouquin - ce qu'il représente vraiment.

Quelques scènes fortes tout de même, que laisse entrevoir la bande-annonce. Et sans trop dévoiler, une scène de guerre assez extraordinaire.

Au final, un hommage qui laisse un goût plutôt amer.
Avatar de l’utilisateur
odelay
David O. Selznick
Messages : 13148
Inscription : 19 avr. 03, 09:21
Localisation : A Fraggle Rock

Re: American Sniper (Clint Eastwood - 2015)

Message par odelay »

C'est vrai que ça faisait longtemps qu'on n'avait pas vu un film aussi patriotique. Clint essaye de mettre de l'empathie dans le personnage, ça doit beaucoup fonctionner aux USA, ici un peu moins. Pas le genre de mec avec qui on a envie d'aller passer un week end même s'il n'est pas du tout dépeint comme un salaud ou une ordure (ce qu'il n'est pas d'ailleurs à la base, c'est juste un état d'esprit très texan qu'Eastwood retranscrit très bien sans beaucoup de recul cependant). Je suis d'accord pour dire que tout ce qui se passe sur le terrain est impressionnant, la mise en scène est claire, très efficace, haletante, on a l'impression d'être dedans et on voit tout ce qu'a pu apporter ce mec dans les diverses opérations, avec bien sûr les dilemmes auxquels il a été confrontés. Après, à chaque fois qu'il retourne chez lui (il n'arrête pas de faire des allers retours), Eastwood insiste un peu trop lourdement sur les traumatismes subis qui apparaissent de plus en plus. Normal et logique qu'il en parle, mais la façon de le faire n'est pas des plus légères. En résumé, on nous raconte une vie avec des faits mais il n'y a pas de réelle réflexion sur le conflit ou la présence US là bas.

Sinon Cooper est très bon et son changement physique en boeuf sous hormones est plus qu'impressionnant. Ils sont un peu chtarbes ces acteurs US de jouer avec leur santé comme ça! Qu'est ce qu'il ne faudrait pas faire pour un Oscar... :roll: (mais bon, si il l'a, ce ne sera pas volé).

Un film durant lequel on ne s'ennuie pas, qui reste dans les mémoires car il semble très bien retranscrire l'enfer que c'était là-bas, mais qui peut aussi sembler too much pour des non Américains dans sa célébration d'un esprit très sudiste sans qu'il y ait beaucoup de recul. 4/6
wontolla
mon curé chez les forumistes
Messages : 6941
Inscription : 14 mars 10, 14:28
Liste DVD
Localisation : Bruxelles
Contact :

Re: American Sniper (Clint Eastwood - 2015)

Message par wontolla »

Puisque l'on a créé un topic, je recopie ici une bonne partie de ma chronique.

American Sniper est l’adaptation pour le cinéma d'une partie de la vie du sniper américain Chris Kyle, décédé le 2 février 2013. Probablement peu ou mal connu de ce côté de l’Atlantique, il est aux USA (au moins chez les Républicains) une gloire nationale, à preuve les vraies photos de ses funérailles à la fin du film. On pouvait craindre le pire : un film à la gloire d’un homme de guerre qui se concentrerait uniquement sur des faits de guerre et nous montrerait 160 tirs de précision du début à la fin du film.

Or il n’en est rien. Le film se déroule entre deux épisodes de chasse, non pas à l’homme mais au gibier. Le jeune Chris Kyle avec son père ; Chris Kyle, lui-même, après son retour d’Irak, avec son fils. Le flambeau ou plutôt le fusil passant du père au fils, de génération en génération. En quelque sorte, la malédiction du fusil. Et cela, avec un arrière-plan religieux : en somme, Une Bible et un fusil [(pour reprendre la traduction française de Rooster Cogburn (Stuart Millar, 1975)]. Bible et fusil, les deux biberons des petits américains, comme on le découvre avec les cadeaux d’anniversaire de Mason, interprété par Ellar Coltrane dans Boyhood.

Le film nous montre également l’entrainement physique très important et quasi déshumanisant des membres de la Navy qui se destinent à faire partie des SEALs. Je n’ai pu m’empêcher, dans un tout autre domaine, à penser à un autre entraînement celui de Whiplash. Dans l’un et l’autre cas, la difficulté, la douleur et l’humiliation mènent à accroître sa performance au préjudice de son affectivité, voire de son identité.

Outre une assez proche ressemblance physique, Bradley Cooper (qui aurait suivi un entraînement physique intensif - y compris avec des membres de SEALs de la Navy - pendant plusieurs semaines pour prendre une vingtaine de kilos avec un régime « paléolithique ») donne corps à cet homme qui va s’engager dans un corps d’élite pour défendre à tout prix son pays et ses valeurs. Le film nous permet de découvrir l’homme côté pile et côté face : à la guerre comme sniper d’exception (il couvre les autres soldats pendant leurs opérations) mais aussi chez lui, avec sa (future) femme, ses enfants. L’une et l’autre faces s’influençant mutuellement jusqu’à entraîner doutes et difficultés.

C’est d’ailleurs ce que j’ai apprécié dans ce film qui n’est pas (totalement) à la gloire des USA ni de ce sniper d’élite. Bien au contraire nous découvrons peu à peu comment son action sur le terrain handicape sa vie personnelle et familiale mais aussi comment celle-ci risque de troubler ses choix difficiles (peut-il tuer femme et/ou enfant, lui qui est époux et père ?) quand il doit agir dans l’urgence et l’immédiateté. C’est donc un homme à la fois fragile et déterminé [notamment dans sa quête du « boucher » Mustafa (très bien interprété par l’acteur égyptien, Sammy Sheik, né à Alexandrie)] que nous découvrons grâce à Bradley Cooper. Si certains éléments ne sont pas toujours bien développés ou exploités, ainsi la relation de Chris avec son frère Jeff (Keir O’Donnell), le réalisateur arrive cependant à un soupçon de critique lorsque l’on lit la lettre d’un compagnon d’arme lors de ses funérailles où - avant sa mort - il fait part de ses doutes face à la justesse de la cause qu’il était censé défendre.

Enfin, sans être un film à la gloire des USA, il va de soi que le parti-prix est de ce côté là. On rêverait d’un film qui montrerait l’autre côté, une autre version, un peu comme le diptyque Lettres d’Iwo Jima/Mémoires de nos pères... mais ce serait aujourd’hui probablement très politiquement incorrect !

Voici donc un film qui m’a beaucoup touché, malgré quelques faiblesses et qui témoignent probablement de façon inconsciente des doutes et incertitudes d’un grand réalisateur, par rapport à ses idéaux américains, mais aussi la fragilité de l’existence humaine, sa propre fragilité... mais là, je m’engage peut-être trop loin, en faisant un miroir de mes propres fragilités !
Avatar de l’utilisateur
Flol
smells like pee spirit
Messages : 54841
Inscription : 14 avr. 03, 11:21
Contact :

Re: American Sniper (Clint Eastwood - 2015)

Message par Flol »

odelay a écrit :Pas le genre de mec avec qui on a envie d'aller passer un week end même s'il n'est pas du tout dépeint comme un salaud ou une ordure (ce qu'il n'est pas d'ailleurs à la base, c'est juste un état d'esprit très texan qu'Eastwood retranscrit très bien sans beaucoup de recul cependant).
Il avait quand même pas l'air hyper sympa non plus :
http://www.lefigaro.fr/culture/2015/02/ ... ancais.php
Avatar de l’utilisateur
odelay
David O. Selznick
Messages : 13148
Inscription : 19 avr. 03, 09:21
Localisation : A Fraggle Rock

Re: American Sniper (Clint Eastwood - 2015)

Message par odelay »

Bon ben c'est sûr que là... enfin je parlais plus de Kyle made in Eastwood/Cooper.
Avatar de l’utilisateur
Watkinssien
Etanche
Messages : 17125
Inscription : 6 mai 06, 12:53
Localisation : Xanadu

Re: American Sniper (Clint Eastwood - 2015)

Message par Watkinssien »

Le film est clairement une oeuvre curieuse. Lorsqu'Eastwood filme la vie privée de ce sniper, on est légèrement ennuyé par des séquences peu inventives, déjà-vu et assez impersonnelles au final, alors que le cinéaste sait très bien filmer l'intimité de ses personnages, à son habitude.

En revanche, les moments guerriers sont terrassants d'efficacité, de tension ou de froideur. C'est plus cela que j'ai retenu, du cinéma à la mise en scène classique mais frontale, intense et réfléchie dans ses moments clinique d'un homme aux dons de tirs sur-développés.
Image

Mother, I miss you :(
Avatar de l’utilisateur
Thaddeus
Ewok on the wild side
Messages : 6181
Inscription : 16 févr. 07, 22:49
Localisation : 1612 Havenhurst

Re: American Sniper (Clint Eastwood - 2015)

Message par Thaddeus »

Ratatouille a écrit :American Sniper : 5.5/10
Du point de vue de la mise en scène, c'est très fort. Par contre, du point de vue de la morale, c'est plus douteux.
Ce générique de fin, t'avais pas le droit Clint. Vraiment pas le droit (et je sais qu'il me lit).
Gounou a écrit :Du coup, si c'est si fort niveau mise en scène, j'ai du mal à comprendre la note tiède. Ça doit pas être si fort pour que la question morale te taraude à ce point (remember ce que tu disais dans le topic Whiplash :wink: )
Ratatouille a écrit :Mais c'est ça qui est compliqué, avec ce film. Ça se suit très bien, les scènes de fusillade sont hyper bien foutus. Mais y a quand même un vieux goût de rance derrière tout ça, que même un mec comme moi chez qui d'habitude ça n'a pas trop d'influence, est obligé de remarquer. Cette toute dernière séquence, elle n'est même plus ambigüe du tout : elle balaie le moindre doute que pouvait laisser planer le film, sur ce que pense Eastwood de son "héros".
Gounou a écrit :Je serai fixé (ou pas, du coup) dans quelques heures. Mais j'avoue que la dissonance générale sur le fond comme sur la forme a un peu excité mon attente.
Je sens que je vais être un peu seul contre tous sur ce coup mais, bien que je sois loin d'être totalement convaincu par le film, il me semble que cette fin qui fait tant tiquer Ratatouille est un peu plus équivoque que ça. Je conçois parfaitement qu'on n'y lise qu'une exaltation outrancièrement patriotique du héros américain mort pour son pays mais il me semble qu'elle ne fait que pousser jusqu'au bout la logique idéologique inculquée au héros depuis son plus jeune âge, et que lui-même lègue à son fils durant les scènes qui précèdent. Je me trompe peut-être complètement mais j'ai l'impression qu'Eastwood pousse ici assez loin une ambiguïté de propos qui est peut-être la meilleure qualité du film.

EDIT :
D'ailleurs, sans partager - je le répète - son enthousiasme, la critique de Momcilovic me semble formuler deux-trois choses pas totalement fausses.
semmelweis
Accessoiriste
Messages : 1688
Inscription : 10 févr. 09, 21:30
Localisation : Bordeaux
Contact :

Re: American Sniper (Clint Eastwood - 2015)

Message par semmelweis »

American Sniper,Clint Eastwood(2015)

Genre: derrière la légende, la légende…

Véritable triomphe au box office américain (le plus grand de la longue carrière de Clint Eastwood), American Sniper débarque en France qui reste le pays qui a reconnu le plus précocement le cinéaste mais aussi mettant le mieux en relief l’ambiguité de l’oeuvre d’un des derniers grands de l’ ancien Hollywood. Le réalisateur est pour la critique française le républicain que l’on adore acclamer…

Le dernier opus (qui tourne à une vitesse effrénée pour le mieux et le pire depuis Gran Torino) était drapé d’une aura de patriotisme, de bellicisme faisant de Chris Kyle un héros américain prônant la guerre en Irak. Le film s’attache donc aux mémoires de Chris Kyle (un membre des SEALs) considéré comme un des snipers les plus « efficaces » de l’histoire militaire des Etats Unis avec près de 160 morts à son actif en Irak. Devant ce sujet passé entre plusieurs mains (dont celles de Spielberg), on s’attendait à un nouveau Lettres d’Iowa Jama mais le vieux Clint livre une copie à la fois ambigue et déstabilisante. Pour incarner le « héros » de la nation,Bradley Cooper s’y colle en prenant du poids et du muscle , Sienna Miller incarne sa femme restée à l’arrière. On ne peut douter de l’implication totale du comédien qui porte le film depuis nombreuses années, se transformant littéralement en bovin boosté aux hormones. Si on a souvent douté de ses capacités de comédien, Cooper joue avec une économie de moyens et une subtilité de caractère qui méritent l’Oscar.
Exprimer la sensation que laisse la dernière oeuvre du cinéaste est qu’elle est à la fois ambiguë, qu’elle porte une nation mais aussi ses profonds paradoxes. L’angle d’attaque suivi n’est pas de construire un pamphlet anti-guerre assez bien-pensant mais bien de ne pas juger son personnage principal et de poser le terrain de la guerre comme un lieu de toutes les atrocités et dangers pour tous.

La direction d’acteurs participe à cette volonté avec un jeu très intériorisé de Cooper où Kyle est laissé à son discours rodé de protecteur des siens mais aussi refusant son statut de légende. En effet, surnommé « The Legend », terme revenant comme un leitmotiv dans la bouche de l’entourage, le sniper semble refuser ce statut. Avec sa casquette visée sur le front (cachant le regard exprimant l’émotion), Chris semble mal à l’aise quand un des siens veut lui témoigner sa gratitude. Il ne sait pas comment répondre. Car peu lui importe cette gratitude…Il sauve des Américains et non des individus qui personnalisent cette nation. Il répond à un idéal et non à des représentants de chair et de sang.

Car en synthétiseur, Clint Eastwood livre le coeur de son film dès l’introduction avec un montage alterné entre un tir sur un enfant par Kyle et sa première chasse avec son père. Epousant le point de vue du redneck de base, Chris se voit comme un chien de berger entre les brebis et les loups. On peut reprocher au film de porter cette vision mais elle n’est que la manifestation d’un certain esprit texan que Clint interroge et restitue sans effet de manche.
En effet, autour du héros, beaucoup doutent de cette guerre et expriment les traumatismes qu’elles laissent à ses soldats. Face à un frère en pleine angoisse, Kyle finit par répéter les mêmes psaumes en boucle à tous.
Pour accepter le film, il faut donc entrer dans la subjectivité du récit guerrier, car avec son American Sniper, Kyle avait construit sa Guerre des Gaules, non pas en un César victorieux mais ayant accompli sa mission.

Cependant, la réalité du terrain est décrit de façon crue par le cinéaste. Au coeur de dédales de rues, de toits sans fin, l’enfer surplombant d’un soleil incandescent touche tout le monde aussi bien les occidentaux que les Irakiens. La mise en scène des scènes de guerre est à la fois immersive, parfaitement lisible avec un sens du montage hallucinant. Elles sont la « vraie vie » de Kyle qui accomplit dans ses moments à la fois son devoir mais aussi sa raison d’exister. La séquence de tempête de sable vaut à elle seule tout le film Démineurs de Kathryn Bigelow. Choisissant la force du montage sonore et visuel, le réalisateur construit des images qui peuvent paraître classiques mais totalement construites par la subjectivité de Kyle bien loin d’une caméra à l’épaule créant un faux rythme d’action. Car le rôle d’un sniper est bien d’observer, d’attendre le bon moment, de se fondre dans le décor et surtout de l’appréhender…On est plus proche de la virtuosité d’un Black Hawk Down de Ridley Scott.

Cette réalisation au cordeau se fait de plus en plus acérée au fur et à mesure des aller-retours entre le foyer familial et le terrain conduisant à un retour définitif de Kyle chez lui. Car même si le « héros » semble plus proche du drone, de la machine à tuer, Chris n’est pas irresponsable devant ces actes comme le confirme la scène du jeune irakien ramassant un explosif. Le soldat prie pour qu’il la jette pour ne pas avoir à lui porter le coup fatal. De la même façon, « The Legend » est lui aussi marqué par les horreurs, le bruit et la fureur de Bagdad qu’il croit desceller devant un poste de télévision.

Dans une logique implacable, les séquences de vie familiale paraissent profondément banales presque programmatiques mais elles ne sont que le reflet de l’impossibilité du soldat à rentrer chez lui. L’existence de Kyle au sens propre comme au figuré se joue sur le terrain et pas dans la fête d’ anniversaire de sa progéniture. De la même façon, le sniper n’est jamais aussi enclin à exprimer son amour pour sa femme qu’à des milliers de kilomètres par téléphone cellulaire interposé. Il veut toujours sauver les siens mais il ne peut avant tout se passer de la guerre et de tuer. Par touches sans manichéisme, le cinéaste fait de son « modèle » une machine à tuer terrifiante dont le tir est un moyen et une fin en soi.

Avec American Sniper, Clint Eastwood construit et livre aussi un regard sur sa propre figure légendaire. N’en déplaise à beaucoup, l’oeuvre du républicain est aussi une manière de bâtir sa postérité et une vision de soi. Ce dernier opus est parfaitement la synthèse de toute la filmographie d’un des derniers grands d’Hollywood. Il crée un authentique western dans le duel entre Kyle et Mustafa , tous aussi taiseux les uns que les autres. Il questionne la représentation des armes dont on taxait de fasciste dans Dirty Harry à travers la figure de sniper planquée sur son toit. American Sniper contient toute l’ambiguité du travail du cinéaste remettant en cause ses propres principes, les tordant dans l’intérieur de sa machine de guerre.

Mais s’il ne fallait retenir qu’une grande question qui parcourt le film, c’est bien celle de la légende. La réponse semble être celle de John Ford dans l’Homme qui tua Liberty Valance… La postérité préfère toujours la légende car le fait historique est raconté par le point de vue des nations, des communautés, de la collectivité et n’est jamais objectif. La grand Histoire est la rumeur des âges passés. Ainsi, Eastwood applique cela à la fois à sa nation mais aussi à lui-même. Lui, le Dirty Harry vu comme un fou des armes, un extrémiste de droite devenu une légende du cinéma américain qu’il a contribué à construire comme Kyle sans doute aux funérailles prestigieuses comme son comparse filmique. Clint bouscule sa propre vision fantasmée de lui-même ne souhaitant pas finalement les mêmes honneurs que « The Legend ».

A travers ses soldats qui doutent de leur mission, le cinéaste se met à nu, creusant son propre patriotisme, le remettant en question. Eastwood ne semble plus se reconnaître dans les valeurs prônées par son pays et la place de celui-ci dans le monde. Les Etats Unis qu’il porte en lui sont-ils ceux de la guerre en Irak, celle d’un texan bas du front ? Le choix délibéré de laisser la mort de Kyle en hors champ est avant tout l’accomplissement de sa subjectivité. Mais elle permet de laisser le réel s’engouffrer dans ce récit guerrier. Devant les images documentaires, un goût amer semble pointer où l’Amérique porte aux nues ses propres victimes d’une guerre inutile et de son logiciel pourri par une géopolitique qui la dépasse.

Il fut un temps où the Deer Hunter de Cimino à sa sortie fut traité de tous les noms avant d’être considéré comme un des plus grands films sur la guerre du Vietnam mais aussi la nation américaine, The American Sniper partage cette volonté d’englober sa patrie et est de la même trempe.
Difficile avec nos yeux de « vieille Europe » de soutenir un film profondément américain, issu d’une autre Histoire que la nôtre, de traumatismes différents. A la fois portrait intime d’un cinéaste à la fin de sa carrière et de sa vie, vision entière et ambiguë des Etats Unis, American Sniper constitue à la fois une pierre angulaire de l’oeuvre d’Eastwood mais aussi la fin d’une certaine Amérique…

http://semmelweis.eklablog.com/american ... a114794260
Gounou
au poil !
Messages : 9768
Inscription : 20 juil. 05, 17:34
Localisation : Lynchland

Re: American Sniper (Clint Eastwood - 2015)

Message par Gounou »

semmelweis a écrit :the Deer Hunter de Cimino à sa sortie fut traité de tous les noms avant d’être considéré comme un des plus grands films sur la guerre du Vietnam mais aussi la nation américaine
Je profite de cette allusion pour relever une courte scène qui a réussi à me nouer la gorge tout en invoquant une image forte du chef-d'oeuvre de Cimino :
Spoiler (cliquez pour afficher)
Kyle seul au comptoir d'un bar, recevant un coup de téléphone de sa femme perplexe de l'entendre avouer qu'il est déjà de retour au pays. Puis lui s'effondrant, incapable de mettre des mots sur cette attitude.
Image
Edouard
Accessoiriste
Messages : 1717
Inscription : 24 oct. 14, 09:28

Re: American Sniper (Clint Eastwood - 2015)

Message par Edouard »

American Sniper: 17,5/20

La réalisation d'Eastwood est excellente mais paradoxale. Par moment, on sent que l'on regarde un film d'Eastwood et parfois on ne reconnaît pas sa patte. C'est son film le plus moderne mais d'un grand classicisme: Clint ne cède pas à la mode du shaky cam ce qui offre des scènes d'actions très lisibles sans nuire à leur intensité, bien au contraire, et ce grâce aussi à un montage au cordeau et sec. Les scènes intimes, véritables réussites des précédents métrages d'Eastwood, sont relativement décevantes ici: elles souffrent de la comparaison avec les scènes en Irak. En ce qui concerne ces dernières, compte tenu du travail effectué sur le son, il est préférable de visionner le film en dolby atmos.

Le deuxième point fort: Bradley Cooper qui porte littéralement le film sur ses épaules. Son interprétation frise le génie. Il faut aussi souligner la prestation de Sienna Miller qui réussit à faire exister son personnage à côté de celui de Chris Kyle qui, logiquement, vampirise tout le film.

Enfin, il est intéressant de noter que nous sommes face à un film de propagande, fait rare de nos jours. Cette propagande est volontaire compte tenu du générique de fin. Mais elle peut aussi s'expliquer par le fait que le film soit clairement axé sur la psychologie de Chris Kyle qu'elle décrit d'ailleurs avec brio, notamment en décrivant ses motivations à son engagement. Ce navy seals ayant une vision assez manichéenne de la guerre, il est normal que le film adoptant son point de vue le soit aussi.

En résumé, un très bon film de guerre comportant quelques petites longueurs.
Image
Avatar de l’utilisateur
Commissaire Juve
Charles Foster Kane
Messages : 24564
Inscription : 13 avr. 03, 13:27
Localisation : Aux trousses de Fantômas !
Contact :

Re: American Sniper (Clint Eastwood - 2015)

Message par Commissaire Juve »

wontolla a écrit :... On rêverait d’un film qui montrerait l’autre côté, une autre version, un peu comme le diptyque Lettres d’Iwo Jima/Mémoires de nos pères... mais ce serait aujourd’hui probablement très politiquement incorrect !
J'ai essayé d'imaginer ça... mm... plutôt qu'un rêve, je crois que je verrais ça comme un "put*** de cauchemar" (à lire avec la voix d'Alain Dorval).
La vie de l'Homme oscille comme un pendule entre la douleur et l'ennui...
Avatar de l’utilisateur
Jeremy Fox
Shérif adjoint
Messages : 99641
Inscription : 12 avr. 03, 22:22
Localisation : Contrebandier à Moonfleet

Re: American Sniper (Clint Eastwood - 2015)

Message par Jeremy Fox »

A 80 ans Eastwood est toujours aussi en forme et son film est d'une belle efficacité surtout durant les scènes de guerre. Mais au final, j'ai néanmoins trouvé l'ensemble assez banal et le personnage principal pas franchement intéressant ; à partir de là, il est difficile d'être complètement pris dans le film. Et puis cette construction Irak/USA m'a assez vite semblé systématique même si je suis pleinement conscient que c'est pour suivre les évènements chronologiques. Sinon Bradley Cooper accomplit une bonne performance mais c'est surtout Sienna Miller qui a retenu mon attention. Un bon film, très efficacement réalisé mais je lui préfère par exemple nettement Démineurs concernant ce conflit même si je sais que les intentions des réalisateurs n'étaient pas les mêmes. Seulement (et selon moi) nous avons d'un côté un film d'une puissance d'immersion phénoménale (le Bigelow), de l'autre seulement un honnête film de guerre. Ce n'est déjà pas mal mais j'en attendais beaucoup plus.
Magnus
Stagiaire
Messages : 6
Inscription : 31 août 13, 03:35

Re: American Sniper (Clint Eastwood - 2015)

Message par Magnus »

Contrairement à toi, je pense que le Bigelow est bien plus banal que American Sniper. C'est surtout un film d'action pas trop mal foutu mais avec certaines lourdeurs ( la scène de la douche, mon Dieu...) et sans ambiguïté. American Sniper n'est pas réellement un film d'action, c'est surtout un film qui tente de questionner l'Amérique à travers ses mythes. Après, on peut penser que c'est raté.
Avatar de l’utilisateur
Watkinssien
Etanche
Messages : 17125
Inscription : 6 mai 06, 12:53
Localisation : Xanadu

Re: American Sniper (Clint Eastwood - 2015)

Message par Watkinssien »

Magnus a écrit :Contrairement à toi, je pense que le Bigelow est bien plus banal que American Sniper. C'est surtout un film d'action pas trop mal foutu mais avec certaines lourdeurs ( la scène de la douche, mon Dieu...) et sans ambiguïté. American Sniper n'est pas réellement un film d'action, c'est surtout un film qui tente de questionner l'Amérique à travers ses mythes. Après, on peut penser que c'est raté.
Démineurs un film d'action?... :|
Image

Mother, I miss you :(
Magnus
Stagiaire
Messages : 6
Inscription : 31 août 13, 03:35

Re: American Sniper (Clint Eastwood - 2015)

Message par Magnus »

Pour moi, la réalisatrice joue surtout sur ces celles-là. Parce que si on parle de l'aspect "traumatique" du film, c'est aussi intéressant que de regarder ma machine à laver tourner.
Cependant, je l'ai vu à sa sortie donc j'ai peut-être oublié certaines séquences du film.
Répondre