Sandrine Kiberlain a 45 ans cette année. Elle nous accompagne dans le paysage cinématographique français depuis maintenant une vingtaine d’années, bien présente et pourtant un peu en retrait. Dans sa filmographie, on trouve de nombreux bons films mais pas d’œuvre majeure. Actrice avant tout, au sens professionnel du terme, elle choisit ses rôles pour la matière qu’ils donnent à travailler, pas pour le film lui-même ni pour l’importance du rôle. Son apparition dans
Polisse de Maïwenn est un bon exemple du travail qu’elle peut effectuer pour une simple apparition de moins de dix minutes, acceptée avant tout pour l’intérêt de la composition.
Dans un métier où le psychisme balance souvent entre le plein d’émotions et le polissage de l’égo, elle fait remarquablement figure d’équilibre. Originale, aimant les personnages un peu branques, doté d’un physique gracieux mais particulier, elle fait preuve d’une remarquable présence mais n’en abuse pas. Elle valorise ses partenaires, se plie aux exigences des réalisateurs et travaille ses rôles sans jamais mettre en avant les prétentions de l’expérience.
De ses parents, elle dit :
« brimés, ils m’ont laissé vivre ma passion à fond la caisse ». Sandrine connaît le poids du quotidien, mais ignore la frustration. Elle ne rêve pas, mais elle est passionnée, par son métier et par ses rôles. C’est une actrice qui travaille et ne cherche pas l’étincelle dans le hasard ou la répétition mais dans la composition.
Après avoir été absente des écrans entre 2004 et 2007, elle est revenue au premier plan sans difficultés majeures, mais sans rôle véritablement impressionnant, en bonne professionnelle sur laquelle on peut compter. Cette étincelle qu’elle sait trouver après les répétitions en se réservant jusqu’à la véritable prise, cette étincelle qu’elle atteint sans improviser mais en jouant simplement mieux quand c’est pour de vrai, a peut-être donné, en 2013, le feu que son talent attendait mais que sa carrière ne voyait pas venir.
C’est avant tout le travail qui marque l’année 2013 (pour les sorties en salle) de la carrière de Sandrine Kiberlain. Cinq films entre Février et Octobre 2013 :
Rue Mandar,
Les Gamins,
Tip Top,
Neuf mois ferme et
Violette. Je passerai sur
Rue Mandar, que je n’ai pas vu et qui ne semble pas très notable, mis à part justement son interprétation qui a été saluée par certains critiques.
Tip Top semble plus intéressant mais je ne l’ai pas vu non plus. Cela dit, ces deux films permettent d’aborder un sujet d’importance au cinéma, la Rencontre. Après avoir croisé Sandrine Kiberlain sur
Rue Mandar, Emmanuelle Devos a l’idée de lui faire proposer le rôle de Simone de Beauvoir dans
Violette, qu’elle prépare alors avec Martin Provost. Sur
Tip Top, Sandrine Kiberlain tourne avec Isabelle Huppert qui est sans doute l’actrice de la génération précédente pour laquelle elle éprouve la plus grande admiration.
Toutes les mémoires de réalisateurs et d’acteurs sont marquées par les anecdotes concernant les castings et la fréquentation des aînés sur les plateaux de tournage. Si la Rencontre a tant d’importance au cinéma, c’est pour une raison simple et concrète : peu de métiers permettent à différents artistes de vivre ensemble de façon très intensive une période de temps aussi courte. Ces deux films ne marqueront probablement pas la carrière de Sandrine Kiberlain, mais le premier aura donné à sa partenaire Emmanuelle Devos l’idée de lui proposer ce qui restera sans doute comme une de ses meilleures compositions, et le second lui aura permis de travailler au quotidien avec Isabelle Huppert. Il est probable que l’excellente interprétation de Sandrine dans
Neuf mois ferme ait été partiellement inspirée par son aînée.
C’est le film
Les Gamins qui m’a fait prendre conscience de l’admiration que j’éprouve pour Sandrine. Cette excellente comédie, correctement tournée mais sans intérêt cinématographique, est un bon exemple du savoir-faire français en matière de scénario servi par de bons acteurs. Un sujet convenu, mais d’époque, permet à Max Boublil d’écrire un scénario qui a de la tenue, mis en scène laborieusement – au bon et au mauvais sens du terme – et servi par de bons acteurs qui se font plaisir. Rien de remarquable, rien de nouveau, si ce n’est qu’Alain Chabat et Sandrine Kiberlain sont excellents et que Sandrine se prend sans complexes une petite dizaine d’années de plus que dans la réalité : avec naturel et grâce, presque sans maquillage…Sans maquillage vraiment ? Contrairement au réalisateur, Kaatje Van Damme, la chef maquilleuse, est une grande professionnelle. Le cinéma, la Rencontre, ou comment une femme, une actrice de 45 ans ne craint pas de se donner dix ans de plus parce qu’elle est lucide et bien servie :
« Je préfère toujours jouer une femme de dix ans de plus que moi que dix ans de moins. C’est comme si on trichait ».
Dans
Violette, Sandrine Kiberlain est simplement admirable. Si le rôle n’avait été qu’une composition physique, l’exploit serait déjà au plus haut niveau. La justesse du personnage de Simone de Beauvoir est absolue comme dans toutes les grandes compositions. Elle n’est pas juste parce qu’elle ressemble à Simone de Beauvoir, elle n’est pas juste parce qu’elle a parfaitement saisi le personnage, elle est juste parce qu’elle est Simone de Beauvoir. Quelle bonne idée les scénaristes et réalisateurs ont eu de ne pas faire apparaître Sartre dans le film ! La base de la composition de Sandrine Kiberlain est peut-être d’avoir compris que Simone de Beauvoir était grande et solitaire et que c’est le hasard qui lui a fait rencontrer Sartre, mais que sa carrière et ses convictions étaient les siennes seules. Cette scène où Simone se retourne vers Jacques Guérin pour lui dire (de mémoire) :
« Quelle amitié ? C’est mon devoir » restera, à mon avis, comme un des grands moments de la carrière d’actrice de Sandrine Kiberlain. De la froideur mais des convictions avant tout, l’inclination au sens quasi rituel du terme devant la littérature qui elle, reste, et enfin, ce refus de vulgariser l’amitié en refusant de condescendre à accepter ce terme pour celle qu’elle ne voyait que comme une « attachiante », tout cela en quelques trois ou cinq mots, c’est grand tout simplement.
Neuf mois ferme enfin. Je ne veux pas préjuger de l’éventuel machisme d’Albert Dupontel, mais je suis persuadé que ce dernier, en choisissant Sandrine Kiberlain pour un rôle dans lequel il pressentait un type d’actrice très différent, a eu l’intelligence de s’inspirer de son interprète, ce qui lui a permis de donner à son film un caractère féministe qui ne devait pas être aussi évident dans son projet initial.
Cette capacité au burlesque, cette sensibilité dans le jeu qui permet toutes les audaces parce que l’équilibre personnel en est la base, ce sens toujours présent du tragique dans les moments les plus grotesques, me font penser à Bourvil. Je ne vois pas d’équivalent féminin à ce que Sandrine Kiberlain a fait dans
Neuf mois ferme, mais curieusement, quand je pense à elle dans ce film, je pense à Bourvil. Je trouve chez eux deux, non pas cette obsession, mais ce simple besoin d’acteur pour le public, celui pour lequel l’acteur se donne :
« Plus encore que dans les drames, le réalisateur et l'équipe sont vraiment mes premiers spectateurs. J'ai besoin d'un public pour jouer la comédie. Et si je ne suis pas ou mal regardée, je ne me concentre alors que sur ce que j'ai envie de faire, je prends moins de risque et, par ricochet, moins de plaisir ».
Une très bonne année pour Sandrine Kiberlain qui, j’en suis persuadé, va maintenant trouver sous peu les réalisateurs qui lui donneront ce qui lui manque encore : l’envergure et l’espace. Le feu a pris, il a juste besoin d’oxygène.
(je précise que je n'ai jamais vu Les Patriotes).
