Quatre personnages, quatre provinces, un seul et même reflet de la Chine contemporaine : celui d’une société au développement économique brutal peu à peu gangrenée par la violence.
Ce n'est pas comme s'il sortait de nulle part tant Jia Zhang-ke, grand cinéaste-documentariste de son temps, ne cesse de s'affirmer depuis quinze ans comme l'un des plus fins et brillants observateurs des mutations de son pays.
Brillant dans l'acuité du regard comme dans la force brute d'une mise en scène aussi limpide, épurée, que magistrale. Il est d'ailleurs ironique que A Touch of Sin ait récolté le prix du meilleur scénario au dernier Festival de Cannes tant c'est réellement sa mise en scène qui transcende un récit par ailleurs assez abstrait, une sorte de synthèse de ses travaux précédents qu'aurait rencontrée le Elephant de Alan Clarke.
Avec ce dernier film, co-produit par Office Kitano, il fait porter sa voix plus loin encore, plus universellement, via ce que j'ai perçu comme une parabole de la détresse contemporaine gangrénée par une violence de pur cinéma (voir les citations à Tsui Hark et John Woo si je ne dis pas de bêtise).
De vrais hommes et femmes s'y apparentent symboliquement à des animaux (le tigre, le taurreau, le serpent, etc.) et les "vrais" animaux, eux, semblent être les pauvres témoins hébétés d'un spectacle de théâtre d'avant-garde (l'opéra chinois y est d'ailleurs cité, en filigrane).
Il s'opère dans ce film une surprenante dichotomie visuelle, intrusive, qui sans nuire le moins du monde à sa justesse d'observation documentaire et à sa mélancolie très concrète, confère au cinéma de Jia des soubresauts surréalistes, aussi glaçants que déroutants, peut-être aussi la conséquence de cette collaboration inédite avec Kitano dont on retrouve la dimension graphique, picturale, qui laisse stupéfait. Il y avait les sms-cartoonesques de The World, le vaisseau spatial de Still Life. Ici, l'intrusion c'est le sang.
Par ailleurs, le film, sous couvert d'un canevas scénaristique relativement basique, à la marabout-de-ficelle, ne donne jamais dans l'explication de texte pontifiante ou dans la mécanique misérabiliste. La violence y est traité comme une entité abstraite (presque fantasmée) que l'on attend et redoute également passé le premier segment. Elle y trouve différents visages, certains très réalistes, d'autres purement iconographiques, et s'apparente systématiquement à une rencontre inéluctable, comme une réponse à un appel intérieur.