Hollywood est mort. On fait quoi maintenant ?

Rubrique consacrée au cinéma et aux films tournés à partir de 1980.

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Watkinssien
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Re: Hollywood est mort... vive Hollywood ?

Message par Watkinssien »

Oui, c'est drôle, et son anecdote sur Spielberg est sympa! :)
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Major Tom
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Re: Hollywood est mort... vive Hollywood ?

Message par Major Tom »

  • Sur les CGI...
Jean Veber - Parlons un peu des effets spéciaux et des films de genre. Parce que toi tu dis qu'il y a un avant et un après CGI...
Francis Veber - "Ça c'est très important, et je me trompe peut-être et tu vas me corriger... Avant, il y avait des petits films qui pouvaient faire d'énormes scores. Maintenant, le leader du cinéma mondial qui est l'Amérique a décidé de dépenser les 250 millions de dollars ou des sommes de ce genre, pour arriver aux milliards de dollars dans les deux, trois premières semaines. Et pour cette raison-là, le marketing est à la hauteur. En revanche, si maintenant tu fais ce qu'on appelle un "petit film" mais superbe, t'as pas de marketing. Et ça reste une recette très modeste. Donc pour moi, le CGI est arrivé dans le cinéma d'une certaine manière en constructeur et en destructeur... Avant CGI, on pouvait faire des petits films comme Nightmare on Elm Street qui pouvait faire de gros succès. Même le premier Terminator était je crois pas très cher... Ensuite, arrive le CGI. Le CGI a un défaut pour moi, c'est que le scénario peut être faible, parce qu'on en met plein les yeux des gens. Clouzot m'avait dit une définition du cinéma que j'ai trouvé géniale, il m'avait dit : "Le cinéma c'est un spectacle et une agression." Or on n'avait pas la part de spectacle en France, pour des raisons de budget, mais on avait des agressions extraordinaires. Et quand le spectacle commence à tout bouffer, et bien on a des films comme Avengers, ou les films avec les deux chauves là... [Fast & Furious] Il se passe ce qui s'est passé avec la musique des comédies musicales. On s'est rendu compte que tout le monde a eu envie des comédies musicales, ça marchait, mais sans scénario, ça ne donnait pas toujours My Fair Lady, ou je ne sais pas, West Side Story... Ça donnait des trucs mous avec une musique qui n'emmenait pas l'affaire. Et j'ai peur qu'avec le temps le CGI n'emmène plus l'affaire. C'est-à-dire que la partie spectacle ayant bouffé l'authenticité, la crédibilité, et le travail des scénaristes, et bah c'est foutu. Ça va foirer."

JV - À mon avis, le CGI n'est qu'un outil de plus. C'est comme le muet qui passe au parlant, le noir et blanc à la couleur... Jurassic Park mélangeait les effets pratiques et mécaniques aux effets digitaux.
FV - "Je suis parfaitement d'accord avec toi, mais simplement c'était un des premiers à l'avoir fait. Maintenant on voit des choses hallucinantes... et on s'en fout."

JV - J'aime bien les effets spéciaux mais je pense que ça doit toujours être au service d'une histoire, et qu'effectivement on ne peut pas faire un film avec uniquement des effets spéciaux...
FV - "Évidemment, si c'est un plus, c'est bien. Mais si ça fait l'essentiel du film, comme les deux derniers films qu'on a vu, l'un avec les deux chauves musclés là, et puis It chapitre 2, c'est trop... C'est d'ailleurs toi qui a dit "Il y a trop de CGI"..." Moi les cascades m'éblouissent parce que j'ai surtout vu des cascades avec de vrais cascadeurs et pas de fonds verts !

JV - Tu as fais des cascades dans tes films ?
FV - "Une fois, Bruel tombe sur le dos, oui. (Rires) C'était dans un film qui m'avait été reproché alors qu'il n'était pas si mauvais que ça, Le Jaguar. Il me disait [il imite -très bien d'ailleurs- la voix de Bruel] "Attends-attends, j'te la refait, attends-attends, non, j'te la refait !" Il y a ces deux brutes qui forcent sa porte à Paris, et il doit tomber en arrière. "Ah-ben-non, j'vais m'faire mal !" Alors je lui dis : "Mais non, tu ne vas pas te faire mal, il y a une moquette!"..."

JV - (Rires) Pardon. Alors il y a une moquette...
FV - "Il y a une moquette rembourrée ! "C'est comme si tu faisais un roulé-boulé en arrière." Et moi, à mon âge, je lui ai dit: "Ben tiens, je te le fait." Je tombe... trois mois d'hôpital. (Rires) Donc je tombe, et je lui dis : "Voilà... Tu peux le faire !"... Et il me dit : "Ah non-attends-attends-attends... Ben j'vais la faire alors"..." (Rires)

JV - Tu regardes Tom Cruise quand il fait Fallout, c'est un des derniers qui le fait comme le faisait Jackie Chan ou Buster Keaton, c'est-à-dire en vrai, il y a moins de fonds verts et moins de CGI...
FV - "C'est un parti-pris. Et même dans un film qui n'était pas tellement réussi de Jeunet, Le Long dimanche de fiançailles, il a refusé ses explosions en CGI. Il ne voulait même pas de flammes. C'était des grands tas de terre qu'on lançait en l'air, avec des petits stagiaires qui étaient payés pour jeter du sable en l'air ! (Rires) Ça passait très bien. Mais les gens s'en foutent de plus en plus... Par exemple, quand j'ai vu Les Visiteurs, de Jean-Marie Poiré, ton idole...

JV - Heu... oui, Les Visiteurs du soir, moi j'aime bien...
FV - "C'est autre chose, lui il est resté dans la journée ; c'est un film qui a marché magnifiquement bien, et c'est surtout un film où on voyait pour la première fois en France, tout à coup, Clavier et Réno passer d'une époque à l'autre, le nez se déformer, le visage se déformer, etc."

JV - Tu avais vu le remake ?
FV - "Non."

JV - C'était terrible...
FV - "J'ai surtout vu le remake du Dîner de cons, qui a été fait par un mec qui s'appelle Jay Roach, j'ai trouvé ça navrant, navrant. Les comédies voyagent très mal... Quand j'ai vu en projection privée mon Dîner de cons, appelé Dinner for Schmucks... j'étais horrifié... Mais tout l'état-major de Paramount m'attendait dehors. Et des grands ! Laurie MacDonald, son mari producteur de Spielberg... et ils attendaient mon avis. Et moi qui sort, petit métèque timide après avoir vu cette monstruosité, ils me disent : "Alors ?" J'ai répondu : "C'est Billy Wilder qui disait qu'une bonne comédie dure 1h30, après ça, les heures de comédies comptent double. Combien fait ce film ?" - "1h51" - "Il faut enlever 21 minutes." Ils se tournent vers Jay Roach qui me jetait des regards de haine à peine dissimulés, tu vois, et ils lui disent : "Est-ce que vous accepteriez que Veber vienne avec vous travailler sur le montage ?" il répond d'une voix grinçante : "Mais oui, je veux bien." Et on se retrouve un dimanche, dans une salle de montage, devant cette espèce de bouillie qu'était Le Dîner de cons américain. J'arrive à enlever 20 minutes. Je lui disais : "J'étais dans la salle de projection, on ne rit pas là, et là, il faut enlever." Il y a une chose que je n'ai pas compris c'est qu'il avait remplacé mes constructions avec des allumettes par des souris empaillées... C'est dégoûtant, c'est pervers de prendre une souris morte, de l'éviscérer..."

JV - C'était un personnage de Mindhunter plutôt, oui...
FV - "Oui... Alors je lui ai dit : "Mais qu'est-ce que c'est que ce mec ?" Les scénaristes, c'étaient deux jeunes hommes, très sympathiques, et il aurait mieux valu qu'ils fassent un autre métier à mon avis. Toujours est-il qu'il est d'accord sur tout. Donc le film devait faire 1h31... Je vais voir la deuxième projection privée, le film faisait 1h53. Il m'avait haï comme on hait les exécutifs quand on est metteur en scène en Amérique, il a rallongé le film."

FV - "Mais pour en revenir aux CGI, t'as raison, le CGI, ça sera toujours un plus, mais ça ne sera pas un film. Tous les génériques, mêmes toutes les annonces de production sont faites en CGI, avec d'énormes éclairs... Quand tu vois "Gaumont présente" et ça fait Broâmabadadam... Métro-Goldwyn-Mayer, avant, c'était exemplaire de simplicité. C'était un lion un peu asthmatique qui rugissait...


  • Sur les comédies...
FV - "Je me suis fait tellement de mal sur les trente films que j'ai fait... vingt que j'ai écrit et dix que j'ai mis en scène (en fait douze si on compte mes films américains), que j'ai un frisson en repensant au scénario maintenant... J'ai peur... Faire un film comique... Mon Dieu..."

JV - Où sont les films comiques aujourd'hui ?
FV - "Il n'y a plus de scénaristes de comédies aujourd'hui, et je n'y crois pas. Si, il y en a un petit peu, il y a Laveau [Lacheau en fait] ...celui qui a fait... heuuu... .com... Un truc où les gens se servaient d'un mensonge... Alibi.com ! C'est un bon, lui."
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Spongebob
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Re: Hollywood est mort... vive Hollywood ?

Message par Spongebob »

The Boogeyman a écrit :
Major Tom a écrit :
  • Francis Veber
    Sur Tarantino et l'évolution d'Hollywood...
JV - "Tu regardes des séries Netflix ? Qu'est-ce que tu regardes ?"
FV - "Beaucoup. J'ai vu Chernobyl récemment, j'ai trouvé ça formidable..."

JV - "Ils font une deuxième saison, tu as vu ?"
FV - "Je ne vois pas comment ils peuvent faire... Je sais que Tarantino est en train de le faire, et il y a pas d'explosion." (Rires)
celle ci elle est géniale :lol:
Moi ce que je retiens c'est qu'il parle de Chernobyl alors que ce n'est pas une série Netflix :lol:

Sinon on ne peut qu'être d'accord avec ce qu'il dit des CGI.
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Supfiction
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Re: Hollywood est mort... vive Hollywood ?

Message par Supfiction »

Vincent Cassel dans Paris Match a écrit :
Je pense que le cinéma hollywoodien est mort. On est en train d'assister aux derniers soubresauts d'un dinosaure qui a compris que c'était la fin. Ils produisent des conneries inodores, incolores", estime-t-il, à l'heure où les films de super-héros occupent une grande partie des productions nord-américaines.

La France demeure l'un des rares pays où l'on peut faire un premier film, oser des choses", analyse-t-il, saluant le travail des réalisateurs Romain Gavras, Kim Shapiron et Ladj Ly: "(Ils sont) devenus des auteurs à part entière. Sans jamais avoir attendu un financement pour faire leurs films.
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Re: Hollywood est mort... vive Hollywood ?

Message par Rick Deckard »

Supfiction a écrit :
Vincent Cassel dans Paris Match a écrit :
Je pense que le cinéma hollywoodien est mort. On est en train d'assister aux derniers soubresauts d'un dinosaure qui a compris que c'était la fin. Ils produisent des conneries inodores, incolores", estime-t-il, à l'heure où les films de super-héros occupent une grande partie des productions nord-américaines.

La France demeure l'un des rares pays où l'on peut faire un premier film, oser des choses", analyse-t-il, saluant le travail des réalisateurs Romain Gavras, Kim Shapiron et Ladj Ly: "(Ils sont) devenus des auteurs à part entière. Sans jamais avoir attendu un financement pour faire leurs films.
Ça fait quand même vieil aigri crachant dans la soupe. Et on sait que cette soupe permet de financer des premiers films et des films d’auteurs. Films dont Hollywood a besoin comme vivier de talents. (En France la soupe c’est les comédies à la chaîne)
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Re: Hollywood est mort... vive Hollywood ?

Message par Rockatansky »

Ce qui me fait rigoler c'est que les 3 qu'il donne en exemple sont ses potes de Kourtajmé :mrgreen:
Clear Eyes, Full Hearts Can't Lose !
« S’il est vrai que l’art commercial risque toujours de finir prostituée, il n’est pas moins vrai que l’art non commercial risque toujours de finir vieille fille ».
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Re: Hollywood est mort... vive Hollywood ?

Message par harry »

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cinephage
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Re: Hollywood est mort... vive Hollywood ?

Message par cinephage »

That said, IPs are harder to kill off than Jason Vorhees these days.

:mrgreen:
I love movies from the creation of cinema—from single-shot silent films, to serialized films in the teens, Fritz Lang, and a million others through the twenties—basically, I have a love for cinema through all the decades, from all over the world, from the highbrow to the lowbrow. - David Robert Mitchell
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Re: Hollywood est mort... vive Hollywood ?

Message par monk »

c'est quoi un IP ?
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Boubakar
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Re: Hollywood est mort... vive Hollywood ?

Message par Boubakar »

monk a écrit :c'est quoi un IP ?
Une licence.
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Re: Hollywood est mort... vive Hollywood ?

Message par monk »

Boubakar a écrit :
monk a écrit :c'est quoi un IP ?
Une licence.
Allons bon !
Merci :wink:
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harry
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Re: Hollywood est mort... vive Hollywood ?

Message par harry »

Boubakar a écrit :
monk a écrit :c'est quoi un IP ?
Une licence.
Intellectual Property, plus précisément. Mais oui, faut le comprendre comme une licence ou une marque, bref un truc ou pourra coller le copyright un peu partout.

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Re: Hollywood est mort... vive Hollywood ?

Message par monk »

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Re: Hollywood est mort... vive Hollywood ?

Message par Mosin-Nagant »

Peut-être quelqu'un en a déjà parlé ici mais, sinon, une nouvelle série produite par NRW est en préparation avec Canal + et HBO : Maniac Cop. L'action se déroulera à L.A.

https://www.google.com/amp/s/www.indiew ... 80718/amp/

Je suis très curieux du résultat final.
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You know my feelings: Every day is a gift. It's just, does it have to be a pair of socks?
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Truffaut Chocolat
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Re: Hollywood est mort... vive Hollywood ?

Message par Truffaut Chocolat »

Scorsese :

"Quand j’étais en Angleterre au début du mois d’octobre, j’ai donné une interview à Empire magazine. On m’a posé une question sur les films Marvel. J’y ai répondu. J’ai dit que j’avais essayé d’en regarder quelques uns et qu’ils n’étaient pas pour moi, qu’ils me semblaient plus proches des parcs d’attraction que des films tels que je les ai connu et aimé au cours de ma vie, et qu’au final je ne pensais pas que c’était du cinéma.

Certaines personnes ont pris la dernière partie de ma réponse comme une insulte, ou comme une preuve de ma haine anti-Marvel. Si quelqu’un est tenté d’interpréter mes mots à cette lumière, il n’y a rien que je puisse y faire.

Beaucoup de films de franchise sont fait par des gens possédant un talent et un sens artistique considérables. Ca se voit à l’écran. Le fait que les films eux-mêmes ne m’intéressent pas relève du goût personnel et du tempérament. Je sais que si j’étais plus jeune, si j’avais grandi plus tard, je serais sans doute excité par ces films, et peut-être que j’aurais envie d’en réaliser un moi-même. Mais j’ai grandi quand j’ai grandi et j’ai développé un sens des films (ce qu’ils étaient et ce qu’ils pouvaient être) aussi éloignés de l’univers Marvel que peut l’être la Terre par rapport à Alpha du Centaure.

Pour moi, pour les réalisateurs que j’apprécie et que je respecte, pour mes amis qui ont commencé à faire des films à la même époque que moi, le cinéma était une histoire de révélation (révélation esthétique, émotionnelle et spirituelle). Il s’agissait de personnages, de la complexité des gens et de leurs contradictions, et parfois leurs natures paradoxales, la façon dont ils peuvent se blesser et s’aimer les uns les autres et se retrouver soudainement face à eux-mêmes.

Il s’agissait de confronter l’inattendu à l’écran et dans la vie où il est dramatisé et interprété, et d’élargir le sentiment de ce qui est possible dans cette forme d’art.

Et c’était la clé pour nous : c’était une forme d’art. Il y avait des débats autour de ça à l’époque, donc on a défendu le fait que le cinéma soit l’égal de la littérature, de la musique ou de la danse. Et on a fini par comprendre que l’art pouvait se trouver dans bien des endroits et bien des formes – dans J'ai vécu l'enfer de Corée (The Steel Helmet) de Samuel Fuller et Persona d’Ingmar Bergman, dans Beau fixe sur New York (It's Always Fair Weather) de Stanley Donen et Gene Kelly et dans Scorpio Rising de Kenneth Anger, dans Vivre sa vie de Jean-Luc Godard et À bout portant (The Killers) de Don Siegel.

Ou dans les films d’Alfred Hitchcock – je suppose qu’on peut dire que Hitchcock était une franchise en soi. Ou qu’il était notre franchise. Chaque nouveau film de Hitchcock était un évènement. Se retrouver dans une salle pleine d’un vieux cinéma en train de regarder Fenêtre sur cours était une expérience extraordinaire. C’était un évènement créé par l’alchimie entre le public et le film lui-même, et c’était électrisant.

Et d’une certaine manière, les films de Hitchcock étaient aussi des comme des parcs d’attraction. Je pense à L'Inconnu du Nord-Express (Strangers on a Train), dont le final se déroule dans un manège, et Psychose, que j’ai vu lors d’une séance de minuit le jour de sa sortie, une expérience que je n’oublierai jamais. Les gens venaient pour être surpris et être heureux, et ils n’étaient pas déçus.

60 ou 70 ans plus tard, on regarde toujours ses films en s’émerveillant. Mais est-ce qu’on y retourne pour les frissons et les chocs ? Je ne le pense pas. Les décors de La Mort aux trousses sont incroyables, mais ils ne seraient qu’une succession de compositions dynamiques et élégantes et de coupes sans les émotions douloureuses qui sont au centre de l’histoire ou l’absolu perdition du personnage de Cary Grant.

Le climax de L’Inconnu du Nord-Express est une prouesse, mais c’est l’interaction entre les deux personnages principaux et la performance profondément dérangeante de Robert Walker qui résonnent encore aujourd’hui.

Certains dissent que tous les films de Hitchcock se ressemblent, et c’est peut-être vrai – Hitchcock lui-même se posait la question. Mais la ressemblance des films de franchise d’aujourd’hui est d’un tout autre niveau. Beaucoup des éléments qui définissent le cinéma tel que je le connais se retrouvent dans les films Marvel. Ce qu’on n’y trouve pas, c’est la révélation, le mystère, ou un véritable danger émotionnel. Rien n’est en danger. Les films sont faits pour satisfaire des demandes bien précises, et ils sont conçus comme des variations autour d’un nombre de thèmes fini.

On appelle ça des suites, mais en réalité ce sont des remake, et tout ce qu’il y a dedans a été officiellement autorisé parce qu’on ne peut pas faire autrement. C’est la nature d’un film de franchise moderne : études de marché, tests auprès du public, validations, modifications, nouvelles validations, et nouvelles modifications jusqu’à ce que ce soit prêt à être consommé.

Une autre façon de la dire, c’est qu’ils sont à l’opposé des films de Paul Thomas Anderson ou Claire Denis ou Spike Lee ou Ari Aster or Kathryn Bigelow or Wes Anderson. Quand je regarde le film d’un de ses réalisateurs, je sais que je vais voir quelque chose d’absolument nouveau et vivre une expérience inattendue et peut-être indicible. Ma vision de ce qu’il est possible de faire quand on raconte une histoire avec des images animées va être étendue.

Donc, vous vous demandez peut-être, quel est le problème ? Pourquoi ne pas laisser les films de super-héros et les autres films de franchise tranquille ? La raison est simple. Dans beaucoup d’endroits dans ce pays et autour du monde, les films de franchise sont désormais le choix principal quand vous choisissez d’aller voir quelque chose sur grand écran. C’est un temps périlleux pour l’expérience cinéma, et il y a de moins en moins de salles indépendantes. L’équation s’est retournée et le streaming est devenu le premier canal de distribution. Cela dit, je ne connais pas un réalisateur qui ne veut pas créer des films pour le grand écran, qui soient projetés en salle devant un public.

Moi compris, et je parle en tant que personne qui vient de terminer un film pour Netflix. Ils, personne d’autre, nous ont permis de faire The Irishman comme il devait l’être, et pour ça je serai toujours reconnaissant. Le film sort aussi en salle, ce qui est génial. Aurais-je souhaité que le film sorte sur plus d’écrans et sur une période plus longue ? Bien sûr. Mais peu importe avec qui vous faites vos films, le fait est que les écrans de la plupart des multiplexes sont occupés par les films de franchise.

Et si vous me dites que c’est tout simplement une question d’offre et de demande et de donner aux gens ce qu’ils veulent, je ne vais pas être d’accord. On en revient à l’oeuf et la poule. Si on donne aux gens un seul type de choses et qu’on ne vend qu’un seul type de choses, évidemment que le public demandera toujours plus de cette unique type de choses.

Mais, vous me direz, ils peuvent rentrer chez eux regarder ce qu’ils veulent sur Netflix, iTunes ou Hulu ? Bien sûr, partout sauf sur grand écran, là où le ou la réalisatrice avait prévu de monter son film.

Au cours des 20 dernières années, comme nous le savons tous, le business du cinéma a changé à tous points de vue. Mais le changement le plus triste s’est opéré tranquillement et à l’abri des regards : la disparition, graduelle mais certaine du risque. Beaucoup de films aujourd’hui sont des produits parfaitement conçus pour une consommation immédiate. Nombre d’entre eux ont été bien conçus par des équipes de gens talentueux. Mais ils leur manque quelque chose d’essentiel au cinéma : la vision unificatrice d’un artiste. Parce que, bien sûr, l’artiste est le facteur le plus risqué qui soit.

Je n’insinue surtout pas que les films devrait être une forme d’art subventionné, où qu’ils l’ont jamais été. Quand le système des studios à Hollywood était encore vivant et en bonne santé, la tension entre les artistes et les dirigeants étaient constante et intense, mais c’était une tension productive qui nous a offert quelques uns des plus grands films jamais réalisés, pour reprendre les mots de Bob Dylan, les meilleurs d’entre eux étaient « héroïques et visionnaires ».

Aujourd’hui, cette tension a disparu, et certaines personnes dans ce business sont totalement indifférents à la question de l’art et à la prise en compte de l’histoire du cinéma, ce qui est à la fois dédaigneux et confiscatoire : une combinaison létale. La situation, malheureusement, c’est que nous avons maintenant deux champs séparés distinctement : d’un côté le divertissement audiovisuel mondial, de l’autre le cinéma. Ils se croisent encore de temps en temps, mais ça devient de plus en plus rare. Et je crains que la domination financière de l’un ne soit utilisée pour marginaliser et même rabaisser l’existence de l’autre.

Pour quiconque rêve de faire des films ou commence tout juste, la situation actuellement est brutale et inhospitalière pour l’art. Et le simple fait d’écrire ces mots me remplit d’une terrible tristesse."
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