- Francis Veber
Sur Tarantino et l'évolution d'Hollywood...
Jean Veber - "Est-ce que tu as aimé
Il était une fois à Hollywood ?"
Francis Veber - "C'est... comme on dit, des sentiments partagés. Ce qui m'a gêné, bizarrement, c'est de faire jouer deux ratés par deux des acteurs les plus célèbres du monde. C'était déjà arrivé dans un film d'Yves Robert où il faisait jouer à Mastroianni le rôle d'un raté, un ringard comme on dit." [
Salut l'artiste (1973)]
JV - "Ce n'est pas possible ?"
FV - "C'est-à-dire qu'on n'y croit pas... On voit une star sur l'écran. Et c'est difficile, pour moi en tout cas, de se dire que ce type n'arrive pas à trouver de rôles."
JV - "Moi j'ai bien aimé au contraire leur alchimie. Je ne suis pas non plus partant sur tout le film, mais je trouve qu'un des points forts c'est l'alchimie entre deux types qui sont un peu les Redford et Newman d'aujourd'hui."
FV - "Ça n'a rien à voir, Redford et Newman jouaient des rôles qui étaient totalement dans l'imaginaire. Là ce sont des gens qui jouent un film sur le métier, où ils contredisent leur réputation avec le personnage qu'on leur demande d'interpréter. Déjà il y a une petite gêne. Ensuite, on m'a raconté que Di Caprio voulait le rôle de Brad Pitt, et c'est vrai que le rôle de Brad Pitt est payant. Le rôle de Di Caprio n'est pas payant parce que, on parlera du début du film qui est interminable, où on est tout à coup dans les années 70, dans un feuilleton, et il se trouve que c'est un western. Et... c'est pas intéressant."
JV - "C'est intéressant pour les puristes, à cause de la minutie pour le recréer mais c'est vrai que quarante minutes dessus, c'est un peu lourd quand même..."
FV - "Un petit peu long et puis je ne sais pas combien de puristes il y a sur quelques millions de spectateurs, mais ils doivent se compter sur le doigt du pied..."
JV - "Tu t'es amusé à compter toutes les paires de pieds dans le film ?" (Rires)
(...)
FV - "Je trouve que, entre Il était une fois à Hollywood et même Inglorious Basterds, il y a une baisse énorme..."
JV - "Ils partagent, spoiler alert, une vision révisionniste de l'histoire... Ça t'a choqué par rapport à l'histoire de Sharon Tate ?"
FV - "Mais évidemment, évidemment. Il y a un moment où on se dit : "Enfin ! Il va se passer quelque chose", avec ce commando d'imbéciles meurtriers..."
JV - "Qu'on a déjà beaucoup filmé au cinéma..."
FV - "Oui mais on se demandait comment il allait le filmer, lui. Je regrette mais j'ai vu souvent Jeanne D'Arc brûler... j'ai vu souvent le Christ crucifié... et ce qui est intéressant c'est de voir comment un Mel Gibson par exemple, va recrucifier le Christ. Le Titanic, je connaissais la fin aussi... Mais là... faire cette espèce d'étrange fin où tu as ce commando qui arrive, menaçant, et ce qui se passe... Je ne veux pas déflorer la fin pour ceux qui ne l'ont pas encore vu, c'est Brad Pitt qui prend les choses en main et là... Je ne comprends plus. [...]
Ça marchait encore, mais alors in extremis, dans Inglorious Basterds, quand tout à coup Hitler arrive avec TOUT son état-major dans un petit cinéma de quartier (Rires)
à Paris, le petit cinéma de Mélanie Laurent qui voulait se venger, avec un Africain qui court dans les coulisses... Je trouvais ça un peu désinvolte. (...)
Le talent que je reconnais à Tarantino (et ô combien !) commence à prendre un coup de vieux."
JV - "Tu es farouchement opposé au "politiquement correct"..."
FV - "Oh oui !"
JV - "... et moi je trouve qu'il y a de bonnes choses dedans. C'est comme la censure à l'époque de Lubitsch. Ça te force à être plus créatif, au contraire."
FV - "Ah bah je ne trouve pas ! Je ne trouve pas du tout."
JV - "Tu n'aimes pas les films de science-fiction, les films de super-héros ? Parce qu'il n'y a plus que ça aujourd'hui..."
FV - "On passe à autre chose qui est l'évolution du cinéma. Il y a eu une époque où ce qui comptait c'était la construction d'un film."
JV - "Tu as vu la création du blockbuster, avec l'arrivée de
L'Exorciste, de
Jaws, des
Star Wars qui tout à coup ont changé le visage du cinéma..."
FV - "Non ! Ils sont admirablement écrits. Alors que maintenant... Je déplore de ne pas avoir assez de films comme Fargo des frères Coen, ou pas assez de films comme La Planète des singes, le premier... Le spectacle est à la qualité du cinéma ce que la foule est au peuple. Une foule, c'est pas le peuple, c'est quelque chose qui part dans tout les sens et qui est dangereux. Le spectacle, on se réfugie derrière maintenant, avec notamment les CGI, pour arriver à camoufler les invraisemblances..."
JV - "Tu n'as pas aimé,
Avengers Endgame ?"
FV - "J'ai trouvé ça d'un ennui atroce. Beaucoup trop de super-héros. Là c'est effroyable... "
JV - "Tu n'aimes aucun film de super-héros..."
FV - "Ah non, c'est faux, le Dark Knight m'a beaucoup plu."
JV - "Je me fais un peu l'avocat du Diable, parce qu'il y en a plein de très, très mauvais. C'est un peu comme le western. Le film de super-héros c'est un peu le western moderne."
FV - "Alors là, une belle comparaison, parce que tu as des westerns qui sont des chefs-d'œuvre, comme Rio Bravo, et puis tu as des westerns qui sont d'un ennui... Y compris avec Totor-là... John Wayne... "
JV - "Le pire western du monde c'était
Blueberry, où Vincent Cassel prenait des champignons hallucinogènes..."
FV - "J'espère qu'il a pris les mêmes champignons pour lire les critiques..."
JV - "Et tu as vu le western de Audiard, le dernier ? Il est bien ou pas ?"
FV - "Je vais parler à mots couverts, hein, parce que c'est un confrère... Il est à chier. (Rires)
C'est complètement raté, avec de merveilleux acteurs comme John C. Reilly et Joaquin Pheonix. De merveilleux acteurs mais dans un truc écrit avec le pied..."
JV - "Je voudrais encore parler des grandes franchises américaines. Qu'est-ce que tu penses de James Bond aujourd'hui ? Est-ce que c'est fini ? Tu as vu qu'il allait être interprété par une femme noire, c'est une bonne idée, je pense..."
FV - "Bah moi pas du tout." (Rires)
"Pour moi c'est 000, ils ont enlevé le 7."
JV - "Donc le n°25 sort dans quelques mois, Daniel Craig se retire, il est très vieux... Tu voulais un autre James Bond comme lui ?"
FV - "Mais je ne voulais plus de James Bond !"
JV - "On arrête la franchise ?"
FV - "Mais évidemment. Quand ça s'arrête, ça s'arrête. Il y a eu tellement de films de James Bond du même type, j'ai revu récemment Tom Cruise dans le dernier Mission impossible... oh là là..."
JV - "Qu'est-ce que tu penses de Netflix ?"
FV - "Beaucoup de bien."
JV - "Tu regardes des séries Netflix ? Qu'est-ce que tu regardes ?"
FV - "Beaucoup. J'ai vu Chernobyl récemment, j'ai trouvé ça formidable..."
JV - "Ils font une deuxième saison, tu as vu ?"
FV - "Je ne vois pas comment ils peuvent faire... Je sais que Tarantino est en train de le faire, et il y a pas d'explosion." (Rires)
FV - "Je peux t'expliquer le problème des remakes en deux mots. Tu as un producteur américain qui achète un film, français ou autre, qui lui a plu. Il le montre à des acteurs, il le montre à des metteurs en scène, c'est moins fatiguant pour les uns et les autres que de lire un scénario ou même un synopsis, parce qu'ils sont flemmards. Petit à petit, le producteur, qui l'a fait voir dix fois, commence à s'habituer et n'aime plus le film, le trouve pas assez drôle ou pas assez fort. Il décide de l'enrichir. C'est comme ça qu'on tue un film. Il commence à rajouter des scènes avec des scénaristes dont je ne dirai pas de mal, bien que j'en meurs d'envie, et ça revient à ajouter de la crème chantilly sur du foie gras. Ça donne des produits bâtards."
JV - "Il y a quand même des exemples de remakes exceptionnels dans l'histoire du cinéma."
FV - "Mais, du français à l'anglais ?..."
JV - "
True Lies c'est mieux que
La Totale..."
FV - "Ah mais c'est Cameron ! De Zidi, qui est un bon metteur en scène, à Cameron, on passe de la butte Montmartre à l'Everest !"
JV - "Et
The Thing de Carpenter, remake de
The Thing d'Howard Hawks..."
FV - "Attention, là tu parles d'un film américain... refait par un bon metteur en scène américain..."
JV - "Tu sais comment Cronenberg a pitché
La Mouche à Mel Brooks, producteur ? Il lui a dit : "C'est la
Métamorphose de Kafka"..."
FV - "Il a eu la chance de tomber sur un producteur cultivé. Parce que tu dis la Métamorphose à Hollywood, ils vont penser que c'est une marque de moutarde.
JV - "Tu l'as rencontré Mel Brooks ?"
FV - "J'étais dans une boîte, et tout à coup il arrive. Du coup on me présente. "Francis Veber, Mel Brooks." Il dit : "Veber ? Beautiful name!" C'est à cause de cette franc-maçonnerie juive alors que ma mère est Arménienne... (Rires)
Il connaissait mes films, ce qui m'a flatté, c'est pareil quand j'ai déjeuné avec Billy Wilder, j'étais surpris qu'il connaissait mes films !
JV - "Et Spielberg, il connaissait tes films ?"
FV - "Spielberg a été adorable, et moi très con. Je le rencontre chez Dick [Richard]
Donner. Spielberg m'attend à la porte. Il me dit : "On essaie de refaire La Chèvre mais on ne peut pas le faire aussi bien que vous." Je me mets à l'adorer, mais en même temps, je ne sais pas pourquoi je m'étais mis à m'en prendre à un metteur en scène japonais...
JV - "Kurosawa ?"
FV - "Oui...
JV - "C'est son préféré !"
FV - "Oui... Et je lui dit que "j'ai assisté à une remise de Prix, vous aviez dit un bien fou de lui... et lui n'a même pas dit un mot sur vous. C'est un con." Il a dit "Ah non, dîtes pas ça... Salaud." (Rires)
JV - "Dans les gens que t'as rencontré, j'aimerais bien que tu me racontes ta rencontre avec Richard Pryor qui est un de mes dieux, à propos de remake justement... "
FV - "Il était étonnant. Il a joué malheureusement dans le remake du Jouet avec Jackie Gleason, mis en scène par Richard Donner, et le film était très mauvais. On me présente. C'était après son accident, il ne pouvait pas tourner plus de deux heures, il était dans un état très triste physiquement. C'est rapide : je m'étais assis à côté de lui, je ne me rappelle plus exactement comment il a tourné la phrase, mais il m'a dit simplement: "On l'a bien merdé, votre film." Je ne savais pas quoi répondre...