C'est ce que j'ai ressenti aussi. J'ai vraiment l'impression que c'est le point central du film qui permet peut-être de mieux comprendre le rêve prémonitoire de Jung sur le "sang de l'Europe".MJ a écrit :La judéité de Sabina Spielrein face à l'aryen protestant qu'est Jung. Sa confrontation avec Freud terminant sur cette remarque (vous n'êtes pas des leurs, il n'est pas des nôtres), c'est exactement où Cronenberg depuis le début voulait nous emmener - et les cartons finaux en sont la confirmation.lowtek a écrit :Au final la question que pose la vision du film est : pourquoi avoir réduit cette époque de l’inauguration de la psychanalyse à une comédie de mœurs, une histoire d’amour qui achoppe (mais devant quoi ?) ?
On compte plusieurs autres allusions dans le film tournant autour de la judéité du tandem Spielrein/Freud et du protestantisme de Jung ("c'est une remarque de protestant", lui balance à un moment Freud d'un ton sarcastique et légèrement condescendant). Plus encore, il y a une insistance sur l'irréconcialibilité de deux cultures européennes, exprimée explicitement au travers de l'analyse freudienne du rêve de Jung sur la frontière austro-suisse. Freud ramène ça à un conflit mentor/disciple mais c'est aussi la rupture nette entre deux Europe, en un sens. Jung est aryen comme l'indique lourdement Freud, tandis que ce dernier est le Juif intellectuel embourgeoisé dans son confort viennois. Je m'interroge sur toutes ces allusions diversement appuyées parce que, au vu du fameux rêve prémonitoire de Jung, qui est d'ailleurs très généraliste et pourrait très bien s'appliquer à la Seconde Guerre mondiale (d'ailleurs la scène se passe en 1916, non ? je ne me souviens plus), ne pourrait-il y avoir une suggestion lancinante de la récupération du courant de pensée jungienne par l'Allemagne nazie ? Le film n'aurait-il pas pour véritable dynamique de montrer que l'opposition intellectuelle, identitaire et religieuse qui noue le trio Jung/Freud/Spielrein dessine les contours de la psychanalyse moderne dans le même temps qu'elle défriche des thèmes culturels, mythologiques, qui seront autant d'instruments de légitimation de l'hégémonie allemande, cette supériorité culturelle revendiquée avec toujours plus de vigueur depuis le XIXe siècle ? Je pense notamment à cette fameuse figure de Siegfried, le héros germanique qui fascine tant Spielrein et Jung (au point qu'ils y consacrent tous deux une thèse), tout comme les opéras de Wagner et leur exaltation du passé mythologique germanique (L'Or du Rhin est le préféré de Jung et La Walkyrie est testée sur ses patients). Or, Freud réfute catégoriquement dans le film cette bifurcation jungienne de sa discipline, consistant à s'intéresser aux mythes, aux fées, aux farfadets, qui ne peuvent que nuire selon lui à la crédibilité de leur science. Il estime grotesque voire dangereuse leur analyse.
C'est donc la question que je me pose, sachant que je n'ai pratiquement aucune connaissance sur la psychanalyse et que je crois ce film suffisamment riche pour mériter une seconde vision. Cependant il semblerait que la pensée contenue dans le traité de Jung De l'identité (1918) ait été récupérée et commodément déformée par les tenants de la supériorité culturelle germanique, avec cette distinction d'inconscience entre les Aryens et les Juifs. En fait, j'ai le sentiment que tout A Dangerous method prépare et amène à cette fracture, la fracture du maître et du disciple, du patriarche et de l'enfant prodigue, du docteur amoureux et de sa maîtresse rêvée, de l'aryen et de la judéité. J'ai l'impression que l'échec du triangle Jung/Freud/Spielrein est très métaphorique à différents niveaux. Et si la pensée jungienne est récupérée et raccourcie, c'est bien sûr aux dépens de la pensée freudienne, la pensée juive qui disparaît progressivement d'Allemagne.
En ce sens, le rêve prémonitoire de Jung, je suis tenté de l'interpréter comme le subconscient d'un malaise encore indéfinissable, celui d'avoir voulu faire avancer la psychologie et fournit par-delà les intentions uniquement scientifiques des munitions au futur fascisme.
Et ces cartons finaux montrent que tous ces psychiatres connaissent un sort funeste, sauf Jung, qui mourra tranquillement.