Pas de topic sur l'appel des 13, lancé entre autres par Pascale Ferran, Jacques Audiard et Claude Miller, et envoyé hier à Christine Albanel ? Dans la lignée du discours de Ferran l'an dernier aux Césars,
l'appel est un pavé dans la mare et pointe un à un les grains de sable qui, selon les signataires de l'appel, grippent la machine du cinéma hexagonal. En découlent 13 propositions, parmi lesquelles :
- * Le doublement de la dotation de l'avance sur recettes (stable depuis 15 ans -enveloppe moyenne: 400 000 euros par film- alors que les budgets de production ont explosé).
* Le versement du Fonds de soutien automatique production généré par un film au seul producteur délégué (c’est-à-dire au réel initiateur du projet et non aux multiples ayant-droits).
* 7,5% de ce fond de soutien réservé à l’écriture.
* Une majoration de 25% de ce fonds de soutien pour les distributeurs investissant dans des films produits sans les chaînes de télévision.
* La suppression de ce fonds de soutien pour les sociétés adossées à un diffuseur (chaînes cathodiques et groupes de télécommunications).
* La création d’une taxe de 5,5% sur toutes les marges arrière, "venant abonder l’assiette du CNC et financer l’équipement numérique des salles indépendantes et la dotation de l’avance sur recettes".
Cet appel est l'occasion pour le cinéma français de se lancer dans une introspective me semble-t-il inédite, certaines langues se déliant sur l'état actuel du 7° Art de par chez nous. Exemple avec Claude Chabrol, cité
dans Libé avec son style... inimitable
«Tous les vingt-cinq ans environ, il est nécessaire de remettre en question les modalités du système. C’était le cas quand Malraux a voulu débarquer Langlois de la Cinémathèque, puis quand Jack Lang a pris des mesures pour enrayer la baisse de fréquentation dans les années 80. Aujourd’hui, c’est nécessaire parce qu’il faut contourner une quinzaine de Zigomar qui empêchent la machine de tourner. Je ne sais pas vraiment qui ils sont, mais eux connaissent l’étendue de leur incompétence. Ce rapport est une machine de guerre à contourner les cons.»
Ou encore Serge Toubiana, de la Cinémathèque française, sur
son blog, qui semble d'ailleurs accueillir l'appel avec un rien de "fraicheur".
Toutefois, des questions sont curieusement absentes. Oubliées, non prises en compte, alors qu’il se pourrait bien qu’elles aient quelque importance pour aider à cerner le point de départ de ce rapport : la faiblesse constatée du cinéma français actuel. Celles par exemple qui touchent à la formation des professionnels. Qu’il s’agisse des scénaristes, des réalisateurs, des producteurs, des distributeurs ou exploitants, de tous ces « talents » qui concourent à la fabrication du cinéma français. Là-dessus, le rapport ne dit rien : d’où viennent-ils, quelle filière ont-ils suivie, comment sont-ils formés ou pas formés du tout… (...) Qu’est-ce qui fait que tant de films nous donnent le sentiment de ne venir de nulle part, de n’avoir aucun style, de méconnaître ou de se foutre complètement de ces questions pourtant essentielles: le style, le récit, la violence de l’écriture, la vérité des sentiments et de la mise en scène. Cette violence-là est nécessaire, c’est elle qui fait le prix du cinéma. Trop souvent, c’est le vide absolu, l’absence de passion, le désir mou. (...) Quelle est la place de cette économie culturelle, dans le grand Tout du cinéma français ? Qu’est-ce qui se transmet, ou qui ne se transmet plus ? Le grand absent du rapport, c’est peut-être le public. Ne faut-il pas repenser le Public ? Celui qui répond présent dans les salles. Mais aussi l’autre, celui qui les a désertées (mais qui continue à voir des films sur d’autres supports : DVD, VOD, Internet). Ou encore cet autre public, invisible, qui ne manifeste plus aucun intérêt, sauf exception, envers les films d’où qu’ils viennent, et quel qu’en soit le support. Ce public qui a tiré un trait, peut-être définitif sur le cinéma, tout particulièrement le cinéma français. Il faudrait en parler, s’interroger, s’en inquiéter. Mémoire, formation, culture, reconquête des publics. Et cette terrible idée d’un monde sans le cinéma, qui se profile… Certes, il est très important de réviser ou de réparer les mécanismes du Fonds de soutien, pour atteindre à un meilleur équilibre. Avec les conséquences positives que cela pourrait avoir sur la santé et la qualité des films français. Mais à trop vouloir réformer le système dans son ensemble, et à ne le penser que de l’intérieur de lui-même, on en vient à oublier certains aspects souvent cruciaux, qui mettent les choses dans une perspective plus large.
Réserves encore chez les distributeurs et producteurs, ainsi Michel Saint-Jean, producteur et distributeur, patron de Diaphana :
«Autant je trouve à ce rapport de grandes vertus pédagogiques, autant je n’aimerais pas qu’il soit mal interprété. Il s’abstient justement de tout manichéisme et insiste sur le caractère strictement politique des décisions à prendre pour rééquilibrer le financement des films. Il ne demande pas d’argent supplémentaire de l’Etat, ne désigne pas d’ennemis. C’est essentiel si on veut qu’un dialogue s’instaure. Notamment, il est important d’éviter toute caricature quand on parle de la télévision. A titre personnel, je n’ai jamais eu le moindre problème avec un diffuseur, notamment de service public, dès l’instant où il avait dit oui au projet.»
Reste à savoir si, à l'instar des dizaines de "Grenelles" créés ces derniers mois, cet appel restera sans suite, ou sera l'occasion d'une vraie introspective salvatrice pour le cinéma français.