Eh ben ça l'est. Mais c'est agréable.
Doppelganger (Kiyoshi Kurosawa - 2003).
Michio Hayasaki, ingénieur surdoué, travaille pour la recherche médicale. Ses employeurs fondent de grands espoirs sur son nouveau projet : une chaise roulante intelligente qui fait corps avec son malade. Soumis à cette forte pression, Michio Hayasaki traverse une crise difficile à gérer. Lors d'une expérience, il fait la connaissance de son "Doppelgänger", un double qui, d'après les croyances locales, annoncerait une mort prochaine...
Rétrospective Kiyoshi Kurosawa, hopla.
L'auteur en profite régulièrement pour puiser dans ses thématiques et les renouveler constamment avec un soin et une application admirable. Ici, point de femme rouge ou de fantôme (malgré 20 premières minutes --captures ci dessus-- foutrement inquiétantes qui rappellent de par l'utilisation de la lumière, du cadrage et du son qu'on est bien en présence du maître qui a livré
Kaïro) mais le retour de l'idée du double, le fameux doppelganger apparu brièvement dans le très riche
Séance et qui, sans doute du fait de sa trop fugace apparition dans ce dernier, ne permettait pas une utilisation de toutes les potentialités que ça pouvait suggérer (rivalité/complicité/ubiquité/actions détournées et j'en passe...) et que le cinéaste va donc habilement combler avec ce film.
Pour à la fois suggérer le conflit entre Michio (fabuleux Koji Yakusho que je retrouve là avec plaisir) et son doppelganger, Kurosawa va soigner à la fois sa mise en scène comme son histoire. Si dans de nombreux plans (grâce à un trucage similaire apparemment à celui de
Faux-semblants ?) le cinéaste montre le bonhomme avec son double, il n'hésite pas dans un premier temps par des splits-screens aux bords élargis (qui rapprochent plus les cases de la composition artistique propre aux mangas et autres bandes dessinées) à montrer leur séparation (essentiellement éthique, le doppelganger ne s'embarrant pas d'états d'âmes et semble plus mauvais que l'original à première vue). Si Michio parle à son double, celui-ci ne le regarde pas, ou par la juxtaposition des cadres, ne le regarde pas directement, signifiant que l'entente n'est pas encore possible.
Malgré la peur d'une mort incertaine mais dès lors annoncée, l'ingénieur va plus ou moins s'accommoder de la présence de cet envahisseur, comprenant qu'il peut en tirer parti pour sa recherche. Devenu allié, les cadres disparaissent, les deux personnages rentrent dans le plan, mais pour combien de temps ? L'original continuant de penser que son double va finir par se débarrasser de lui d'une manière ou d'une autre. Avec cette disparition de bords-frontière, disparaît aussi progressivement toute éthique. Une phrase du double devenant alors plus ou moins prophétique (Ce n'est qu'une question de temps clame-t-il, puisqu'ils ne feront plus qu'un au final...), le spectateur peut sans doute s'apercevoir que le bon Michio, va progressivement au fil du film comme son double, se débarrasser de toute morale, quitte à faire ce que bon lui semble, même si beaucoup vont s'ingénier à lui barrer le passage. Il y a là une réflexion intéressante (qui ne manquera pas non plus d'intéresser Demi-Lune je pense

) que l'on pourrait approfondir, la fin m'ayant fait réfléchir à de nombreux point que Kurosawa laisse volontairement en suspens.
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- Normalement Michio devrait s'être retrouvé écrasé par le camion mais il ressurgit au volent d'une voiture inconnue. Sauf qu'il a le nez fracassé et les vêtements en sang. Alors est-ce le Michio qu'on connait ou est-ce le doppelganger qui reprend les commandes pour finir en beauté, sachant que le double avait été battu presqu'à mort et enfermé ? Se serait-il libéré et viendrait-il au secours de Yuko ? Est-ce que cela ne justifie pas la prophétie qui disait qu'ils seraient réunis (cf dialogue du malfrat : combien de fois je vais devoir te tuer pour qu'on en finisse ?) ici au profit d'une certaine fusion ?
Le film commence comme un thriller angoissant pour continuer dans la farce grinçante violemment corrosive. Si l'on sent la critique évidente de l'égoïsme d'une certaine société qui ne serait intéressée que par les revenus et profits dégagés (notamment par la fameuse invention qui passe de mains en mains dans la seconde partie du film, mais notons aussi le personnage du supérieur de Michio qui le finançait et se révèle finalement corrompu et bordé d'argent sale) et qu'en sous-main une certaine invasion se profile (le doppelganger de l'étudiant du début, celui de Michio, celui, suggéré, du boss de Michio --cf la rencontre au bar où celui-ci lance ouvertement "allez n'en dis pas plus, tu n'es pas le vrai", ce qui laisse le collègue interdit), et en cela une fois de plus l'ami Kiyoshi reste fidèle à lui-même (cf
Kaïro), c'est surtout l'humour qui prévaut, parfois très noir, laissant échapper beaucoup d'éclats de rire. Kurosawa se fait plaisir, s'amuse et se permet même une citation littérale du premier Indiana Jones, une boule disco ayant remplacé l'énorme boule poursuivant Indy. La poursuite absurde se terminant quand le jeune escroc se cache dans un renfoncement, croit échapper à la boule et qu'a l'instant, Koji Yakusho ouvre nonchalamment la porte sur sa tronche (

).
Encore une fois, un Kurosawa sympathique qui malgré quelques baisses de régime en son milieu n'a pas à rougir de ce qu'il est. 4,5/6.