
1. Vice-Versa – Pete Docter & Ronaldo Del Carmen
Toute en forces de redéploiement, de profusion, d’emballement, cette prodigieuse odyssée réticulaire emprunte les chemins les plus tortueux de l’esprit pour raconter comment une pré-ado déprimée décide de fuguer puis de rentrer à la maison. Ce n’est rien et c’est tout, c’est minuscule et immense, c’est vous et nous dans un mouchoir de poche, c’est la part de soi-même qui sombre dans les limbes avec l’âge et recèle un apprentissage essentiel : dans la vie, le plus beau don reste celui des larmes.
2. The Assassin – Hou Hsiao-hsien
La magnificence et la grâce qui se déploient ici à l’écran n’ont d’égale que la beauté élusive des enjeux qui les sous-tendent, fragments de mélancolie ciselée glissant avec langueur sur la peau du mythe national. Entre violence et amour, raison d’État et sentiment, altérité et parenté, politique et poésie, le cinéaste élabore une rêverie opiacée d’une densité invraisemblable où une femme insoumise refuse de donner la mort et choisit de sauver ses victimes pour n’obéir qu’aux élans de son cœur.
3. Ni le Ciel ni la Terre – Clément Cogitore
Comme si Kathryn Bigelow réalisait Pique-nique à Hanging Rock, en saisissant avec une acuité envoûtante la sensation de perte de repères intimement constitutive de l’individu postmoderne. Le territoire du conflit afghan, éparpillé façon puzzle, devient celui d’un bang bang mental où les protocoles rationalistes (la science, la logique, la marchandise) se dissolvent, et dont l’alliage de réalisme et d’abstraction représente un état du monde et de l’humanité diffus, mais terriblement familier.
4. Fatima – Philippe Faucon
Elle a entre 40 et 50 ans, ne parle pas bien le français, fait des ménages et existe à tous les yeux qui voudront la voir. Sur ses pas, ceux de l’aînée vertueuse et de la fille prodigue, en procédant d’émotions plus que d’idées, Faucon exalte la construction d’un collectif auxquels ceux qui ne sont pas d’ici contribuent, et associe la genèse d’un être humain à la gestation d’une société qui fera une place, volens nolens, aux derniers venus. Une pépite de douceur, de tact et d’intelligence.
5. Mia Madre – Nanni Moretti
Avec une infinie tendresse, le grand cinéaste transalpin déplie une nouvelle dialectique de la douleur : le drame qui emmure son héroïne dans la solitude est aussi ce qui la relie à l’humanité entière. Car en même temps qu’elle enterre notre mère, voit partir nos enfants, nous fait douter de tout et nous indique à quel point de dépossession le travail du temps nous assigne, cette œuvre pascalienne nous maintient vivants. L’utilité de l’art, cruciale question morettienne, est ainsi démontrée.
6. Mustang – Deniz Gamze Ergüven
Ce sont cinq grâces enfermées dans une maison aux airs de bunker, et qui ont la beauté, la fierté et l’impulsivité de l’animal-titre. Rivé à leur appétit de vivre, le film balaie tout le spectre de la violence patriarcale, joue de la drôlerie bravache, oppose la prestesse des filles à l’immobilisme, leur chatoiement à la grisaille, leur alanguissement à la rigueur. Les gardiens de l’ordre ont beau ériger des prisons pour les étouffer, les murs ne résistent pas à leur insoumission tellurique.
7. Notre Petite Sœur – Hirokazu Kore-eda
La découverte d’un grand film d’Hirokazu est comparable à l’émotion ressentie aux premiers bourgeons du printemps. Loin de la noirceur désolée des Trois Sœurs de Tchekhov, celui-ci poursuit à pas de loup un travail de fine dentellière pour circonscrire un sujet dont aucun heurt ne vient troubler l’évidente et absolue quiétude. Rendant la banalité charnelle, désirable, il transmet comme nul autre le sentiment d’un présent aussi doux, aussi accueillant que les superbes personnages qui le vivent.
8. Trois Souvenirs de ma Jeunesse – Arnaud Desplechin
Desplechin réactive le primat du subjectif et de l’introspection et approfondit quelques questions costaudes (qui suis-je ? comment se forge mon identité ? de quoi sont faits mes souvenirs ?) au sein d’un éblouissant tourbillon romanesque. Savant jeu de rimes et de signes, de fantaisies formelles et de flux souterrains, cette œuvre-somme entremêle les héros de son musée imaginaire en affirmant une croyance sereine dans un art ouvert sur le monde, apte à conjuguer l’intime et la grande Histoire.
9. Seul sur Mars – Ridley Scott
Mark a beau être un scientifique de haut vol, il reste un scout qui aborde sa condition de naufragé comme les Castor Juniors un orage inopportun pendant leur camp d’été. L’ambiance est détendue donc, mais elle n’empêche pas l’aventure d’assurer une implication maximale. Car le rythme fluide et classique, l’humour et l’effort en synergie, la primauté accordée à la volubilité, à la mobilité, à la persévérance et à la coopération apportent à cette équipée herculéenne une vraie forme de grandeur.
10. Taxi Téhéran – Jafar Panahi
Condamné à ne plus exercer son métier, Jafar Panahi transforme un taxi en studio et y fait défiler un échantillon représentatif de la société iranienne : les pauvres et les riches, le secteur formel et l’informel, les conservateurs et les contestataires. Jusqu’au dialogue qu’il engage avec son adorable chipie de nièce, il montre ainsi comment les images s’assemblent et se propagent sans qu’aucun fonctionnaire puisse s’en rendre maître. L’exercice est constamment drôle, intelligent et stimulant.
Sur le banc : Au-delà des Montagnes (Jia Zhang-ke), La Belle Saison (Catherine Corsini), Le Garçon et la Bête (Mamoru Hosoda), Mission Impossible : Rogue Nation (Christopher McQuarrie), Star Wars épisode VII : Le Réveil de la Force (J.J. Abrams)…