Suite à la redécouverte en blu-ray de quelques Tavernier, il est de bon ton de revenir sur le premier long-métrage du sieur.
Adapté d'un roman de Georges Simenon, en collaboration avec le fameux duo Jeanson et Bost à l'écriture, l'oeuvre dans son ensemble dégage une grande simplicité. Tout en racontant des choses complexes.
En gros, le film raconte l'histoire d'un brave horloger lyonnais, dont sa vie relativement paisible éclate quand il apprend que son fils, avec lequel il ne communiquait pas beaucoup, a tué un homme de sang-froid et avec préméditation.
Avec ce synopsis, Tavernier va donc plonger dans les doutes et les questionnements d'un homme, qui va tenter de comprendre les choses, mais sa quête n'ira pas forcément là où l'on s'y attend. Car il y a deux thématiques principales dans ce film. La première, la plus évidente, est celle de l'échange, de la communicabilité. Ces éléments que le personnage de Michel Descombes va sans cesse essayer de rattraper, de manière hésitante, puis de plus en plus sûrement. Et ce, en s'imbriquant dans les atermoiements de systèmes efficaces mais quelque part fragilisés (la justice, les opinions politiques, la morale, la culpabilité et l'innocence). Ce qui fait la force tranquille du film, c'est que tout est bien raconté, sans fioritures, se permettant des moments de pause au milieu du récit, de réflexions sur un sentiment refoulé ou sur une évidence qui vient de tomber. Descombes a besoin de parler, parler, discuter, de comprendre. Le semblant de complicité qui pointe avec le policier chargé de l'enquête n'est qu'un mirage parmi d'autres murs à franchir.
Mais ce qui me plaît le plus dans ce film, c'est la deuxième thématique qui parcourt l'ensemble, plus subtile tout en étant bien présente, celle de l'enfance.
En effet, le film débute sur le plan d'un enfant (la fille de Tavernier dans la vie) dans un train qui s'aperçoit qu'à l'extérieur une voiture est en train de brûler, sans évidemment savoir que c'est tout le nœud du drame qui est symbolisé ici. Cette innocence qui regarde la représentation la plus efficace de la culpabilité donne le ton sur la véritable motivation de ce film, dans lequel toute ramification sociale part de cette corrélation. Pour le personnage de Descombes, comme souvent la plupart des parents, son fils reste un enfant. Même s'il sait qu'il est indépendant, autonome. En lui montrant la culpabilité de sa progéniture, ce n'est pas l'atrocité intime de cette nouvelle qui sera poursuivie en filigrane, mais la plus brutale manière de découvrir que l'enfance n'est plus. Autrement dit que l'horloger, si apte à remettre littéralement le temps à sa place, découvre non seulement que le temps est derrière lui, mais qu'il n'a fait qu'en perdre, inlassablement, tranquillement, sans s'en apercevoir, pour se complaire avec bonhomie dans un célibat de quadra pépère. L'enfance, il en est question dans la célèbre séquence entre le flic et l'horloger sur l'interprétation d'un dialogue d'un petit garçon avec le héros du film. On y voit se balançait le pour et le contre, la mauvaise image contre la poésie douce et vivifiante de cette intervention. Comme par hasard, Tavernier choisit pour cadre le fabuleux Parc de la Tête d'Or, avec des biches et des faons se baladant nonchalamment derrière les personnages.
Du coup, il faut rappeler aussi à quel point le jeune cinéaste décide de filmer la ville de Lyon comme un personnage auquel on n'avait jamais réellement rendu justice. Il utilise magistralement les décors de cette métropole, sans jamais tomber dans le piège du tape-à-l’œil et du publicitaire, mais en choisissant sciemment les lieux comme emblèmes dramaturgiques. On ne va pas revenir sur l'exemple cité ci-dessus, mais les pavés du Vieux-Lyon sont en parfaite adéquation avec la vie ridée et figée de notre brave horloger, les balades nocturnes sur les différentes places exposent la routine appréciable. Les quais du Rhône se trouvent être le lieu de passage entre le passif et l'actif du personnage (une petite leçon donnée à des casseurs qui ont voulu faire peur au protagoniste)...
Tout ceci à travers une mise en scène réaliste, classique, mesurée, bien équilibrée. Des dialogues brillants. Des comédiens parfaitement naturels (Noiret et Rochefort donnent le la à d'autres performances plus discrètes).
Bref, un très beau film, émouvant sans forcer.
L'Horloger de Saint-Paul (Bertrand Tavernier - 1974)
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Re: L'Horloger de Saint-Paul (Bertrand Tavernier - 1974)
Oui.Watkinssien a écrit :
Tout ceci à travers une mise en scène réaliste, classique, mesurée, bien équilibrée. Des dialogues brillants. Des comédiens parfaitement naturels (Noiret et Rochefort donnent le la à d'autres performances plus discrètes).
Bref, un très beau film, émouvant sans forcer.
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Re: L'Horloger de Saint-Paul (Bertrand Tavernier - 1974)
Merci pour cette positive affirmation, mon cher.
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Re: L'Horloger de Saint-Paul (Bertrand Tavernier - 1974)
Bof
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Re: L'Horloger de Saint-Paul (Bertrand Tavernier - 1974)
Revu à l'instant avec toujours le même plaisir. Un coup d'essai maitrisé de bout en bout, Lyon qui n'aura sans doute jamais été aussi joliment filmée, une musique de Philippe Sarde très émouvante tout comme le film d'ailleurs porté à bout de bras par un magnifique Philippe Noiret. En tout cas rien d'académique dans la mise en scène - au contraire - contrairement aux dires de certains. Je vais poursuivre en essayant de me faire l'intégrale ou presque.
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Re: L'Horloger de Saint-Paul (Bertrand Tavernier - 1974)
Découvert hier sur France 5.
Très beau film. J’ai vraiment adoré la première partie, cette idée géniale de parler d’un crime et surtout d’un fils qu’on ne voit pas. Tout ça reste en fond, crée presque quelque chose de mystérieux et apporte un réel poids au véritable sujet du film: la relation forcément difficile entre un père et son fils.
Cet homme qui ne connaît pas son fils, qui communiquait sans doute peu avec lui qui voudrait désormais lui poser tant de question alors que ce dernier est en cavale.
Scène bouleversante chez la nourrice Madeleine.
Une chambre, des posters, des livres, des bribes de souvenirs et le regard triste de Philippe Noiret.
Et puis patatras le commissaire (formidable Jean Rochefort) a retrouvé le jeune assassin.
Je ne sais pas si c’est l’acteur ou simplement le fait d’avoir un visage (donc forcément une déception) à mettre sur ce fantasme mais ça m’a presque (presque hein) gâché le reste du film.
Le film marche par l’ellipse, le mystère, les blancs d’une relation, d’une personne. D’ailleurs une des meilleurs scène demeure celle du procès… qu’on ne verra pas.
Très belle scène finale, radieuse et émouvante.
Très beau film. J’ai vraiment adoré la première partie, cette idée géniale de parler d’un crime et surtout d’un fils qu’on ne voit pas. Tout ça reste en fond, crée presque quelque chose de mystérieux et apporte un réel poids au véritable sujet du film: la relation forcément difficile entre un père et son fils.
Cet homme qui ne connaît pas son fils, qui communiquait sans doute peu avec lui qui voudrait désormais lui poser tant de question alors que ce dernier est en cavale.
Scène bouleversante chez la nourrice Madeleine.
Une chambre, des posters, des livres, des bribes de souvenirs et le regard triste de Philippe Noiret.
Et puis patatras le commissaire (formidable Jean Rochefort) a retrouvé le jeune assassin.
Je ne sais pas si c’est l’acteur ou simplement le fait d’avoir un visage (donc forcément une déception) à mettre sur ce fantasme mais ça m’a presque (presque hein) gâché le reste du film.
Le film marche par l’ellipse, le mystère, les blancs d’une relation, d’une personne. D’ailleurs une des meilleurs scène demeure celle du procès… qu’on ne verra pas.
Très belle scène finale, radieuse et émouvante.