Femme ou Démon (Destry Rides Again, 1939) de George Marshall UNIVERSAL
Sortie USA : 30 novembre 1939
Voilà une faste année qui se terminait en beauté avec, certes non pas un chef-d’œuvre, mais un film éminemment agréable. Face à La Chevauchée Fantastique et Sur La Piste des Mohawks de John Ford, Pacific Express de Cecil B. DeMille, Le Brigand bien aimé d'Henry King ou Les Conquérants de Michael Curtiz, Femme ou démon est pourtant resté injustement en retrait, abusivement taxé de "comédie westernienne sympathique mais sans prétention", alors qu’il n’avait pas tant que ça à rougir de la proximité de ses autres illustres titres. Destry Rides Again (de son vrai titre d’après le roman de Max Brand adapté à de multiples reprises) raconte l’histoire d’une ville régentée par le propriétaire d’une maison de jeu (Brian Donlevy) et dont les habitants vont faire appel au fils d’un impitoyable homme de loi, Tom Destry (James Stewart), et le nommer shérif avec l’espoir qu’il réussisse à faire cesser cette "dictature". Mais ce dernier se révèle être un "Tenderfoot" peu crédible en homme de loi, qui va d’abord faire l’objet de sarcasmes et de quolibets en tous genres sans qu’il ne s’en offusque outre mesure. Son passe-temps est de tailler des ronds de serviette dans des morceaux de bois ; il n’arrête pas de raconter des fables et anecdotes moralisatrices et refuse de porter des armes pour ne pas s’attirer des ennuis. Il va pourtant mener à bien sa mission sans coups de feu ni violence, tout au moins au départ, aidé en cela par la maîtresse de son pire ennemi, l’entraîneuse French (Marlene Dietrich)...
Tout d’abord, mettons les choses au point car beaucoup craignent les comédies westerniennes : il s’agit plus d’un western avec beaucoup d’humour que d’une farce ou d’une parodie ; à ce propos, pour s’en convaincre, il suffit de voir le final dramatique et poignant qui n’aurait jamais eu sa place à l’intérieur d’une comédie. En fait, George Marshall, prolifique artisan dont Femme ou démon pourrait être l’un des meilleurs films, réussit le tour de force de changer de ton d’une séquence à l’autre en gardant une certaine fluidité et sans que l’unité en soit chahutée, passant avec maestria de la comédie au drame, de la romance au western sans que jamais cela nous gêne, sans que ce ne soit lourd ou indigeste une seule seconde. De plus, il a merveilleursement réussi à saisir l'effervescence de cette petite ville ; son film respire la vitalité.
Un petit joyau superbement dialogué, finement et intelligemment écrit, et qui voit en James Stewart le parfait interprète de ce personnage à la fois honnête et roublard, tout droit sorti d’un film de Frank Capra avec qui l’acteur commençait à l’époque une collaboration fructueuse et inoubliable. Le personnage de Tom Destry a beaucoup de point commun avec le Jefferson Smith de Capra qu’il joua la même année, comme si ce dernier après être sorti du Sénat s’était rendu dans cette petite ville y appliquer ses principes démocratiques pour y faire place nette. Doux et innocent mais la seconde suivante capable d’autorité et de colère ; son visage décomposé et inquiétant après la mort de son ami, sa façon de boucler son ceinturon avec une étonnante violence rentrée préfigure les rôles qu’il aura à tenir dans les westerns d’Anthony Mann.
Un régal qui voit aussi Marlène Dietrich dans un de ses rôles les plus attachants (dévolu au départ à Paulette Goddard), celui d’une "Saloon Gal", tiraillée entre l’amour que lui porte son patron, le tyrannique Brian Donlevy (grand habitué des personnages de ce genre, surtout en cette année 1939 où on le voit quasiment dans chaque western important), et ses sentiments envers ce "héros" d’un nouveau genre que se trouve être Destry. Ils forment tous deux un duo inoubliable. Il faut la voir, agonisant dans les bras de James Stewart, s’essuyer d’un revers de main le rouge à lèvres pour que ce dernier garde d’elle un souvenir ému en l’embrassant ; il lui avait fait auparavant la remarque comme quoi elle devrait enlever ce maquillage outrancier afin d’être encore plus belle. Un très beau moment parmi tant d’autres délectables dont la première ‘prise de bec’ de Frenchy et Destry, l’entraîneuse jetant à la figure du nouveau shérif adjoint tout ce qui lui tombe sous la main ou encore les trois chansons que Marlene interprète, écrites par les duettistes habituels Frank Loesser et Friedrich Hollander.
Avec sa tripotée de savoureux seconds rôles, Femme ou démon finit de convaincre et d’emporter l’adhésion. Alors qu’on les prend tous au départ uniquement pour des faire-valoir comiques, ils s’humanisent tous au fur et à mesure de l’avancée de l’histoire. Que ce soient Charles Winninger (l’ivrogne du village retrouvant l’estime de soi en étant nommé shérif alors qu’au départ cette ‘élection’ avait été montée de toute pièce par les escrocs de la ville afin que ce représentant de la loi ne leur fasse pas d’ombre et soit à leur botte), Mischa Auer, Una Merkel, Irene Hervey ou Jack Carson, ils se révèlent tous au final bien plus intéressant qu’on aurait pu le croire au départ, chacun d’eux évoluant et gagnant notre sympathie. D’ailleurs, les ‘gags’ récurrents de cet attachant western ne servent d’ailleurs eux non plus pas uniquement à nous faire sourire mais se révèlent parfois le point de départ de très belles idées dramatiques ; voire l’exemple de celui voyant James Stewart remettre la chemise correctement dans le pantalon du shérif à chaque fois qu’il se trouve en face de lui qui sera l’occasion d’un joli moment d’émotion à la mort de ce dernier. Appréciant énormément l’histoire, George Marshall tournera lui-même un des remakes de son film en 1954, Le Nettoyeur (Destry), avec Audie Murphy dans le rôle titre.
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Le Nettoyeur (Destry, 1954) de George Marshall
UNIVERSAL
Avec Audie Murphy, Mari Blanchard, Thomas Mitchell, Edgar Buchanan, Lyle Bettger, Lori Nelson, Wallace Ford, Alan Hale Jr
Scénario : Edmund H. North & D.D. Beauchamp
Musique : Joseph Gersenshon
Photographie : George Robinson (Techicolor 1.85)
Un film produit par Stanley Rubin pour la Universal
Sortie USA : 01 décembre 1954
Dans l’histoire du cinéma hollywoodien, peu de cinéastes ont fait un remake de leur propre film. Pour ne citer que les plus célèbres, il y eut quand même Raoul Walsh qui par deux fois a converti l’intrigue d’un de ses films pour la transposer dans un autre univers ; ainsi le film noir High Sierra (La grande évasion) fut transposé en western avec La fille du désert (Colorado Territory) de même que son film de guerre Aventures en Birmanie (Objective Burma), transposé à nouveau en western avec Les Aventures du Capitaine Wyatt (Distant Drums). D’autres comme Leo McCarey firent des remakes plus proches de l’original avec pour exemple ses deux versions de Elle et lui. George Marshall fait ici de même, reprenant parfois presque plan par plan son célèbre Destry Rides Again (Femme ou démon) datant de 1939 et qui avait pour acteurs principaux James Stewart et Marlene Dietrich. Tache ardue que de leur succéder et pourtant, sans néanmoins atteindre leur niveau, Audie Murphy et Mari Blanchard s’en tirent plus qu’honorablement. L’interprétation de ce duo de comédiens est d’ailleurs la qualité principale de ce western humoristique pas désagréable mais loin de valoir son prédécesseur.
Dans une petite ville du Far-West sous la coupe du propriétaire du saloon, Phil Decker (Lyle Bettger), le shérif de la ville meurt dans d’étranges circonstances. Le maire (Edgar Buchanan) ne perd pas de temps et nomme un nouvel homme de loi en la personne de l’alcoolique de service, Reginald T. ‘Rags’ Barnaby (Thomas Mitchell), misant sur son inefficacité notoire pour pouvoir continuer tranquillement aux côtés de Decker à contrôler la ville. Mais Rags décide de prendre sa nouvelle fonction très au sérieux en commençant par arrêter de boire. Il demande à ce que Tom Destry (Audie Murphy), le fils d’un légendaire et impitoyable Marshall de qui il fut l’assistant, vienne l’épauler dans la première tache qu'il s'est fixé et qui va s’avérer difficile : enquêter sur le décès de son prédecesseur. Quoiqu’il en soit, quand Destry fait son entrée en ville, les ‘tyrans’ sont soulagés de le voir descendre de la diligence avec une ombrelle et une cage à oiseaux dans chaque main ; de plus, loin d’avoir la prestance de son père, Destry ne boit que du lait et ne porte jamais d’armes, croyant avant tout en la loi et la justice (« I don't believe in gun ») : un véritable ‘pied tendre’ à priori inoffensif ! Etant l’objet de sarcasmes et de quolibets en tous genres sans s’en offusquer le moins du monde, il est déterminé à mener sa mission à bien sans coups de feu ni violence, tout au moins au départ, aidé en cela par la maîtresse de son pire ennemi, l’entraîneuse Brandy (Mari Blanchard)...
Après Tom Mix en 1932 et James Stewart en 1939, c’est donc au tour d’Audie Murphy d’endosser la défroque du célèbre ‘Tenderfoot’ créé par Max Brand au sein de son plus fameux roman écrit en 1930. Connaissant sa réputation d’amateur d’armes à feu, il est déjà cocasse de voir le comédien interpréter ici un homme de loi les dénigrant. Un shérif procédurier qui va dans un premier temps se mettre à dos les honnêtes gens qui le prennent pour un couard par le fait de prendre fait et cause pour les notables. Mais heureusement, c’est justement ce pinaillage estimant que "la loi ne souffre aucune exception" qui fera que les ‘Bad Guys’ n’auront évidemment pas le dernier mot. Audie Murphy qui, bien que régulièrement critiqué, était néanmoins l’un des plus célèbres cow-boys des années 50, autant apprécié à l’époque que John Wayne ou Randolph Scott, les films dans lesquels il tournait ayant presque tous été de gros succès au box-office. Son visage poupin et sa modestie de jeu font ici merveille et correspondent parfaitement au rôle. Poli, courtois, à cheval sur les principes, adepte de la non-violence et gentleman cultivé, l’acteur n’a pas de mal à convaincre d’autant qu’au vu de son physique éternellement doux et jeune, on l’avait justement toujours imaginé comme ça dans la vie même s’il n’en était rien. Bref, une bonne interprétation de la part de l’acteur même s’il ne nous fera pas oublier James Stewart. Petite variante de manie entre les deux personnages ; si James Stewart maniait le canif pour tailler des bouts de bois, Audie Murphy s’amuse continuellement à faire des nœuds avec un petit bout de corde ; refusant de jouer avec les armes à feu, il fallait bien que les différents Destry s’occupent les mains.
Ce petit détail pour nous remémorer qu’il existe un remake non-officiel au film de George Marshall, bien moins connu et pourtant beaucoup plus réussi, Frenchie de Louis King, sorti en 1951 avec Shelley Winters et Joel McCrea, ce dernier ayant le même hobby que le protagoniste interprété par James Stewart. Deux westerns avec beaucoup d’humour et une ambiance bon enfant (sans cependant que ça en fasse des comédies) ; l’un, celui de Louis King (tout comme la version Destry de 1939), bien plus amusant, plus rythmé, plus énergique et contenant bien plus de fantaisie. Le scénario de Le Nettoyeur ne comporte rien évidemment de bien révolutionnaire et surtout rien de très nouveau par rapport à celui de la précédente version. En revanche, toujours pour la Universal, cette cuvée 54 bénéficie de l’écran un peu plus large (1.85) et surtout du Technicolor, de très beaux costumes et décors (la chambre de Mari Blanchard et son papier peint cossu) ainsi que de chansons très entrainantes que l’actrice interprète avec une verve qui fait plaisir à voir et à entendre, notamment dans la séquence qui ouvre le film (‘Bang! Bang!’) et plus tard le temps d’un French Cancan endiablé (‘If You Can Can-Can’).
La délicieuse et pulpeuse Mari Blanchard a d’ailleurs très probablement regardé la précédente version du film avec attention car on se prend à penser plusieurs fois dans le courant du film que ses mimiques ou gestes ressemblent étrangement à ceux de Marlene Dietrich : le mimétisme est parfois frappant. Nous nous trouvons donc devant une honnête interprétation de sa part dans la peau de la prostituée au grand cœur (sa mort est presque aussi touchante que celle de Marlene Dietrich dans la version 39) tout comme celle de Lyle Bettger, spécialisé depuis quelque temps dans les rôles des méchants de service, efficacement diabolique avec sa tête de beau gosse aux yeux bleus. Le reste de la distribution ne fait guère d’étincelles à commencer par un Edgar Buchanan qui n’arrête pas de tenir les mêmes rôles, la morne Lori Nelson et surtout Thomas Mitchell assez insupportable dans les séquences où il est imbibé par l’alcool ; on a connu le comédien souvent plus inspiré et en tout cas il ne nous fait pas oublier le Charles Winninger dans Destry Rides Again.
Hormis une bonne interprétation des acteurs principaux et un technicolor qui continue à nous en mettre plein la vue, peu d’autres choses à se mettre sous la dent à l’exception de quelques ‘punchlines’ assez drôles et une fusillade finale dans la saloon assez efficace. Nous ne nous ennuyons pas mais nous ne sommes guère captivés non plus par ce western urbain plaisant mais bien conventionnel, la mise en scène de George Marshall ne tirant jamais le film vers le haut. Dans le style, on peut quand même plus fortement conseiller, toujours chez Universal (qui s’en est fait une sorte de spécialité), à un degré moindre The Gal who took the West de Frederick de Cordova mais surtout Frenchie de Louis King, déjà évoqué plus haut ! En tout cas, en cette année 1954, George Marshall aura décidé de ne pas prendre le western trop au sérieux puisque le millésime avait débuté avec le très curieux Les Jarretières rouges (Red Garters). Tout comme ce dernier, Destry est une série B distrayante à défaut d'être mémorable.
Les Jarretières rouges (Red Garters, 1954) de George Marshall
PARAMOUNT
Avec Rosemary Clooney, Jack Carson, Guy Mitchell, Pat Crowley, Gene Barry, Cass Daley, Frank Faylen, Buddy Ebsen, Joanne Gilbert
Scénario : Michael Fessier & Frank Tashlin
Musique : Joseph J. Lilley
Photographie : Arthur E. Arling (Technicolor) 1.85
Un film produit par Pat Duggan pour la Paramount
Sortie USA : 09 février 1954
"You're about to see a new kind of western" prévient un carton avant même que le logo de la Paramount n’apparaisse à l’écran. Et quand c’est justement au tour des montagnes majestueuses du studio de se montrer à nous, elles se dévoilent sous un jour nouveau, se découpant sur un fond rouge vif alors que les étoiles qui les entourent se mettent à entamer une sarabande endiablée pour se retrouver à l’image en tant que lampes de théâtre éclairant une scène de spectacle sur laquelle Rosemary Clooney (oui, la tante du fameux George) et ses girls dansent, portant les jarretières rouges du titre ! Autant dire qu’une joyeuse originalité semble d’emblée être mise en avant. Et effectivement, cette comédie musicale westernienne sera avant tout destinée aux amateurs de curiosités (musicales de surcroit) plus qu’aux fans de westerns. Après une période de vache maigre dans le genre qui nous intéresse ici, George Marshall, au moins mémorable pour son réjouissant Femme ou démon (Destry Rides Again) avec James Stewart et Marlène Dietrich, faisait son retour avec ce Red Garters surprenant à défaut d’être palpitant ! Car passé l’effet de surprise bien réel, si certains continueront à s’y amuser, il est fort probable qu’une majorité s’y ennuiera.
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Reb Randall (Guy Mitchell) arrive à Limbo County (ville imaginaire de Californie) sur son cheval « qui n’aime pas les chevaux et qui, s’il avait été un homme aurait probablement été voleur de chevaux ». La ville est actuellement désertée : seul un enfant d’une dizaine d’année, punie pour avoir tiré des coups de feu sur l’école, erre dans la rue principale avec son revolver à la ceinture. Il lui apprend que les autres habitants se sont rendus au barbecue traditionnel qui suit chaque enterrement. Aujourd’hui, c’est Robin Randall que l’on met joyeusement sous terre ; d’autant plus gaiment qu’il s’agissait d’un type peu fréquentable. Seulement, le code de l’Ouest stipulant qu’un homme digne de ce nom se doit de venger son frère, Reb est là pour accomplir cette tâche. En attendant de trouver le coupable, il participe aux festivités et tourne autour de la jolie Susanna Martinez de la Cruz (Pat Crowley) ; ce qui n’est pas du goût du tuteur de cette dernière, l’homme qui règne sur la ville, l’arrogant Jason Carberry (Jack Carson) qui est incapable de monter ou descendre de cheval sans s’étaler par terre de tout son long. Jason a pour petite amie, la pulpeuse chanteuse du Red Dog Saloon, Calaveras Kate (Rosemary Clooney), seule femme de la ville a vouloir empêcher les mâles de vouloir dégainer leur arme à tout bout de champ et pour n’importe quelle futile raison. D’ailleurs, Reb est sur le point de se battre en duel avec Rafael Moreno (Gene Barry), pistolero tout de noir vêtu, « né pour séduire les femmes et tirer vite » qui vient de lui lancer un regard qu’il n’a guère apprécié !
Pas facile de narrer l’intrigue de cette parodie enjouée de western. Car si le film fourmille d’idées amusantes, il faut bien vite se rendre à l’évidence : son scénario est totalement inconsistant et finira assez vite par en lasser une majorité. Les histoires de Annie Get your Gun, Calamity Jane ou Harvey Girls (pour ne citer que les autres comédies musicales westerniennes déjà sorties) n’étaient guère plus originales mais possédaient l’avantage d’être bien écrites alors que Red Garters est une sorte de vaudeville sans quiproquos narrant dans le même temps trois romances simultanées, sans qu’aucune d’entre elles ne possède de saveur. Bref, il faut prendre le film pour ce qu’il est (et c’est déjà pas mal) : une cocasse parodie de western avec pas mal de bons gags, de situations drolatiques et de nombreuses répliques délectables au sein d’une intrigue squelettique et sans intérêt. L’humour parfois surréaliste du film est dû en partie à Frank Tashlin qui avait au départ participé à l’écriture du scénario. C’est probablement sous son influence que sont nées les idées réjouissantes et saugrenues du cheval qui n’aimait pas les chevaux, du gamin aux révolvers seul ‘gardien’ de la ville désertée, ou drolatiques de la cavalerie arrivant après la fin des évènements, du running gag des cow-boys soulevant leur chapeau à chaque fois qu’est évoqué le sacro-saint 'Code of the West'… Beaucoup d’autres situations très comiques comme le couard fier de l’être, les habitants de la ville dépités lorsque Rosemary Clooney fait capoter un duel qui aurait pu être sanglant et meurtrier, et qui aurait donc pu être suivi par un nouveau barbecue…
La grande originalité du film, ce qui aurait pu faire une œuvre culte, c’est sa direction artistique, son style visuel faisant penser au spectateur qu’il assiste à une représentation de comédie musicale dans une salle de spectacle. Red Garters a d’ailleurs été nominé aux Oscar pour ses superbes décors mis au point par Hal Pereira et Roland Anderson. Des décors stylisés au maximum, totalement abstraits, sur fond de couleurs vives sans aucun dégradés : ce qui donne les scènes en extérieurs dans des coloris jaunes avec le sol tapissé de sable, les séquences se passant dans le saloon dans des teintes rouges, celles de nuit sur fond bleu clair. Les personnages passent d’une pièce à l’autre en ouvrant des portes donnant sur des pièces sans murs, les fenêtres sont suspendues dans le vide, les arbres sont clairement en cartons… Edith Head a confectionnée de superbes costumes, ‘kitchissimes’ à souhait, flashant sacrément lors des quelques séquences de danses avec forte figuration, d’autant que le Technicolor est très bien utilisé pour accentuer ces couleurs antinaturelles au possible. Autre bel effet plastique ; celui des costumes noirs du couple formé par Gene Barry (parodiant un mexicain) et la jolie Joanne Gilbert se détachant magnifiquement lors d’une séquence où on les voit danser tous deux sur fond bleu.
Les acteurs cabotinent à souhait pour notre plus grand plaisir (Jack Carson est parfaitement rôdé à cet exercice et se fait de nouveau grandement plaisir à interpréter un homme fat et arrogant) ; emmenée par la charmante Rosemary Clooney, nous nous retrouvons devant une jolie ‘brochette’ de comédiennes plus attrayantes que réellement talentueuses. Quant à la musique écrite par Jay Livingston et Ray Evans, les duettistes auteurs de ‘Silver Bells’ et ‘Que sera, sera’, elle n’est pas désagréable même si presque aucune mélodie ne vous restera en mémoire à l’exception de l’air que chante Guy Mitchell à plusieurs reprises, ‘Dime and a dollar’, ainsi que cette autre, qui fait pendant aux deux séquences de ‘scènes de ménages' entre Howard Keel et Betty Hutton d’une part, Doris Day de l’autre dans respectivement Annie reine du cirque et Calamity Jane, l’amusante ‘Man and Woman’. Dommage que les chorégraphies de Nick Castle manquent à ce point d’imagination et de dynamisme car, à l’aide de ces décors expressément artificiels ultra-colorés et de ces costumes chatoyants, il y aurait eu de quoi rivaliser avec celles, géniales, signées Busby Berkeley ou de ces autres, énergiques, mises en place par Michael Kidd (ce dernier en fera d’ailleurs la démonstration dans le courant de cette même année avec Les Sept femmes de Barbe Rousse).
Un tiers western, un tiers comédie, un tiers musical : un film surprenant, tournant en dérision tous les clichés du western sans presque jamais être lourd (excepté le personnage de la squaw idiote) ni ennuyeux même si ça tourne assez rapidement à vide au fur et à mesure de l’avancée du film. Filmé dans des décors totalement abstraits entièrement en studio, un film entraînant, drôle et comprenant d’assez bonnes chansons. Où le 'code de l'Ouest' est ridiculisé et où il vaut mieux être un couard vivant qu'un héros mort ! Une curiosité fraîche et joyeuse plutôt bien mise en scène par un George Marshall qui ballade à son aise sa caméra au milieu de ses décors en carton-pâte. Mais il aurait été curieux de voir le résultat s’il avait été mis en scène par le réalisateur pressenti au commencement du projet, le plus délicat Mitchell Leisen. Dommage que le film soit dépourvu d’une bonne histoire et d’un background musical plus facilement identifiable. En l’état, peut néanmoins délasser !
Les Piliers du ciel (Pillars of the Sky - 1956) de George Marshall
UNIVERSAL
Avec Jeff Chandler, Dorothy Malone, Ward Bond, Keith Andes, Lee Marvin
Scénario : Sam Rolfe
Musique : William Lava & Heinz Roemheld sous la direction de Joseph Gershenson
Photographie : Harold Lipstein (Technicolor 2.35)
Un film produit par Robert Arthur pour la Universal
Sortie USA : 12 octobre 1956
Des westerns pro-indiens, il en sortait à la pelle depuis le début de la décennie ; pour continuer à attirer les foules dans les salles, il fallait alors que les scénaristes se creusent les méninges afin de trouver des détails insolites ou des idées nouvelles. Quelques semaines plus tôt, la Universal proposait déjà sur les écrans L’Homme de San Carlos (Walk the Proud Land) de Jesse Hibbs qui narrait l’histoire d’un ‘pied tendre’ venu de l’Est prendre les rênes d’une réserve indienne sans avoir jamais vu un seul ‘native’ et sans avoir porté une seule arme de sa vie. Les faits n'ont pas été inventés et John Philip Clum (interprété par Audie Murphy) était un personnage ayant réellement existé. Au final un western curieux et intéressant sans quasiment d’action. Si son scénario reste dans l’ensemble plus conventionnel, le postulat de départ de Les Piliers du ciel est tout aussi inaccoutumé mais également véridique : le film nous décrit d’emblée des tribus indiennes ayant été évangélisées, ses membres aux noms bibliques se rendant à l’office tous les dimanches y prier le dieu des blancs. Un western ‘chrétien’ qui de plus se déroule dans une région au Nord-Ouest des USA que l’on a peu l’habitude de voir au sein du genre, l’Oregon, avec ses majestueuses montagnes et ses immenses plateaux herbeux. Ces deux élément réunis plus le fait que les tribus indiennes ne soient pas des Apaches, des Comanches ou des Sioux mais des Nez-Percés, des Cœurs d’Alène, des Walla-Wallas, des Umatillas ou des Palouses, apportent du sang neuf et un peu ‘d’exotisme’ au genre même si le film se révèle au final somme toute très moyen sans être déplaisant pour autant.
1868 en Oregon. La paix entre les tribus indiennes et les blancs est maintenue surtout grâce à l’action du pasteur Joseph Holden (Ward Bond) qui a converti au christianisme la plupart des indiens de la réserve dans laquelle il officie, leur donnant à tous un nom biblique. Mais comme ailleurs, les traités ne sont pas respectés : le gouvernement décide de faire traverser une piste destinée aux pionniers en plein milieu de la réserve alors qu’il avait été stipulé qu’aucun civil blanc ne pourrait y mettre les pieds. L’équilibre précaire qu’Holden et le Sergent Emmett Bell (Jeff Chandler) avaient réussi à maintenir est désormais compromis. Pour savoir ce qu’il en est réellement, le Sergent, chef de la force de police indienne de la cavalerie américaine, accompagné de deux de ses éclaireurs Nez-Percés, se rend au camp de l’officier chargé de mettre en place ce projet, le Colonel Stedlow (Willis Bouchey), commandant d’une troupe de très jeunes soldats. Jeff apprend que le chef des Palouses, Kamiakin (Michael Ansara), a convoqué les chefs des autres tribus, espérant les convaincre de se joindre à lui afin de ne pas laisser de nouvelles troupes armées empiéter leur territoire, appelant à l’extermination si nécessaire. Est également présent lors de cette rencontre au quartier général militaire, le Capitaine Tom Gaxton (Keith Andes), le rival amoureux de Jeff. En effet, s’il sait que Calla (Dorothy Malone), son épouse, s’apprête à arriver en ces lieux, il est persuadé que c’est pour retrouver son amant qui n’est autre que Jeff. En pleine réunion, on vient annoncer que Kamiakin a pris en otage deux femmes : il y a de fortes chances pour que l’une d’elles soit Calla. Avant toute chose, il s’agit d’aller la délivrer, ce que s’apprêtent à faire le sergent insubordonné et son ami le pasteur…
D’après les connaisseurs en histoire indienne, contrairement à ce que l’on aurait pu penser à la vision du film, le scénario écrit par Sam Rolfe (l’auteur de l’histoire de The Naked Spur – L’Appât d’Anthony Mann) n’a pas grand-chose de fantaisiste, mais au contraire s’avère historiquement assez conforme, costumes, coiffes et tout le reste du background étant également très proches de la réalité. Il faut dire aussi que George Marshall et son équipe sont partis tourner sur les lieux même de l’action et qu’ils ont employés en tant que figurants des membres des différentes tribus évoquées dans le film. Les évènements narrés, ainsi que le fait que les indiens de la région aient été évangélisés avec douceur, sont donc tout à fait justes. De nombreuses missions chrétiennes et églises étaient alors implantées dans les réserves indiennes de l’Oregon et les membres de la tribu des Nez-Percés, ayant commencé à être convertis au christianisme depuis à peu près 40 ans, avaient même accompli des pèlerinage à l’Est afin de mieux appréhender la culture chrétienne. Quant aux noms des chefs indiens des différentes tribus vivant dans ces réserves, ils avaient bien été transformés en Isaac, Abraham ou autres Joseph ! En revanche, ‘les piliers du ciel’ évoqués dans le titre (de majestueuses montagnes aux sommets pointus délimitant le territoire de la réserve), on ne les voit que lors d’un seul plan au cours duquel on les évoque mais ne semblent pas se situer au même endroit que le reste de l’intrigue, les réserves décrites ne permettant pas de distinguer de montagnes à l’horizon. A l’exception de ce fait assez singulier (erreur topographique ?), la seule importante liberté prise par les auteurs vis-à-vis de la réalité se situe lors de la séquence finale péniblement et niaisement saint-sulpicienne au cours de laquelle les chefs des différentes tribus révoltées sont pardonnés lors d’une cérémonie religieuse initiée par Jeff Chandler ! Ils furent en réalité tous pendus par l’armée américaine !
Pillars of the Sky (on devine aisément le sous-texte religieux au travers de ce titre) est donc un western de série B contant un épisode réel et peu connu des guerres indiennes mais avec une approche plutôt originale, se voulant être un western 'chrétien'. Dommage que George Marshall soit un cinéaste si médiocre, n’arrivant presque jamais à faire décoller son film qui avait au départ été proposé à John Ford, John Wayne ayant été prévu pour interpréter le rôle du Sergent. Tous deux occupés par le tournage de La Prisonnière du désert (The Searchers), ils durent décliner l'offre et furent donc remplacés par George Marshall et Jeff Chandler. Le résultat aurait probablement été tout autre entre les mains du célèbre borgne, mais contentons nous de ce que nous avons puisque le film reste néanmoins tout à fait correct en l’état, plutôt efficace lors des scènes d’action (notamment celle de l’attaque faisant se rencontrer, dans une inextricable mêlée, indiens et soldats, et au cours de laquelle l’aspect fouilli donne un rendu assez réaliste ; dommage que les effets spéciaux des coups de canons s’avèrent ratés), assez bien dialogué et bénéficiant d’un casting plutôt convaincant à l’exception d’une Dorothy Malone qui ne semble pas à sa place et dont le personnage n’avait franchement pas vraiment lieu d’être. Le triangle amoureux est effectivement de trop au sein de cette intrigue, d’autant plus que l’achèvement de cette romance s’avère lui aussi, à l’instar de la dernière séquence, très édifiant, la femme retournant à son époux ; la morale chrétienne est sauve à ce niveau aussi ! Sinon, Jeff Chandler, même si surtout connu pour ses interprétations de Cochise, tout aussi habitué d’être vêtu de l’uniforme des Tuniques Bleues (il la portait déjà dans Au mépris des lois – The Battle at Apache Pass et A l’assaut de Fort Clark – War Arrow, tous deux de George Sherman ou encore dans Les Rebelles de Fort Thorn – Two Flags West de Robert Wise), ne s’en sort pas trop mal, assez à l’aise et charismatique dans le rôle de cet officier insubordonné, soudard et grande gueule. Et puis aviez-vous déjà vu un sergent aussi débraillé, les manches sans arrêt relevées afin de bien faire remarquer la pilosité virile de ses avant-bras ? Pas très réglementaire mais personne ne lui en fait la remarque.
A ses côtés, si l’on fait l’impasse sur le fadasse Keith Andes, on trouve Ward Bond et Lee Marvin dans des seconds rôles sur mesure et hauts en couleur, les trois acteurs étant d'ailleurs réunis lors de la plus belle séquence du film, celle de la mort en haut de la montagne du personnage joué par Lee Marvin que ses deux copains accompagnent durant ses derniers instants en étant couchés près de lui, chantant et buvant jusqu’à la fin de la nuit. Quant aux indiens, leurs interprètes paraissent crédibles et les auteurs les décrivent avec noblesse que ce soient ceux appartenant au camp des révoltés ou au contraire ceux ayant acceptés de rester sous la tutelle des blancs. Le scénariste nous propose d’ailleurs une intéressante réflexion sur les indiens souhaitant rester dans le giron de l’église et de l’armée : sont-ce des traîtres, des poltrons, des collaborateurs ou des résignés ? Ne seraient-ce pas tout simplement des hommes réalistes et pleins de bons sens ayant compris, comme l’explique l’un des éclaireurs Palouses, que, le ver étant dans le fruit ("Nous n’avons plus l’habileté de nos pères, nous l’avons perdue il y a des lunes et des lunes" ), au lieu de se faire exterminer plus intelligent était vivre en bon terme avec les hommes blancs. Tout aussi intéressante est la description de ces très jeunes recrues inexpérimentées (presque des enfants) parmi les soldats du régiment chargé de construire la piste. Dommage que les auteurs se soient sentis obligés d'inclure de l'humour lourdingue avec cette sentinelle sans cesse en lutte avec son cheval récalcitrant nommé Razorback.
Le tout se déroulant au sein de beaux paysages photographiés en Technicolor, l’ensemble s’avère plaisant. Dommage une fois encore que la mise en scène soit aussi quelconque, le cinéaste utilisant le cinémascope sans génie, n’ayant pas, loin s’en faut, le sens du cadre d’un George Sherman ou d’un Delmer Daves, et du coup ne mettant pas assez en valeur les magnifiques panoramas qu’il a devant ses yeux. George Marshall ne fait pas d'étincelles mais enveloppe heureusement le tout avec un professionnalisme certain. Au sein de la filmographie en dent de scie de ce réalisateur très inégal (allant dans le genre du très mauvais La vallée du soleil au très bon Femme ou démon'), un western routinier mais pas désagréable se situant dans une honnête moyenne. En tout cas peut-être l'unique western ouvertement chrétien, et à ce titre une véritable curiosité !