Le Western américain : Parcours chronologique II 1950-1954

Rubrique consacrée au cinéma et aux films tournés avant 1980.

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feb
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Re: Le Western américain : Parcours chronologique Part 2 (50

Message par feb »

J'hésite à chaque fois que je le vois sur Amazon mais vu qu'il reçoit le fameux sceau Approved by Jeremy Fox, je vais me laisser tenter...
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Merci M. Fox :mrgreen: et chronique de compet' une fois de plus :wink:
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hellrick
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Re: Le Western américain : Parcours chronologique Part 2 (50

Message par hellrick »

Si tu n'as aucun des cas je te conseille directement le coffret 4 Westerns légendaire qui, pour une fois, ne ment pas, ce sont 4 excellents films (j'aime un peu moins le Hathaway mais c'est purement subjectif et puis il est aussi 100% Jeremy approved :D )

http://www.amazon.fr/Coffret-Western-DV ... 372&sr=8-4
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Jeremy Fox
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The Cariboo Trail

Message par Jeremy Fox »

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The Cariboo Trail (1950) de Edwin L. Marin
20TH CENTURY FOX


Avec Randolph Scott, George 'Gabby' Hayes, Bill Williams, Karin Booth, Victor Jory, Lee Tung Foo
Scénario : Frank Gruber
Musique : Paul Sawtell
Photographie : Fred Jackman Jr (Cinécolor 1.37)
Un film produit par Nat Holt pour la 20th Century Fox


Sortie USA : 01 août 1950

Un conseil pour éviter de perdre du temps y compris pour les aficionados du genre : si vous croisez au sein d’un générique de western le nom du scénariste Frank Gruber ou celui du producteur Nat Holt, arrêtez de suite les frais en poussant plus avant ; les westerns qu’ils ont écrits ou produits sont parmi les plus mauvais de l’histoire du genre durant les années 50, que ce soient à la RKO, la Paramount ou la 20th Century Fox. Les deux hommes ont même réussi à faire signer un navet à Gordon Douglas avec Les Rebelles du Missouri (The Great Missouri Raid). Dans la filmographie de Randolph Scott, trois westerns furent produits par l’indépendant Nat Holt et distribués par la Fox, trois titres au parfum d’aventure et d’exotisme : Canadian Pacific, The Cariboo Trail et Fighting Man of the Plains. Si je me suis plains auparavant du fait qu’ils soient difficiles à dénicher, après le calvaire subi à la vision de The Cariboo Trail je me contenterais de citer les deux autres sans spécialement chercher à les découvrir à tout prix. Alors quant un film produit par Nat Holt est de plus écrit par le médiocre Frank Gruber, vous pouvez aisément imaginer que l'on atteint des tréfonds de nullité ! Le scénariste est incapable de nous captiver et l’on capitule très vite devant autant d’idioties, de clichés et de situations déjà vues et revues. C’est le cas de ce film du tâcheron Edwin L. Marin, cinéaste qui lui non plus n’aura pas vraiment laissé grand-chose de potable dans le domaine qui nous concerne, son meilleur western ayant probablement été L’Amazone aux Yeux Verts (Tall in the Saddle) avec John Wayne.

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Jim Redfern (Randolph Scott), Mike Evans (Bill Williams) et Ling (Lee Tung Foo ), leur cuisinier chinois, viennent de passer la frontière canadienne pour entrer sur le territoire de la British Columbia en empruntant la piste Cariboo (Cariboo Trail). Ils arrivent du Montana avec 36 têtes de bétail destinées aux chercheurs d’or qui sont en manque de viande. Avec l’argent récolté, Jim espère établir un ranch dans la vallée du Chilcotin et continuer l’élevage de bovins ; en revanche, Mike est uniquement préoccupé par la possibilité de trouver de l’or. Alors qu’on veut leur faire payer le passage d’un pont, les trois hommes estimant qu’il s’agit de vol éhonté forcent le passage en lançant leurs bêtes à vive allure et continuent leur chemin sans être poursuivis. Au cours de leur cheminement, ils rencontrent le vieux prospecteur Grizzly (George ‘Gabby’ Hayes) et sa mule Hannibal qui se joignent au trio. Une nuit, alors qu’ils sont endormis, des hommes de Frank Walsh (Victor Jory), le notable qui tient la ville de Carson Creek sous sa coupe (et qui récolte au passage les ‘bénéfices’ du péage du pont), affolent et font fuir le bétail de Jim. A cette occasion Mike perd son bras gauche et nos héros se retrouvent sans plus aucune bêtes, pas même leurs chevaux. Heureusement, une diligence vient à passer qui les conduit jusqu’à Carson Creek où Mike est amputé puis soigné. Jim fait la connaissance de Francie Harrison (Karin Booth), la propriétaire du saloon, la seule à résister à toutes sortes d’avances et (ou) pressions du potentat local. Elle lui fait comprendre que celui à l’origine du Stampede pourrait bien justement être Frank Walsh ; d’ailleurs, Jim tombe sur un des hommes de ce dernier essayant de vendre une de ses bêtes disparues. C’est le début d’un violent conflit dont ne veut pas se mêler Mike qui, amer et aigri, accuse Jim de tous ses maux…

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Nous n’allons évidemment pas nous éterniser longuement sur un film qui n’en vaut absolument pas la peine. Excepté un ample et beau thème musical signé Paul Sawtell (surtout utilisé lors des images de l’avancée du troupeau), il n’y a quasiment rien d’autre à sauver de ce western affligeant. Bien évidemment que Randolph Scott est égal à lui-même mais devant tant de bêtises et d’incompétences, on arrive presque à l’oublier. Peu de temps avant, il jouait déjà dans le médiocre Colt 45 du même Edwin L. Marin pour la Warner cette fois. Cette même année, mieux vaut se souvenir du comédien dans l’agréable The Nevadan de Gordon Douglas. Pour en revenir rapidement au film dont il est ici question, son postulat de départ (qui ressemble d’ailleurs beaucoup à celui du sublime western à venir d’Anthony Mann, Je suis un Aventurier (The Far Country), quoiqu’ultra classique s’avérait pourtant alléchant et semblait pouvoir nous apporter notre comptant d’aventure et d’exotisme, les westerns se déroulant sur le territoire canadien ayant encore été jusque là plus que rares. Mais dès les premières images, on déchante : non seulement on ne croise aucune Tuniques Rouges à l’horizon mais les paysages qui auraient dus nous dépayser ressemblent finalement à des centaines d’autres vus auparavant dans des films se déroulant aux USA. Et puis il faut dire que le réalisateur ne fait aucun effort pour leur donner de l’ampleur, pas même pour les filmer correctement. La mise en scène ne vaut guère mieux lorsqu’il s’agit de séquences mouvementées ou intimistes. Le minimum syndical à tout niveaux, et encore !

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Tout est mou et sans saveur mais, pire que tout, le scénario de Frank Gruber est aussi terne et inconsistant que ridicule. Il suffit de se souvenir de la séquence dans le camp indien que même Roy Rogers ou Gene Autry n’auraient pas accepté dans un de leurs innombrables films. Emprisonnés par les indiens, nos héros ont l’idée de faire ruer leur mule en l’effrayant. Et voilà que l’animal envoie des coups de sabots à droite à gauche, décimant la tribu entière pendant que nos trois hommes s’éclipsent comme si de rien n’était. D’idées consternantes en ellipses foireuses, The Cariboo Trail se rapproche bien plus d’une navrante série Z que d’une efficace série B. L’un des plus mauvais westerns avec Randolph Scott et la Fox de continuer à nous prouver que le western n'était pas vraiment sa tasse de thé : à fuir sans regrets !
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Re: Le Western américain : Parcours chronologique Part 2 (50

Message par Wagner »

Je ne sais pas s'il est possible de comparer les styles sur une échelle de valeurs, mais c'est vrai que cette Flèche brisée me fait autant d'effet que la Prisonnière du désert question mise en scène avec davantage d'évidence chez Daves et plus de volonté chez Ford en effet.
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Jeremy Fox
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Re: Le Western américain : Parcours chronologique Part 2 (50

Message par Jeremy Fox »

Wagner a écrit :Je ne sais pas s'il est possible de comparer les styles sur une échelle de valeurs, mais c'est vrai que cette Flèche brisée me fait autant d'effet que la Prisonnière du désert question mise en scène avec davantage d'évidence chez Daves et plus de volonté chez Ford en effet.
Tout à fait d'accord ; exactement ce que j'ai essayé de dire.


"L'évidence", le terme que je cherchais hier. Dans les 10 premières minutes, après que James Stewart se soit fait ligoter par les indiens, Daves filme lentement une séquence au cours de laquelle on voit avancer des cavaliers au sein d'une étroite vallée traversée par une rivière. Depuis le début de ce parcours, je n'avais encore jamais vu un paysage aussi amoureusement filmé sans nécessairement qu'il y ait eu une recherche apparente d'effort plastique (mais à mon avis, il n'en est rien, bien au contraire) ; mais l'immense beauté de ce plan, sa sérénité, paraissent tellement couler de source ; c'est d'ailleurs sa marque de fabrique, celle pour laquelle il est devenu quasiment mon cinéaste préféré. Il faut dire aussi que la musique de Friedhofer rajoute encore à ce sentiment de totale plénitude.
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Re: Le Western américain : Parcours chronologique Part 2 (50

Message par someone1600 »

Encore un western magnifique chroniqué par Jeremy. :D
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Re: Le Western américain : Parcours chronologique Part 2 (50

Message par feb »

hellrick a écrit :Si tu n'as aucun des cas je te conseille directement le coffret 4 Westerns légendaire qui, pour une fois, ne ment pas, ce sont 4 excellents films (j'aime un peu moins le Hathaway mais c'est purement subjectif et puis il est aussi 100% Jeremy approved :D )

http://www.amazon.fr/Coffret-Western-DV ... 372&sr=8-4
Merci pour l'info hellrick mais je possède déjà Le jardin du Diable (approved by Jeremy Fox mais toujours pas vu...) donc je vais me pencher sur l'édition seule de La flèche brisée :wink:
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Re: Le Western américain : Parcours chronologique Part 2 (50

Message par Julien Léonard »

Le jardin du diable, c'est juste grandiose à tous les niveaux. Fonce ! Et après qu'on aille pas dire qu'Henry Hathaway n'est pas un grand cinéaste... :wink:

Fin de la pollution du sujet.
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Wagner
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Re: Le Western américain : Parcours chronologique Part 2 (50

Message par Wagner »

Je me demande si Delmer Daves n'est pas le cinéaste de l'âge d'or qui ressemble le plus à Terrence Malick. Il y a ce côté In paradisum dans tout ce qu'il filme. Et thématiquement cette Flèche brisée est bigrement proche du Nouveau monde.
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Re: Le Western américain : Parcours chronologique Part 2 (50

Message par Jeremy Fox »

Wagner a écrit :Je me demande si Delmer Daves n'est pas le cinéaste de l'âge d'or qui ressemble le plus à Terrence Malick. Il y a ce côté In paradisum dans tout ce qu'il filme.
8) Tu imagines à quel point je te donne raison !
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Re:The Furies

Message par Jeremy Fox »

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Les Furies (The Furies, 1950) de Anthony Mann
PARAMOUNT


Avec Barbara Stanwick, Walter Huston, Wendell Corey, Judith Anderson, Gilbert Roland, Thomas Gomez, Beulah Bondi, Albert Dekker, Wallace Ford
Scénario : Charles Schnee d'après un roman de Niven Busch
Musique : Franz Waxman
Photographie : Victor Milner
Une production Hal B. Wallis dsitribuée par Paramount


Sortie USA : 16 août 1950


La capacité qu’avaient certains réalisateurs hollywoodiens de l’époque à pouvoir tourner deux, voire trois films en une année, tous d’une égale qualité, ne cessera de m’étonner même si loin de moi l’idée que « c’était mieux avant ». Le système de production était tel que les spectateurs américains purent par exemple en 1950 voir trois westerns réalisés par Anthony Mann en même pas deux mois d’intervalle ; sans compter La Rue de la Mort (Side Street) sorti sur les écrans quelques semaines avant !!! Une année bougrement prolifique pour ce cinéaste qui s’épanouira vraiment avec plénitude durant les années 50. The Furies est bizarrement son western le moins connu ; au vu du résultat, on se demande bien pourquoi car, même s’il ne saurait prétendre se hisser au niveau du quinté avec James Stewart, non seulement il y a de grandes chances qu’il puisse plaire aux amateurs de westerns mais il pourrait aussi bien combler les fans de mélodrames voire même surprendre ceux qui ne jurent que par le film noir (les dialogues y font grandement penser). A l’opposé de Winchester 73 sur le fond et les thématiques mais on ne peut guère se tromper sur la forme, elle est bien reconnaissable, celle d’un réalisateur qui ne fait pas dans l’esbroufe mais qui n’en construit pas moins une mise en scène au cordeau avec des plans tous autant travaillés les uns que les autres. Autant dire que son film est, malgré la rapidité de son tournage, loin d’être bâclé.

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1870. Le veuf Temple Jeffords (Walter Huston), riche éleveur de bétail, revient de San Francisco dans son immense domaine du Nouveau Mexique, ‘The Furies’, où il règne en despote ; un homme à tel point imbu de sa personne qu’ils se fait imprimer sa propre monnaie. Dédaignant Clay (John Bromfield), son fils trop timoré, c’est sa fille Vance (Barbara Stanwyck) qu’il adore pour son caractère bien trempé, qu’il destine à lui succéder à la tête de la propriété. Ses affaires financières n’étant pas florissantes, Reynolds (Albert Dekker), son banquier, accepte de lui faire un immense crédit à condition qu’il chasse tous les ‘squatters’ mexicains de ses terres. Mais Vance insiste pour que la famille Herrera puisse rester, le fils aîné Juan (Gilbert Roland) étant son ami d’enfance, qui plus est, amoureux d’elle depuis toujours. Entre temps, elle tombe sous le charme de Rip Darrow (Wendell Corey), un joueur et patron de saloon dont le père a autrefois été tué par Temple pour un bout de terre fertile légalement gagné mais qu’il souhaite ardemment récupérer se croyant dans son bon droit. Alors qu’elle pense avoir séduit Rip et trouvé un époux pour l’aider à diriger son futur domaine, elle tombe de haut : Rip accepte une forte somme de Temple à condition qu’il quitte sa fille. Vance n’est pas au bout de ses mauvaises surprises puisque peu de temps après son père ramène de San Francisco Flo Burnett (Judith Anderson), une intrigante qui s’installe dans la maison et qui manigance pour la déposséder de son héritage. Les deux femmes se vouent une haine farouche qui va en s’accentuant quand vance apprend que Flo va devenir sa belle-mère. De rage, elle la défigure en lui jetant un ciseau à la face. Son père, pour venger sa future épouse, chasse Vance du domaine familial après qu’il ait brûlé la maison des Herrera et fait pendre l’ami d’enfance de sa fille sous les yeux de cette dernière. Elle jure de se venger avec l’aide de Rip Darrow…

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Pas facile à raconter ce script assez dense oscillant entre traditionnelle histoire de Cattle Baron impitoyable, tragédie shakespearienne, mélodrame familial et passionnel, le tout saupoudré d’un soupçon d’ambiance film noir et se déroulant évidemment au milieu de décors westerniens de toute beauté aussi bien en intérieur (réaliste tout en étant richement décorés) qu’en extérieur (ceux de l’Arizona et non du Nouveau Mexique). En effet, le scénario de Charles Schnee (juste auparavant, signataire de ceux, magnifiques, de La Rivière Rouge - Red River de Howard Hawks et Les Amants de la nuit – The Live by Night de Nicholas Ray), non exempt de légers défauts que nous aborderons par la suite, se révèle néanmoins d’une richesse aussi bien psychologique que dramatique, entrecroisant habilement de multiples relations intéressantes entre différents groupes de personnages, courant plusieurs lièvres à la fois sans jamais se perdre en route dans ses méandres financiers ou romanesques, l’ensemble restant vraiment très fluide. C’est la première caractéristique de ce film de proposer une intrigue complexe mais jamais pesante ni embrouillée, les auteurs évitant toutes les embûches qu’auraient pu constituer une histoire rappelant pas mal celle de Duel au Soleil, et pour cause, déjà écrite par Niven Busch. D’ailleurs, à leurs visions, il est amusant de noter les innombrables similitudes entre les deux films ; jeu dans lequel je ne rentrerais pas ici pour vous laisser les découvrir par vous-même. Si les intrigues se ressemblent, il n’en est rien de leur traitement quasiment antinomiques sans que l’on puisse affirmer que l’un est meilleur que l’autre ; il est au contraire toujours passionnant et instructif de voir que l’on peut raconter des histoires assez proches de manière aussi différentes. Au baroque délirant, excessif et kitsch de King Vidor, Anthony Mann préfère une certaine sécheresse d’image, une belle sobriété d’ensemble.

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Et, au Technicolor flamboyant de Vidor, Mann lui oppose un noir et blanc violemment contrasté sauf lors des scènes nocturnes étonnamment douces grâce à l’utilisation de nuits américaines qui rendent une atmosphère un peu ouatée, presque parfois fantomatique notamment lors des séquences ‘romantiques’ entre Barbara Stanwyck et Wendell Corey. Anthony Mann et son chef opérateur Victor Milner accomplissent un travail remarquable sur l’image et la composition des plans, jouant sur les ombres et les contre-jours comme s’il s’agissait d’un film noir. Ils nous offrent quelques plans vraiment originaux et esthétiquement assez puissants comme celui qui précède le climax du film, à savoir la pendaison qui suit l’attaque de la ‘forteresse’ des Herera (forteresse car, au milieu d’immenses étendues planes, s’élève un seul monticule rocheux avec en son sommet la maison de la famille mexicaine que le Cattle Baron s’apprête à chasser : la séquence pourrait d’ailleurs s’apparenter à l’attaque d’un château-fort dans un film d’aventure moyenâgeux avec entre autres les assaillis faisant débarouler des rochers sur les assaillants…) : on y voit au crépuscule, dans un plan d’ensemble sur une plaine démesurée, constellée par les immenses silhouettes à contre jour des cactus, arriver des cavaliers comme écrasés par la majesté du paysage ; cavaliers que l’on distingue à peine hormis la poussière que soulèvent leurs chevaux au galop, nuage de fines particules irisées par le soleil se couchant très loin à l’horizon. Ce n’est qu’un exemple parmi de nombreux autres du travail brillant accompli par celui qui avait déjà prouvé son habileté dans l’utilisation du Technicolor notamment pour Cecil B. DeMille, ayant photographié la plupart des films d’aventures des années 40 de ce dernier (Les Tuniques Ecarlates, Les Naufrageurs des Mers du Sud…)

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Techniquement très minutieux et à la recherche d’une certaine perfection plastique, le film ne démérite pas sur le fond ; si le scénario semble devoir nous donner une banale histoire de Cattle Baron exerçant sa domination sur l’ensemble de ses voisins, il se révèle bien plus riche que ça également à ce niveau. Et puis à l’époque, il n’y en avait finalement encore pas eu beaucoup de westerns traitant de ce sujet récurrent par la suite. Si l’on peut rapidement évoquer ses gros défauts, à savoir certains personnages totalement sacrifiés (voire même évacués en cours de route) comme le frère de Miss Stanwyck ou encore un dernier quart de film moins palpitant (tout ce qui se déroule après la fameuse séquence évoquée juste avant dont on peut voir d’ailleurs des extraits dans le documentaire de Martin Scorsese sur le cinéma américain), le scénario de Charles Schnee est une belle réussite notamment dans la description de ses personnages dont deux bougrement hauts en couleur. Temple tout d’abord qui trouvait en Walter Huston un parfait interprète ; l’acteur ne pourra jamais juger de sa performance, ayant décédé avant la sortie du film. Dans la peau de ce propriétaire terrien mégalomane (il se fait appeler 'The King of the Furies' -the Furies étant le nom de son domaine- et se fait imprimer sa propre monnaie sur laquelle est marquée sa devise), il se révèle pittoresque à souhait, son débit de paroles argotiques étant assez hallucinant. Méprisant son fils trop timoré, se mettant en travers de tout ceux qui le dérangent n'hésitant pas à les faire pendre par son homme de main, il ne pense qu'à s'amuser et à contempler ses terres qu'il respecte bien plus que n'importe quel être humain. Pourtant, il est en adoration devant sa fille dont le caractère bien trempé se rapproche du sien ; elle le lui rend d'ailleurs bien : "I like being T. C.'s daughter". Et, si on fait bien attention aux gestes et aux regards, on peut vraisemblablement penser qu'ils ont eu des relations incestueuses. Malgré tout ses défauts, le talent du comédien et l'écriture du personnage font qu'on peut trouver ce dernier assez attachant. Son habitude d'aller se recueillir à chaque retour dans son domaine dans la chambre de sa défunte épouse ou sa vitalité surhumaine arrivent à nous faire apprécier cet homme qu'on se serait sinon plu à haïr.

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L'autre protagoniste le plus important est bien évidemment celui de sa fille inflexible jouée avec une sacrée présence par une Barbara Stanwyck qui porte les tenues de l'Ouest comme aucune autre actrice et qui dans ce rôle de femme forte refusant de se laisser dicter sa conduite sans pour autant perdre une once de féminité s'avère absolument parfaite ; on oubliera d'ailleurs difficilement son rire de si tôt. Mais, contrairement à son père qui en est presque entièrement dépourvu, Vance ne manque pas d'humanité et est par exemple capable de s'opposer à son paternel pour sauver son ami d'enfance, d'éprouver le lendemain de la compassion voire de la pitié à son égard même si sa haine pour lui sera un jour toute aussi forte que son actuelle adoration ("You’ve found a new love : You’re in love with hate" lui dira Rip). Elle est même capable de ressentir un semblant d'amour même si elle dira à Gilbert Roland, l'homme en adoration devant elle depuis l'enfance, " I don't think I like being in love. It puts a bit in my mouth". Les relations qu'elle entretient avec ce dernier nous offrent d'ailleurs pratiquement les seuls moments de pureté au sein de ce bourbier financier et passionnel d'avarice, de vengeance, de pouvoir et de jalousie. Alors que son amitié avec Juan est décrite avec sensibilité, quand par contre elle tombe sous le charme du tenancier de saloon, on ne peut pas dire qu'elle ait froid aux yeux. Elle surprend Darrow par sa rapidité à se jeter dans ses bras sans aucun préambules ; devant cette stupéfaction, elle lui rétorque "When you know what you want, why waste time”. Mais qu'on ne s'y trompe pas, son partenaire s'avère aussi culotté qu'elle et leurs rapports sont ce qui s'avère le plus jubilatoire durant le film grâce à des dialogues à l'ironie sous-sous-jacente, des réparties cinglantes dignes d'un film noir voire même parfois d'une 'Screwball Comedy' que l'on aurait trempée dans de l'acide.

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C'est Wendell Corey qui lui donne alors la réplique, acteur qu'une grande majorité s'accorde à trouver ici et ailleurs fade et sans charisme. Son Rip Darrow étant un homme froid, calculateur et anti-romantique, il me semble au contraire parfait d'autant qu'il ne possède aucun charme ni glamour ; distribuer un rôle aussi important à un comédien au visage aussi peu amène voire même inquiétant, un choix assez culotté de la part d'Anthony Mann et que je trouve tout à fait intéressant ! Il faut le voir essayer de calmer les caprices enfantins de Vance, n'hésitant pas pour se faire à la brutaliser sans ménagement et à lui enfoncer la tête sous l'eau avec une violence rageuse. L'autre homme qui gravite autour de Vance est Juan, superbement interprété par Gilbert Roland que l'on ne s'attendait pas à trouver aussi romantique sans cependant aucune mièvrerie, personnage qui dit n'avoir survécu jusqu'ici que par la seule force de l'amour (non partagé) qu'il éprouve pour Vance. Au sein de cet intéressant casting, on trouve aussi l'inquiétante Mrs Danvers du Rebecca d'Hitchcock, Judith Anderson, dans le rôle de la rivale et future belle-mère de Vance. Les auteurs lui ont octroyé une séquence formidablement touchante au cours de laquelle, désormais défigurée à vie et ayant d'autant plus peur que son époux la délaisse, elle refuse de lui donner son argent afin qu'il lui reste attaché au moins par ce lien financier puisque désormais sans un sou. On croise aussi Beulah Bondi dans la peau de la femme d'un important banquier, autre symbole de la domination féminine à travers ce film puisqu'elle avoue franco à Vance que si le directeur de la banque est bien son mari, c'est bien à elle qu'elle doit adresser sa requête puisque dans le couple elle porte la culotte et peut mener son époux par le bout du nez. On peut presque dire qu'Anthony Mann et Charles Schnee réalisent quasiment le premier 'Woman's Picture westernien' grâce au personnage de Vance et aux femmes qui l'entourent dont également sa mère défunte dont le spectre règne encore au sein de la demeure familiale par l'intermédiaire de sa chambre que son veuf a décidé de laisser en l'état et qu'il va visiter régulièrement.

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Autre élément qui renforce le côté un peu inhabituel du western de Mann, la musique de Franz Waxman, souvent décriée elle aussi à l'instar du jeu de Wendell Corey et qui effectivement, si on l'écoute hors contexte, peut faire penser à tout sauf à un western. Mais ses sonorités inaccoutumées, l'utilisation par exemple à certains moment d'une unique guitare sèche ou de mélodies presque arabisantes, apportent un air de curiosité supplémentaire à ce western décidément assez unique. Parfois cependant, c'est incontestablement d'assez mauvais goût comme dans cette séquence au cours de laquelle Walter Huston essaie de dompter un bœuf après qu'il ait été vexé qu'on ait donné à l'animal son surnom de King of the Furies. Mais dans l'ensemble, et le thème du générique en est la preuve, il s'agit d'une belle réussite, assez moderne, de ce grand compositeur. En résumé, un western psychologique peu banal écrit par le scénariste de La Vallée de la Peur (Pursued) de Raoul Walsh. Peu d'action même si elle n'est pas totalement absente, de nombreux dialogues savoureux et colorés, une interprétation de premier choix, une plastique finement travaillée font de ce western méconnu un France une étape à ne pas laisser passer. Dommage cependant que le final s'avère un peu bâclé, trop rapidement expédié au bout d'un dernier quart de film ayant déjà baissé en intensité dramatique. On peut lui préférer Winchester 73 sorti la semaine précédente mais on se doit de lui reconnaître d'immenses qualités et affirmer que les non amateurs de westerns pourraient y trouver leur compte.
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Re: Le Western américain : Parcours chronologique Part 2 (50

Message par someone1600 »

Pas vu celui-la mais ta superbe chronique m'a donné envie de le voir. Surement un achat futur.

Et le suivant est encore un excellent film de Mann !!! :D
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Message par Jeremy Fox »

A noter pour ceux que les prix des Criterion rebutent un peu qu'il existe un DVD coréen (celui dont je me suis d'ailleurs servi pour les captures) qui propose les sous titres anglais lui aussi. Je l'avais acheté sur Ebay il me semble pour un peu moins de 10 euros.
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Re: Le Western américain : Parcours chronologique Part 2 (50

Message par Jeremy Fox »

Jean-Louis Rieupeyrout : La grande aventure du Western (1964)

"Pour fêter son cinquantenaire, le western ne pouvait mieux rencontrer qu'un cinéaste de la classe d'Anthony Mann. Peut-être verra-t-on un jour, dans cette rencontre entre un homme et un genre cinématographique appelé à trouver par sa caméra le moyen idéal de son expression la plus pleine, quelque chose comme une providence ou au contraire comme un résultat prédestiné venu à point nommé dans le long cheminement du western en l'attente de son messie ? Certains ne sont pas loin de pencher de ce côté-là, pour qui Mann fut le Malherbe du film de l'Ouest, styliste novateur et conteur inspiré, qui à sa manière entreprit de 'déwesterniser' le western en ôtant aux sceptiques, aux bougons, aux sévères et aux réticents leurs motifs de gloser sur une catégorie de films que les fagoteurs, les routiniers, les emballeurs, les copistes avaient fait verser dans l'oeuvrette sans foi, l'historiette sans saveurs. Anthony Mann lui rendit sa noblesse, non par un heureux effet su sort mais bien par le fruit d'une constante application à sortir le western du chaos de la série B, multiple et incontrôlée, telle qu'elle se présentait à la veille de La Porte du Diable" (en fait le premier western réalisé par Mann même si c'est le troisième à être sorti en salles.) "Quand Anthony Mann arriva en 1950, il était temps de redonner au western un éclat capable de l'aligner sur les films renommés de la précédente décennie... Anthony Mann, c'était alors une vision neuve et claire de ce que devait recouvrir le terme si malencontreusement galvaudé de 'western" : une santé physique et morale qui s'exprimait aussi bien dans la dynamique de l'ensemble que dans la caractérisation du particulier. Ses personnages se présentaient à nous dépouillés des attributs obligatoires des 'héros', et pourtant la convention dictait leur comportement, mais sans qu'il y paraisse. Ils se mouvaient si naturellement dans un cadre physique à leur dimension que rien n'étonnait en eux, hors de la maîtrise qui présidait à leur animation et à leur enracinement dans cet univers découvert avec un nouveau regard par le spectateur."

Juste pour faire partager ce beau texte à ce moment charnière et puisque nous en sommes à beaucoup parler d'Anthony Mann.
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Re: Le Western américain : Parcours chronologique Part 2 (50

Message par Jeremy Fox »

La critique viendra vers la fin de la semaine mais Devil's Doorway (j'en suis le premier étonné) n'en fait pas moins une entré fracassante dans mon top 10 au sein duquel Anthony Mann vient semer la zizanie. Obligé de passer au top 15 dès l'année suivante car déjà maintenant, ça fait mal d'évincer des titres tels Red River ou Virginia City

* 1- La Charge Héroïque (John Ford)
* 2- Le Passage du Canyon (Jacques Tourneur)
* 3- La Porte du Diable (Anthony Mann)
* 4- Le Massacre de Fort Apache (John Ford)
* 5- Smith le Taciturne (Leslie Fenton)
* 6- La Ville Abandonnée (William Wellman)
* 7- Sur la Piste des Mohawks (John Ford)
* 8- Une Aventure de Buffalo Bill (Cecil B.DeMille)
* 9- Le Convoi des Braves (John Ford)
* 10- Winchester 73 (Anthony Mann)
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