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Performance (Roeg/Cammell - 1970)
Chas (James Fox), un gangster londonien, se réfugie dans la maison de Turner (Mick Jagger), rock-star vivant en ermite et ayant un peu perdu le sens des réalités. Entre les deux vont se produire quelques étincelles...
A.
Ah les années 60,70, tout un monde étrange dont on a pas forcément connaissance et qu'on se mettrait presque à envier par moment. Enfin, pas tant que ça non plus. A l'instar de Blow-up et Zabriskie Point, d'Antonioni, Performance capte plus qu'une période, il la fait littéralement vivre mais s'en extrait aussi, allant parfois bien plus loin qu'une simple description. Le film est d'ailleurs un pur objet soigneusement confectionné, avec un soin qui ne démérite pas son titre de culte. Déjà, c'est le premier film de Roeg (co-réalisé avec David Cammell) qui signe à la fois la photo (avec déjà, un soin maladif et impressionnant) comme l'image et de nombreuses scènes --érotiques notamment-- qui retraverseront toute son oeuvre. Si vous avez déjà vus Eureka , Walkabout ou L'homme qui venait d'ailleurs, vous savez donc que le monsieur filme redoutablement bien les ébats entre hommes et femmes, n'hésitant pas ici à alterner entre caméra 16 et 35 mm avec jeux de lumière constant.
B.
D'ailleurs tout le film se vit comme une expérience de bout en bout et chaque scène contient son lot d'idée à chaque fois, un peu comme chez Vidéodrome de Cronenberg (toutes les 30 secondes, pouf, du neuf). Ici, Roeg (et Cammell, bien que ce dernier s'occupe plus de le direction d'acteurs) expérimente constamment. Du montage pratiquant le cut-up à la Burroughs (déstabilisant au début mais on s'y fait) en passant par des gros plans hallucinants (E), des séquences oniriques, des jeux de lumière que ne renierait pas l'Argento de Suspiria, du passage en couleurs à du noir et blanc dans le même temps (utilisé pour ridiculiser un gangster et lui donner un aspect démodé -- B), du jeu entre réalité et espace mental, tout ou presque y passe, remettant en cause chez le spectateur ce qu'il vient parfois de voir, se demandant quelle sorte d'Ovni il regarde à l'instant même.
C.
Les scènes érotiques sont plus que soignées, les rares accès de violence suivent le même chemin (le film était interdit aux moins de 16 ans, il reste encore assez puissant aujourd'hui), très graphiques et hyper stylisés, changeant d'angle, de point de vue, de montage, ralentissant comme chez Peckinpah pour mieux repartir de plus belle, et ce, tout en conservant un impact dérangeant (bien avant Tarantino et son Kill Bill ou bien Argento et son Syndrome de Stendhal --que j'adore au passage -- on a des plans qui traversent le corps. Roeg se permet des trucs complètement à la limite du grotesques et de l'expérimental et ça marche. --C). James Fox, l'un des deux acteurs principaux, emporte presque tout sur son passage, martial, presque coincé avec un énorme balai dans le cul (pardon de ma vulgarité), mais on y croit, c'est un dur de dur, un tough guy. Il faut le voir intimider un riche avocat d'un sourire carnassier ou bien s'improviser barbier raseur de cheveux sur un chauffeur de rolls royce après avoir nettoyé celle-ci à la soude (A). On se croirait dans Orange Mecanique avec un à deux ans d'avance.
D.
Il faut donc lui mettre un autre acteur en face qui en impose. Et c'est Mick Jagger qui s'y colle, improvisant presque, n'ayant jamais été dans un film avant ça (quoique... Le Godard, ça compte ?) et qui soudain, déboule avec un charisme énorme. Il est une rock star, on lui demande de jouer une rock star (Turner) et il s'y moule donc complètement, emmenant le film sur des sommets. Il faut voir cette séquence chantée où Jagger s'emporte comme dans une comédie musicale (voire, l'ancêtre du clip), grimé en gangster (D) dans le bureau du patron de Chas (James Fox) ou bien cet autre moment où, près de la baignoire, le chanteur improvise à l'acoustique une chanson. D'ailleurs, l'énorme point fort du film, qu'on ne s'y trompe pas, c'est sa B.O. Outre Jagger, il y a du Jack Nitzsche, du Ry Cooder, du Randy Newman et même le groupe de rap précurseur des 70's, the last poets. Du travail aux petits oignons pour un film qui n'est pas que musical.
E.
Car si la première partie du film reprend au film de gangster, la seconde bascule totalement dans une réflexion (avec l'aide des drogues et champignons magiques --on est en 69/70 quand même) sur la personnalité d'un individu. Il est clair que les deux hommes s'admirent en secret, que Turner retient plus ou moins prisonnier Chas et que ce dernier, ne fait pas trop d'efforts pour résister. A travers leurs dialogues, leurs costumes qu'ils s'échangent, leurs places, les deux hommes s'interrogent. On se croirait dans un film contemporain aux dialogues parfois improvisés mais l'ensemble en devient complètement passionnant de bout en bout, jusqu'a une fin ambigüe qui donne toute sa richesse au film (qui en avait déjà bien avant). Ne cherchez plus, Performance (rebaptisé "Vanilla" en Europe. On se demande bien pourquoi) est bel et bien un (vrai et bon) film culte.
James Fox n'est pas David Bowie mais ce plan anticipe à plus de 6 ans d'avance son fameux Homme qui venait d'ailleurs, c'est fou.
5/6.