Mauro Bolognini (1922-2001)

Rubrique consacrée au cinéma et aux films tournés avant 1980.

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Profondo Rosso
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Re: Mauro Bolognini (1922-2001)

Message par Profondo Rosso »

El Dadal a écrit :J'ai découvert La Viaccia hier via l'affreux dévédé (ou bien est-ce une VHS et m'aurait-on trompé? -le master avec ST incrustés semble plus vieux que moi...) Ed Montparnasse. Je réagis par rapport au doublage des comédiens. Sait-on pour sûr s'ils ne se sont pas eux-mêmes acquittés de la tâche? Je pense en particulier à Belmondo, dont le personnage m'a semblé en partie construit afin d'aérer sa diction, lui permettre d'énoncer correctement, toujours dans des situations contrôlées pour lesquelles le risque de rebasculer vers une accentuation française liée à l'excitation reste minime. Ça m'a suivi pendant tout le film, parce qu'en regardant ses lèvres, je trouvais la post synchro assez juste, et qu'à l'oreille, j'ai trouvé le ton de sa voix cohérent...
Pas tout à fait sûr pour Claudia Cardinale (mais je crois bien que c'est bien elle) par contre Belmondo est clairement doublé je n'ai absolument pas reconnu le timbre de sa voix qui est assez immédiatement identifiable et là rien. J'ai l'impression d'ailleurs que c'est le même doubleur italien que dans La Ciociara de De Sica où il jouait également à ses début où on le voyait dans des productions italiennes.

Sinon pour La Chartreuse de Parme Bolognini qui donne dans le feuilleton romanesque luxueux c'est alléchant ça ! Du coup j'ai décidé de combler mes lacunes en lisant le Stendhal avant de voir la version Bolognini.
paul_mtl
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Re: Mauro Bolognini (1922-2001)

Message par paul_mtl »

@Profondo Rosso
Oui, il est double dans La Ciociara.

Belmondo parle assez mal italien de ce que j'ai pu entendre dans une interview et un autre film.
Un italiano degenerato. :mrgreen:

Sinon je l'ai lu il y a longtemps La Chartreuse de Parme et je reverrai bien la version française avec G.Philippe.
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Profondo Rosso
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Re: Mauro Bolognini (1922-2001)

Message par Profondo Rosso »

L'Héritage (1976)

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À Rome, en 1880, Gregorio Ferramonti qui a fait fortune dans la boulangerie, méprise et rejette ses trois enfants, Mario, Pippo et Teta, qu'il accuse de ne pas l'aimer et de n'en vouloir qu'à son argent. Teta est mariée à Paolo Furlin, haut fonctionnaire du Ministère des Travaux Publics et bientôt député. Mario est un spéculateur maladroit, couvert de dettes de jeux, qui collectionne les maîtresses. Pippo est un faible qui se lance sans succès dans un négoce de quincaillerie. Il acquiert son fonds de commerce des époux Carelli, dont il épouse la fille, Irène, laquelle entreprend, à des fins arrivistes, de réconcilier et de séduire toute la famille Ferramonti...

Quinze après La Viaccia, le film qui fit de lui le grand esthète du récit en costume, Mauro Bolognini en réalisait l'œuvre jumelle avec L'Héritage. Le point de départ de l'intrigue est identique avec un conflit familial autour d'un héritage et la période historique également, 1885 pour La Viaccia et 1880 pour L'Héritage dans une Italie en pleine mutation. Le regard du réalisateur a cependant changé entretemps et c'est par les différences de cette variation sur un même thème qu'on jugera de cette évolution thématique. La Viaccia se situait à Florence dans un milieu ouvrier modeste tandis que L'eredità Ferramonti se situe dans une Rome fraîchement (et contestée) promue capitale du pays au sein de la grande bourgeoisie. Le plus important surtout c'est la bienveillance envers les personnages malgré la tonalité sombre (dans l'esprit d'un Rocco et ses frères) qui régnait dans le film de 1960 tandis qu'il n'y a presque personne à sauver dans L'Héritage. Les deux précédentes œuvres de Bolognini, les très politisés Vertiges et Liberté, mon amour avaient amorcés cette tonalité plus amère chez celui qui avait osé un final poignant et plein d'espoir quelques années plus tôt dans Metello. La situation contemporaine agitée du pays (abordée indirectement dans Vertiges et Liberté mon amour) semble avoir déteint sur son humeur et ce n'est donc pas un hasard de le voir délivrer son œuvre la plus âpre en adaptant le roman de Gaetano Carlo Chelli.

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Le film s'ouvre sur les échanges haineux d'une famille brisée. Gregorio Ferramonti (Anthony Quinn) vieil homme ayant fait fortune dans la boulangerie réunit autour de lui ses enfants alors qu'il décide de prendre sa retraite. Pour lui aucun d'entre eux ne semble digne de lui, que ce soit le faible de caractère Pippo (Luigi Proietti), le flambeur Mario (Fabio Testi) ou la vénale Teta (Adriana Asti) et c'est tout naturellement qu'il leur annonce qu'il ne leur léguera rien de sa fortune considérable. Il leur reproche leur manque d'affection et de n'être intéressé que par son argent mais une scène au début révèlera la dureté dont l'homme est également capable lorsqu'il confisque à un ouvrier une misérable pièce trouvée dans sa boulangerie. Si on retrouve la beauté formelle typique du réalisateur avec ses cadrages en forme de tableaux vivant, ses mouvements de caméras opératiques et la photo somptueuse d’Ennio Guarnieri, l'ensemble dégage une surprenante froideur.

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Alors que les élans romanesques de Metello ou Bubu de Montparnasse transcendaient par l'émotion cette recherche plastique on est ici dans la pure étude clinique distanciée. On se trouve dans une Rome sale, sinistre et en pleine reconstruction où l'on va constater les changements des mentalités en cours. D'un côté l'existence austère et sans plaisir d'un Anthony Quinn qui ne goûte guère à la bagatelle malgré ses richesses et de l'autre ses enfants aux moyens limités qui mènent la grande vie. Gregorio est un homme qui s'est élevé à la force du poignet et au franc parlé brutal, ses descendants préfèrent accumuler les courbettes dans la haute société dans l'espoir d'une récompense.

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Le lien entre ses deux mondes va se faire par le personnage de Dominique Sanda. Issue d'un milieu modeste, elle allie la détermination impitoyable de Gregorio (et à sa manière la patience de "l'entrepreneur" dans ses manigances) et les gouts de luxe de ses enfants, à mi-chemin entre l'ancienne et la nouvelle génération. Faussement timide et introvertie, elle va se révéler une ambitieuse sans scrupule qui va cajoler, séduire et finalement tromper tout le monde pour s'adjuger l'héritage. Belle-fille attentionnée qui trouvera la faille dans la solitude du vieil ours bourru qu'est Gregorio, épouse attentionnée pour Pippo et amante torride pour Mario (formidable première étreinte où Fabio Testi manipulé pense avoir eu l'initiative) elle est fausse en tout point. Dominique Sanda est fabuleuse (et judicieusement récompensée du Prix d'interprétation féminine à Cannes en 1976), séductrice et charnelle mais avec toujours ce discret regard en coin où on devine le calcul constant dans les actions. Tout ce monde s'avère grandement détestable dans cette intrigue en forme de partie d'échecs où l'enjeu reste uniquement matériel avec le legs du patriarche. Pourtant Bolognini n'oublie jamais que ses protagonistes n'en reste pas moins humains et c'est par l'expression de leurs émotion qu'ils se perdront : Irène (Dominique Sanda) trop joyeuse lorsqu'elle approche du but, Mario (excellent Fabio Testi) le séducteur qui tombe amoureux contre tout attente et surtout Gregorio qui s'endort pour de bon après avoir goûté les joies du sexe une dernière fois. Au final le constat s'avère identique et aussi cinglant que La Viaccia (les puissants sont toujours vainqueurs) mais désormais sans qu'on s'émeuvent du sort de victimes tout aussi méprisable en définitive. 5/6

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Wagner
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Re: Mauro Bolognini (1922-2001)

Message par Wagner »

Profondo Rosso a écrit :Image
Voilà qui complète le sujet sur Yvonne de Carlo.
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Re: Mauro Bolognini (1922-2001)

Message par Link Jones »

La Dame aux camélias de Mauro Bolognini
avec Isabelle Huppert
est programmé le lundi 26 mars (23:55) sur TV5 Monde :wink:
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Re: Mauro Bolognini (1922-2001)

Message par blaisdell »

Le bel Antonio

Un pur chef-d'oeuvre.
Mastroianni, beau comme un dieu, joue merveilleusement ce séducteur dont l'impuissance va provoquer le scandale...
Les images, comme souvent chez Bolognini sont formidables: on n'oubliera pas de siôt la confession de Antonio à son ami sur les raisons du "mal" dont il est atteint et surtout le terrible final, où transparaît le malaise du personnage principal face à la réaction opposée de son entourage.

L'un des thèmes préférés de Bolognini s'exprime ici avec force: l'impossibilité de nouer une histoire d'amour normale, souvent à cause des barrières sociales ou des mesquineries individuelles des protagonistes.
Spoiler (cliquez pour afficher)
Le personnage principal aime follement sa femme (superbe Claudia Cardinale, sont la voix est ici doublée) mais ne pourra pas l'honorer et celle-ci ira très vite voir ailleurs sans tergiverser
.

On retrouve avec plaisir Thomas Milian et surtout Pierre Brasseur en père pittoresque toujours enclin à élever la virilité en valeur suprême.

Un film audacieux et d'une belle franchise où Bolognini prouve une fois de plus, aidé par le script de Pasolini et la puissance de Mastroianni, qu'il n'est pas le sous-Visconti que l'on a parfois raillé.
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Re: Mauro Bolognini (1922-2001)

Message par Wagner »

blaisdell a écrit :Bolognini prouve une fois de plus, aidé par le script de Pasolini et la puissance de Mastroianni, qu'il n'est pas le sous-Visconti que l'on a parfois raillé.
Son Mort à Venise, Agostino, ne démérite pas par rapport à Visconti.
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Re: Mauro Bolognini (1922-2001)

Message par blaisdell »

Wagner a écrit :
blaisdell a écrit :Bolognini prouve une fois de plus, aidé par le script de Pasolini et la puissance de Mastroianni, qu'il n'est pas le sous-Visconti que l'on a parfois raillé.
Son Mort à Venise, Agostino, ne démérite pas par rapport à Visconti.
Je n'ai pas vu Agostino hélàs, mais je sais que je préfère L'héritage de Bolognini à L'innocent de Visconti
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Re: Mauro Bolognini (1922-2001)

Message par Profondo Rosso »

Chronique d'un homicide (1972)

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Un jeune homme, étudiant en architecture, participe à une manifestation sur la voie publique. Durant celle-ci, un membre des forces de l'ordre trouve la mort.

Chronique d'un homicide peut surprendre au premier abord lorsqu'on y voit associé le nom de Mauro Bolognini. L'histoire est en effet emblématique du cinéma politique italien des "Années de Plomb" et depuis la fin de sa collaboration avec Pasolini on associe plutôt Bolognini à la grande adaptation littéraire et au film historique qu'à des récits contemporains. Pourtant même dans ses films d'époque le réalisateur n'a jamais cessé de se préoccuper du monde qui l'entoure. Metello (1970) évoquait des révoltes ouvrières gauchistes de la fin du XIXe reflet de l'agitation qui allait mener aux Années de Plomb et plus tard Liberté mon amour (1975) et Vertiges (975) scrutait l'ascension du fascisme dans l'Italie avant et durant la Deuxième Guerre Mondiale alors que la jeunesse d'alors oubliant les dérives passées trouvait une nouvelle attirance dans ce mode de pensée. Bolognini retrouve d'ailleurs ici son scénariste de Metello, le très politisé Ugo Pirro déjà auteur entre autres des scripts d'Enquête sur un citoyen au-dessus de tout soupçon et La Classe ouvrière va au paradis pour Elio Petri, Le Jardin des Finzi Contini de Vittorio De Sica ou L'héritage à nouveau pour Bolognini.

Le film s'ouvre sur une violente manifestation opposant policiers et étudiant au terme de laquelle un membre de chaque camp trouvera dramatiquement la mort. D'un côté, un policier véreux tirera dans le tas pour calmer ces jeunes sauvages et de l'autre un étudiant fracassera le crane d'un officier armé d'un poing américain. Cet étudiant, c'est Fabio (Massimo Ranieri) fils du juge Sola (Martin Balsam) en charge d'instruire l'affaire. Dès lors le juge va tenter de maintenir une partialité mise à mal par les pressions de la police et la découverte progressive de l'implication de son fils dans les évènements. Bolognini renvoie finalement les parties dos à dos : la police représentative du système qui va pousser à condamner un innocent pour venger la mort de leur collègue mais également ces jeunes révolutionnaire prêt à laisser leur ami en prison pour maintenir la tension avec l'autorité. La prestation ambiguë de Massimo Ranieri est à ce titre des plus intéressantes. Il représente une sorte de pendant de Bolognini lui-même, jeune étudiant en architecture (formation initiale de Bolognini) dont les origines bourgeoises paraissent incompatible avec son engagement politique, tout comme Bolognini peut sembler illégitime sur un film engagé. Le réalisateur met ainsi en valeur la fièvre et la rage du jeune Fabio prouvant ainsi qu'il n'y a pas de milieu dédié pour avoir des convictions, tout comme dans son cas il n'y a pas de filmographie qui justifie plus qu'une autre de les exprimer. Dans le même temps le mépris de sa famille (la scène avec la mère jouée par Valentina Cortese sont très dure) par Fabio dénonce aussi le mode de pensée extrême visant à se détacher de tout le passé pour la cause et qui conduira à la dérive terroriste de ces jeunes en révolte.

Martin Balsam (star du polar italien depuis le succès de Confession d'un commissaire de police au procureur de la république) offre une superbe prestation avec le personnage le plus humain du film. Malgré ses volontés d'impartialité, il sera le seul à suivre la voie de son cœur au-delà des idéaux et de son devoir pour tout simplement protéger son fils. L'acteur laisse perler l'émotion et la détermination vacillante de ce juge avec une grande justesse tel ce moment où il craque après une confrontation avec son fils endoctriné et inflexible. Mauro Bolognini, accusé souvent à tort de formalisme gratuit et d'être un sous Visconti n'applique vraiment cette esthétique recherchée que par soucis de réalisme et surtout quand elle est justifiée. Chroniques d'un homicide est donc très sobre, avec une mise en scène simple et directe (hormis la manifestation heurtée et chaotique en ouverture) dont les décors se résument le plus souvent aux intérieurs où ont lieux les échanges entre les protagonistes. C'est de ses échanges que naîtra la tension et l'émotion à l'image des confrontations entre père et fils où se ressent le fossé des générations mais également de la pensée et vision de la société. Beau film qui démontre une fois de plus l'étendue du registre de Mauro Bolognini. Score somptueux de Morricone au passage qui rappelle un peu celui du Professionnel. 5/6
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Demi-Lune
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Re: Mauro Bolognini (1922-2001)

Message par Demi-Lune »

Les Garçons (1959)

J'ai l'impression de ne dire que ça en ce moment, mais c'est un constat en demi-teinte. :oops:
Le film s'ouvre sous de bonnes auspices avec ce plan intéressant des remparts antiques de Rome au pied desquels tapinent les prostituées, et le crêpage de chignons qui s'ensuit entre les belles Antonella Lualdi et Elsa Martinelli. Je ne sais pas si on peut encore parler de néo-réalisme en 1959, en tout cas l'ouverture donne le ton d'une approche scénaristique marquée par le vérisme et, on s'en rendra vite compte, par une structure volontairement lâche. Pasolini compose les scènes comme autant de bulles déambulatoires se suffisant à elles-mêmes, un peu à la manière de La Dolce Vita. Si bien que pris dans son ensemble, Les Garçons évoque un peu un film à sketches, avec ses personnages qui ne font que passer (Demongeot, les trois gaillards homo à la décapotable) ou disparaissent à mi-chemin (les prostituées).
Malheureusement, cette évocation du désœuvrement de la jeunesse romaine ne provoque qu'un intérêt inégal selon les séquences, faute de personnages approfondis et de véritable dynamique narrative. La première partie est plutôt pas mal (culminant avec la scène champêtre sous les arroseurs) mais dès lors que les prostituées sont évacuées, la seconde partie s'embourbe dans des digressions plombantes, loooongues et finalement très artificielles (la scène lourdingue avec les trois homos avachis dans l'appartement, le flirt express pas crédible pour un sou avec Demongeot, etc) qui ne chatouilleront plus beaucoup de censeurs en 2013. A force d'entubes et de va-et-viens, on ne sait plus trop où Bolognini veut en venir et la fin laisse à ce titre un goût d'inachevé.
En outre, il est très difficile d'entrer en empathie pour tous ces personnages masculins minables, cupides, magouilleurs, qui traînent leur fainéantise de bars en poulettes toute la nuit. Quant aux personnages féminins, qui sont autant d'électrons sur le chemin de leurs errements, certes elles se montrent plus incarnées mais n'héritent guère du beau rôle non plus : soumises, violentées, embobinées, ce ne sont que des objets ou des potiches pour un film parfois un peu macho. Seule la réaction blessée dans son amour-propre d'Anna, abusée par sa naïveté, touche en dévoilant furtivement une sentimentalité qui fait cruellement défaut au film.
Les Garçons n'est pas inintéressant (la réalisation de Bolognini est maîtrisée, par exemple) notamment pour ce qu'il dit du contexte social, mais j'espérais quelque chose de plus abouti et de plus impliquant.
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Re: Mauro Bolognini (1922-2001)

Message par Federico »

Je rejoins Demi-Lune sur la semi-réussite des Garçons. J'ai tenu à le revoir car j'en avais un souvenir mitigé et puis plus prosaïquement : comment résister à une affiche avec Elsa Martinelli et Mylène Demongeot ? :roll:
Eh ben ça n'a fait que confirmer mon souvenir : si la mise en scène, la photographie (et les actrices) sont superbes, l'ensemble est souvent très ennuyeux. Bolognini n'a pas l'art extrême de l'assemblage de péripéties de Fellini ou de l'Antonioni de La nuit auquel la séquence de l'appartement bourgeois où Terzieff "découvre" Demongeot (séquence que j'ai par contre trouvée toujours aussi magique de sensualité) m'a fait penser.
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Re: Mauro Bolognini (1922-2001)

Message par Profondo Rosso »

La Vénitienne (1986)

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A Venise, alors que la population redécouvre la joie de vivre après les années de peste noire, Valeria et Angela, deux femmes nobles et respectables, remarquent dans la foule un jeune et bel étranger, plein de charme. Chacune d'elle va, à sa manière, tenter de conquérir le jeune homme devenu objet de convoitise pour une nuit d'amour. C'est d'abord Angela qui fait rechercher l'inconnu par son valet Bernardo qui réussit à convaincre le jeune homme de le suivre...


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Avant-dernier film de Mauro Bolognini, La Venexiana voit le réalisateur offrir une véritable ode au désir et son œuvre la plus charnelle. Bolognini cherche ici à capturer l'esprit régnant à une période donnée de la Venise du XVIe siècle. De la mi-juin 1575 à décembre 1576, la ville subit les ravages d'une épidémie de peste qui décime la population. Longtemps cloitrés et/ou soumis à la quarantaine, les survivants sont donc animés d'un désir de vivre pleinement se traduisant par un éveil des sens qui imprègne la ville d'un torrent de sensualité. Bolognini explore cet état d'esprit à travers le destin de trois personnages le temps d'une nuit fort animée. Un bel étranger (Jason Connery) de passage à Venise et en quête de sensation va affoler la libido d'Angela (Laura Antonelli) veuve trop longtemps isolée et Valeria (Monica Guerritore), jeune femme mariée et également issue de la noblesse. Ce statut social (ainsi que la stricte condition de veuvage pour Angela) les soumet à une retenue d'autant plus pénible alors que le stupre submerge la ville, la caméra de Bolognini voguant dans des ruelles où s'animent joyeusement seins nus des prostituées.

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Comme pour signifier le changement de mentalité, la rencontre et le coup de foudre intervient durant une procession religieuse où les regards de Valeria et l'étranger se croise, avant que ce dernier heurte accidentellement Angela. Ce désir surgissant de manière brutale et incontrôlable, Bolognini ne fait preuve d'aucune subtilité et raffinement inutile en particulier concernant le personnage de Laura Antonelli. Dès son réveil, Angela scrute avec envie les étreintes animant les tableaux qui ornent sa demeure et lorsqu'elle percute Jason Connery, son regard s'attarde autant sur ses traits angéliques que son entrejambe. Bolognini lorgne même sur l'érotisme soft lors d'une scène presque saphique où Angela va faire part de son désarroi et demander conseil sexuel à sa servante Nena (Clelia Rondinella) dans sa chambre, le geste se joignant à la parole. La maîtrise visuelle coutumière de Bolognini évite à l'ensemble de sombrer dans la vulgarité, le réalisateur sachant faire monter la tension sexuelle puis la laisser exploser dans un savant équilibre où les étreintes se font crues et délicate à la fois.

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C'est d'ailleurs cette tonalité contrastée qui fait le charme du film. Le joyeux marivaudage (les échanges piquants avec le pétillant personnage d'Oria, servante de Valeria jouée par Cristina Noci) alterne avec le romantisme le plus exalté (les envolées poétiques entre Jason Connery et Laura Antonelli se dévorant des yeux) et une sensualité moite où le sexe ardent et amusé (le montage alterné sur les galipettes plus farceuses de la domestique d'Angela) cohabitent avec entrain. Ce côté décomplexé fait éviter tous les pièges aux différentes directions de l'intrigue. Chaque personnages suit ses envies et vit dans l'instant et sans s'inscrire dans un cliché. Il n'y a plus de clivage homme/femme lorsqu'ils se confrontent à leur passions comme l'annonce la citation d'ouverture.

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Jason Connery (jamais nommé) pourrait paraître machiste en bellâtre profitant de deux jeunes femmes mais est au contraire aussi sincère quand il déclare sa flamme à chacune d'elle dans cette nuit sans lendemain. Monica Guerritore figure tout d'abord la noble hautaine s'amusant du désir qu'elle provoque mais abandonnée à son tour mettra toute fierté de côté pour rattraper déguisée en homme l'objet de ses fantasmes. Laura Antonelli n'est quant à elle jamais meilleure que quand elle joue des personnages inversement confiant du charme affolant qu'ils affichent à l'écran, que ce soit dans un registre comique (la femme au foyer soumise aux fantasmes de son époux dans Ma femme est un violon l'aristocrate faussement prude de Mon dieu comment suis-je tombée si bas) ou dramatique (l'épouse trompée et introvertie de L'Innocent de Visconti). Ici elle affiche une quarantaine resplendissante pour jouer une femme mûre doutant de son attrait, dévoré par un désir incandescent et qui va s'abandonner comme jamais le temps d'une nuit torride. C'est finalement la dernière occasion d'admirer sa beauté dans un grand rôle avant les déboires dramatiques qu'elle connaîtra avec la chirurgie esthétique.

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Bolognini fait comme souvent des miracles dans sa reconstitution avec un budget qu'on devine modeste. Il saisit dans des tableaux captivant les tranches de vies de ce quotidien vénitien (gondoliers, travailleurs...) qui s'estompe la nuit venue pour illustrer l'animation des tavernes, l'ombres des couples dans les coins sombres des ruelles. Le resserrement des environnements et donc les scènes d'intérieurs laissent voir les cadres chargés de symboles et les scènes sexuelles où s'expriment l'attente, la satisfaction et la langueur de l'après avec une force rare. C'est ce sentiment d'éphémère qui fait si bien passer cette gamme d'émotion, ce dont sont bien conscient nos personnages conscient d'avoir vécu un instant unique auquel ils ne se raccrochent que par le souvenir qu’ils sauront en garder, sans s'attarder. Laura Antonelli fermant ses volets et ce plan final de gondole s'éloignant au loin dise cela de la plus belle des façons, par l'image dans les sublimes derniers instants du film. 5/6

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Re: Mauro Bolognini (1922-2001)

Message par Profondo Rosso »

Up l'excellent L'Héritage ressort en salle cette semaine au Reflet Medicis pour les parisiens, c'est l'occasion de le découvrir vu que l'édition dvd est devenue assez rare

http://www.allocine.fr/film/fichefilm_g ... 59921.html
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Re: Mauro Bolognini (1922-2001)

Message par Demi-Lune »

Ce merveilleux automne (1969)

Ce ne sera pas encore avec ce film que le cinéma de Bolognini me convaincra.
C'est l'histoire d'un adolescent qui retrouve une partie de sa famille dans une villa en Sicile. Il s'amourache de sa tante (Gina Lollobrigida), indépendante et sensuelle, au point d'en devenir obsédé. Bon voilà. En étant méchant, on pourrait dire que le film n'offre pas grand-chose de plus. Dans le sillage du Bel Antonio, Bolognini continue d'explorer les tabous italiens d'ordre sexuel (ici l'inceste). Seulement son portrait d'une famille malsaine tourne en rond sur le papier. On ne voit pas très bien où le cinéaste veut en venir par rapport à cette relation (la tante est d'ailleurs hyper complaisante), à part de montrer que c'est possible et que ça existe en surfant sur la liberté du cinéma italien. Ambiance pesante, sinon, renforcée par la BO de Morricone (qu'on verrait plus dans le cadre d'un western).
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Re: Mauro Bolognini (1922-2001)

Message par Demi-Lune »

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L'héritage (1976)

Ah ben voilà, là c'est très bon. Une étude de mœurs bien méchante sur l'arrivisme et l’appât du gain à la fin du XIXe siècle.

Comme son titre l'indique, tout tourne autour du pactole du vieux Ferramonti (Anthony Quinn), un homme acariâtre qui déteste ses trois enfants. Pour lui, ce ne sont que des profiteurs uniquement intéressés par son argent : Pippo le faible, Teta l'ingrate, et Mario le débauché. Alors qu'il prend sa retraite, Ferramonti se brouille définitivement avec eux. Ceux-ci redoublent alors d'efforts chacun de son côté pour faire fortune. Pippo rachète une quincaillerie et épouse la fille des anciens propriétaires, Irène (Dominique Sanda), laquelle va peu à peu ourdir des manœuvres pour recoller les morceaux de la famille Ferramonti, quitte à payer de sa personne. Cette douce belle-sœur se révèlera en fin de compte la plus nocive de tous.

Sans défricher plus le sujet, on est là face à un drame qui, en examinant comment ces requins deviennent fous par l'odeur de l'argent, va assez loin dans la noirceur. Rarement le cinéma aura proposé un rôle de femme fatale aussi dense que celui campé par Dominique Sanda. Bolognini joue intelligemment sur son physique ambigu (ses airs botticelliens nuancés par cette étrange amorce de sourire rusé), conditionnant ainsi le spectateur à être chaque fois un peu plus édifié par la découverte des moyens qu'elle met en œuvre. L'actrice parvient en effet à conserver ce "port" aristocratique en toute chose qu'elle commet, ce qui donne encore plus de force à l'engrenage, d'un cynisme implacable. Un peu comme L'innocent de Visconti, on retrouve cette idée de la perversité derrière les mondanités d'une nouvelle Italie immorale, favorable aux opportunistes. Reste que Bolognini n'a pas le brio cinématographique de Visconti... le film aurait pu être encore plus fort. La mise en scène un peu pauvre et la photo toute en filtres brumeux tempèrent la réussite du script.
Dernière modification par Demi-Lune le 29 oct. 16, 12:03, modifié 1 fois.
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