El Dadal a écrit :En termes d'adaptation, et pour ce que ça vaut, je trouve ce Jules et Jim mille fois plus réussi que Les Deux Anglaises, du même Henri-Pierre Roché. J&J, ça respire, ça laisse vivre et exister les personnages, ça n'est jamais illustratif.
Marrant, je pense exactement l'inverse.
Je trouve
Jules et Jim artificiel et froid (en un mot chiant) là où
Les Deux Anglaises et le continent est enfiévré et profondément incarné. Mais tu as raison en parlant de deux conceptions différentes par le même réalisateur, cela se vérifie en termes de mise en scène. A mon sens, le classicisme des
Deux Anglaises traverse mieux les décennies et se révèle plus impliquant émotionnellement que les expérimentations de
Jules et Jim qui chez moi lui donnent un côté théorique, très étudié.
Ce que j'en disais il y a quelques mois :
Film mythique,
Jules et Jim m'aura laissé circonspect. Pour dire clairement le fond de ma pensée, j'ai eu l'impression que Truffaut voulait faire du Godard (ce qui n'est pas franchement positif chez moi). Voix-off pontifiante, textes récités par les acteurs d'un ton monocorde et étudié, s'accompagnent d'une expérimentation formelle pas toujours bien maîtrisée jouant sur les formats, le montage, la rudesse des transitions. Le triangle amoureux du postulat n'émeut jamais, ne donne jamais la mesure du déchirement émotionnel qui est en œuvre : c'est quand même l'histoire d'une fille égoïste partagée par deux amis, avec l'assentiment du premier ! Or le film n'inspire aucun bouillonnement, aucune fièvre, échoue pour moi à saisir la douleur sentimentale qui se noue dans ce triangle et qui va conduire au drame. Tout juste retrouve-t-il la fraîcheur et la spontanéité du Truffaut des
400 coups lorsque le triangle est encore idyllique. Pour le reste, le réalisateur s'égare à mes yeux dans un récit artificiel (on n'éprouve rien de l'impasse sentimentale de Moreau et la fin du film fait totalement plouf, sans mauvais jeu de mots, alors qu'elle se voulait être le parachèvement de cette violence émotionnelle que je n'ai jamais senti). Oskar Werner a l'air s'en foutre royalement et de sortir du lit, Henri Serre a un balai dans le cul, et Jeanne Moreau, qui illumine certaines séquences par sa fraîcheur et sa modernité, a un jeu monotone ayant pour effet de rendre très cérémonieux un film déjà décevant dans son absence de sentimentalité. Truffaut, qui semble encore tâtonner, donne trop de primeur à son goût littéraire et phagocyte le cœur derrière une armada de mots (et c'est intéressant de voir qu'il corrigera du tout au tout ce déséquilibre avec son autre adaptation de Roché,
Les deux Anglaises et le continent). En résulte un film de parlote, typiquement Nouvelle Vague dans tout ce qu'elle m'agace, mais suffisamment travaillé esthétiquement (je trouve que Truffaut aurait dû continuer à utiliser le Cinémascope qui confère un indéniable plus à son travail), et ambitieux au départ pour ne pas être balayé comme ça d'un revers de la main - d'autant que c'est toujours délicat, rétrospectivement, d'évaluer à quel point ce genre de film a pu avoir d'influence et d'impact sur le cinéma à terme.