Colonel Blimp (Powell/Pressburger - 1943) ou l'homme déphasé

Rubrique consacrée au cinéma et aux films tournés avant 1980.

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Strum
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Colonel Blimp (Powell/Pressburger - 1943) ou l'homme déphasé

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Colonel Blimp de Michael Powell et Emeric Pressburger (1943)


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Je connais peu de films aussi inattendus, aussi uniques en leur genre, que Life and Death of Colonel Blimp. Qui ne connaîtrait pas le goût de la parabole de Powell/Pressburger et se fierait à certaines notices encyclopédiques évoquant une charge contre un militaire dépassé par les évènements, sera peut-être surpris de découvrir un film humaniste sur la condition humaine, qui échappe assez largement à la catégorisation.

Dépassant les contingences historiques, faisant fi des demandes de Churchill et du ministère de la défense anglais de produire un film de propagande propre à exalter l'héroïsme anglais, Pressburger et Powell livrent avec Colonel Blimp une réflexion sur la condition de l'homme déphasé, l'homme qui n'est pas de son temps. Clive Candy, le colonel Blimp auquel se réfère mystérieusement le titre, joué avec une humanité prodigieuse par Roger Livesey, est un homme qui vit en lui-même. Ses principes, son humanité, sa qualité de gentleman possesseur d'un manoir de 18 chambres, tracent les frontières de son monde. Il est aveugle, il ne voit rien : ni l'amour lorsque Deborah Kerr, belle comme un ange, apparait pour la première fois dans sa vie, ni les rouages et les règles de la guerre telle qu'elle se livre au 20e siècle. A l'entendre, il vaudrait mieux perdre la guerre contre les nazis plutôt que la gagner au moyen de méthodes indignes. Tel est Clive Candy, dont les officiers plus jeunes se rient sous cape. Tel est Clive Candy pour qui "la guerre commence à minuit" si les parties en sont convenues, étant entendu qu'il lui parait impensable que l'une d'elles viole un tel accord. Tel est Clive Candy qui recherche partout le visage de la femme qu'il a perdue un jour sans duel parce qu'il est un gentleman. Tel est Clive Candy qui aime à la vie à la mort Théo (formidable Anton Walbrook), bravant les interdits qu'une telle amitié pour un officier allemand en 1938 ne peut manquer de faire naître. Cet homme fidèle en amour comme en amitié, c'est sa vie que le film nous montre quarante ans durant, avec Deborah Kerr et Théo en fil conducteur, et à coups d'ellipses visuelles géniales de Powell.

Tel était peut-être aussi le Colonel Blimp, héros de la bande dessinée éponyme dont "s'inspire" très librement le film. Mais là où la bande dessinée se moquait d'un officier réactionnaire et dangereux par ses erreurs de jugement, dont le ridicule faisait mieux rejaillir la compétence des jeunes officiers anglais, le Colonel Blimp est devenu aux yeux d'Emeric Pressburger le symbole de l'homme déphasé, qui n'appartient pas à son époque. Pressburger, dans son scénario pour le film, renverse complètement la perspective en faisant des faiblesses supposées de Blimp les qualités qui lui valent notre sympathie. Juif hongrois, un temps apatride, Pressburger décrit au travers du prisme de Clive Candy, l'homme de la Mittel Europa qui voit l'ordonnancement de l'ancien monde disparaitre, cet homme qu'Hermann Broch, Thomas Mann, Joseph Roth et Kafka ont montré dans leurs ouvrages comme incapable de s'adapter au monde moderne, aux bouleversement liés notamment à la dissolution de l'Empire austro-hongrois au 20e siècle (ce coup de tonnerre politique et culturel dans le ciel de l'Europe dont on ne mesure plus guère l'ampleur aujourd'hui), à cette vie de réfugié qu'a connu Pressburger. On retrouve dans Colonel Blimp (personnage janus, si peu anglais par son manque de pragmatisme et ses égarements et en même temps tellement anglais par son romantisme), toute l'ironie et toute la profondeur de vue de cette littérature d'Europe centrale, qui en faisait sa valeur et son originalité.

Mais, Powell et Pressburger ont puisé autre chose aux sources de la littérature : une approche romanesque du récit, où toutes les libertés sont permises, tous les genres mélangés, où la comédie et le drame sont indissociables. Comme l'écrit Martin Scorcese, dans son introduction aux mémoires de Powell (Une vie dans le cinéma), "tout peut arriver" chez Powell et Pressburger. Ces deux-là possèdent le génie de l'invention. Voyez ce triomphe de l'imagination qu'est la première partie de Colonel Blimp ! On y voyage dans le temps au sein d'un même plan, on y passe en quelques minutes d'un exercice militaire dans le Londres de 1940 au Berlin de 1903 où un héros de la guerre des Boers s'en va défier l'armée allemande pour les beaux yeux d'une gouvernante anglaise. S'ensuit un duel, dont les préparatifs sont longuements montrés par Powell pour mieux nous cacher le déroulement du duel lui-même. Et la belle gouvernante anglaise, contre toute attente, de tomber amoureuse de l'officier allemand, lequel devient le meilleur ami de l'officier anglais ! Le voyage et le dépaysement qu'il procure, l'inattendu, sont le sel du cinéma de Powell et Pressburger. Car les réalisateurs sont des voyageurs, et les plus grands d'entre eux sont ceux qui parviennent à nous donner le goût du voyage et du mouvement. Powell et Pressburger croient en l'infinie des possibilités du cinéma, à l'invention d'un monde différent de la réalité, même le plus improbable, où nous servent de guides des personnages rêvés et admirables, auxquels leurs créateurs ont donné tout leur amour. On perçoit ainsi dans les merveilleux cadrages du film et ses échappées picturales soudaines (à l'instar de cette caméra qui s'envole lors du duel des deux futurs amis), ainsi que dans les couleurs chatoyantes de la première partie du récit, où éclate la bienveillante nostalgie des auteurs pour un monde disparu dont ils ne se privent pourtant pas de railler le formalisme, comme les échos profonds de la tendresse que portent Powell et Pressburger à leurs personnages, et à Candy/Blimp en particulier.

Or, le monde tel que le connait Candy vit ses derniers instants. De là naît le tragique du film, un tragique toujours allégé par l'ironie de Pressburger et l'élégance formelle de Powell, et la lucidité qu'ils avaient reçue en partage. Clive Candy est tragique parce qu'il symbolise l'impuissance de certains hommes à vivre dans un monde contemporain en perpétuelle mutation. En lui, réside un état d'esprit, peut-être hérité de l'enfance, qui lui fait voir la vie et les êtres au travers d'un voile tissé des illusions de l'ancien monde. Et s'il est juste d'interpréter le dernier plan du film comme une acceptation par Candy du monde moderne, maintenant qu'il en devient sur ses vieux jours simple spectateur, alors s'éclaire le mystère du titre original anglais du film (Life and Death of Colonel Blimp), qui évoque la "mort" de Blimp. Certes, celui-ci ne meurt pas physiquement, mais au bout de cette longue route que fut sa vie, peut-être est-ce son ancienne façon de voir le monde qui meurt enfin. Il disparait alors en tant que symbole de l'homme déphasé, de l'homme vaincu, et cela aussi est tragique, car cet homme-là, impropre à la guerre, meurt sans descendance.

C'est sans doute à cette aune qu'il faut comprendre le scandale que représenta ce film aux yeux de Churchill et d'autres en 1943 : Clive Candy s'est trompé toute sa vie certes, mais le spectateur l'aime justement parce qu'il s'est trompé avec tant de bonne foi, tant de constance ; il a pour lui la poésie des vaincus, celle qui vient et plait aux contemplatifs, qui s'abîment dans la contemplation des fleuves et des lacs comme Candy à la fin du film voyant cette eau qui stagne et coule à la fois, inarrêtable comme le temps (c'est la vision d'une eau filante qui figure le changement et le passage du temps dans le film comme l'illustre le magnifique travelling du début au bain turc), flux que Candy tente de briser pourtant en recherchant toujours à s'adjoindre à ses côtés des Deborah Kerr éternellement jeunes, éternellement belles (Kerr joue trois rôles dans le film, idée lumineuse que l'on doit à Pressburger); la poésie de ceux qui sont vaincus d'avance parce qu'ils se trompent d'époque. Candy est trop humain pour cette guerre : il ne connaît pas le culte de l'efficacité, il lui préfère la vie vécue comme un rêve, un rêve qui en vaut la peine surtout quand il prend les traits de Deborah Kerr (dont Powell était follement épris), bref la vie au cinéma, telle que se la représentaient Powell et Pressburger.

A contrario, les jeunes officiers anglais qui se battent contre les nazis et sauveront l'honneur de l'Europe seraient-ils moins humains, seraient-ils moins dignes d'amour ? Là n'est pas le propos de Pressburger et Powell. Il n'empêche que le renversement est parachevé et que sous couvert d'humour et d'ironie (un humour qui cache parfois pudiquement le sens du film), Colonel Blimp nous montre le tragique de la condition humaine sous cet aphorisme là : lorsque l'homme suit le cours du temps et s'adapte, il est moins homme ; lorsqu'il reste lui-même et vit en dehors du monde, il est perdu pour son temps, mais il transcende sa condition et devient un personnage de poésie et donc de cinéma; le tout dit avec une grâce, une subtilité et une intelligence rares, au sein d'un film d'une richesse thématique et de ton inouïe. Inconcevable en temps de guerre ! Mais concevable pour tout admirateur de cinéma de toute chapelle et de toute époque.

Pour finir, saluons l'extraordinaire interprétation de Roger Livesey en "Colonel Blimp", qui tenait là son plus grand rôle.

Comment est le DVD de l'institut lumière ? Superbe par son boitier, ses suppléments, le soin apporté à l'édition. Les images sont belles, mais pas toujours car le film n'a pas été restauré, mais qu'importe, le film dépasse toutes ces considérations techniques (qui m'ont à la vérité toujours ennuyé).

Comme vous l'aurez deviné, Colonel Blimp est mon film préféré du mythique duo. C'est aussi l'un des plus beaux films que je connaisse.
Dernière modification par Strum le 10 déc. 08, 18:49, modifié 27 fois.
Joe Wilson
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Message par Joe Wilson »

Très beau texte, Strum, alors que je viens de placer Colonel Blimp comme mon film du mois.
C'est le film de Powell et Pressburger (parmi ceux que j'ai vu) qui me touche le plus directement. Cette finesse de ton (les scènes à Berlin sont un pur régal) conjuguée à l'humanisme de Pressburger (qui considérait fort justement Blimp comme son meilleur scénario) témoignent d'une générosité formidable. L'inventivité visuelle de Powell se remarque par instants (le flash-back dans la piscine, le duel, les audacieuses transitions temporelles) sans que jamais il n'y ait de rupture dans le propos.
En effet, il est en permanence question d'un homme déphasé (formidable Roger Livesey), mais quelle tendresse exprimée par les réalisateurs pour le personnage!
Les autres rôles principaux ne sont pas en reste: Theo (Walbrook, grand acteur), officier allemand, est quant à lui conscient des ravages de l'histoire, de l'illusion des nations. Son monologue devant les services d'immigration est tout simplement déchirant, la poésie des mots et de l'instant suspendu ne pouvant cacher les drames qui se jouent.
Deborah Kerr traverse le film, éclatante, dans trois compositions magnifiques, portrait de femme à trois époques. Quelle évolution, de la suffragète à l'aube du XXème jusqu'à une participation active à l'effort de guerre en tant que chauffeur, en passant par l'infirmière auprès des soldats. Certaines répliques sont magnifiques (le sens de la contrepartie d'Edith Hunter dans le café berlinois, et surtout la réflexion au camp de prisonniers sur le comportement des hommes).

L'intensité du sentiment nostalgique (superbe scène finale) transcende le passage du temps, à l'image d'un film avant tout d'une incomparable sensibilité.
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Strum
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Joe Wilson a écrit :Les autres rôles principaux ne sont pas en reste: Theo (Walbrook, grand acteur), officier allemand, est quant à lui conscient des ravages de l'histoire, de l'illusion des nations. Son monologue devant les services d'immigration est tout simplement déchirant, la poésie des mots et de l'instant suspendu ne pouvant cacher les drames qui se jouent.
Deborah Kerr traverse le film, éclatante, dans trois compositions magnifiques, portrait de femme à trois époques. Quelle évolution, de la suffragète à l'aube du XXème jusqu'à une participation active à l'effort de guerre en tant que chauffeur, en passant par l'infirmière auprès des soldats. Certaines répliques sont magnifiques (le sens de la contrepartie d'Edith Hunter dans le café berlinois, et surtout la réflexion au camp de prisonniers sur le comportement des hommes). L'intensité du sentiment nostalgique (superbe scène finale) transcende le passage du temps, à l'image d'un film avant tout d'une intense sensibilité.
Merci Joe ! Entièrement d'accord avec tout ça. Deborah Kerr est phénoménale dans ses trois rôles. Ses apparitions soudaines, presque fantastiques, en none dans un couvent et en chauffeur, toujours soulignées par ce superbe thème musical, me bouleversent toujours. Je finis ces scènes-là les larmes aux yeux. Comment mieux dire l'écoulement du temps et souligner en même temps la volonté de l'homme de croire contre toute logique que le temps peut être retenu tout en servant le récit avec l'émotion la plus pure ? Quelle subtilité et quelle sensibilité dans le scénario et les dialogues ! Je crois que c'est cela qui caractérise Blimp en définitive : cet alliage précieux de l'intelligence et de la sensibilité soutenu par l'ironie (qui font du film un monde à part). Les trois principaux acteurs en sont pourvus, tout comme Pressburger et Powell.
Joe Wilson
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Message par Joe Wilson »

Les thèmes musicaux du film sont aussi une franche réussite: du pastiche viennois à la générosité sentimentale, ce sont de formidables instants de tendresse soutenue.
Colonel Blimp véhicule et transmet une force de l'illusion, de l'espace cinématographique comme un moyen de chercher l'humain et de transcender la vie. Cette croyance permanente dans le cinéma est ce qui rend les films de Powell et Pressburger irrésistibles.

Quant à l'ironie, elle est en effet une arme formidable du duo. Elle sera encore plus démonstrative dans Une question de vie ou de mort.
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Strum
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Exactement. C'est la création d'un monde secondaire ayant ses propres règles, d'un espace cinématographique en dehors de la réalité faisant disparaitre la frontière entre le rêve et le réalisme (il n'est qu'à voir ce merveilleux plan dans Colonel Blimp où la caméra s'envole au-dessus du duel en passant par le toit au-dessus duquel l'accueille soudain une neige irréelle) tout en nous parlant de l'homme avec toute la tendresse de l'humanisme qui rend les films de P&P uniques et si dépaysants.
Jordan White
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Message par Jordan White »

Colonel Blimp : C'est le premier film de la collaboration Powell/Pressburger que je découvre.
Le début est brillant, étourdissant, les premières minutes passées à aller rechercher le Général, la séquence des Bains Turcs avec ses audaces formelles, son ton enlevé, ses répliques qui fusent. La suite aussi est mordante, que ce soit les dialogues sur Sherlock Holmes comme les premières apparitions de Déborah Kerr dans trois rôles ici.

Après un tel feu d'artifice, la déception n'en a été que plus grande, dans les scènes qui suivent le duel entre le Général et le soldat allemand, quand les dialogues prennent trop le pas, que le rythme ralentit. Là j'ai vu moins de panache, une photographie plus inégale, une mise en scène moins tonitruante. Reste tout de même des morceaux assez magnifiques, un portrait de l'amitié à priori impossible tout à fait à propos, surtout au moment du tournage en 1943, le film prônant la compréhension mutelle et la fraternité en visant deux peuples alors en pleine guerre, et ce sur déjà trois générations. On pense parfois à du Renoir, à La Règle du Jeu, enfin c'est ce que j'ai trouvé, mais je n'y ai pas retrouvé la même perfection à tous les niveaux.

Le plan final est tout de même très beau, mais la vision m'a été aussi un peu gâchée par l'image du DVD, vraiment en deça de mes attentes, surtout en comparaison de la première heure, qui tient presque du progide dans certains plans au niveau restauration, avant de laisser des images criblées de taches ou griffures à la fin, loin de la qualité initiale.
Il y a aussi un souffle permanent sur la piste son, pas très dommagable car les dialogues sont tous compréhensibles, bien rendus, mais on le perçoit il n'y a pas de doutes.

Je poursuivrais l'exploration de ce cinéma avec les autres films du célèbre duo.
Un film en demi-teintes que ce Colonel Blimp.
6.5/10

EDIT
JaimzHatefield a écrit:Je l'ai découvert ce soir. Je ne m'attendais pas au ton du début, léger et orienté vers la comédie (voire le vaudeville). Ma foi, la recette marche et
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les discours humanistes de l'officier allemand (Anton Walbrook impérial en colonel désabusé), son plaidoyer pour l'asile politique et ses mises en garde sur le nazisme m'ont beaucoup touché. Deborah Kerr est délicieuse dans ses multiples rôles.

En revanche le passage dans lequel Walbrook exhorte son ami à ne plus se comporter en gentleman face aux allemands, m'a fait légèrement grincer des dents. En plus d'être militairement suicidaire (un opposant sera d'autant plus motivé à aller jusqu'au bout si on ne fait pas de quartier), ce n'est pas conventionnellement acceptable... mais je ne jugerais pas, l'époque était pour le moins crispée. Toutefois je m'étonne que l'on ait trouvé ce film si pacifiste. Oui, il l'est sur bien des aspects notamment de part son portrait nuancé de l'officier allemand, bien que l'on ait quand même Theo vers la fin du film qui préconise le plus sagement du monde de traiter les ennemis comme des barbares. Mais cela ne m'a pas empêché d'apprécier un film très maîtrisé, émouvant, souvent drôle et très sincère
A Strum : Si le DVD de Colonel Blimp a une image superbe, alors celle du Narcisse Noir, c'est quoi, l'Everest ? :wink:
Autant je ne comprenais pas trop les reproches que l'on peut faire sur l'image du Narcisse Noir, admirable à tous points de vue, autant celle de Colonel Blimp est bien inférieure. Là on peut dire qu'il y a des différences de colorimétrie, des taches, et autres griffures. La fin du film est mitraillée par les défauts et n'a pas bénéficié de la même restauration que le début, éblouissant, avec le générique suivi des premières images à la définition ciselée, aux couleurs naturelles. Il en va ainsi de l'heure qui suit sans trop dégâts.

Pour ce qui est du film, j'adore la première heure, franchement drôle, mais le reste m'a paru plus banal, moins enlevé, même si on ne peut lui reprocher le fait d'être du coup plus profond, de s'interroger sur la nature humaine, le comportement de certains hommes. C'est aussi une belle leçon d'amitié entre les peuples, ceux présentés dans le film étant des ennemis. On tire au front, et en coulisses, l'affrontement a aussi lieu, sauf qu'ici il se fait dans l'ironie mordante. On brave cet obstacle pour dénicher la part d'humanité dans chacun des personnages, et Deborah Kerr demeure excellente dans ses trois rôles.
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Strum
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Jordan White a écrit :Si le DVD de Colonel Blimp a une image superbe, alors celle du Narcisse Noir, c'est quoi, l'Everest ? :wink:
Autant je ne comprenais pas trop les reproches que l'on peut faire sur l'image du Narcisse Noir, admirable à tous points de vue, autant celle de Colonel Blimp est bien inférieure. Là on peut dire qu'il y a des différences de colorimétrie, des taches, et autres griffures. La fin du film est mitraillée par les défauts et n'a pas bénéficié de la même restauration que le début, éblouissant, avec le générique suivi des premières images à la définition ciselée, aux couleurs naturelles. Il en va ainsi de l'heure qui suit sans trop dégâts. Pour ce qui est du film, j'adore la première heure, franchement drôle, mais le reste m'a paru plus banal, moins enlevé, même si on ne peut lui reprocher le fait d'être du coup plus profond, de s'interroger sur la nature humaine, le comportement de certains hommes.
Ah mais je n'ai pas dit que les images du DVD étaient "superbes". Le "superbe" c'était pour le DVD de l'Institut Lumière dans son ensemble (livret, etc...). J'ai dit que les images étaient "belles", ce qui me parait correspondre à la réalité. Enfin, la vérité, c'est que je moque un peu de savoir s'il y a des différences de colorimétrie ou des taches imperceptibles au profane. Ce qui m'importe, c'est que le film en-lui même est sublime.

Concernant ta critique du film. C'est vrai que la deuxième partie peu paraitre moins enlevée (elle est surtout plus amer, plus nostalgique), mais "plus banal" à ça non ! Colonel Blimp est tout sauf banal ; de bout en bout, il garde un ton qui lui est propre, et se démarque par une intelligence et une lucidité dans le propos qui sont tout à fait hors normes. C'est un film unique, un chef d'oeuvre, etc. (allez, un bémol quand même, les quelques minutes qui signalent la fin du flashback (avec certaines scènes déjà vues filmées sous un autre angle) sont un peu en-deça du reste).
Sergius Karamzin
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Message par Sergius Karamzin »

Je souligne ici la performance et la transformartion physique stupéfiante de Roger Livesey qui enterre celle référentielle de De Niro dans Raging Bull. Etre à la fois jeune, élancé et chevelu puis vieux, gros et dégarni, en ne laissant pas une seconde deviner le maquillage, les prothèses, c'est prodigieux !
Vous voulez maroufler ? Je suis votre homme...
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Sergius Karamzin a écrit :Je souligne ici la performance et la transformartion physique stupéfiante de Roger Livesey qui enterre celle référentielle de De Niro dans Raging Bull. Etre à la fois jeune, élancé et chevelu puis vieux, gros et dégarni, en ne laissant pas une seconde deviner le maquillage, les prothèses, c'est prodigieux !
Absolument. Le vieillissement le plus stupéfiant de l'histoire du cinéma, comme le dit Lourcelles je crois. Livesey enterre haut la main de Niro en ce qui me concerne, et avec quelle classe ! D'autant qu'il y a de multiples gros plans de Livesey vieux, notamment quand il crie en roulant les r dans le bain turc:

"Authorrrity ! Authorrrrity !"

Proprement incroyable.
Jordan White
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Message par Jordan White »

Ah mais je n'ai pas dit que les images du DVD étaient "superbes". Le "superbe" c'était pour le DVD de l'Institut Lumière dans son ensemble (livret, etc...). J'ai dit que les images étaient "belles", ce qui me parait correspondre à la réalité. Enfin, la vérité, c'est que je moque un peu de savoir s'il y a des différences de colorimétrie ou des taches imperceptibles au profane. Ce qui m'importe, c'est que le film en-lui même est sublime.
Honnêtement je ne suis pas très tâtillon en général sur les DVD, sauf quand d'énormes défauts me sautent aux yeux, si la compression est une honte par exemple, si les taches empêchent de suivre le film sans avoir envie de jeter la galette par la fenêtre. En l'occurrence, celle de Colonel Blimp est bien jusqu'aux dernières minutes, à partir des scènes où Deborah Kerr devient chauffeuse engagée dans l'armée. Là, ça s'aggrave nettement par rapport à ce qui a précédé.
Le travail éditorial fourni est d'un très bon niveau, je n'ai rien à en redire, les interventions sont riches, et le bouquin au format papier glacé est pratique et informatif.
Concernant ta critique du film. C'est vrai que la deuxième partie peu paraitre moins enlevée (elle est surtout plus amer, plus nostalgique), mais "plus banal" à ça non ! Colonel Blimp est tout sauf banal ; de bout en bout, il garde un ton qui lui est propre, et se démarque par une intelligence et une lucidité dans le propos qui sont tout à fait hors normes.
Ce qui m'a un peu gêné c'est qu'après ce miracle de mise en scène que sont par exemple l'arrivée dans les bains turcs, ou les dialogues autour de Sherlock Holmes d'un humour croustillant le film dans sa seconde partie relève d'un ton plus noir. On sent les années passées, il y a une certaine amertume, un souvenir du passé qui ressurgit. Le rythme s'en ressent. C'est cela qui empêche d'en faire un très grand film je trouve, mais ça n'enlève rien au fait que c'est déjà bien.
C'est un film unique, un chef d'oeuvre, un 10/10, etc... (allez, un bémol quand même, les quelques minutes qui signalent la fin du flashback (avec certaines scènes déjà vues filmées sous un autre angle) sont un peu en-deça du reste).
Ton enthousiasme ainsi que celui de Joe font plaisir à voir, je n'ai rien à vous reprocher là dessus, vous vivez ces films avec intensité, et c'est tout à votre honneur. J'aimerais juste me sentir un peu plus concerné par le film, malgré ça et là des éclairs de génie comme ce fameux plan final.
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Jordan White a écrit :Ce qui m'a un peu gêné c'est qu'après ce miracle de mise en scène que sont par exemple l'arrivée dans les bains turcs, ou les dialogues autour de Sherlock Holmes d'un humour croustillant le film dans sa seconde partie relève d'un ton plus noir. On sent les années passées, il y a une certaine amertume, un souvenir du passé qui ressurgit. Le rythme s'en ressent. C'est cela qui empêche d'en faire un très grand film je trouve, mais ça n'enlève rien au fait que c'est déjà bien.
Mais cette partie plus noire est justement ce qui en fait un film profond, un film qui parle de la condition humaine. Le grand cinéma n'est pas qu'affaire de rythme. Un film qui touche un certain absolu, une certaine vérité de la vie et qui le fait en même temps avec retenue, sensibilité et ironie, c'est du grand cinéma, qu'importe les changements de rythme. Cette amertume, cette nostalgie si poignantes dans Blimp résultent de la collision entre le monde tel qu'il est et le monde tel que le voudrait Clive Candy. La collision du rêve et du réel est un thème majeur dans l'art et rarement a-t-il été traité aussi pleinement et subtilement qu'en ces scènes amers. Clive est un somnambule, comme les héros éponymes d'Hermann Broch dans sa trilogie romanesque.
Ton enthousiasme ainsi que celui de Joe font plaisir à voir, je n'ai rien à vous reprocher là dessus, vous vivez ces films avec intensité, et c'est tout à votre honneur. J'aimerais juste me sentir un peu plus concerné par le film, malgré ça et là des éclairs de génie comme ce fameux plan final.
N'as-tu jamais perdu un amour, voulu changer quelque chose dans ton passé ou le cours des choses, refusé la réalité, tout comme Candy ? Voilà de quoi parle Blimp, de quoi nous concerner tous, nous autres mortels. :)
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Message par JaimzHatefield »

J'ai été surpris par le ton enjoué du début, je ne m'attendais pas à ce que le film flirte avec la comédie. En fin de compte le tout est bien équilibré entre le rire et les moments de nostalgie. Le plaidoyer de Walbrook pour un asile politique est très émouvant, autant que sa mise en garde contre le nazisme.

Il y a juste une petite chose qui m'a mis mal à l'aise. C'est pardonnable dans un tel contexte de guerre mais Walbrook qui exhorte son ami à ne plus se comporter en gentleman face aux allemands, m'a fait légèrement grincer des dents. Theo préconise quand même de traiter les nazis comme des barbares et d'utiliser les mêmes méthodes.
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Theo ne dit pas d'utiliser exactement les mêmes méthodes. Il réfute simplement l'idée exprimée par Candy qu'il est préférable de perdre la guerre en gentleman plutôt que la gagner en usant de méthodes douteuses, parce que comme le dit Theo, "il n'y aura pas de revanche l'année prochaine". Mais au moment où Pressburger, qui est juif, écrit le script en 1942, l'étendue de la barbarie nazie n'est pas encore complètement connue. En tout cas, Théo sera écouté en ce qui concerne le bombardement sans pitié de Dresde par les alliés.

D'ailleurs, cette phrase qui te gêne ne montre-t-elle pas le renversement de perspective du film, son ambiguité et la profondeur de ses vues sur la condition humaine ? Une partie de nous-même est d'accord avec Candy ; ce serait tout de même plus chevaleresque de procéder ainsi et de continuer à jouer aux gentlemen face aux nazis alors que dans les faits cela conduirait sans doute au désastre. C'est un film de contemplatifs, de philosophes spectateurs du monde, produit et réalisé au milieu d'une guerre sans merci, un autre paradoxe.
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Message par Joe Wilson »

Concernant cette réplique de Theo, ce n'est pas tant les méthodes nazies qu'il réclame que la fin d'une illusion, la nécessité de se rendre compte de la barbarie hitlérienne dans son ampleur. Ce passage est à mettre en relation avec la scène ou Theo critique l'optimisme décalé des officiers anglais après la Première Guerre mondiale. On a ainsi une perspective historique de la déliquescence de l'Allemagne et de l'impuissance européenne (SDN, occupation du territoire allemand, démilitarisation).
Il ne faut pas perdre de vue le fait que le film est tourné en pleine guerre: choisir un officier allemand pour représenter une certaine lucidité était déjà un acte de bravoure (c'est surtout sur ce plan que Churchill a voulu empêcher l'existence du film). Il ne s'agit donc pas d'imiter les nazis mais de s'adapter à une période cruelle et dramatique (comme l'évoque Strum).

Sur la qualité du DVD, la remarque de Jordan White est fondée: la restauration de la dernière partie du film est décevante. Cela n'empêche cependant pas de pleinement s'imprégner du Colonel Blimp.
Le travail éditorial, comme tous les DVDs de la série, est superbe. Le documentaire consacré à Pressburger est notamment très enrichissant.
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bruce randylan
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Localisation : lost in time and lost in space

Message par bruce randylan »

Ce film est d'une telle intelligence et d'une telle émotion que je n'ose même pas vouloir en faire l'éloge tant tout ce que je pourrai dire ne ferait qu'entacher cette beauté.
"celui qui n'est pas occupé à naître est occupé à mourir"
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