Toujours pas plus convaincu par vos arguments, Cathy ou Fantômas. Ce que je ressens en vous lisant, c'est qu'il serait pratiquement impossible de hiérarchiser l'influence, le retentissement , l'aura - appelez ça comme bon vous semblera - des différents intervenants de la comédie française de ces trois premières décennies du parlant, et partant des oeuvres qui leur sont associées.
Pour moi le mérite majeur de vos énoncés est de prouver à Hector que le cinéma d'alors regorgeait de talents comiques populaires. Et pour cause puisque cinéma et populaire étaient dans ces années-là deux termes presque pléonastiques. Mais Hector en a t-il jamais vraiment douté ? J'en doute. Et de démontrer qu'à leur manière tous ces intervenants étaient incontournables dans le paysage cinématographique français. Soit. Mais entre incontournable et emblématique il y a une nuance de poids.
Quitte à me montrer un brin sarcastique pour illustrer mon propos, je prétendrai qu'affirmer -ou laisser croire- qu'en terme de reconnaissance populaire le couple Génès/Batti pourrait rivaliser avec Fernandel c'est un peu vouloir faire passer des vessies pour des lanternes. Et ce même si à leur manière ils sont représentatifs de ces années 50, synonymes selon moi de nivellement qualitatif par le bas. Ainsi d'ailleurs, en dehors des
Don Camillo qui appartiennent peut-être davantage encore au patrimoine italien qu'à celui de la comédie française, il me semble qu'aucun Fernandel de cette décennie ne saurait se hisser, au moins par son impact dans l'inconscient collectif, au niveau de ses opus les plus significatifs de l'immédiat avant-guerre, sous la houlette de Christian-Jaque (
François 1er) ou même Maurice Cammage (
Les cinq sous de Lavarède). A savoir des triomphes commerciaux dont le succès ne s'est jamais démenti en salles jusqu'aux années 60 lorsque la télévision prit la relève pour asseoir leur postérité. A savoir surtout, peut-être même plus encore que ses collaborations avec Pagnol -parce que la paternité de ce dernier est forcément envahissante-, des œuvres nommément identifiables, à la fois indissociables et représentatives à nu du mythe bon enfant de Fernandel.
Toutes proportions gardées, ces attributs ne sont pas loin de faire de ces Fernandel l'équivalent de ce que seront plus tard
La Grande Vadrouille ou
Le Corniaud pour l'association Bourvil/De Funès,
Le Grand Blond ou
La Chèvre pour Pierre Richard et consorts, etc. Des films phares et symboliques, aimés et connus de (presque) tous, amour transmis de génération en génération. Ce statut filmographique si particulier ne saurait être réduit au simple succès commercial de circonstance, auquel cas nous serions en droit -et en devoir- de signaler à Hector des absences significatives parmi les icônes désignées par ses soins pour "immortaliser" les décennies plus récentes.
Après tout que je sache, les années 70 ont aussi été marquées par le triomphe des Charlots, de la série
La septième Compagnie de Lamoureux (parmi d'autres Jean Lefèbvre de plus ou moins bas étage) comme le rappelait Music Man, elle virent aussi Annie Girardot trouver sa place au firmament pour partager jusque sur un pied d'égalité l'affiche de la
Zizanie avec De Funès. Et qui se souvient aujourd'hui de l'inconcevable attractivité qu'exerçaient des épiphénomènes comme Aldo Maccione ou Francis Perrin (de
Tête à claques à
Ca n'arrive qu'à moi) au début des années 80 ? Sans même parler de Coluche ou de Jean Yanne qui eux sont encore et toujours des champions du Prime time de Mediamétrie. Et je suis persuadé que beaucoup de ceux-là (les inénarrables Charlots en tête) ont ratissé un public au moins aussi large (et je pèse mes mots !) que celui de "la bande à Couzinet", des Souplex, Sourza, ou même de Jean Richard au tournant des années 50/60. Que celui des Armand Bernard, Bach, Milton dans les années 30. Or, personne n'a contesté le bien-fondé de la liste d'Hector. Parce qu'il s'agissait avant tout de produits de consommation courante sachant circonvenir le public -encore que la démarche pût être fortuite comme l'exprime avec brio l'incontournable J.C. dans sa chronique des
Bidasses en Folie- en surfant sur l'air du temps. Des produits somme toute indifférenciés, consommés indifféremment, comme pouvaient l'être, nonobstant les évolutions de la consommation cinématographique, les Bussières / Carbonnaux par le public de province du samedi soir ou des dimanche après-midi dans les salles de patronage vingt ans plus tôt. Et donc dépourvus de cette universalité essentielle à toute postérité. Questionnez vos aînés. Tous ces excentriques qui ont fait les beaux jours d'un cinéma populaire peu exigeant sont connus : "ah Bussières (on peut ici à loisir changer l'identité du comique), c'était un rigolo celui-là !" Par contre, pour peu que l'interlocuteur soit totalement étranger à une quelconque culture cinématographique, lorsqu'il s'agira d'identifier nommément un film étendard de sa filmographie, vous risquez de vous heurter à un irrémédiable blanc. Renouvelez la démarche avec Fernandel, (ou Bourvil, ou Raimu, ou Darrieux...), neuf fois sur dix le résultat sera autrement plus probant.
Ce n'est quand même pas un hasard si de grands sondages d'opinion à diverses époques désignèrent les champions des Français et que de mémoire ils célébrèrent Fernandel, Raimu, Darrieux, Feuillère et quelques autres avant guerre ou Fernandel, Michèle Morgan, Gabin (bien sûr) dans les années 50. Nulle part dans ces sondages (repris notamment par Bessy et Chirat dans leurs différents volumes du Panorama du Cinéma Français) ne sont mentionnés les grands excentriques de notre patrimoine. Ce n'est pas pour autant faire injure à leur talent souvent considérable -j'ai beaucoup plus d'affection pour Carette que pour Fernandel, pour
Adieu Léonard ! des frères Prévert que pour son contemporain
Adrien), ni encore moins nier qu'ils purent être incontournables. Au demeurant certains d'entre eux se sont extirpés de la nasse pour devenir des vedettes de premier plan parmi les plus appréciées du public (cf Blier dans l'immédiat après-guerre qui triompha d'ailleurs à plusieurs reprises dans la comédie:
Les petites du Quai aux fleurs,
Monseigneur, les deux Le Chanois
Agence Matrimoniale et
Sans Laisser d'adresse -sans parler de ses collaborations avec Guitry- sans pourtant je pense pouvoir être désigné à l'égal de l'une de ces figures emblématiques qu'Hector recherche).
De par l'éloignement de ces films par rapport à nous, de par la rupture existant dans les modes de consommation des films, isoler ces références de la grande comédie populaire s'avère effectivement très délicat (d'autant que les filmographies des grandes figures populaires abondent elles-aussi en titres insignifiants, comme celles de Fufu ou Pierre Richard par la suite) mais il me semble bien toutefois que c'est de ce côté-là qu'il faut creuser pour satisfaire aux exigences premières de la requête d'Hector.