Jet Storm de Cy Endfield
A l'aéroport de Londres, les passagers montent à bord du jet qui doit les mener à New-York. Peu après le décollage, l'un des passagers, Ernest Tilley reprend avec sa femme une conversation semble t'il ancienne au sujet de la mort accidentelle de leur fillette quelques années plus tôt, proférant d'abord de vagues menaces, puis des menaces bien plus précises contre un passager et enfin lui annonce que le vol n'ira pas à son terme. Ses divagations sont entendus par deux autres passagers qui alertent l'équipage et l'inquiétude monte parmi les passagers. Les menaces se font encore plus précises quand Tilley se dirige vers un couple de passagers assis quelques sièges en arrière et accuse l'homme, James Brock, d'être responsable de l'accident qui avait provoqué la mort de sa petite fille quelques années plus tôt et lui promet qu'il ne verra pas la fin du voyage. Les passagers s'interrogent, le prennent pour un fou. Quand il réitère ses accusations, le commandant de bord interrogeant l'homme s'aperçoit qu'il s'agit d'un ingénieur chimiste spécialiste en explosifs et qu'il a sans doute posé une bombe à bord de l'appareil…
Dans le film d'aviation, voici un représentant du genre "avion en détresse", sous genre "bombe à bord". Ce (faux) film catastrophe est donc un ancêtre direct de
Airport…en largement meilleur. C'est tout de même un thriller et le suspense y a évidemment sa part mais le 1er soucis de Cy Endfield n'est pas de broder sur le basique sauvetage de l'avion, ce qui consiste ici à amadouer le dingue ou réussir à faire atterrir l'avion sans dommages, avant le grand boum. Manifestement ce qui l'intéresse, ce sont les réactions de cette micro société humaine face au danger et même face à l'imminente de la mort qui semble inéluctable. Si notre homme a déjà réalisé des films plus personnels, il trouve quand même le moyen de glisser une critique sociale assez virulente sans en avoir l'air et de faire passer plus ou moins discrètement ses idées politiques (très à gauche) dans un thriller. Ça commence avec ce Ernest Tilley qui veut venger sa fille morte écrasée par un homme qui avait pris la fuite. On ne sait pas si cela fait partie de son délire mais en tout cas il considère que c'est en raison de sa réputation, de sa richesse et de ses relations que Brock a pu échapper à la justice. Il n'est d'ailleurs même pas dit qu'il y ai eu un procès mais il semble plutôt que les enquêteurs ai écarté les soupçons qui pesaient sur le suspect au cours de l'enquête. Quoiqu'il en soit, Tilley a suivi cet homme parce qu'il le croit responsable de la mort de sa fille et il est prêt à faire sauter l'avion avec tous ses passagers pour assouvir sa vengeance…:
Heu…j'y suis pour rien moi monsieur ! -
Je hais l'humanité toute entière !!! -
Bon, bon, faut pas s'énerver, hein…
Ce qui intéresse le plus Endield, c'est cette vingtaine de passagers, presque tous des représentants de la High Society British, mais qui ne vont pas tous garder une classe…correspondante à leur classe sociale d'origine. Une femme ayant entendu la conversation entre le commandant de bord et Ernest Tilley, elle va révéler aux autres passagers la réalité de leur situation provoquant un vent de panique mais tant que l'équipage et les passagers n'auront pas épuisés tous les recours rationnels pour faire face à la situation, le premier étant la fouille méthodique des moindres recoins de l'appareil, le film restera dans les basiques du genre. Mais lorsque la fouille ne donnera rien ; lorsque les efforts des premières personnes qui vont tenter de convaincre Tilley de renoncer à son projet insensé resteront vains, Endfield va à partir de là écarter pour une grande part, toute la partie suspense qui de toute façon ne le passionnait visiblement pas et se pencher encore davantage sur ses personnages et livrer une formidable galerie de portraits évolutives, livrant au passage quelques réflexions sur la condition humaine et un débat moral passionnant.
Ce n'est pas dans le cadre d'un huit clos que se révèlent les tensions mais dans deux univers (presque) séparés. Profitant du fait que l'avion (ou plutôt le décor
) possède un étage inférieur, Endfield va nous montrer deux univers et il va basculer de l'un à l'autre nous montrant l'évolution de la situation. C'est en bas, au bar et au salon du bord, où Tilley est maintenu isolé des passagers, que vont défiler les plus raisonnables ou les plus susceptibles de le faire changer d'avis… sous le regard narquois du dingo muré dans son mutisme. Il serait criminel de développer mais les personnalités choisies de manière réfléchie vont révéler leur lot de surprise, le secret d'un des passagers va notamment créer une vraie émotion. Dans l'autre univers, en haut, le huit clos, la tension grandissante, le danger de mort imminent va révéler les caractères et les réactions vont être parfois extrêmes. Encore une fois, ce n'est pas leurs angoisses en tant que telles qui intéressent Endfield mais ce qu'ils révèlent en tant qu'être humain derrière la façade sociale. Le film ne nous demande pas de nous préoccuper pour ses gens ou pour savoir s'ils vont mourir et comment, mais il nous montre comment il faudrait essayer de vivre. On voit toutes sortes de réactions.
Il y a ceux qui ne vont pas se départir de leur humour. C'est le cas d'une vieille dame, Emma Morgan (interprétée par Sybil Thorndike) et de son jeune voisin (interprété par Harry Secombe) avec lequel elle va se livrer à un faux marivaudage. Ceux qui vont s'efforcer de rester indifférents, tels le co-pilote et la jeune hôtesse du vol qui avaient prévu de se marier et qui vont sembler faire abstraction de la menace qui pèse. Un couple en instance de divorce, qui ne pouvait plus se supporter et se disputait pour des riens, va finir par ne plus attacher aucune importance à leurs biens, soulignant leur dérisoire en jouant leurs biens aux cartes et se les partageant ainsi. Une jeune femme du monde arrogante et ironique, qu'un homme d'affaires genre "nouveaux riches" tentaient en vain de séduire, vont mesurer le monde qui les sépare. Un jeune chanteur à la mode et son entourage, dont sa femme, vont expérimenter que la jeunesse et l'inexpérience peuvent faire commettre des erreurs de jugement "sous influence" (le pop singer était interprété par Marty Wilde, un chanteur populaire de l'époque. Il avait aussi composé et chanté la chanson du générique,
Jet Storm…et il est bien sûr le père de la chanteuse Kim Wilde qui n'a pas accompagné que les nuits de Laurent Voulzy dans les années 80. Comme chantait machin du groupe Il était une fois :
Je l'ai aimé si fort que les draps s'en souviennent… )…Il y en a encore quelques autres plus ou moins marquants : Un couple désuni avec leur jeune garçon. Un vieux médecin (ancien de l'Onu et pacifiste). Un retraité de l'armée (forcément plus va-t'en-guerre), etc...
Parmi ceux là, certains vont devenir hystériques. On peut les scinder en deux : les hystériques pleurnichards (une veuve interprétée par Hermione Baddeley est un superbe personnage pathétique mais touchant, en apparence une ancienne cocotte qui avait fait un riche mariage et qui est devenu veuve récemment. Alors elle ne veut pas ça se termine. Non ! Pas maintenant !) et les hystériques dangereux, ceux qui voyant que la méthode douce soutenue par le comandant de bord, la persuasion et les tentatives d'autres passagers pour faire abandonner à Tilley sont projet insensé ne semblent pas fonctionner, vont être tenté d'agir et d'employer des méthodes plus fermes. Entre la torture pour faire parler Tilley et lui donner Brock en pâture ou lui porter son cadavre, leurs coeurs balancent…Je m'arrête là mais je signale que jusqu'au bout la finesse est au RDV, les personnages étant tous scrutés par Endfield avec beaucoup de justesse jusque dans le final : certains des ennemis "idéologiques" les plus "centristes" (en gros, les plus vieux) vont finir par se serrer la main ; le couple tout nouvellement réconcilié va se trouver un nouveau motif d'angoisse en se demandant ce que leurs amis vont penser de leur reniement, etc…
Comme les amateurs de ciné anglais auront pu le remarquer, on retrouve dans le casting de nombreuses pointures made in UK. Même si tous les interprètes sont très biens, certains sont plus remarquables que d'autres à commencer par Richard Attenborough, encore une fois prodigieux. Stanley Baker est parfait en commandant de bord serein, sage mais ferme, tentant de contenir les excès de ses passagers. Il est parfait mais c'est moins spectaculaire. Ensuite, on remarque plus particulièrement Dame Sybil, magnifique ; Hermione Baddeley, très voyante mais formidable. La même année, Richard Attenborough jouera encore le méchant dans un autre film dont la première partie se passait sur un avion en péril :
SOS Pacific de Guy Green.
Jet Storm a déjà été diffusé sur une chaine française mais pas hier…et c'est juste incroyable. Vu en vost. Puisque je joue à l'extérieur et qu'un peu de fayotage ne peut pas faire de mal (surtout quand c'est fait discrètement), j'adopte le barème du grand mamamouchi du cinéma britannique, Profondo Rosso : 5/6
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Quelques années avant l'accouchement sans douleurs (Rillington Place), Attenborough expérimentait l'atterrissage en douceur…et c'est presque aussi bon