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Un groupe formé d'un général, de deux paysans égoïstes et cupides et d'une princesse qui détient le trésor du clan va tenter de rejoindre un territoire ami à travers les affres de la guerre civile du XVIème siècle japonais...
L'aventure avec un grand A, voilà ce qui constitue le programme réjouissant de La forteresse cachée, vraie bouffée euphorisante coincée entre deux films sombres (Les bas fonds d'un côté, Les salauds dorment en paix de l'autre) avec ses deux anti-héros bornés et avides uniquement d'argent, quitte à s'entre-déchirer alors qu'ils étaient les meilleurs amis du monde l'instant d'avant. Kurosawa malicieusement ouvre et ferme son film sur ces Laurel et Hardy japonais qui n'ont de cesse de vouloir, guidés par leur propre survie, quitter et réintégrer le groupes de survivants constitués du général et de la princesse et bientôt d'une jeune esclave rachetée. En plan large d'emblée et en faisant apparaître un mort en sursis derrière eux dès les premières minutes (excellente utilisation du hors-champ qui indique d'emblée que tout le film pèsera une menace invisible et imminente mais souvent déjouée par le coup fatidique du hasard), frontalement au final avec un sourire et l'on espère une réconciliation pour la vie, avec enfin un peu des fruits de leur périple accompli. Entre deux, une quête picaresque parsemée d'humour qui prend valeur de quête initiatique pour les autres personnages. C'est l'acceptation de son rang, de ses responsabilités et de ce monde cruel que trouve la princesse Yuki, élevée "comme un garçon". C'est l'ouverture vers l'autre et le dépassement des valeurs du guerrier que comprennent tour à tour le général Rokurota (charismatique Toshiro Mifune une fois de plus) et sa nemesis, cet autre général provoqué en duel qui au final, sera touché in-extrêmis par le discours et la chanson d'adieu de la princesse.
Impossible de passer sous silence les rares scènes d'action où comme pour Les 7 samouraïs, Kurosawa choisit de filmer avec plusieurs caméras (la course-poursuite du général envers les éclaireurs), sans oublier la maîtrise topographique de l'endroit où se situe "la forteresse cachée", réserve naturelle effectivement difficilement accessible. Enfin, il y a ce personnage féminin assez unique chez Kurosawa qui fait géniale figure de témoin de la société japonaise moderne. Comme l'écrit assez justement Charles Tesson dans son livre consacré au cinéaste (*) :
"Impossible d'évoquer La forteresse cachée sans parler de la princesse Yuki, interprêtée par une débutante de 19 ans (Misa Uehara), lancée par Kurosawa. Son look (short, badine) fit fureur au Japon à l'époque. Il tient de l'héroïne de manga et fait penser aux actrices des films de Chine populaire (période Grand Bond), figures vaillantes de l'Armée Rouge, mais en plus sexy. C'est surtout une héroïne contestataire, presque gauchiste, portrait d'une femme moderne, annonciatrice des mutations des années 60."
Enfin oui, cela a été dit maintes et maintes fois, ce film en fait penser à un autre, situé dans une galaxie fort fort lointaine il y a bien longtemps mais même si les similitudes sont un peu grosses, elles s'arrêtent pour ma part à des points de détails qui heureusement font que chacun des films ont leurs propres points forts qui les font s'apprécier à leur juste valeur. Bien sûr, l'influence de Kurosawa est énorme, et pas seulement que sur Lucas mais passé ce stade, on a deux très bons films. L'un purement divertissant, et l'autre, celui de Kurosawa, à la fois divertissant mais réunissant des niveaux de lectures et de critique, des plans fantastiques (ahhh cette attaque dans l'escalier, un hommage au cuirassé Potemkine ?) et une richesse qui en font la patte des grands maîtres. Et des grands films.
5/6.
(*) Akira Kurosawa, collection grands cinéastes, Charles Tesson, éditions Le monde/Cahiers du cinéma.