Profondo Rosso a écrit :A bout portant de Don Siegel (1964)
Charlie et Lee, tous deux tueurs à gages, recherchent et tuent Johnny North, caché dans un institut pour non-voyants. Surpris par l'attitude de leur victime qui n'a pas tenté de fuir ni de leur résister, les deux tueurs cherchent à en savoir davantage.
A bout portant est une fausse nouvelle adaptation du texte de Ernest Heminghway, mais un surtout un vrai remake du classique du film noir réalisé en 1944 par Robert Siodmak Les Tueurs. Le film de Siegel reprend le parti pris de l'original, c'est à dire reprendre fidèlement la courte trame de la nouvelle lors de la scène d'ouverture, puis d'inventer une trame dramatique en flashback sous forme d'enquête.
Les divers changements narratifs et visuels apporté par Siegel et le scénariste Gene L. Coon se font les symboles de la mutation du genre policier prêt à basculer du film noir au polar urbain (genre dans lequel Siegel va passer maître avec notamment Dirty Harry). Tout l'attirail esthétique typique du film noir disparait ainsi au profit d'une approche plus moderne, réaliste et percutante. Les éclairages brumeux influencé par l'expressionnisme allemands, échos de l'aspect tortueux de l'intrigue et de la psychologie trouble des protagonistes s'évaporent dès la mémorable séquence d'ouverture se déroulant en plein jour au contraire de l'original. Les fades agents d'assurances qu'on suivait chez Siodmak sont remplacés par le point de vu des tueurs eux même, brutaux et vénaux. Magistralement incarné par Lee Marvin et Clu Gulager, il exacerbent la violence par des violents de brutalités inouïe pour l'époque, chacun des témoins rencontré au cours de l'enquête étant sévèrement malmené par les deux hommes (une femme aveugles molestée, Angie Dickinson qui manque de passer par la fenêtre).
L'aspect sexuel tout en sous entendus des films noir prend également une tonalité plus directe ici. Ava Gardner était l'archétype de la femme fatale, garce et manipulatrice. Angie Dickinson qui reprend le rôle lui donne un tour plus ambigu. Réellement attirée et excitée par le malheureux John Cassavetes elle ne semble s'enticher de lui que lorsqu'il se montre dominant et masculin au volant de son bolide (dont un mon explicite où elle presse sa main sur sa cuisse pour qu'il accélère) la course automobile ayant une dimension plus sexuée que la boxe (symbole du poids de la destinée dans les classique des 40's) du premier film. L'étrange promiscuité entre les deux tueurs, l'aspect mentor fatigué/jeune chien fou pourrait aussi prêter à interprétation mais Siegel n'appuie pas plus là dessus. Dans l'ensemble, tout les personnages représentent donc des archétypes du film noir dont la perversion et le sadisme sont poussé dans leur dernier retranchements. Du coup on a guère d'empathie et d'attachement pour eux dans l'ensemble (bien que très bon Cassavetes ne suscite pas la pité d'un Burt Lancaster chez Siodmak) mais une vraie dynamique hypnotique se forme pour un récit prenant de bout en bout.
Le côté métaphysique de la nouvelle d'Heminghway qu'on retrouvait chez Siodmak est également bien présente ici. Sous l'appât du gain et la volonté de se ranger, le personnage de Lee Marvin est réellement fasciné et intrigué par l'attitude de sa victime qui s'est laissée abattre avec résignation. Qu'est ce qui a poussé cet homme à un renoncement tel qu'il ne se défend même plus pour sa vie ? C'est le puzzle qui va être reconstitué par les tueurs (le titre original prend plus de sens pour ce remake au final). Siegel y développe divers éléments qui feront école dans les films policiers à venir. Comme déjà dit, une violence sèche qui fait mal (qui vaudra au film une sortie cinéma alors qu'il était destiné à la télévision), les décors désincarnés et esthétisant du film noir laissant la place à une jungle urbaine homogène et en couleurs ainsi qu'une réalisation percutante et novatrice (les cadrages obliques signalant l'arrivée imminente des deux tueurs au début). Grande réussite dont les mutations sur le genre allaient être prolongé par John Boorman 3 ans plus tard dans Le Point de Non Retour de nouveau avec Lee Marvin. 5/6
Tout simplement un joyau du film noir... ou plutôt du film blanc, c'est-à-dire des polars sous le soleil (ce soleil californien assommant, brutal et déséspérant que décrivit si bien John Fante). Quand les classiques noir et blanc préféraient les scènes nocturnes, le passage à la couleur se joue en plein jour.
Le splendide coffret édité par Carlotta permet de comparer la version Siodmak et celle de Siegel. La séquence d'ouverture de Siodmak est effectivement très fidèle à la très courte nouvelle d'Hemingway (qui ne casse pas des barres et est aussi offerte dans le coffret). Son film est remarquable dans le style classique mais je trouve celui de Siegel largement supérieur et tellement plus inventif.
Le duo Marvin-Gallagher a effectivement donné lieu à des interprétations un peu capilotractées (sans doute parce que le plus jeune des deux fait un peu minet de salle de gym, toujours très soigneux de son apparence physique et de sa musculature) mais c'est finalement bien moins justifié (et surtout voulu) qu'un précédent duo de tueurs d'un autre polar hors-concours : Lee Van Cleef et Earl Holliman dans
The Big Combo de Joseph Lewis.
L'aspect implacable de la scène d'ouverture dans l'institution pour aveugles préfigure le massacre de l'équipe d'inoffensifs collègues de Robert Redford dans
Les 3 jours du Condor de Pollack.
Le coffret DVD propose aussi une curiosité : la version court-métrage de fin d'études d'Andrei Tarkovski (qui interprète en personne un des tueurs). Adaptation stricte de la nouvelle d'Hemingway, il s'agit d'un exercice assez laborieux qui ne laisse pas un instant entrevoir ce que deviendra l'immense cinéaste russe.
Le plus amusant dans cette histoire de remake, c'est qu'en 1946, le premier réalisateur approché par le studio pour s'en charger avant que cela n'échoit au solide vétéran Siodmak fut un p'tit débutant déjà apprécié pour son talent et nommé... Don Siegel !
J'ai fait un effort surhumain pour ne pas m'étendre (hum...) sur Angie Dickinson mais là je craque. Elle y est...
pfouhhh !!...
