Histoires extraordinaires (Federico Fellini, Louis Malle et Roger Vadim - 1968)

Rubrique consacrée au cinéma et aux films tournés avant 1980.

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Kevin95
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Histoires extraordinaires (Federico Fellini, Louis Malle et Roger Vadim - 1968)

Message par Kevin95 »

HISTOIRES EXTRAORDINAIRES - Federico Fellini, Louis Malle et Roger Vadim (1968) révision

Le film devait à l'origine réunir trois loubards du cinéma : Orson Welles, Luis Buñuel et Federico Fellini. Au final, seul le dernier c'est fait alpaguer par les producteurs et s'est vu contraint de tenir la main à deux remplaçants pour le meilleur (Louis Malle) comme pour le pire (Roger Vadim). Film à sketchs autour de nouvelles d'Edgar Allan Poe, de quoi faire de jolis petits. C'est sans compter Vadim qui, comme de bien entendu, bâcle le boulot, confond Poe et le Marquis de Sade histoire de dessaper un peu plus sa régulière du moment - Jane Fonda - et plombe son court de poses esthético-chiantes. Pour être honnête, j'avais le souvenir d'un sketch bien pire, certaines séquences (au début du court) comme le jeu de tirs à l'arc ne sont pas vilianes tandis que la voix off de Maurice Ronet caresse l'oreille mais Metzengerstein par Vadim est bel et bien le canard boiteux d'Histoires extraordinaires. Louis Malle passe ensuite et relève considérablement le niveau. William Wilson est un film bâti sur la persona d'Alain Delon (Brigitte Bardot n'est qu'une victime malheureuse), jouant sur le thème du double (récurant dans la filmo de l'acteur) avec une fièvre et une tension mesurables dès les premiers plans. Fulgurant et nerveux, le court de Malle aurait pu décrocher la timbale si Federico Fellini ne venait pas boucler la boucle. Le maestro, pas vexé de faire parti de l'aventure, signe tranquillement une de ses plus belles créations. Son Toby Dammit est une petite merveille d'envoutement, de baroque, de délires pop empruntant autant au du même Fellini (1963) qu'aux films de Mario Bava (on y retrouve la petite fille d'Operazione paura / Opération peur). Terence Stamp est une rock star en perdition dans une Italie à la fois carrefour culturel et lieu damné. Beau, dingue, inventif jusqu'au bout des ongles, Fellini tue la compétition et vole en quelques minutes toute l'entreprise d'Histoires extraordinaires.
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Demi-Lune
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Re: Histoires extraordinaires (Federico Fellini, Louis Malle et Roger Vadim - 1968)

Message par Demi-Lune »

Le Metzengerstein de Roger Vadim est effectivement le canard boiteux de ce film à sketchs. C'est chiant, chichiteux, faussement sulfureux, bref ça a salement vieilli. C'est du Vadim, quoi. Reste la beauté de Jane Fonda, en seigneuresse coquine qui gambade à cheval à moitié à poil, du côté des landes du Fort La Latte.

Le William Wilson de Malle est vraiment pas mal. Outre le plaisir de voir Delon et Bardot dans tous les feux de leur jeunesse, il y a une atmosphère fantastique dérangeante à partir de trois fois rien (juste le thème du doppelgänger), et sa conclusion a rétrospectivement quelque chose de vertigineux, au méta, par rapport à Delon. Si les films de Tom Cruise parlent secrètement de Tom Cruise, alors William Wilson est pareillement l'aveu secret, dès le début du mythe Delon, de ce que l'homme et son ombre qui lui échappe se livrent à une lutte intérieure et destructrice.

La première fois que j'avais vu Histoires extraordinaires, j'avais fait un rejet total sur le sketch de Fellini, comme j'avais pu le faire à la première tentative de Satyricon (ce qui est finalement logique, car il y a une cohérence dans le geste artistique). Rejet de l'univers, de son autisme, de sa grandiloquence cryptique. J'étais mal demi-luné. J'avais nettement préféré le sketch qu'il avait fait pour Boccace 70, Les tentations du docteur Antonio. L'avoir revu plus tard a été une révélation... c'est un des ses meilleurs travaux. Formellement, c'est le haut du panier de Fellini (un traitement expérimental de la couleur, que Fellini prolongera justement avec Satyricon), et c'est d'une bizarrerie vraiment inquiétante et dérangeante. L'impression d'être dans un monde parallèle, un monde "Fellini" dont l'ADN aurait été croisé avec Mario Bava, effectivement (celui d'Opération peur mais aussi celui, pop 60's, de Danger Diabolik), et le malaise viscéral des films fantastiques de David Lynch. Impossible d'oublier la fin et ce plan terrifiant sur la petite fille, dont on ne voit jamais complètement le visage, et qui, malgré sa blondeur, ne départirait pas dans un film d'épouvante à la Hideo Nakata.
Dernière modification par Demi-Lune le 12 déc. 16, 13:05, modifié 1 fois.
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Watkinssien
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Re: Histoires extraordinaires (Federico Fellini, Louis Malle et Roger Vadim - 1968)

Message par Watkinssien »

Je suis d'accord avec vos avis et sur l'ordre de préférence qualitative des segments proposés. Voilà au revoir. :uhuh:

Plus sérieusement, Vadim a dû se sentir comment quand il a vu les deux autres? Parce que non seulement la comparaison est obligatoire puisqu'il participe au final du même projet, mais en plus Malle et Fellini ont montré tout leur talent cinématographique, leur subtilité, leur vision forte.

Je préfère la partie fellinienne, mais au moins Malle fait du cinéma réfléchi, constamment intéressant et arrive à appliquer les consignes du concept puis à les élever pour en faire autre chose.
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Carlito Brigante
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Re: Histoires extraordinaires (Federico Fellini, Louis Malle et Roger Vadim - 1968)

Message par Carlito Brigante »

Watkinssien a écrit :Plus sérieusement, Vadim a dû se sentir comment quand il a vu les deux autres?
Je crois qu'il a enchaîné direct avec Barbarella (ou fut-il tourné juste avant ?). Ce qui finalement en dit long...
35-70
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Re: Histoires extraordinaires (Federico Fellini, Louis Malle et Roger Vadim - 1968)

Message par 35-70 »

Un critique cinéma de l'époque avait bien résumé ce film:
- Le premier sketch (Vadim): ce que tout cinéaste ne devrait pas faire ....
- Deuxième sketch (Malle): ce que tout cinéaste est capable de faire ....
- Troisième sketch (Fellini): ce que tout cinéaste peut rêver de faire ....
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Jean-Pierre Festina
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Re: Histoires extraordinaires (Federico Fellini, Louis Malle et Roger Vadim - 1968)

Message par Jean-Pierre Festina »

Avant les vins "issus des meilleurs cépages de la CEE", il y eut donc les films "issus des meilleurs réalisateurs de la CEE", soit les films à sketches en coproduction.
Le premier de cette série dédiée plus ou moins librement (j'insiste sur tous les sens du mot "libre") aux Histoires Extraordinaires d'Edgar Poe est réalisé par Vadim et met en scène Jane Fonda. Il s'agit de "Metzengerstein", traité ici comme un bout de thriller érotique soft. L'histoire est plutôt bien racontée et Jane Fonda a des tenues formidables. Voilà pour les qualités. Sinon Vadim pose sa caméra avec un goût épais, parfois grotesque ; en outre il a furieusement besoin d'un chronomètre, il y a dix minutes de trop dans son sketch qui est pourtant le plus court des trois. Bernard Borderie était moins cher et aurait sans doute fait un travail plus honnête. Edit : j'apprends qu'il y a un "montage alternatif" ??? Miracle du format dvd. J'en reparle ce soir ici même.

Le second sketch est le plus équilibré des trois. Louis Malle fait très correctement son travail, et son film situé à mi-chemin d'Edgar Poe et de Sueurs Froides ne manque pas d'attrait. A l'érotisme chic de Roger Vadim succède un érotisme bunuelien pendant la scène de flagellation de Brigitte Bardot : un must ! (On se prend à rêver que les larmes lui fassent couler cet infect surlignage de rimmel pétasse qu'elle arbore depuis plus d'un demi-siècle). Quant à Delon, c'est la statue du Commandeur et on n'en demande pas plus. Contrat rempli pour ce William Wilson.

Quant à Toby Dammit, c'est l'oeuvre d'un Fellini totalement à l'ouest qui s'est pris pour un des personnages de la Dolce Vita. En 68, les convenances et bonnes manières de la Via Veneto réclament l'usage de l'héroïne et du LSD : c'est donc un artiste complètement défoncé qui met en scène l'histoire d'un artiste complètement défoncé. C'est "pop" et chic. Les dix dernières minutes sont terrifiantes et ne tomberont pas dans les oreilles d'un sourd, n'est-ce pas Nicholas Roeg, n'est-ce pas Hideo Nakata ? Il n'est pas exclu non plus que les transparences de Terence Stamp dans sa 250 GTO aient très nettement influencé celles de Orange Mécanique. Un semi-navet donc, mais avec des fulgurances qui méritent le détour. Cela pourrait d'ailleurs définir cette suite de kitscheries psychédéliques chic et choc, expédiée à la va-comme-je-te-pousse, mais loin d'être désagréable.
Dernière modification par Jean-Pierre Festina le 24 avr. 20, 11:40, modifié 1 fois.
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Jean-Pierre Festina
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Re: Histoires extraordinaires (Federico Fellini, Louis Malle et Roger Vadim - 1968)

Message par Jean-Pierre Festina »

On me signale dans l'oreillette que le sketch de Fellini mérite une deuxième séance, ce qui tombe bien puisque mon dvd propose la version italienne en bonus. Je m'y mets ce soir, en espérant saisir le trip, sinon gare à vos fesses les p'tits loups !
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Major Tom
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Re: Histoires extraordinaires (Federico Fellini, Louis Malle et Roger Vadim - 1968)

Message par Major Tom »

Yaplusdsaumon a écrit :On me signale dans l'oreillette que le sketch de Fellini mérite une deuxième séance, ce qui tombe bien puisque mon dvd propose la version italienne en bonus. Je m'y mets ce soir, en espérant saisir le trip, sinon gare à vos fesses les p'tits loups !
Y a intérêt mon loulou. C'est ce sketch qui m'a fait aimer Fellini.
Le Vadim a failli me faire abandonner, le Louis Malle a réveillé mon intérêt, le Fellini m'a électrisé.
C'est le meilleur sketch du film, un des meilleurs films au monde, et une des meilleures musiques de Rota. T'es pas d'accord ? Tu veux te battre ??
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Jean-Pierre Festina
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Re: Histoires extraordinaires (Federico Fellini, Louis Malle et Roger Vadim - 1968)

Message par Jean-Pierre Festina »

Major Tom a écrit :
Yaplusdsaumon a écrit :On me signale dans l'oreillette que le sketch de Fellini mérite une deuxième séance, ce qui tombe bien puisque mon dvd propose la version italienne en bonus. Je m'y mets ce soir, en espérant saisir le trip, sinon gare à vos fesses les p'tits loups !
Y a intérêt mon loulou. C'est ce sketch qui m'a fait aimer Fellini.
Le Vadim a failli me faire abandonner, le Louis Malle a réveillé mon intérêt, le Fellini m'a électrisé.
C'est le meilleur sketch du film, un des meilleurs films au monde, et une des meilleures musiques de Rota. T'es pas d'accord ? Tu veux te battre ??
Je m'y recolle plus tard... Au moment où j'ai lancé mon dvd hier pour affronter le montage parallèle du premier film (j'aurais revu le Fellini en version italienne dans la foulée), j'ai été pris d'une spectaculaire lassitude. C'était trop tôt.
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