La Rivière sans retour (River of no Return, 1954) de Otto Preminger
20TH CENTURY FOX
Avec Robert Mitchum, Marilyn Monroe, Rory Calhoun, Tommy Rettig, Murvyn Vye, Douglas Spencer
Scénario : Frank Fenton d’après une histoire de Louis Lantz
Musique : Cyril J. Mockridge
Photographie : Joseph LaShelle (Technicolor 2.55)
Un film produit par Stanley Rubin pour la 20th Century Fox
Sortie USA : 30 avril 1954
Film emblématique de mon amour pour le western, l’un de ceux que tout un chacun a du apprécier en le découvrant enfant (ce qui fut mon cas), il perd malheureusement de sa magie au fil des visions et je dois dire qu’au sein du parcours chronologique que j’ai entamé, il fait désormais pâle figure ; je commence à ne plus en voir que les défauts qui, il faut le dire, sautent à la figure ! Même si je n’aime pas dire ça, je ne peux pas m’empêcher de commencer à croire que sans ses deux stars en tête d’affiche, sans le fait que ce soit l’unique western de Preminger et l’un des tous premiers films du genre en cinémascope, il n’aurait pas eu cette place privilégiée dans l’histoire du western.
Rivière sans retour me confirme aussi (même si je comprend que cette idée ne soit pas non plus partagée par tout le monde) que les cinéastes d’origine européenne n’avaient dans l’ensemble que peu d’affinités avec les grands espaces de l’Ouest américain (à l’exception de Michael Curtiz et de Jacques Tourneur) ; en effet, même si Fritz Lang a parfois réussi à insuffler une touche assez personnelle et une certaine originalité de ton (dans
Rancho Notorious - L'Ange des maudits notamment, même si le film ne me convainc guère), que ce soit lui, Douglas Sirk ou Otto Preminger, on a l’impression qu’ils ne sont pas arrivés à capter l’essence du western. C’est d'ailleurs plus attristant pour Sirk, qui tenait vraiment à en réaliser un et qui a complètement raté son essai (
Taza, fils de Cochise), que pour Preminger dont il s’agissait d’une commande qu’il n’avait pas forcément envie d’honorer et qu’il n’a jamais tenté de défendre par la suite.

1875 dans les Rocheuses. Emprisonné pour meurtre, à sa sortie de prison, le veuf Matt Calder (Robert Mitchum) vient récupérer dans un camp de chercheurs d’or son fils de neuf ans, Mark (Tommy Rettig), qu’il n’a pas revu depuis longtemps. N’aspirant désormais qu’à la quiétude, il décide de vivre en tant que fermier et s’installe dans une petite cabane perdue dans les immensités d’une verdoyante vallée. Peu de temps après, il doit cependant s’enfuir à bord d’un radeau suite à une attaque indienne sur son havre de paix ; à leurs côtés, Kay (Marilyn Monroe), une chanteuse de saloon qui se trouvait là après que Harry Weston (Rory Calhoun), son amant, soit parti acheter une concession à Council City, l’abandonnant dans ce coin dangereux et perdu sans armes ni chevaux. C’est le début d’un périple éreintant au milieu et sur les bords de cette ‘rivière sans retour’ mais en même temps d’un voyage initiatique pour ce trio de fortune qui se consolidera au fur et à mesure que ses membres apprendront à mieux se connaître et surtout à mieux se comprendre. Le but de Matt : retrouver et se venger du petit ami de Kay à cause de qui les Indiens ont brûlé sa cabane, les ayant mis dans une telle fâcheuse situation ; au départ, Kay fera tout pour retarder l’avancée de leur embarcation pour protéger Harry…

Marilyn disait qu'il s'agissait du plus mauvais film de sa carrière. ‘
The Picture of no Return’, tel l’appelait ironiquement Robert Mitchum qui détestait ce western ! Quant au cinéaste, par contrat, il devait encore un film à Darryl Zanuck pour la 20th Century Fox : il ne put donc refuser cette commande sur laquelle il n’eut pas (pour la première fois depuis longtemps) ‘le final cut’. Se sentant spolié de ses prérogatives totales sur son œuvre (certaines séquences ayant même été rajoutées après coup, tournées par Jean Negulesco, paradoxalement les plus mémorables), est-ce pour cette raison qu’il ne le tiendra jamais en haute estime, disant qu’il n’avait guère de souvenirs à son propos ? A moins qu’il ait immédiatement reconnu que le résultat était bien moyen préférant ensuite s’en détacher ? Quoiqu’il en soit, Zanuck exigea la collaboration de Preminger, surtout pour assoir la notoriété de la star féminine maison, Marilyn Monroe, qui venait de remporter succès sur succès. L’occasion de diriger une étoile montante presque à son zénith et de tourner en extérieurs dans les grandioses paysages canadiens de la région d’Alberta le fit néanmoins accepter sans déplaisir. Il retrouvait aussi Robert Mitchum, un acteur avec qui il s’entendait plutôt bien et pouvait aussi tester sa capacité à utiliser le nouveau format très large lancé peu de mois plus tôt par le studio.

Revoyant aujourd’hui
Rivière sans retour, on peut tout à fait comprendre les réticences de ses interprètes et de son metteur en scène au vu du scénario plus que faiblard du scénariste Frank Fenton capable du meilleur (
Fort Bravo de John Sturges) comme du pire (
The Wild North - Au Pays de la peur de Andrew Marton avec qui le film de Preminger entretient quelques points communs à commencer par cet itinéraire au sein d'une nature menaçante). Non seulement il manque de finesse dans la description de ses personnages par trop monolithiques (malgré leur évolution au cours du film), mais l’intrigue, assez artificielle, ressemble plus à une succession de scènes sans harmonie ni liant qu’à un modèle d’écriture du style
La Captive aux yeux clairs (The Big Sky) d’Howard Hawks,
Le Convoi des braves (Wagonmaster) de John Ford ou
Au-delà du Missouri (Across the Wide Missouri) si on veut le comparer à d’autres westerns qui érigent la nonchalance au niveau d’un art. Car il s'agit d'un western dont les digressions sont plus nombreuses que les scènes d'action, ces dernières disséminées avec parcimonie. Pourtant, le film semble presque vide d’enjeu ; mais pourquoi pas après tout ?! Oui, pourquoi Preminger n'aurait il pas voulu faire un simple et limpide film d'aventure, un pur divertissement ? Plus d'un chef-d'œuvre a découlé d'aussi faibles ambitions dramatiques ou psychologiques car le cinéma peut aussi être un spectacle. Mais, le script de Fenton, outre être dépourvu de la poésie qui aurait dû découler d'une œuvre contemplative, n’est malheureusement pas non plus en manque ni d’incohérences ni d’invraisemblances ni mêmes de quelques situations à la limite du ridicule comme le final au cours duquel Rory Calhoun quitte la scène. Ceci étant dit, je suis loin de le juger aussi sévèrement que l’acteur principal qui semble effectivement s’y être ennuyé, sa prestation demeurant dans l'ensemble un peu décevante, tout comme celle de sa partenaire féminine qui paraît toujours vouloir ‘surjouer’ au contraire. Comme le disait le cinéaste dans son autobiographie, "
la répétitrice de Marilyn sur le tournage, l’Allemande Natasha Lytess, fut coupable de gâcher le naturel ébouriffant de la comédienne" ; ce qui se révèle tout à fait vraisemblable à la vision du film. C'est quasiment Rory Calhoun qui s'en sort le mieux malgré son faible temps de présence à l'écran ; il faut dire qu'il était bien plus habitué au western que ses principaux partenaires.
Jean-Louis Rieupeyrout écrivait dans sa grande histoire du western : "
Avec Rivière sans retour, Preminger échoua son radeau sur une anecdote aussi plate qu'un banc de sable mais franchit victorieusement les écueils du cinémascope". Car Preminger se voit offrir l’occasion de tester toutes les possibilités de ce nouveau format très étiré (l'image était alors 2.55 fois plus large que haute). Et effectivement, on a l’impression qu’il a de toute temps travaillé avec le scope ; sa maîtrise du cadre est impressionnante dès la première image voyant Mitchum abattre un arbre sur fond de vallée profonde ; le somptueux et virtuose louvoiement de la grue à travers le Saloon peu de temps après laisse également pantois ! Il faut se rendre à l’évidence, le réalisateur européen semble avoir pris un plaisir fou à ‘jouer’ avec l’écran large ! Plaisir qui rejaillit sur nous, spectateurs, émerveillés par la beauté de grand nombre de plans (voir les captures), que ce soient ceux d’ensemble sur les majestueux paysages canadiens ou les plans américains en contre plongée sur les personnages qui nous paraissent ainsi ‘Bigger than Life’, comme vus à travers les yeux d’un enfant (l'acteur enfant du film étant d'ailleurs celui qui jouait l'année précédente dans le fascinant
Les 5000 doigts du Dr T de Roy Rowlands). Seulement, à côté de ça, il faut se coltiner d’hideuses transparences et de nombreux plans en studio très mal intégrés à l’ensemble comme par exemple le premier nous faisant découvrir les Indiens en haut de la colline : le travelling avant vers leurs visages grimaçants devant des rochers visiblement en carton-pâte casse d’emblée la majesté qu’avait réussi à installer Preminger. Tout comme le ratage esthétique du plan de l’attaque du puma, les seaux d’eau jetés sur les acteurs lorsque leurs personnages sont pris dans les rapides… Jamais un studio comme Universal (surtout avec un budget aussi confortable) n'aurait laissé passer ça contrairement à la Fox !
Bref, le film, à l'exception de certains sublimes plans et cadrages, n'est pas plastiquement aussi beau qu'on se plait souvent à le dire. Paradoxalement, et quoi que l'on pense de
La Brigade héroïque (Saskatchewan), à mon avis Walsh a mieux capté la majesté et la beauté de ces lieux en format carré que Preminger en format large (si je les compare, c'est que les deux films ont été tournés en même temps et aux mêmes endroits -à quelques kilomètres près- et qu'ils partent tous deux d'un postulat de départ assez naïf et enfantin ; ce qui n'est pas à priori pour me déplaire). Si Preminger reste un maitre du cadrage et du mouvement de grue, sous sa caméra, ces paysages semblent manquer de vie contrairement aux mêmes filmés par Walsh. On ne remettra cependant pas en cause le superbe travail de Joseph LaShelle à la photo qui nous offre quelques éclairages de toute beauté : outre la lumière avec laquelle il filme les paysages, son travail dans le camp de mineur (probablement filmé en studio) est magnifique. D'ailleurs, l'arrivée de Mitchum dans la ville champignon est sublimement bien réalisée, le cadre grouillant littéralement de vie sans que ça ne fasse trop factice. Dommage que le film ne soit pas tout le temps du niveau de son premier quart d'heure durant lequel on découvre aussi l'attachant personnage joué par Marilyn susurrant la première de ses 4 chansons : '
One Silver Dollar'. Lionel Newman lui en écrira trois autres toutes aussi mémorables alors que la musique de Cyril J. Mockridge, excepté le sublime thème principal, s'avèrera par trop envahissante et même pénible parfois.
Marilyn se révèle donc ici bien meilleure chanteuse qu'actrice. Elle s’entendit d'ailleurs très mal avec son réalisateur, Preminger allant jusqu’à déclarer que "
diriger Marilyn, c’est comme diriger Lassie ; il faut faire quatorze prises pour obtenir l’aboiement adéquat" ! On la sentirait presque agacée d'être devant la caméra à quelques reprises. Mais dès qu'elle se met à chanter, on oublie qu'elle a et sera bien meilleure dans d'autres occasions. Tour à tour évanescente dans '
One Silver Dollar', aguichante dans
'I'm Gonna File my Claim', maternelle dans
'Down in the Meadow' ou mélancolique dans la splendide ballade que représente
'River of no Return', elle fait partie intégrante de ces séquences qui ne s'oublient pas comme dans cette autre, mythique, qui la voit se faire masser les pieds par Robert Mitchum, instant d’une sensualité et d'une puissance érotique incroyable ; dommage que Jean Negulesco n'ait pas été mentionné au générique puisqu'il en est le maître d'œuvre tout comme de la séquence finale au cours de laquelle Mitchum vient 'enlever' la saloon gal sur ses épaules pour l'emmener chez lui.
Malgré tous ses défauts et l'ennui qui vient nous attraper de temps en temps, il reste assez de belles scènes pour ne pas faire de ce film un ratage total. Sa réputation ne peut néanmoins que lui faire beaucoup de mal car n'importe qui aujourd'hui tomberait sur les scènes de la descente des rapides en radeau trouverait le film avoir horriblement vieilli esthétiquement parlant. Même si Preminger a bien mieux utilisé le scope que David Butler précédemment dans
The Command, l'Ouest américain n'en est pour l'instant pas encore ressorti spécialement grandi. Mais Henry Hathaway n'a plus longtemps à attendre son tour... Concernant
Rivière sans retour, j'arrête là car je ne saurais pas quoi en dire de plus et je ne voudrais surtout pas plus longtemps faire souffrir les nombreux fans du film.