La Femme aux revolvers (Montana Belle, 1952) de Allan Dwan
RKO
Avec Jane Russell, Scott Brady, George Brent, Forrest Tucker, Jack Lambert
Scénario : Horace McCoy & Norman S. Hall d’après une histoire de M. Coates Webster & Howard Welsch
Musique : Nathan Scott
Photographie : Jack Marta
Une production Howard Welsch & Howard Hugues pour la RKO
Sortie USA : 07 novembre 1952
Malgré le fait qu’il ait été l’un des cinéastes les plus prolifiques du cinéma américain, nous n’avons pas encore croisé souvent Allan Dwan au sein de notre parcours : seulement une fois en 1939 avec le peu enthousiasmant
L’Aigle des frontières (Frontier Marshall) et plus récemment avec
La Belle du Montana (Belle le Grand) qui ouvrait le bal de l’année 1951. Attention, ne pas confondre cependant avec le film qui nous occupe à présent, distribué en fin d’année suivante et dont le titre original est
Montana Belle. On aurait effectivement pu facilement s’y tromper d'autant que les deux films s’avèrent tout aussi sympathiques et agréables l’un que l’autre, leur ton parfois mélodramatique assez semblable. Mais si le premier est en noir et blanc, celui qui nous préoccupe a été photographié en Trucolor, procédé assez curieux et pas désagréable qui fait surtout ressortir les bleus et les bruns.

Dans leur repaire en Oklahoma, Emmett et Gratt Dalton voient revenir leur frère Bob (Scott Brady) accompagné par la veuve d’un hors-la-loi, Belle Starr (Jane Russell), qu’il vient de sauver d’un lynchage. Bob est secrètement tombé amoureux d’elle et ne supporte pas qu’un autre membre du groupe, Mac (Forrest Tucker), lui tourne autour. Par le fait de mettre les banques dangereusement en faillite, le gang des frères Dalton est activement recherché. A Guthrie, Matt Towner (John Litel), le représentant d’une association de protection des banquiers, décide de les appâter avec l’aide du propriétaire de la maison de jeu ‘The Bird Cage’, Tom Bradfield (George Brent). Il offre à ce dernier la somme de 100 000 dollars pour l’aider à les capturer. Pour se faire, Tom demande (en échange d’une forte somme) à Pete Bivins (Andy Devine), l’un des ‘indics’ des Dalton, de les informer que son coffre fort est plein à craquer surtout le samedi soir et autorise le shérif à tendre un piège dans son établissement aux hors-la-loi qui ne devraient pas manquer de venir y commettre un hold-up. Le jour venu, alors que les gangsters et hommes de loi entament une bataille rangée, Belle Starr et ses acolytes, Mac et l’indien Ringo (Jack Lambert), en profitent pour cambrioler eux-mêmes le coffre de Bradfield. D’abord alliée avec les Dalton, Belle devient dès lors leur plus sévère concurrente ; mais les deux gangs continuent de défrayer la chronique. Pour se cacher, Belle se fait désormais passer pour la blonde Lucy Winters, chanteuse de saloon. Sa hardiesse l’amène à se présenter chez Bradfield qui, tombant sous son charme (tout en la reconnaissant), la prend pour partenaire…

Alors que Belle Le Grand est un personnage fictif, Montana Belle n’est autre que le célèbre hors-la-loi américain version féminine, Belle Star, de son vrai nom Myra Maybelle Shirley Reed Starr. Le personnage avait déjà été interprété par Gene Tierney dans un film d’Irving Cummings datant de 1941 dont le titre n’était autre que
Belle Starr (La Reine des Rebelles) ; malheureusement, l’œuvre comme l’actrice s’étaient tous deux révélés bien médiocres. Puis ce fut au tour de Isabel Jewell, déjà pour la RKO, d’endosser sa défroque dans
Badman’s Territory de Tim Whelan ; tout petit rôle mais forte impression, peut-être la meilleure interprète de cette femme desperado. On se prend à rêver à ce qu’aurait pu être justement le film d’Irving Cummings narrant sa biographie si elle avait été en haut de l’affiche en lieu et place de Gene Tierney, formidable actrice par ailleurs mais vraiment peu à l’aise dans ce rôle. Pour l’anecdote, Belle Starr donna aussi son nom à un album de Lucky Luke. Et c’est Jane Russell (au lieu d’Ann Sheridan pressentie dans un premier temps) qui reprit le flambeau à la fin des années 40. Car s’il est sorti en 1952,
Montana Belle a été tourné en 1948 pour la Fidelity Pictures dirigé par Howard Welsch. Howard Hughes avait à l’occasion ‘prêté’ son actrice fétiche à ce petit studio pour ce qui était en fait seulement son quatrième film. Intéressé par le résultat final, le milliardaire décida de le racheter (200 000 dollars de plus que son budget initial) puis d’en suspendre la sortie avec en arrière pensée un vaste plan média destiné à faire une grande star de sa protégée.
Si ce n’a pas été le cas et si le film fut un bide, ça peut à postériori paraitre compréhensible. En effet, en 1952, alors qu’une grande vague de westerns adultes avait déferlé sur Hollywood, le film de Dwan est certainement apparu comme désuet voire même anachronique de par son ton et son style, typiques des westerns des années 40. On pourrait d’ailleurs en dire de même de certains films qu’il réalisa peu après en collaboration avec Benedict Bogeaus et qui ont pourtant connu une belle reconnaissance surtout grâce à la critique française. Mais
La Reine de la Prairie (Cattle Queen of Montana) ou le sublime
Le Mariage est pour demain (Tennessee’s Partner) ont pu sembler tout aussi surannés et naïfs à cause de la ‘douceur’ et de la ‘gentillesse’ qui s’en dégageaient alors que des cinéastes comme Robert Aldrich ou Samuel Fuller avaient déjà commencé à dynamiter le genre. Pour les plus cyniques, certaines séquences pourront même sembler totalement ridicule, exemple celle du pique-nique improvisé entre George Brent et Jane Russell ; les deux amoureux se retrouvent dans un coin de campagne idyllique où ne manque pas même l’escarpolette attachée à une branche d’arbre. Kitsch certes mais débordant d’un certain charme !
Considéré comme mineur,
Montana Belle l'est certainement mais déjà, avant ces chefs-d’œuvre de fin de carrière, on ressent une sensibilité toute particulière chez le réalisateur : que ce soient le mouchard, le banquier payé par la police pour arrêter les bandits, les bandits eux-mêmes (les Dalton), Belle Star... tous les personnages sont traités de la même manière, à savoir avec respect. Absolument personne n'est antipathique et le sacrifice des deux rivaux/prétendants à la fin du film (décidant de s’avancer tranquillement tous deux cote à cote vers la mort) reflète bien cette humanité qui règne chez absolument tous les protagonistes. Dwan éprouve de l'affection pour chacun et ce n’est vraiment pas déplaisant, presque ‘exotique’ dirons nous. La sensibilité que le réalisateur nous distille au sein d’un scénario relativement convenu (signé Horace McCoy, auteur du futur roman ‘On Achève bien les chevaux’, scénariste également de chefs-d’œuvre tels
Gentleman Jim de Raoul Walsh), il l’insuffle également dans sa manière de filmer les paysages qui semblent respirer sous les caresses de sa caméra ; ces vastes étendues de bouleaux dénudés que viennent rayer de vert quelques bosquets de conifères sont superbement mis en valeur. Lorsque des chevauchées viennent prendre place au milieu de ces paysages, Allan Dwan n’a pas son pareil pour leur donner une réelle ampleur et un souffle certain ; la séquence de la course poursuite à cheval entre le gang de Belle Star et leurs poursuivants est à ce titre, grâce aussi à de splendides travellings, absolument magnifique !
Belle Starr se faisant passer à mi-parcours pour une chanteuse de cabaret, il va sans dire que nous allons assister à quelques numéros musicaux qui, pour rassurer les allergiques, seront au nombre de deux. Mais pour ceux que la chansonnette ne déplait pas, ils se révèlent excellents, notamment le premier, peut-être la plus belle séquence du film,
‘The Gilded Lily’. Mais c’est aussi dès ce moment qu’on se demande si ce n’ont pas été des scènes rajoutées après que Howard Hughes ait racheté la première mouture du film. En effet, on constate alors une construction en montage parallèle pas nécessairement réussie mais au moins intrigante et parfois déstabilisante en ce qu’elle ne donne pas lieu à une quelconque montée dramatique habituellement recherchée par ce style d’assemblage de plans. N’empêche que la chanson est franchement superbe et que Jane Russell l’interprète à merveille et avec force sensualité ; on s'attend d’ailleurs à tout instant à voir apparaître le loup de Tex Avery la langue pendante. Tout aussi curieux à postériori, lors de sa seconde chanson, avec une perruque blonde, on croirait pendant deux minutes voir Marilyn Monroe, la ressemblance étant frappante ; et si la séquence ‘One Silver Dollar’ dans
La Rivière sans retour (River of no Return avait été inspiré par celle-ci issue de
La Femme aux revolvers (titre d’exploitation belge et non français) ? L’ultime séquence, abrupte et profondément originale, finit de laisser cette impression de ‘rarement vue’ à moins que ce ne soit tout simplement de la trop grande nonchalance. Elle termine de mon point de vue en beauté un western simple et constamment séduisant si ce n’est important ni mémorable.

Quant à Jane Russell, je ne crois pas l’avoir jamais vu plus jolie que dans la peau de cette hors la loi qui pourrait avoir été dans le même temps son plus beau rôle. Si elle n’est décidément pas une grande comédienne dramatique, il n’est pas désagréable de voir sa pulpeuse silhouette tour à tour en brune et en blonde, plantureusement vêtue en saloon-Gal ou déguisée en homme pour se faire passer pour un membre du clan Dalton. Le cinéaste nous offre même un gros plan splendide sur ses yeux lors d’un montage en surimpression qui nous fait comprendre que le patron de la maison de jeu, au moment de lui proposer d’être son associée, a déjà reconnu celle qui l’a cambriolé la veille. Ce qui jette un peu d’ambigüité sur le personnage de George Brent : l’a-t-il embauché pour son talent, parce qu’elle lui a tapé dan l’œil ou pour mieux piéger ses acolytes ? Pourquoi pas tout à la fois ? Belle interprétation en passant de cet acteur assez peu connu d’autant qu’il est entouré par toute une ribambelle d’excellents seconds rôles, du beau ténébreux Scott Brady (Dancin’ Kid, le futur amoureux transi dans
Johnny Guitar), au fordien Andy Devine (le conducteur de la diligence dans
La Chevauchée Fantastique – Stagecoach) en passant par les gueules connues (à défaut des noms) que sont celles Forrest Tucker, Jack Lambert ou John Litel.
La beauté des costumes, le charme désuet du procédé photographique trucolor, la sympathique partition de Nathan Scott aidant, les amateurs de westerns de série B (et uniquement eux) devraient apprécier. Après avoir fait tourner la tête non moins que de Pat Garrett et Billy The Kid dans le fameux
Le Banni (The Outlaw) de Howard Hughes, Jane Russell met le grappin sur Bob Dalton au sein d’une intrigue remarquablement fournie en pièges, trahisons et autres coups de théâtre : un western au charme certain.