Le Convoi Maudit (The Outriders, 1950) de Roy Rowland
MGM
Avec Joel McCrea, Arlene Dahl, James Withmore, Barry Sullivan, Ramon Novarro, Claude Jarman Jr…
Scénario : Irving Ravetch
Musique : André Prévin
Photographie : Charles Schoenbaum (Technicolor)
Une production Richard Goldstone pour la MGM
Couleur - 92 mn
Sortie USA : 01 mars 1950
Alors que le western n’était jusqu’à présent pas franchement la tasse de thé de la MGM, elle nous en aura offert deux très bons en ce début de décennie,
Embuscade (Ambush) de Sam Wood et, encore un cran au-dessus,
Le Convoi Maudit (The Outriders) de Roy Rowland, ce dernier, ce qui ne gâte rien, proposé dans un très beau Technicolor qui avait fait défaut au précédent. Décennie qui peine cependant encore à trouver ses marques, aucun des deux titres n’ayant de réelle importance au sein de l’histoire du genre, ne révolutionnant pour ainsi dire pas grand chose et ne dépassant guère le stade de l’honnête divertissement. Mais nous aurions tort de faire la fine bouche alors que les deux spectacles proposés, aussi conventionnels soient-il, ne lésinent pas sur la qualité du service à quelque niveau que ce soit. Alors que
Ambush nous emmenait passer quelques jours au sein d’un fort Yankee, le film de Roy Rowland débute aussi dans une garnison nordiste située cette fois dans le Missouri.

En 1865, trois soldats confédérés, Will (Joel McCrea), Jesse (Barry Sullivan) et Clint (James Whitmore) s’évadent d’un camp de prisonniers nordiste dans le Missouri. Poursuivis par les troupes Yankees, ils tombent nez à nez avec un groupe de francs tireurs dévoués au fameux Quantril. Dirigé par le sanguinaire Keeley (Jeff Corey), sous prétexte d’aider les troupes sudistes en difficulté et de continuer à lutter pour cette cause, ces hommes assassinent impunément civils et militaires. Leur devant néanmoins la vie et étant en principe du même bord, nos trois fuyards acceptent une mission qui leur est alors confiée, celle de conduire un convoi partant de Santa Fe et transportant secrètement de l’or jusqu’à Saint Louis. Ils doivent le faire passer à Cow Creek, un plateau désert où les hommes de Keeley les attendront pour leur tendre une embuscade et s’emparer du butin. Sans se douter de quoi que ce soit, le chef du convoi, Don Antonio (Ramon Novarro), accepte l’aide qui lui est proposé après que les Apaches aient malmenés ses hommes et chariots. Font également partie du voyage, Jen (Arlene Dahl), une jolie veuve accompagnée par le jeune frère de son mari défunt, Roy (Claude Jarman Jr). La beauté de cette femme va provoquer bien des jalousies et notamment créer des rivalités entre Will et Jesse. A côté de ça, la petite troupe aura fort à faire : se protéger contre les attaques indiennes, traverser des rivières tumultueuses, rattraper les chevaux effrayés par l’orage ; ils ne sont pas au bout de leur peine alors même qu’on vient leur annoncer triomphalement que le Général Lee vient de se rendre et que la guerre civile est donc enfin terminée. Car évidemment, les hommes de Quantril et de Keeley n’en ont rien à faire…

Roy Rowland n’a que 40 ans lorsqu’il tourne son premier western qui n’est autre que
The Outriders. Très peu connu auprès des spectateurs français, le cinéaste n’en aura pas moins signé quelques belles réussites notamment dans la comédie musicale avec l’amusant et dynamique
La Fille de l’Amiral (
Hit the Deck) mais surtout, son plus grand titre de gloire, le curieux et fascinant
Les 5000 Doigts du Dr T (
The 5000 Fingers of Dr T). Difficile d’en dire plus car excepté ses autres westerns sur lesquels nous reviendrons plus tard, peu de ses autres films nous sont connus excepté
Sur la Trace du Crime (Rogue Cop), un honnête thriller et
Viva Las Vegas (Meet me in Las Vegas), comédie musicale gentillette avec Cyd Charisse.
Le Convoi Maudit (bien nommé pour une fois dans sa traduction française) est un western qui remplit parfaitement son contrat sans jamais se moquer de son public. Presque entièrement filmé dans les superbes paysages de l’Utah, il y aurait esthétiquement juste à déplorer quelques rares transparences ratées lors de certaines scènes d’action car sinon les toiles peintes signées Arnold Gillespie sont très belles (notamment celle de Santa Fe) et les séquences nocturnes en studio s’avèrent très correctes, témoin celle, plastiquement réussie de l’orage avec les ombres inquiétantes portées sur les rochers qui vont effrayer le jeune Claude Jarman Jr. Correctement réalisé, écrit et interprété, même s’il ne comporte guère de surprises (sauf dans son premier quart d’heure),
The Outriders devrait pouvoir plaire au plus grand nombre des aficionados du genre.
En effet, Irving Ravetch, qui sera plus tard le scénariste attitré du très intéressant Martin Ritt et l’auteur notamment de l’excellent
Celui par qui le Scandale arrive (
Home from the Hill) de Vincente Minnelli, pour son premier travail dans le cinéma, nous offrait à cette occasion une belle histoire bien charpentée et respirant l’aventure et les grands espaces. Dès le départ, les situations évoquées nous semblent un peu nouvelles : le bain forcé que doivent prendre les prisonniers crasseux, l’acharnement de Jesse, proche de la folie meurtrière, lorsqu’il tue l’un de ses gardiens laissant l’eau du lac rougie du sang de sa victime, la délation avec une pointe de contentement des civils lorsqu’ils s’aperçoivent avoir hébergé des soldats ennemis, le mensonge et la trahison que doivent perpétrer nos trois héros vis-à-vis des personnes convoyées… Et puis qui dit film de convoi (que ce soit une caravane de pionniers comme dans
La Piste des Géants (The Big Trail) ou de bétail comme dans
La Rivière Rouge (Red River) dit nombreuses embuches à affronter : ici nous avons droit à une attaque Apache, la traversée d’une rivière tumultueuse, un vol de chevaux par les Pawnee, un orage amenant une ambiance quasi-fantastique ainsi que l’embuscade finale qui doit clore violemment le voyage comme attendu. Sans que le rythme soit endiablé, loin de là, toutes ces péripéties sont assez bien amenées, efficacement réalisées et entrecoupées par la description des relations amicales ou tendues entre les trois convoyeurs, deux d’entre eux se querellant pour les yeux de la belle Arlene Dahl, le dernier, joué par James Withmore, étant là pour tempérer dans un rôle à la Walter Brennan sans cependant qu’il ait à forcer sur l’humour quasiment absent du film.
Puisque nous en sommes à nous attacher aux yeux de la belle rousse (c’est une des
Deux Rouquines dans la Bagarred’Allan Dwan), on dirait que le Technicolor a été inventé pour cette actrice physiquement superbe et qui est d’ailleurs à l’origine de la séquence la plus troublante du film. Rien que pour cette scène, Irving Ravetch et Roy Rowland méritent nos éloges car que ce soit par son écriture ou sa mise en scène, elle reste inoubliable. Alors qu’à la nuit tombée, les hommes enivrés se mettent à danser autour du feu de camp, Arlene Dahl, censée restée dans son chariot, fait une apparition remarquée dans sa splendide robe noire de deuil. Agrémentant le bal de sa présence féminine, elle accepte quelques pas de danse avec chacun des hommes pour contenter tout le monde. Puis Barry Sulivan, qui ne cache pas son désir, l’enlace avec un ruban vert lui faisant faire quelques pas de danse assez langoureux. Mais ayant jetée son dévolu sur Joel McCrea, elle lui susurre à l’oreille "
you wanted me the most" avant d’aller chercher d’autres chaussures avec lesquelles elle serait plus à l’aise. Elle lui amène et lui demande devant tout le monde de les lui mettre. Il s’exécute, lui prend délicatement les chevilles et lui enfile de délicats souliers verts. Cette séquence est tout à la fois d’une élégance et d’une sensualité encore assez rare jusqu’à présent dans le western.

L’autre moment mémorable du film est la traversée de la rivière à fort courant, les gens du convoi étant obligés de construire un radeau servant de bac sur lequel ils pourront transporter les chariots ; séquence très bien construite avec tout ce qu’il faut de réalisme, de suspense et de tragédie pour nous tenir en haleine. Si le reste n’est pas de ce niveau, si le rythme a tendance à faiblir vers le milieu du film, le spectacle est assuré et ne procure d’ennui à aucun moment. Même si la mise en scène de Rowland manque de souffle et d’idées, c’est celle d’un homme respectueux de son public ; nous nous étonnons même de pouvoir contempler dans ce western mineur des plans aussi beaux que celui des quatre cavaliers en contre jour en haut d’une colline. Quant à l’interprétation, elle s’avère elle aussi convaincante. Si Arlene Dahl n’est finalement pas aussi bien utilisée que dans
Embuscade de Sam Wood, si Claude Jarman Jr, le jeune acteur attachant de
Jody et le Faon (
The Yearling) de Clarence Brown, est sacrifié dans tous les sens du terme (mais John Ford lui octroiera un rôle bien plus consistant la même année dans
Rio Grande) et si la plupart des seconds rôles ne font office que de toile de fond, Joel McCrea acquiert de plus en plus d’assurance dans le genre, James Withmore s’avère excellent ainsi que l’inquiétant Barry Sullivan. Quant au chef de convoi, c’est le
Ben-Hur de Fred Niblo, Ramon Novarro en personne avec pour une fois un rôle plutôt conséquent en comparaison de ceux qu’il avait pu tenir jusqu’ici dans le cinéma parlant. Dommage en revanche que Jeff Corey, le chef de bande psychopathe, soit aussi peu présent à l’écran.
Bref, rien qui nous pousserait à crier au génie, aucune franche originalité mais une histoire bien ficelée au point de départ assez neuf, celle d’un convoi escorté par des hommes supposés le défendre mais l’envoyant en fait dans la gueule du loup pour y trouver la mort et un bon travail d’ensemble des équipes techniques et artistiques de la MGM à l’image d’une des premières partitions de André Prévin et de la belle photographie de Charles Edgar Schoenbaum. Roy Rowland, un réalisateur à suivre.