Le Barrage de Burlington (River Lady,1948) de George Sherman
UNIVERSAL
Avec Yvonne de Carlo, Dan Duryea, Rod Cameron, Helena Carter, Lloyd Gough, Florence Bates, John McIntire, Jack Lambert
Scénario : D.D. Beauchamp & William Bowers
Musique : Paul Sawtell
Photographie : Irving Glassberg (Technicolor 1.37)
Un film produit par Leonard Goldstein pour la Universal
Sortie USA : 20 mai 1948
1948-1952 furent les cinq années fastes en terme de réussite dans la carrière westernienne du prolifique réalisateur George Sherman qui, à cette occasion, aurait largement mérité plus d’enthousiasme à son égard dans les diverses histoires du cinéma voire même dans les différentes anthologies du genre. Si ce n’est pas le cas, c’est peut-être aussi que, fait rarissime dans les annales hollywoodiennes, n’ayant jamais donné la moindre interview, il est toujours resté méconnu et obscur pour la plupart des journalistes et historiens du cinéma. Mais, grâce au DVD, cette reconnaissance tardive est enfin en train d’avoir lieu et ce n’est que justice ! Cette période bénie fut entamée avec
Bandits de grands chemins (Black Bart) avec déjà le trio Dan Duryea, John McIntire et Yvonne De Carlo, tous très convaincants.
River Lady, dans un ton assez approchant (jovial et sérieux à la fois), sera donc le suivant à peine trois mois après. Puis viendront d’autres excellents westerns, tous tournés pour la Universal, tels
La Fille des prairies (Calamity Jane and Sam Bass), le superbe
Tomahawk (probablement son chef-d’œuvre), le naïf mais sympathique
Sur le Territoire des Comanches (Comanche Territory) ou encore le très intéressant
Au mépris des lois (The Battle at Apache Pass). C’est ensuite, dès 1954, que ça se gâtera malgré encore quelques réussites éparses !

Milieu du 18ème siècle. Dan Corrigan (Rod Cameron) est bucheron dans le Mississippi. L’hiver terminé, lui et ses hommes sont impatients de descendre la rivière sur les troncs des arbres qu’ils ont abattus afin d’aller vendre ces derniers. Ils vont enfin pouvoir prendre quelques mois de ‘vacances’ en ville, dépenser leur salaire bien mérité dans les maisons de jeux et auprès des filles. D’ailleurs, lorsque ces ‘hommes des bois’ arrivent en ville, les mères de famille cachent leur progéniture féminine qui risquerait sans ça d’être bien vite déshonorée. En revanche, certains autres comme les tenanciers de saloon et les commerçants, s’en frottent les mains. C’est ainsi que le ‘River Lady’, un bateau à aube qui fait office de salle de jeux, vient accoster à ce moment là. L’ambitieuse propriétaire, la pulpeuse Sequin (Yvonne De Carlo), n’est autre que la maîtresse de Dan. Elle est ravie de le revoir tout en souhaitant qu’il obtienne une situation plus honorable que celle de simple bucheron. Pour le faire se transformer en un gentleman à son goût et pouvoir ainsi l’épouser, par un roublard stratagème, elle va en douce lui trouver un poste haut placé auprès du petit industriel H.L. Morrison (John McIntire) dont la fille Stéphanie (Helena Carter) n’est pas insensible aux charmes du vigoureux étranger. Le bucheron se trouve ainsi pris entre deux feux ‘féminins’... Beauvais (Dan Duryea), représentant d’un syndicat de bucherons, tente de racheter toutes les scieries florissantes afin de créer un monopole au détriment des petites entreprises privées. Partenaire de Sequin, il va néanmoins tenter de faire couler l’entreprise de Morrison qui refuse de lui vendre son affaire d’autant que depuis l’arrivée de Dan, elle rapporte plus que jamais. Dan et Sequin sont sur le point de se marier mais, apprenant cette nouvelle, Stéphanie vient apprendre à Dan comment sa promise a manigancé pour lui trouver ce nouvel emploi. Fou de colère d’avoir été manipulé à son insu, Dan épouse finalement Stéphanie mais n’est pas au bout de ses peines puisque Beauvais va tenter de lui mettre des bâtons dans les roues en débauchant ses hommes…

Les bucherons remplacent les cow-boys, leurs montures sont des troncs d’arbres qu’ils transportent par voie d’eau debout dessus, le convoyage du bois ayant du coup pris la place de celui du bétail ; exit les saloons à terre (quoique, la pittoresque Florence Bates en tient un et n’est pas la dernière à pousser à la consommation ses clients qui tombent comme des mouches, assommés par l’alcool) au profit des bateaux-maisons de jeux. Mais sinon, les intérieurs douillets et cossus, les bagarres hargneuses à poings nus, les jeux de cartes qui se finissent en eau de boudin, les chanteuses de cabaret gouleyantes, les beuveries et les coups de feu… tous ces éléments sont de la partie. Nous sommes donc bel et bien dans un western ; un peu trop à l’Est peut-être mais avec tous les ingrédients du genre auxquels on ajoute un aspect documentaire non négligeable et loin d'être inintéressant sur la vie des bucherons avec superbe images de ces hommes au travail. C’est néanmoins la double romance qui bénéficie de la plus grande importance au sein de ce scénario bien écrit par D.D. Beauchamp et William Bowers, les talentueux auteurs de la majorité des westerns de Sherman à cette époque. On se met aisément à la place de Rod Cameron qui ne sait plus où donner de la tête et qui se retrouve devant un dilemme cornélien, à savoir se décider du choix vers qui reporter son amour entre Yvonne De Carlo et Helena Carter ; on comprend aisément que ce soit très difficile pour lui d’en favoriser l’une plus que l’autre ! En attendant qu’il prenne sa décision, les amateurs d’action seront nécessairement lésés et donc probablement déçus d’autant que la grande scène de bataille tant attendue, celle qui doit opposer les hommes de Rod Cameron à ceux de Dan Duryea au cours d’un face à face homérique, n’est pas à la hauteur de nos espérances.

En effet, si George Sherman nous aura habitué à parfaitement gérer ses séquences mouvementées, le climax de
River Lady semble au contraire bâclé, la mort d’un des protagonistes principaux étant tout aussi vite expédiée que l’ample bataille convoitée. Point de rythme, des cascadeurs fatigués et un manque de vigueur flagrant rendent cette scène très décevante. Et puis, que ce soient le réalisateur ou le studio, ils ne nous avaient guère habitués à utiliser durant pas mal de séquences en extérieurs autant de transparences aussi ratées ! Le budget aurait-il été restreint ? Quoiqu’il en soit, la réussite est quand même au rendez-vous et le convaincant duo Yvonne de Carlo / Rod Cameron peut cette fois faire montre de son talent dans un honnête divertissement, ce qui n’était pas le cas de leurs précédentes rencontres au sein du laborieux
Salomé (Salome, where she Danced) et du minable
La Taverne du cheval rouge (Frontier Gal) tous deux réalisés par le médiocre Charles Lamont. Cette fois-ci le scénario est bien écrit, les dialogues savoureux, l’interprétation d’ensemble de qualité et la mise en scène plutôt bien enlevée. Plus bavard que remuant mais vraiment plaisant à suivre puisque les personnages sont bien croqués et psychologiquement assez fouillés dans l’ensemble.
Le bucheron joué par Rod Cameron (c’était d’ailleurs son métier précédent avant qu’il ne devienne comédien) n’est pas un héros comme ceux que l’on a l’habitude de rencontrer (il en sera de même dans le très bon
Fort Osage de Lesley Selander) : il s’agit d’un homme modeste et pas ambitieux pour un rond, fidèle en amitié (celle qui le lie au personnage interprété par Lloyd Gough est assez bien vue), foncièrement honnête mais pas benêt pour autant ; simplement un peu naïf quant à sa fiancé, lui faisant aveuglément confiance, ce dont se moquera Beauvais, son rival, interprété avec talent par Dan Duryea toujours impeccable dans la peau de charmantes et viles canailles :
Sequin (Yvonne de Carlo): “
He trusts me”.
Beauvais (Dan Duryea) : “
He must have learned about women in kindergarten”.
Un homme simple et bon (capable également de sombrer dans la déprime, ce qui le rend encore plus humain) qui refuse cependant qu’on dirige sa vie, préférant gagner moins d’argent et être son propre patron ; ce qui n’est pas du goût de sa fiancée, femme d’affaire calculatrice qui refuse d’épouser un homme dont la situation n’est pas assez élevée, elle qui, fatiguée de s’être vu marchée sur les pieds toute sa vie, rêve désormais de luxe et de respectabilité avec pour but par la même occasion de se venger d’avoir été rabaissée par les honnêtes femmes :
"Je veux assez d’argent pour traiter les femmes convenables comme elles m’ont traité, comme la boue sur leurs pieds !". Yvonne De Carlo, habituée de ce genre de rôle, s’avère irrésistible d’autant que sublimement mise en valeur par le maquillage, la coiffure et les costumes ; les relations qu’elle a aussi bien avec Rod Cameron qu’avec Dan Duryea se révèlent assez savoureuses. La morale sera néanmoins sauve puisque son entêtement à faire modeler son futur époux à son gré se révèlera fatale pour son histoire d’amour ; et ce n’est pas faute d’avoir été prévenue : "
she must accept him for what he is, not what she wants him to be." Un magnifique dernier plan que celui qui voit Yvonne de Carlo céder sa place à sa rivale.
Mais le personnage interprété par Helena Carter est bien plus original ; on se croirait revenu au début des années 30 durant la période dite ‘pré-code’. Stéphanie est une fille dont la mère fut trop stricte quant à son éducation, l’ayant trop protégée en l’empêchant de sortir jusqu’à un âge avancé. Du coup, pour se démarquer de ses parents qui voient en elle toujours une petite fille, elle se jette sur les premiers hommes qu’elle croise, mutine, insolente et libertine au point de lancer à Dan, dans les bras de qui elle souhaiterait se blottir, qu’elle apprécierait beaucoup de recevoir des fessées de sa part :
Dan Corrigan (Rod Cameron) : “
Stevie, behave yourself or I'm going to give you the worst spanking of your life.”
Stephanie (Helena Carter) : “
I might even like that.”
Une fille n’ayant pas froid aux yeux mais cachant derrière ce dévergondage voulu une belle sensibilité. Helena Carter aura ainsi eu l’occasion de débiter les dialogues les plus ‘osés’ du film ,ce qui est d’autant plus savoureux qu’ils contrastent avec le doux visage d’ange de l’actrice. A côté de ça, elle tout aussi attachante quand elle se met dans la peau de l'épouse aimante.
En même temps que
River Lady brosse avec saveur le portrait de quatre attachants personnages, il aborde également la lutte entre petites entreprises privées et syndicats voulant le monopole d’une activité précise. George Sherman nous délivre au passage une virulente bagarre à poings nus entre ses deux acteurs principaux, nous octroie quelques superbes travellings et autres mouvements de caméra (notamment dans sa première demi-heure) mais les amateurs de drame romantique sans conséquences devraient être plus à la fête que les westerners purs et durs. Mais comme des bucherons au sein d’un western, nous n’en rencontrerons plus avant
La Vallée des géants (The Big Trees) de Felix Feist avec Kirk Douglas, certains ont du trouver ce western plutôt exotique et dépaysant.
River Lady, un cru mineur de Sherman mais un divertissement fort sympathique avec pour bonus une chanson assez dynamique chantée par Yvonne De Carlo en personne.