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Test dvd
Image de la jaquette

Husbands

DVD - Région 2
Wild Side
Parution : 4 avril 2012

Image

La première impression que l'on ressent devant le master proposé par Wild Side est que nous avons à faire à un DVD de très bonne qualité. En premier lieu, la définition s'avère très bonne, surtout qu'il nous faut prendre en compte dans notre jugement les conditions de tournage particulières du film et la mobilité fréquente de la caméra portée. Bien évidemment, on assiste régulièrement à des variations de cette définition, qui résultent autant de la technique employée que de véritables choix de mise en scène opérés par Cassavetes ; mais les gros plans, plus ou moins statiques, témoignent du bon rendu général dans ce domaine. La compression, de son côté, est très satisfaisante, comme en témoignent surtout les plans fixes ; elle se fait un peu remarquer dans les mouvements et les basses lumières mais on atteint là les limites du support DVD, qui est pleinement exploité ici. On apprécie également le respect du grain cinéma et l'absence de lissage intempestif, encore une fois les gros plans fixes sont éloquents à ce sujet. De leur côté, les contrastes se révèlent très séduisants (peut-être ont-ils été très légèrement poussés parfois). Les noirs laissent souvent passer les détails malgré des conditions d'éclairage et de cadre peu propices à l'excellence technique ; mais ici on recherche avant tout la fidélité à l'œuvre d'origine et le contrat semble rempli. Enfin, il faut saluer la propreté du master, très rarement entaché de petits points noirs qui ne gênent cependant en rien la vision. Cette propreté, ainsi que toutes les qualités évoquées ci-dessus nous font regretter l'absence d'une édition Blu-ray. Mais peut-être que les impératifs techniques n'étaient pas réunis malgré la restauration, et probablement que le potentiel commercial de Husbands n'était pas assez fort pour tenter l'aventure de la haute définition. Mais en l'état, ce DVD s'avère une excellente surprise et permet un visionnage de haute tenue.

Son

La piste sonore mono est très satisfaisante par sa clarté, avec une belle mise en valeur des ambiances qui renforce l'impression de naturel. Les dialogues sont parfaitement intelligibles et bénéficient d'une bonne dynamique, ce qui s'avère évidemment primordial pour un tel film où l'interprétation des comédiens se doit de bénéficier du meilleur traitement possible. Les sous-titres français sont hélas imposés, conformément - on le suppose - à des questions de droits.

Suppléments

DISQUE 1

Au lancement du DVD contenant seulement le film (dans sa version courte), nous avons l'heureuse surprise de voir apparaître la bande-annonce promotionnelle de l'éditeur de sa future édition limitée de La Nuit du chasseur (1955) de Charles Laughton. Cette édition spéciale, qui prend la forme d'un grand livre de 200 pages écrit par Philippe Garnier, se compose d'un Blu-ray, de deux DVD et d'un CD de la musique originale du film. Au vu de cette superbe présentation et de la qualité de la restauration que l'on entrevoit, c'est avec une certaine fébrilité qu'on attend la sortie de ce produit événementiel.

DISQUE 2

Ce disque est réservé à la version longue du film. On sait que John Cassavetes mettait régulièrement l'ouvrage sur le métier et qu'il ne cessait de faire remonter ses films jusqu'à obtenir satisfaction (une satisfaction toute relative vu le foisonnement de sa pensée). Husbands a donc lui aussi connu plusieurs versions, notamment pour donner plus ou moins d'importance à chacun des trois personnages principaux, mais celle qui nous est présentée ici est simplement plus longue de dix minutes et fait donc 136 minutes. Les segments rallongés du film font partie de la longue séquence dans le pub, où Harry, Gus et Archie, de plus en plus imbibés de bière, invitent leurs convives à chanter. C'est d'abord le segment où ils se montrent tous les trois très désagréables envers une femme qui se trouve allongé de quelques minutes, jusqu'à ce qu'ils finissent par approuver le cœur et la sincérité que cette dernière met dans sa façon de chanter. C'est assez fascinant de voir que Cassavetes fait jouer à ses trois personnages son propre de rôle de metteur en scène poussant ses acteurs à se dépasser, à atteindre leurs limites pour trouver leur sincérité. C'est exactement ce qui se produit avec cette cliente du pub, que les trois hommes finissent par congratuler et embrasser. En enlevant ces plans, le cinéaste a semble-t-il décidé d'en rester à la méchanceté et à l'égocentrisme de ses protagonistes avinés. Juste après, vient une portion de séquence où l'on nous présente l'homme roux - un Irlandais - que l'on voyait accompagner les trois amis dans le pub à la fin de leur beuverie dans la version courte ; ici on découvre un habitant de Brooklyn joyeux, qui entonne à son tour une chanson et finit par "gagner" le "concours" de chant organisé dans le chaos par nos trois camarades. Enfin, alors que dans la version courte, le montage passait de la pauvre femme houspillée à la fin de la cuite dans les toilettes, nous assistons ici à une séquence qui montre Gus et Archie vomir dans des positions peu flatteuses. Cette fois, Cassavetes a épargné ces deux personnages en les rendant moins pitoyables à l'écran.

DISQUE 3

Anything for John (de Doug Headline et Dominique Cazenave - 85 min)
Tourné en vidéo en 1993, puis complété et réactualisé jusqu'en 2012, ce long documentaire coréalisé par Doug Headline - scénariste, éditeur et journaliste de cinéma (il est l'un des fondateurs de la revue Starfix) - se propose d'apporter un éclairage rétrospectif et émouvant sur le parcours et la personnalité de John Cassavetes en conviant quelques uns de ses plus proches amis et collaborateurs. Lancé par une intervention enflammée de Samuel Fuller, ce portrait croisé et intime, réalisé autour de nombreux entretiens, est abondamment illustré de photos (tirées de films, d'archives et de plateaux de tournage) et d'extraits de ses films - surtout Husbands, qui constitue un peu un fil rouge. Interviewés dans une ambiance apaisante, laissant libre cours à la nostalgie et aux réminiscences, s'expriment tour à tour et principalement Al Ruban (collaborateur à tous les niveaux de Cassavetes, de l'assistanat à la production et au montage), Gena Rowlands (l'épouse et la muse du cinéaste), les comédiens Ben Gazzara, Peter Falk, Seymour Cassel et Lynn Carlin, ainsi que le photographe Sam Shaw. Si les amateurs du cinéma de John Cassavetes apprendront relativement peu de choses, ils seront souvent pris à la gorge par l'émotion au fur et à mesure que les intervenants déroulent leurs souvenirs et qu'ils expriment leurs sentiments vis-à-vis de cette figure si aimée et si aimante (malgré son tempérament, ses exigences et ses contradictions).


Quant aux gens qui découvrent cet univers si singulier, ils auront un bref aperçu de la carrière d'acteur et de réalisateur de John Cassavetes avec un retour sur ses débuts de cinéaste avec Shadows (1958-59) et son "groupe Cassavetes", apprendront l'importance du théâtre dans sa vie et dans son œuvre (un aspect qu'on aurait aimé voir plus développé), découvriront les méthodes de travail de l'artiste, les rapports étroits entre la vie et la création artistique, la compréhension de la psychologie féminine, la direction d'acteurs si particulière et si moderne ainsi que la recherche de sincérité, ses préoccupations essentielles, ses doutes et ses obsessions, la difficulté de s'imposer dans le système hollywoodien et ses velléités d'indépendance, les différentes familles qu'il a su former, et enfin et surtout ce qui reste de l'homme et de sa création : l'exaltation de l'amour dans tous ses états. Une parole de Peter Falk résume à sa manière Cassavetes ; à partir d'une citation que l'acteur affectionne ("L"homme est Dieu en ruines"), il précise : « Cassavetes voyait les ruines avec une acuité intolérable pour la plupart. Il était attiré par la partie divine qui est notre capacité à aimer. » Parmi les séquences émouvantes émaillant ce documentaire, on en retiendra une en particulier, celle qui marque les retrouvailles, plus de 25 ans après, de deux acteurs emblématiques de Faces (1965-68) dans un diner : Seymour Cassel et Lynn Carlin.


Conversation entre Peter Falk et Al Ruban (29 min)
Ce module vidéo se compose d'une interview filmée en 1993 réunissant Falk et Ruban, réalisée au même moment que le documentaire Anything for John (cf. ci-dessus). Les deux hommes se laissent nonchalamment aller à exprimer leurs pensées et à rapporter plusieurs anecdotes qui, mises bout à bout, tracent un portrait en creux de leur camarade disparu (l'attitude de John Cassavetes face à sa mort prochaine est justement évoquée). Grâce à l'évocation de plusieurs détails de leur vie quotidienne, de différents événements plus ou moins importants de l'existence de Cassavetes, de leurs souvenirs communs et de leurs jugements sur l'homme, c'est toute une personnalité qui se dévoile à nous, complexe et contradictoire ; celle d'un homme exigeant et joueur, turbulent et généreux, à la fois intègre et filou, doté d'une force de caractère peu commune et d'une capacité de concentration et de travail énorme. Surtout, ce moment intime passé avec Al Ruban et Peter Falk, fortement émus mais tout en conservant une certaine pudeur, laisse l'amateur de John Cassavetes et de sa petite bande dans un état gentiment songeur, entre émotion et ravissement.

Enfin, cette édition propose deux bandes-annonces de Husbands - l'une, courte (51 s), est faite de photos et de textes ; l'autre, plus longue (3 min 36 s) et traditionnelle, est composée de plusieurs extraits du film commentés par une voix off -, une filmographie succincte de John Cassavetes réalisateur et une page avec des liens Internet.

En savoir plus

En conclusion, on ne peut que tirer notre chapeau à Wild Side pour ce très beau travail. S'il fallait exprimer un seul regret, ce serait l'absence du magnifique making of de Husbands réalisé à l'époque par la BBC. Avec ce document exceptionnel, cette édition aurait constitué le DVD parfait et définitif pour ce chef-d'œuvre. Mais on imagine volontiers que ce manque est dû à des problèmes de droits et l'on n'en tiendra pas trop rigueur à l'éditeur. Les curieux pourront aller sur le site Youtube où il est heureusement possible de visionner ce fameux making of.

Par Ronny Chester - le 10 avril 2012