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Actualités - Événements

Cinéma Premiers Crimes

L'exposition

Depuis le 17 avril dernier se tient à la Galerie des Bibliothèques de la Ville de Paris (espace discret situé rue Mahler, dans le 4ème arrondissement, à proximité du Musée Carnavalet) l’exposition Cinéma Premiers Crimes, qui entreprend de retracer la naissance et l’essor du cinéma criminel français dans les premières décennies du cinématographe.

Vaste et courageuse entreprise, dans la mesure où le cinéma criminel primitif reste, par bien des aspects, un continent inconnu, dont l’exploration est désormais rendue difficile aussi bien par la perte d’une immense partie de la production que par la compréhensible mais encombrante ombre des quelques figures, fulgurantes et fantasmatiques, auxquelles on le limite souvent désormais : Fantomas, Judex, Les Vampires et la silhouette de Musidora...  la postérité a surtout retenu l’œuvre de Louis Feuillade, évidemment géniale mais pas toujours bien représentative de ce qu’auront été les balbutiantes premières années de la représentation du crime à l’écran.


Histoire d'un crime, 1901 (photographie de plateau)
© Fondation Pathé

En quelques salles (où le suivi globalement chronologique s’enrichit de considérations diverses, thématiques, structurelles ou sociales), l’exposition entreprend donc de définir les contours et les variétés du cinéma criminel français, d’Histoire d’un crime (1901) à la période de transition, dans le courant des années 20, vers le film de gangsters « à l’américaine ». La scénographie est sobre (des panneaux noirs résument, en une vingtaine de lignes, le contenu des documents de la salle) et, pour peu que l’on se contente de passer en jetant un œil distrait aux dits documents ou aux extraits, le tour est vite accompli ; ce serait bien évidemment rater l’essentiel et nous ne saurions trop recommander de prendre le temps (compter une bonne heure et demie, au bas mot) pour s’attarder et, en plusieurs occasions, se laisser surprendre. Pour résumer les choses telles que nous les avons perçues, la petitesse de l’espace muséographique ainsi que la rareté des documents proposés (photos de tournages, affiches, coupures de presse... tous séculaires) motivent une orientation franche vers le qualitatif davantage que vers le quantitatif, et bon nombre d’entre eux méritent ainsi une attention particulière. Car entre les excès stylistiques d’affiches riches en promesses (et souvent bien supérieures aux films, nous y reviendrons), les sujets choisis par les films (ainsi que la manière de les traiter) ou les débats « moraux » suscités par ces films « scandaleux », l’exposition dresse surtout, en creux mais par essence, le rare portrait d’une époque, et qui plus est, un portrait établi par le biais d’un médium alors encore tout neuf.

Dans la première décennie du XXème  siècle, le cinéma n’est en effet pas du tout considéré comme un art, même potentiel. Il tient davantage de l’attraction de fête foraine (Histoire d’un crime y trouve d'ailleurs son origine, et – plus globalement – les réflexes sensationnalistes des accroches témoignent de la parenté) où le public vient soit s’évader dans des fantasmagories « méliesiennes » soit assister à une représentation de son quotidien. L’idée de représentation du quotidien (et non du quotidien tel qu’il serait) est fondamentale dans la mesure où elle traduit la nature par essence mensongère du médium cinématographique (médium d’artifice) mais aussi parce qu’elle témoigne d’un regard, d’emblée délibérément excessif, porté sur des aspects très spécifiques du quotidien. La question de l’ « Apache », auquel sont consacrées spécifiquement deux salles de l’exposition, est en ce sens parfaitement représentative, puisqu’on en vient à se demander lequel serait la poule et lequel serait l’œuf, ou - autrement formulé – dans quelle mesure la réalité de l’Apache (ce petit truand des rues, à l’allure ostensible) ne s’est pas progressivement conformée à la vision qu’en a donné le cinéma, dans un effet d’engrenages. Ce n’est pas sans un frisson, de jubilation et d’atterrement mêlés, que l’on peut ainsi (re)découvrir les toutes premières versions de la "danse des Apaches", popularisée notamment par Mistinguett et Max Dearly, valse chaloupée particulièrement suggestive et soumettante.

Plus globalement, on est assez vite frappé, au fil des salles, par la réactivité, mais aussi la réflexivité, du cinéma de cette époque, que l’on aurait volontiers – à tort – cru beaucoup plus littéral dans son approche des choses. A peine survient un fait divers (un mauvais coup des Apaches ; un kidnapping d’enfant ; une agression au couteau ; la poursuite d’un malfrat par des policiers en pleine rue ; les méfaits de la bande à Bonnot…) que non seulement il est immédiatement traité, mais presqu’aussi immédiatement poussé à l’excès, détourné, voire parodié. Le traitement volontiers hyperbolique du fait ainsi que le suspense et la comédie s’entremêlent régulièrement, avec un sens certain de l’outrance ou du grotesque (peut-être encore amplifié, aujourd’hui, par les postures forcées des comédiens) : des films comme Cambrioleurs modernes (Pathé - 1902), Les Agents tels qu’on nous les représente et les agents tels qu’ils sont (Gaumont – 1908) ou Bébé Apache (Gaumont – 1910) s’avèrent ainsi follement réjouissants (1)

Réjouissantes, les diatribes de la presse contre le spectacle amoral et l’exemple dangereux donné par le cinéma à la jeunesse d’aujourd’hui (pour résumer l’idée) le sont aussi follement. Citons cet article de L’Opinion, intitulé Le Cinématographe et le crime, qui, pour étayer son propos, parle des « effets curieux et inquiétants produits par le cinématographe sur les Indigènes du Soudan ou du Congo : à l’issue du spectacle, on voit la foule des nègres excités se livrer à une agitation frénétique et s’exercer à copier furieusement ce qu’ils sont vu s’accomplir sur la toile éclairée. (…) Dans la pénombre des salles de cinéma, l’écran lumineux fait clairement entendre aux cerveaux frustes un langage d’autant plus exempt de vergogne que c’est un langage muet : il éveille en eux de sourdes inclinations latentes, il dépose aux fond de leur mémoire des images précises qui vivent là, mûrissent et attendent, muettes conseillères, l’occasion propice (…) On raconte qu’un faible d’esprit, après avoir assisté à l’égorgement d’un porc, se précipita sur un homme et le tua (…) Le cinéma, c’est l’école du soir du jeune apache ». Eternel débat, guère plus pertinent aujourd'hui qu'alors...


Barrabas, film de Louis Feuillade, 1919 (photographie de plateau retouchée)
©  Cinémathèque française / Gaumont

Mais dans l’évolution du cinématographe tel qu’il se transforma au fil des premières années du XXème  siècle, le cinéma criminel subit une mutation majeure, à partir de 1911, quand les brefs films en un acte laissèrent place à des films de trente ou quarante minutes, parfois une heure, et parfois plusieurs longs épisodes... D’attraction de fête foraine, le cinéma se mua en spectacle alternatif, qui parvint à articuler ses spécificités, à populariser ses figures, et ainsi à fidéliser ses publics : des noms aujourd’hui oubliés comme Nick Carter (et ses multiples avatars), Barnett Parker, Nat Pinkerton, Zigomar, Main-de-fer, Démonios, ou encore l’X noir captivent alors les foules en proposant des péripéties plus complexes, avec filatures, déguisements, pièges et chausse-trappes… Les récits se structurant, on voit émerger des identités, scénaristiques ou formelles, qui pour certaines marquent les débuts de grands cinéastes : on aura ainsi été follement intrigué par les quelques images, particulièrement classieuses, du Barberousse d’Abel Gance, daté de 1917.


Affiche de Harford pour le film Les Vampires de Louis Feuillade, 1915
© Cinémathèque française / Gaumont

Dans la dernière partie de l’exposition, et tandis que l’on retrouve sur les murs ou les écrans les figures plus familières de Fantômas en haut-de-forme ou d’Irma Vep en combinaison moulante, les projections ne proposent ainsi plus des films entiers, mais des extraits de quelques minutes. Ceci nous aura inspiré plusieurs réflexions, pour certaines parfaitement anecdotiques. Parmi les premières d’entre elles, avouons un scepticisme franc sur la musique (improvisée, nous dit-on) qui accompagne certains films de la dernière salle : dissonant et quasi-asynchrone de l’image, elle illustre les travers contemporains de l’accompagnement sonore des films muets, qui semble oublier la vocation première, populaire et spectaculaire, de ces œuvres pour les transformer en objets de musée, froids et abstraits. Indépendamment de cette considération, avouons avoir été, dans le même élan, absolument captivé par la richesse historique des œuvres présentées autant qu’un peu déçu par leur faiblesse artistique, entre une narration peu dynamique et un manque de soin formel parfois flagrant. On aura même entendu deux spectateurs, à nos côtés, échanger dans un murmure devant des images du Fantômas de Louis Feuillade (pourtant pas le plus mauvais des films présentés…) : « Il est quand même un peu ridicule, ce Fantômas ». Le lecteur se doute bien que DVDClassik est à mille lieux de céder à un jeunisme lénifiant du type « c’est vieux donc c’est nul », mais cette réflexion traduit, à nos yeux, une réalité qu’il ne faut pas atténuer sous le prétexte de notre appétence notoire pour le cinéma de patrimoine : bien souvent, l’imaginaire suscité par ces films primitifs, à travers leurs titres, les noms de leurs personnages, leurs affiches superbes ou leurs résumés alléchants n’est pas comblé par la réalité des films. Dans la dernière salle, trône une superbe affiche d’un film Pathé intitulé Les 5 gentlemen maudits, qui promet du mystère, de l’élégance et un soupçon d’érotisme : il est à peu près certain que le film que nous avons imaginé en la voyant est infiniment supérieur à ce qu’il est en réalité (2). Mais finalement - et c'est un peu la leçon de cette exposition - n’est-ce pas là, d’une certaine manière, la vocation première du septième art que de faire tourner à plein régime l’usine à fantasmes du spectateur ?

(1)  Dans un autre registre, la vision proposée en 1910 de La Police en l'an 2000 (avec ces policiers en dirigeables qui harponnent littéralement les malfaiteurs) est également assez croquignole.
(2) L’exemple du film intitulé La Main, présenté dans une salle précédente, est à ce titre assez édifiant : à la silhouette gracile et vulnérable de la danseuse figurant sur l’affiche, répond malheureusement une comédienne maladroite et pataude.


Affiche de F. Chalicarne pour Démonios, 1914        Les Requins de Paris. Romans d’aventure de Léon Sazie 
© BILIPO                                                                                © BHVP

Le catalogue

Comme toute exposition qui se respecte, Cinéma Premiers Crimes s'accompagne d'un catalogue, rédigé par ses commissaires (Alain Carou - conservateur du service images à la BnF - et Mathieu Letourneux - maître de conférence en littérature et rédacteur en chef de la revue Belphégor). Celui-ci en reprend les grandes lignes, mais en développe certains aspects et s'attarde sur certains exemples essentiels. L'objet est surtout extrêmement riche pour son iconographie fournie, qui donne à admirer (le mot n'est pas excessif) bon nombre de documents d'époque aussi variés que surprenants (affiches, photos de tournage, couverture de revues, jeux de société...). Un excellent moyen, donc, d'approfondir le sujet, le tout dans un style clair et plaisant - à noter, d'ailleurs, un beau texte final de Didier Blonde sur la filature au coeur de Paris menée par Fandor dans Juve contre Fantômas (1913).

CINEMA PREMIERS CRIMES

ALAIN CAROU ET MATTHIEU LETOURNEUX

Paris Bibliothèques
Avril 2015
200 pages
Prix indicatif : 35 euros

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Et aussi

A noter un jeu de piste virtuel mené sur les réseaux sociaux, qui vise à élucider le mystérieux décès de M. Lamartine, gardien de l'exposition, le jour de son vernissage. A suivre sur :
http://crimedelagalerie.tumblr.com/
https://www.facebook.com/Galeriedesbibliotheques
https://www.facebook.com/InspecteurJuve
https://twitter.com/JeromFandor

Par Antoine Royer - le 7 mai 2015

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