La jeune et belle Irena Gallier se rend chez son frère, qu'elle n'a pas vu depuis des lustres. Celui-ci a un comportement étrange et disparaît rapidement. Irena tombe amoureuse d'un conservateur de zoo, Oliver, qui a d'ailleurs quelques problèmes avec une dangereuse panthère. Quand Irena retrouve son frère, il lui explique qu'elle fait partie d'une race incestueuse d'hommes panthères...
1982. Deux remakes de films fantastiques de la RKO, commandés par Universal, sortent sur les écrans :
The Thing de John Carpenter et
La Féline de Paul Schrader - et, j'ose le dire, deux immenses réussites. En ces temps gangrenés par la mode mercantile du remake impersonnel de classiques, la réussite simultanée de ces deux exemples est sûrement à méditer.
Grand amateur de l'esthétique 80's, je n'ai eu aucun mal à apprécier l'aspect visuel du film qui semble rebuter tant de monde, même si je comprends que l'on puisse être réfractaire aux lapins mauves et au sable orange. Cependant,
La Féline ne contient en définitive qu'assez peu de scènes ayant véritablement ce cachet 1980's (les séquences avec l'arbre aux panthères, la vision nocturne de Kinski) contrairement à ce que pourraient le laisser penser mes screenshots. Au contraire, la mise en scène de Schrader se révèle finalement assez classique et modeste, et ne se débride plastiquement que lors des séquences oniriques où la photographie de John Bailey et les matte-paintings d'Albert Whitlock font des merveilles. Ces quelques scènes sont d'ailleurs annonciatrices de celles, tout aussi surréalistes, du film suivant de Schrader :
Mishima. Je trouve du coup les remarques de Jordan White quant à l'analogie avec Dulux Valentine peu fondées : s'il y a éventuellement quelque chose de légèrement vieilli dans ce film, ce serait plus à chercher du côté de la partition aux synthés de Giorgio Moroder (quoique je l'apprécie assez, elle contribue beaucoup au climat étrange du film).
Je ne connais pas la version de Jacques Tourneur, mais je crois qu'il me sera difficile de l'apprécier pleinement tant Nastassia Kinski, resplendissante, semble le choix idéal pour camper ce mélange de bestialité, d'innocence et de sensualité. La jeune femme est mémorable dans ce rôle difficile. Il se dégage, par son entremise et par celle de son frère (un Malcolm McDowell en nuances, quoique héritant une fois encore d'un rôle de dégénéré), une atmosphère de sexualité réellement étouffante et envoûtante. Bien que disposant de quelques scènes gores assez choc, je ne crois pas que ce
Cat People doive être regardé comme un film d'horreur - ceux qui l'espèrent en le regardant ne peuvent qu'être déçus -, mais comme un film fantastique à l'ambiance étrange et lourde d'érotisme. "Une fantaisie érotique sur l'animal en chacun de nous", disait l'affiche.
Le choix de Schrader de ne montrer que le minimum en termes de transformations physiques confirme mon sentiment selon lequel ce n'est pas l'aspect horrifique de l'histoire qui l'intéressait le plus, mais bien la confrontation et l'appréhension d'une jeune femme face au sexe et ses tentations. Ce qui fait que les thématiques de cette œuvre de commande se retrouvent très proches de celles développées dans d'autres films de Schrader (
Hardcore, par exemple). Que le film ait été taxé de racoleur à sa sortie du fait de cette dimension sexuelle exacerbée est surprenant - enfin, jusque dans une certaine mesure - tant le propos de Schrader est emprunt de délicatesse et se permet, par le biais de cette parabole de femme-panthère, d'aborder intelligemment des questions osées, comme la virginité, l'inceste ou un éventuel sentiment de culpabilité face au désir, dans la mesure où l'acceptation de celui-ci signifie des choses atroces pour Kinski et McDowell. Même s'il n'est pas auteur du script, on peut voir là une influence de l'éducation religieuse très stricte qu'a reçu le cinéaste, et avec qui il entretiendra souvent dans sa filmographie un rapport d'attirance/répulsion. Certes, le film est parfois sulfureux, et Schrader donne du grain à moudre aux critiques lorsqu'il filme Kinski se faire attacher, nue, à un lit ; mais cette sensualité exacerbée ne doit pas occulter la mélancolie douloureuse qui sous-tend ces scènes : la séquence que je viens de citer est tout de même l'ultime preuve d'amour que les deux personnages se donneront avant de se résigner à un sort écrit d'avance. Romantique, le film l'est donc aussi : il est évident que Schrader était raide dingue de Kinski tant ce dernier s'évertue à la magnifier dans chaque plan où elle apparaît. A ce titre, je trouve la fin du film très belle et poétique, peut-être plus terrible encore que celle du
Loup-garou de Londres.
Remake apparemment très différent du film original,
La Féline version 1982 est un film fantastique très personnel, porteur d'une vraie vision d'auteur qui tant dans son traitement esthétique que dans son traitement thématique, fut rejetée par la critique (sans doute très hypocritement puritaine sur ce coup-là). Avec
The Thing,
La Mouche,
Scarface ou
Le convoi de la peur de Friedkin et le
Nosferatu de Herzog (pas vu ces deux derniers mais l'on m'en dit le plus grand bien),
La Féline fait partie de ces rares remakes passionnants et accomplis qui, potentiellement, égalent voire transcendent leur modèle, notamment parce que leur géniteur est un artiste imprimant ses propres obsessions sous l'enrobage du film de commande au canevas préexistant. Devant le déluge actuel de blockbusters bourrés à craquer de CGI hideux, je prends un plaisir immense à voir, et à revoir, ces perles fantastiques du début des années 1980, où les magnifiques trucages se bricolaient avec amour et servaient un script intelligent et fouillé.