Re: Jean-Jacques Annaud
Publié : 26 nov. 14, 22:31
En même temps, s'il y en a bien un qui est un spécialiste de la réalisation de publicités, c'est bien Jean-Jacques Annaud !
Je note. Je n'ai jamais lu Duras.Billy Budd a écrit :Je te conseille L'amant de la Chine du nord, plutôt que L'amant.
Très clairement, je n'ai cessé d'y penser pendant tout le film. Les similitudes de contexte, de genre (la satire sociale), de ton, la férocité assez carnassière commune aux deux oeuvres invitent au rapprochement. Le film de Tavernier est plus achevé, plus fort, plus prenant, bref supérieur à tous les niveaux. C'est une grande réussite là où celui d'Annaud est plus fébrile sur bien des aspects. Mais s'il y a une chose qu'on ne peut enlever à La Victoire en chantant, c'est la finesse avec laquelle il renverse les attentes que le spectateur est censé nourrir à l'encontre des données psychologiques. Piégé par la démarche initiale du récit, il se fait du jeune homme humaniste interprété par Jacques Spiesser l'image d'un héros généreux, se l'imagine en lutte contre l'Armée et l'Eglise. Or celui-ci change de camp : irrité par l'incapacité de l'épicerie française, il se concilie la neutralité bienveillante des deux institutions et prend en main la direction des opérations. Sa haine profonde du désordre le conduit à organiser et à structurer, dans un espoir très rigoriste, l'escadre en déroute. En bon technocrate, il impose un contrôle économique strict et finalement, à la grande satisfaction de tous, présente une armée sur le pied de guerre. La fin justifie les moyens. Pratiquant une subtile politique de division indigène, il dresse les peuples de la savane contre ceux de la forêt, obligeant les premiers à fournir une centaine d'esclaves-recrues. A travers son attitude s'exprime une fascination très intellectualiste et d'autant plus dangereuse du pouvoir politique, avec en toile de fois idéologique la distinction entre hommes et surhommes. Même si, pour lui, les habitants de Fort-Coulais ne situent guère au-dessus des Noirs, il réagit par cohésion de classe. L'intelligence se met au-dessus de la bêtise, mais elle en devient très vite complice et finit par la servir. C'est par provocation infantile qu'il prend une femme indigène pour maîtresse et qu'il la présente (femme-objet trophée) à la bonne société européenne. Et lors de la reddition du territoire aux Anglais, il rencontre son alter ego allemand : "À quelle université étiez-vous ?" lui demande-t-il. "À Heidelberg. - Je m'en doutais" Entre eux s'établit une "intelligence", au-delà du pragmatisme des petits boutiquiers, qui en dit long sur les rapports qui pourraient s'instaurer dans la voie du totalitarisme et du fascisme quelques décennies plus tard. Le film se clôt sur cette constatation désabusée et sarcastique de Fresnoy : "Vous allez rire, Monsieur. J'étais socialiste." À l'inverse, le personnage du sergent Bosselet, incarné par Jean Carmet, même s'il a l'apparence du François moyen, est opaque et ambigu. Malgré ses tartarinades de façade (la parade de la sortie du fort), il se fiche pas mal de la guerre, sachant qu'il n'a ni les moyens ni la compétence de la mener. Il lance ses troupes au casse-pipe sur le mode du "quand faut y aller, faut y aller", préférant de loin la tranquille et morose contemplation de son verre d'absinthe au fracas des armes, surtout à quelques années de la retraite. Allant au front comme un chien est traîné sous la pluie, il est trop heureux de se décharger sur Fresnoy de ses responsabilités qu'il ne tient pas à assumer. Par tous les pores de sa peau il sue l'ennui colonial. Il sait très bien qu'il ne représente que lui-même, c'est-à-dire son propre vide. Pour ces raisons, le film n'a rien de simpliste ou de mécaniquement manichéen. On peut même si demander s'il n'est pas une métaphore qui demande à être transposée, si le petit monde Fort-Coulais ne renvoie pas à d'autres parties de campagne au bord de la Marne, du côté de Nogent et du petit vin blanc, où pique-nique la bonne bourgeoisie française, pendant qu'à des quelques kilomètres de là des goumiers, des tirailleurs sénégalais et des Français se font faucher comme des lapins par des mitrailleuses allemandes.Alexandre Angel a écrit :J'ai toujours pensé que le film annonçait Coup de torchon.Thaddeus a écrit : La victoire en chantant (Jean-Jacques Annaud, 1976)
Janvier 1915 à Fort-Coulais, petit poste frontière et comptoir marchand d’Afrique noire. Apprenant la déclaration de guerre, quelques Dupont-Lajoie se laissent aller à leur patriotisme le plus viscéralement cocardier. L’attaque militaire ressemble à une partie de campagne et tourne à la déroute, si bien qu’un jeune normalien enrégimente promptement les indigènes, domine les colons d’une autorité méprisante qu’ils savourent comme on savourait, du temps de Déroulède, la souveraineté du chef. Tout ce microcosme réfléchit le modèle d’origine, ses préjugés d’ethnie, de caste, ses valeurs, ses systèmes, ses alibis. Et Annaud s’adonne avec une légèreté narquoise aux ravages de l’ironie, même si le récit fléchit régulièrement dans son rythme et si les scènes durent un peu trop dans l’exploitation du comique. 3/6