Re: Jean-Pierre Melville (1917-1973)
Publié : 31 août 17, 14:18
Brève réflexion à la lecture d'un article apparu dans le dossier que Positif consacre à Melville (numéro de septembre 2017). Il est signé Fabien Baumann et s'intitule "La poule melvilienne, ce vide désirable". L'extrait qui m'intéresse concerne Le Doulos :
"Le Doulos offre l'une des plus grandes séquences de bondage de l'histoire du cinéma français, même si le spectateur ne comprend qu'une heure après son déroulement les ressorts réels qui l'ont tendue. A la première vision, on croit d'abord à une trouble attirance réciproque entre la compagne de Maurice (Serge Reggiani) et le personnage de Silien (Jean-Paul Belmondo). En bon personnage melvillien, Thérèse (Monique Hennessy) s'observe dans un miroir juste après avoir croisé le regard de Silien, comme pour vérifier s'il a vu en elle. Oh oui, il l'a transpercée, il a vu sa couleur "marron", comme il le dit dans une blague qui lance les hostilités, puisqu'il lui en met un aussitôt, de marron. La violence de la gifle étonne, comme le plaisir manifeste du truand à remuer Thérèse évanouie telle une carcasse de génisse. Lente, méticuleuse, la scène se délecte en temps réel, noeud par noeud, de son propre sadisme, de sa propre apparence répugnée pour le corps féminin. Silien coupe la radio, geste peu compréhensible sinon par sa volonté de déguster jusqu'au son la cérémonie à laquelle il va s'adonner. C'est avec un zèle de pornographe que Melville filme maintenant la ceinture que Silien passe autour du cou de la môme pour l'attacher à un radiateur. Pénétration de la bouche par un mouchoir chiffonné qu'on y tasse. Déglutition appréciée, par Silien, d'une rasade de whisky, puis réveil de la catin par un jeu de liquide jaune (le scotch, n'exagérons pas...) qui dessine des mèches ruisselantes dans la tignasse en choucroute. Un "chère madame", trois claques, du sang qui coule du nez de la fille, qu'il essuie, mais qu'il se remet à couleur au plan suivant (ce sang toujours à s'échapper des femmes...). Ses cheveux masquent la délatrice. Ses yeux ne disent rien. La voilà réduite à rien. Le montage, d'une ironie cinglante, enchaîne alors sur le plan... d'un caniche aussi blanc que Thérèse est blonde. Bien sûr que la scène est misogyne, humiliante, excitante. Mais n'oublions pas que Le Doulos se comprend à rebours. Que Thérèse est coupable, qu'en la faisant parler Silien sauve Maurice et qu'il y a dans le film une autre traîtresse à son homme, Fabienne. Melville va la filmer tout autrement..."
Voilà.
Le Doulos, film par ailleurs pétri de qualités, m'avait laissé sur une drôle et désagréable impression. J'ai eu le sentiment trouble que le personnage de Belmondo (un vrai salopard qui, au nom de l'amitié, n'hésite pas à recourir à la torture et au sadisme le plus ignobles, comme dans cette scène), est non seulement amendé, mais filmé avec une extrême bienveillance par Melville, dans la mesure où il témoigne de ces qualités de loyauté et de fidélité qu'il semble placer au-dessus de toute autre valeur humaine. J'espérais me tromper, et ce bon vieux Fabien, dans son article, me confirme bel et bien le contraire. Non seulement il trouve la scène "excitante" (sic), mais il explique sa brutalité par le fait que Thérèse est... (roulements de tambour) coupable. Donc qu'elle mérite son sort, et que le spectateur est censé (rétrospectivement) en jouir. On y est : c'est ce que l'on appelle une légitimation de la violence et de la torture. J'avais donc bien compris le film. En plus de s'en délecter (l'extrait ci-dessus l'explique assez bien), Melville valide moralement le comportement ignoble de son héros. Ce qui fait de cette scène à mes yeux, et peut-être plus globalement du film entier, un truc bien nauséabond, à ranger quelque part entre la scène de viol des Chiens de paille (toutes des salopes...) et les boucheries orgasmiques de Tarantino.
"Le Doulos offre l'une des plus grandes séquences de bondage de l'histoire du cinéma français, même si le spectateur ne comprend qu'une heure après son déroulement les ressorts réels qui l'ont tendue. A la première vision, on croit d'abord à une trouble attirance réciproque entre la compagne de Maurice (Serge Reggiani) et le personnage de Silien (Jean-Paul Belmondo). En bon personnage melvillien, Thérèse (Monique Hennessy) s'observe dans un miroir juste après avoir croisé le regard de Silien, comme pour vérifier s'il a vu en elle. Oh oui, il l'a transpercée, il a vu sa couleur "marron", comme il le dit dans une blague qui lance les hostilités, puisqu'il lui en met un aussitôt, de marron. La violence de la gifle étonne, comme le plaisir manifeste du truand à remuer Thérèse évanouie telle une carcasse de génisse. Lente, méticuleuse, la scène se délecte en temps réel, noeud par noeud, de son propre sadisme, de sa propre apparence répugnée pour le corps féminin. Silien coupe la radio, geste peu compréhensible sinon par sa volonté de déguster jusqu'au son la cérémonie à laquelle il va s'adonner. C'est avec un zèle de pornographe que Melville filme maintenant la ceinture que Silien passe autour du cou de la môme pour l'attacher à un radiateur. Pénétration de la bouche par un mouchoir chiffonné qu'on y tasse. Déglutition appréciée, par Silien, d'une rasade de whisky, puis réveil de la catin par un jeu de liquide jaune (le scotch, n'exagérons pas...) qui dessine des mèches ruisselantes dans la tignasse en choucroute. Un "chère madame", trois claques, du sang qui coule du nez de la fille, qu'il essuie, mais qu'il se remet à couleur au plan suivant (ce sang toujours à s'échapper des femmes...). Ses cheveux masquent la délatrice. Ses yeux ne disent rien. La voilà réduite à rien. Le montage, d'une ironie cinglante, enchaîne alors sur le plan... d'un caniche aussi blanc que Thérèse est blonde. Bien sûr que la scène est misogyne, humiliante, excitante. Mais n'oublions pas que Le Doulos se comprend à rebours. Que Thérèse est coupable, qu'en la faisant parler Silien sauve Maurice et qu'il y a dans le film une autre traîtresse à son homme, Fabienne. Melville va la filmer tout autrement..."
Voilà.
Le Doulos, film par ailleurs pétri de qualités, m'avait laissé sur une drôle et désagréable impression. J'ai eu le sentiment trouble que le personnage de Belmondo (un vrai salopard qui, au nom de l'amitié, n'hésite pas à recourir à la torture et au sadisme le plus ignobles, comme dans cette scène), est non seulement amendé, mais filmé avec une extrême bienveillance par Melville, dans la mesure où il témoigne de ces qualités de loyauté et de fidélité qu'il semble placer au-dessus de toute autre valeur humaine. J'espérais me tromper, et ce bon vieux Fabien, dans son article, me confirme bel et bien le contraire. Non seulement il trouve la scène "excitante" (sic), mais il explique sa brutalité par le fait que Thérèse est... (roulements de tambour) coupable. Donc qu'elle mérite son sort, et que le spectateur est censé (rétrospectivement) en jouir. On y est : c'est ce que l'on appelle une légitimation de la violence et de la torture. J'avais donc bien compris le film. En plus de s'en délecter (l'extrait ci-dessus l'explique assez bien), Melville valide moralement le comportement ignoble de son héros. Ce qui fait de cette scène à mes yeux, et peut-être plus globalement du film entier, un truc bien nauséabond, à ranger quelque part entre la scène de viol des Chiens de paille (toutes des salopes...) et les boucheries orgasmiques de Tarantino.