Jeremy Fox a écrit :Demester partage sa vie entre son travail à la ferme, ses rencontres et ses sorties avec les copains et avec Barbe, une amie d’enfance dont il est amoureux malgré ses nombreux autres amants. Tout comme dans La Vie de Jésus, Bruno Dumont, sans concession mais sans les juger non plus, commence par filmer ces gens simples dans leur quotidien terne et ennuyeux, par braquer sa caméra "d’apparent" froid entomologiste sur leurs gestes, leurs regards, leurs démarches, par tenter de capter leurs émotions bien enfouies, par montrer leurs ébats bestiaux au milieu des paysages des Flandres photographiés ici comme des tableaux de maîtres. Puis, comme dans The Deer Hunter de Michael Cimino auquel la construction et les thèmes font un peu penser, changement radical avec le départ en tant que soldat, de ces personnages "mutiques" que l’on a appris à côtoyer, pour un conflit géographiquement indéterminé. Après une sorte d’enfer du quotidien, c’est l’enfer de la guerre qui survient, abruptement. Le retour à "la vie" ne se fera pas non plus sans mal car celles qui ont attendu le retour de leurs amis, frères, époux, ont souffert tout autant... Après La Vie de Jésus, L'Humanité et 29 Palms, déjà trois grandes réussites, Dumont confirme son talent et son style unique en radicalisant encore son cinéma (aucune dramatisation traditionnelle, quasiment aucuns dialogues, plans séquences très étirés) sans pour autant le rendre plus abscons mais au contraire encore plus maîtrisé. Film exigeant, d'une force, d’une tension et d'une violence psychologique peu communes mais aussi d'une profonde humanité, interrogeant le rapport de l’homme face à sa propre sauvagerie et bestialité, et au final émouvant et lumineux (le dernier plan, celui que l’on retrouve sur l'affiche du film, est sublime). D'une maîtrise technique confondante (Dumont est certainement, avec John Carpenter, celui qui, actuellement, utilise au mieux le format large), Flandres contient parmi les plus beaux plans du cinéma français de ce début de siècle. Courtes 90 minutes viscérales, violentes mais aussi et surtout bouleversantes !
Je suis d'accord avec toi sur bien des points: l'analogie avec The Deer Hunter (je me suis fait la réflexion durant le film), la cinégénie de Barbe, la composition magnifique de nombre de plans contemplatifs, que ce soit un paysage ou un tas de fumier (on sent que ces plans sont les paysages intérieurs des personnages), le regard affecté de Demester voyant sa belle se tourner vers d'autres hommes, le plan final, le son qui amène vers une puissance tellurique (souffle des personnes, le bruit des pas sur chaque type de sol). Certaines séquences de la guerre dégagent également une tension palpable.
Voilà. Une fois qu'on a dit ça... Ce n'est pas parce qu'on a de bons ingrédients qu'on fait une bonne soupe. Absence totale d'enjeux dramatiques. Les seuls éléments pour lesquels on pourrait se rapprocher des personnages sont abscons et paraissent donc d'une inutilité flamboyante: par exemple, pourquoi ces problèmes de nerfs, apparemment héréditaires, pour Barbe? Pourquoi ces scènes à l'hôpital? Pourquoi lui donner une réputation de pute et d'amorale si ceci n'est plus soulevé par la suite? Je veux bien donner à Barbe une stature de Marie-Madeleine, mais dans ce cas, Dumont me paraît (un comble pour un cinéaste étiqueté "radical") avancer sur cette thématique avec le frein à main. Dans le genre, la Bess de Breaking the Waves y allait à fond, quitte à ne pas faire dans le subtil. Et puis, quid des "liens" qui auraient pu être développé (il y avait pourtant de quoi faire!) entre Demester et Blondel? Bon Diou, par la faute à un scénario trop mince, Dumont passe à côté d'enjeux dramatiques qui auraient pourtant pu alimenter son discours sur la nature humaine.
"Oui, mais Dumont est un mec radical, du coup, il se concentre sur la nature des personnages". Parlons-en, tiens. Je ferai à ce film le même reproche que j'avais formulé pour "l'Humanité": quelle impression de condescendance pour les hommes qu'il filme(volontairement, je ne parle pas des femmes qui ont un statut plus "avancé" chez Dumont)! Toujours cette impression qu'en ne leur donnant pas un rôle de composition, Dumont se fout un peu de leur nature humaine tout en prétextant fouiller sur la primitivité de l'humanité en chacun. En plus, c'est à ses personnages principaux qu'il donne le moins de dialogue, leur conférant une impression de "regardez, même si les autres autour d'eux parlent plus mais sont vraiment méchants, mon personnage principal ne parle pas, c'est son regard candide qui le guide, jusqu'au viol". Ah ce viol, allez Demester, montre nous comme tu réfléchis pas, semble nous glisser à l'oreille le cinéaste. Et on a plutôt l'impression de nous forcer à atteindre des réactions du type "Et regardez comme il baise comme une bête, on dirait un animal" plutôt que "c'est un homme qui ressent l'amour, mais ne sait pas comment le donner".
A chaque fois, il y a pourtant un risque de faire passer le héros de ses films (je précise que je n'ai pas vu 29 palms) pour des idiots du village, dans le film comme dans la réalité, puisqu'ils sont estampillés "100% non professionnels". Et Dumont s'y vautre à chaque fois, avec un regard de supériorité et de démiurge semblant leur asséner un destin de pauvre gars bas de plafond. C'est cela que je ne pardonne pas à Dumont: ce regard prétentieux et finalement assez méchant sur les personnages et sur les acteurs, qui vont devoir faire "dans leur vraie vie moisie et vaine" avec l'image que Dumont a créée d'eux.
Reste de beaux moments de regards d'entomologistes et donc sans possibilité d'empathie, et des idées de mise en scène (d'accord pour dire que le cinemascope est superbement utilisé). Ca ne suffit pas à mes yeux pour ne pas considérer que Dumont ne rate pas un réel talent de mise en vie de ses films. Surtout, qu'il donne justement un peu plus d' "intelligence" (mot à prendre avec des pincettes) dans ses personnages, cela me permettra peut être un jour de davantage m'identifier à ces films, et donc comprendre toute l'horreur potentielle qui est en moi.
Voilà, j'ai pris le temps nécessaire pour écrire mon avis qui avait besoin d'être mis à plat, tellement les sensations que j'ai à chaque vision d'un film de Dumont sont complexes et paradoxales.