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Papus
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Message par Papus »

Avis aux amateurs de fantasy/heroic fantasy, je vous encourage à plonger dans Le Cycle de Syffe (3 tomes parus, l'auteur en prévoit 7 au moins), gros coup de coeur découvert l'année dernière que j'ai avidement dévoré.

Patrick K Dewdney met sur pied une saga d'une grande densité, une épopée nous faisant vivre bien des aventures palpitantes dans un univers prenant toujours de plus en plus corps à mesure que ça avance, richement approfondi et maîtrisé, nombreux sont les dessins de cartes, les extraits de poèmes, notes historiques, témoignages, en début de chapitre apportant une mâche considérable de réalisme et toujours en lien avec la temporalité du récit.

On nous présente notre personnage principal sans autre nom que celui impersonnel qui lui est donné par les autres, celui d'une tribu, Syffe, comme on dirait "le noir", "le gitan", "l'étranger". Un orphelin sans passé et sans réelle place dans ce monde, qui évolue dans une certaine errance périphérique côtoyant les exclus, partageant le toit de la vieille Tarron, avec d'autres comme lui, dont la petite Brindille, l'amour d'enfance.

Ce point de départ s'inscrit pleinement dans les codes du récit initiatique. Syffe est vierge, et l'auteur utilise ses yeux de petite fripouille pour exprimer ce qu'il pense du monde, celui de la fiction qui prend vie, et celui que l'on habite. Dewdney le dit lui même, la fantasy est pour lui un média qu'il considère comme être un des meilleurs pour se détacher de notre réalité, la mettre à distance, pour mieux faire passer des idées/messages au lecteur qui se libère du carcan de son monde idéologique : dans un récit prenant racines dans notre monde actuel, l'histoire de Syffe ne serait pour beaucoup que "la trajectoire d'une petite racaille".

Très vite, le talent d'écriture saute aux yeux, et on s'attache presque d'emblée à ce petit gars, un peu frêle, coquin, extrêmement intelligent et doté d'un sens de l'analyse du monde adulte et de son organisation sociale au sein du bourg de Corne-Brune qui nous met très rapidement au parfum de ce à quoi on va avoir droit : une interprétation désabusée d'un monde tenu par les puissants qui s'évertuent à grappiller toujours plus de pouvoir, usant d'une politique xénophobe chauvine pour rallier la populace sous l'étendard de la haine, mettant en perspective des enjeux géopolitiques bien plus grands qui dépassent notre jeune laissé pour compte et qui va pourtant se retrouver tributaire plus ou moins à ses dépens de ces circonvolutions.

On navigue dans tout ça, dans la peau du gosse, qui ne semble pas promis à un grand destin mais plutôt à devenir un gibier de potence. Pourtant, on nous fait miroiter par moments quelque chose qui le dépasse, la promesse d'une évolution autrement moins misérable, quelque chose qui appartient à son passé et qui pourrait redéfinir son avenir.

Vers la moitié du premier livre, alors qu'on se demande encore combien de temps les péripéties dans ce cercle réduit vont pouvoir durer, le sol sur lequel on se tenait jusqu'alors s'écroule et ça y est, on comprend enfin qu'on est embarqué dans quelque chose de colossal.

Ne vous fiez pas trop à l'aspect un peu académique du récit que je décris ici, il est largement transcendé par le talent de son auteur, et vous n'aurez pas l'impression de lire une énième saga de fantasy dont vous connaissez déjà les tenants et les aboutissants comme on verrait le blockbuster déjà vu 1000 fois.
Ce récit est personnel, bourré de poésie rendant grâce à une nature pourtant inventée mais décrite avec la même passion qu'un Giono. L'auteur est un amoureux de la langue française, de ses mots perdus, et on a droit à une grande littérature bien loin de ce que l'on croirait de premier abord être du roman pour ados.

J'attends ardemment le tome 4 ainsi que le projet des Carnets des quatre mers qui serait un recueil d'illustrations, récits, étendant notre connaissance de cet univers incroyablement riche.

J'espère vraiment que j'aurais donné envie à quelques curieux, c'est pour moi une oeuvre majeure qui m'a donné un plaisir de lecture rarement éprouvé, de ceux qui donnent à ressentir et à philosopher. C'est plein de nuances, complexe tant c'est humain, jamais manichéen.

Long live Patrick K Dewdney.
Dernière modification par Papus le 30 juin 23, 09:44, modifié 1 fois.
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Alexandre Angel
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Message par Alexandre Angel »

Papus a écrit : 16 févr. 23, 14:38 gibet de potence.
gibier
Jolie perle!! :mrgreen:
Sinon merci à toi! Je suis fan des comptes-rendus de lecture et tu m'as donné envie 8)
Comme "le Temps de l'innonce" et "A tombeau ouvert", "Killers of the Flower Moon" , très identifiable martinien, est un film divisiblement indélébile et insoluble, une roulade avant au niveau du sol, une romance dramatique éternuante et hilarante.

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Papus
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Message par Papus »

Oui gibier, my Bad. Gibet j'étais quand même dans le thème 😁
C'est édité aux éditions Au diable Vauvert, attention ne pas se fier aux couvs qui je trouve sont plutôt vilaines et pas du tout représentatives, en gros ça donne pas envie.
Trouvables également en poche chez folio SF, avec des illustrations déjà un peu plus plaisantes mais rien de folichon non plus. Bref, la couv' ne fait pas le livre.
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poet77
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Message par poet77 »

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Que se passerait-il si un cataclysme d’ampleur mondiale survenait sur notre Terre, entraînant la mort de presque tous les humains ? Que deviendraient les rares rescapés ? Trouveraient-ils la force et les moyens nécessaires pour que l’aventure humaine ne s’éteigne pas avec eux ? Et comment se comporteraient-ils, ces rares humains sauvés du désastre ? Seraient-ils capables de s’unir ou, au contraire, basculeraient-ils dans le « chacun pour soi », dans la méfiance, peut-être dans la violence et dans la barbarie ?
Nombreux sont les auteurs qui ont essayé de décrire ce que pourrait devenir le monde au lendemain d’une catastrophe planétaire. On ne compte plus les œuvres relevant, d’une manière ou d’une autre, du genre postapocalyptique, comme on dit. Le mérite de George R. Stewart est d’en avoir été l’un des initiateurs, car La Terre demeure (titre original : Earth Abides) fut publié en 1949 et traduit en français dès l’année suivante. Ce roman est d’ailleurs considéré aux États-Unis comme un classique.
Cette réputation n’est nullement usurpée, car il s’agit bel et bien d’un ouvrage d’excellente facture, bien conçu, bourré de remarques intelligentes, écrit de manière à captiver le lecteur au moyen d’un certain nombre de péripéties, mais sans jamais céder à la facilité. Le point de vue qu’adopte l’auteur est celui d’un des rescapés, Isherwood Williams, désigné par son diminutif, Ish. Isolé en pleine nature pour des raisons professionnelles, il se fait mordre par un serpent le jour où il entreprend de rentrer chez lui. Il parvient néanmoins à se tirer d’affaire et à se soigner. Une fois rentré chez lui, Ish est surpris de ne voir personne. Partout où il va, tout est désert. Et c’est en consultant des journaux laissés à l’abandon qu’il apprend qu’un virus dévastateur s’est propagé sur la Terre. Une pandémie a décimé l’humanité.
Tel est le point de départ d’un roman qui se divise en trois parties. Dans un premier temps, pour constater de ses yeux le désastre et rechercher d’autres survivants que lui, Ish entreprend de traverser entièrement les États-Unis, d’ouest en est, avant de décider de retourner à son point de départ. En chemin, il aperçoit bel et bien quelques rescapés, mais personne avec qui il soit tenté de se lier plus qu’un instant. Néanmoins, la rencontre avec une femme prénommée Em vient mettre un terme définitif à sa solitude. Et, bientôt, surgit le désir d’avoir une descendance. Dans le même temps, ils sont amenés à accueillir d’autres rescapés. Se forme donc une communauté qui, non seulement est animée du désir de perpétuer la race humaine, mais aussi de fonder une nouvelle civilisation.
L’on décide, par conséquent, que l’année de la pandémie dévastatrice sera l’année 1 de l’histoire nouvelle. Dans une deuxième partie du roman, Stewart égrène un peu plus d’une vingtaine d’années pour parvenir exactement en l’an 22. Pour chacune des années, il en raconte l’une ou l’autre péripétie, par exemple, pour indiquer comment la nature reprend ses droits, les invasions successives d’animaux, rats, fourmis, sauterelles, bovins, pumas… Il raconte aussi les naissances de plusieurs enfants.
Enfin, dans la troisième partie, qui se déroule donc en l’an 22 de la nouvelle ère, l’auteur, tout en déployant les mille ressources d’une histoire romanesque à souhait, tire profit des événements pour rendre compte des questions que doivent forcément résoudre, ou tenter de résoudre, les protagonistes du récit. L’auteur prend d’ailleurs soin d’émailler le roman de textes en italiques indiquant, entre autres, les changements à l’œuvre dans l’environnement des rescapés, la nature qui reprend ses droits, les bâtiments et les infrastructures non entretenus qui se dégradent, etc. Il faut donc, pour les membres de la communauté, sans cesse s’adapter à des conditions nouvelles et, au mieux, essayer d’anticiper les inévitables transformations. Quant à créer une civilisation nouvelle, pourquoi pas, mais peut-on la créer à partir de rien ou ne vaut-il pas mieux préserver le plus possible les connaissances que l’humanité avaient acquises au fil des siècles ? Cette tâche, que Ish se fait un devoir d’entreprendre, entre autres en éduquant les enfants nés après la catastrophe, tout le monde ne la perçoit pas de la même manière dans la communauté. Bien d’autres questions encore surviennent au fil du roman, que je ne peux pas toutes énumérer. Ce qui est sûr, cependant, c’est que l’habileté dont fait preuve George R. Stewart tout au long de son récit, pour susciter de profondes réflexions chez le lecteur tout en n’omettant jamais de le captiver au moyen d’une passionnante intrigue, mérite d’être saluée. Dans le genre postapocalyptique, nous avons affaire là, sans nul doute, à un fleuron. 8,5/10
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Message par Ouf Je Respire »

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J'irai cracher sur vos tombes (Vernon Sullivan)

C'est un livre dont on ne parle pas.

Parce qu'en dévoiler, même sommairement, l'intrigue, c'est déjà affaiblir la formidable montée en tension de l'oeuvre. Au début, il y a comme une impression de "faux-raccords" dans le déploiement de l'histoire. Des fragments narratifs lancés par demi-phrases, qui donnent cette impression que le puzzle à reconstituer sera déroutant à regarder une fois achevé. Cependant, on sait dès la troisième page que le livre va se déployer de façon "efficace". Elle sera "extra-ordinaire".

Parce qu'au niveau transgression, on tient là un livre-matrice. Sans lui, pas d'American Psycho, pas de Fight Club, pas de Tarantino. L'écriture va droit, direct, le mot précis, quitte à passer dans un lexique glaçant. Pas une phrase de plus de 15 mots. Un livre écrit par un boxeur. Et puis à un moment, entre deux chapitres aux morceaux de soufre de plus en plus gros, fait rare, j'ai dû arrêter ma lecture, le palpitant en feu, le cerveau réalisant ce qu'il lisait. Le chapitre chez la vieille Anna, dont on ne parle pas. En plein milieu du livre. Je me suis réellement demandé si après ça, je devais continuer à lire. En aurais-je la force s'il allait plus loin? Vian, ouf, ne va pas plus loin. La suite n'est pas moins glauque, mais reste "encaissable". Et la force de l'intrigue et de l'écriture me maintient devant le livre.

C'est un livre dont on ne parle pas. Et pourtant, sa deuxième moitié, d'une puissance de démolition rare, et d'une subversion telle que notre morale ne saurait trancher sainement, mériterait justement d'en parler. De faire à nouveau débat. Il faudrait qu'on soit une société prête intellectuellement et politiquement à le faire. C'est donc un livre dont on ne saurait plus parler.

Anecdote: après avoir fini la lecture, je me suis demandé où ranger ce livre à la maison. Je pense que je vais le mettre dans une boîte à livre publique, car le savoir dans mon foyer me fout les jetons (et si mes enfants le lisait?), alors que c'est un très grand livre.
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poet77
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Message par poet77 »

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Ami(e)s lecteurs/lectrices, voici un ouvrage dont je parie qu’il vous ravira ! Que votre passion pour les livres soit compulsive ou plus modérée, si elle est réelle, il ne fait pas de doute que l’ouvrage d’Irene Vallejo vous est destiné. Car l’autrice y raconte, avec un bonheur d’écriture qui ne peut que susciter l’enthousiasme, l’origine de cet objet que vous tenez si volontiers entre vos mains et dont vous tournez les pages sans vous soucier d’où il vient, comment il a commencé, quelle est son histoire : le livre.
Eh bien, dorénavant, si vous vous décidez toutefois à lire l’ouvrage d’Irene Vallejo, vous saurez tout ou presque sur les commencements du livre, sur son développement, sur sa pérennité, même aujourd’hui, à l’heure des tablettes et autres liseuses informatiques. Irene Vallejo en est convaincue, et je le suis volontiers avec elle, le livre, qui a traversé les siècles, est une invention si géniale qu’elle n’est pas près de disparaître, n’en déplaise aux pseudo prophètes qui la voient décliner et mourir dans un avenir plus ou moins proche.
Dans son ouvrage très érudit mais jamais pesant ni le moins du monde ennuyeux, car elle manie l’art de raconter à la perfection, Irene Vallejo narre l’aventure de l’invention du livre, en commençant bien en amont, dans la plus haute antiquité, quand , vers 3300 avant J.-C., fut créé, dans la région de Sumer, le premier alphabet. Vinrent ensuite, après les inscriptions lapidaires, les premiers supports de l’écriture, les tablettes d’argile, peu maniables, et les parchemins, en particulier les papyrus d’Egypte, qui se conservaient longtemps quand le climat était sec mais se détruisaient rapidement quand il était humide. Irene Vallejo s’attarde longuement sur la fameuse bibliothèque d’Alexandrie, sur sa conception, son fonctionnement, son histoire, mais se plaît aussi à montrer comment, petit à petit et de plus en plus, les manuscrits (qu’il fallait recopier à la main) ont essaimé et comment les bibliothèques se sont multipliées, déjà à l’époque hellénistique, et bien davantage encore à l’époque romaine.
Qui, le premier, eut l’idée de relier des parchemins pour en faire un codex, ce qui donna plus tard le livre, bien plus facile à consulter que les longs parchemins qu’il fallait dérouler ? On ne le saura jamais. Toujours est-il que cette invention-là était destinée à traverser les siècles sans se démoder. Irene Vallejo, précisément, et c’est l’un des éléments qui contribuent à l’agrément qu’il suscite, truffe son ouvrage, orienté vers l’Antiquité, de multiples renvois à des faits ou des événements de l’histoire plus contemporaine, voire tout à fait contemporaine. Elle se glisse même elle-même volontiers dans son texte, confiant, par exemple, avec amusement, comment, quand elle voyage dans les transports en commun, elle s’efforce toujours, quitte à se tortiller dans tous les sens, de savoir ce que lisent les éventuels lecteurs/lectrices qui sont proches d’elle (je me suis reconnu dans ce travers-là, je dois le dire). En tout cas, s’il est question d’Alexandre le Grand, d’Homère, de plusieurs Ptolémée, de Socrate, de Platon, d’Aristote, de Sappho, de Plutarque, de Cicéron, de Martial, de Tite-Live, etc. dans ce livre que Mario Vargas Llosa a qualifié de chef d’œuvre, on y croise aussi, non sans plaisir, les noms de Goethe, Jorge Luis Borges, James Joyce, Ray Bradbury, George Orwell, Marcel Proust, pour n’en citer que quelques-uns. Les abondantes références et comparaisons avec l’histoire récente, voire avec l’actualité, que s’autorise l’autrice, m’ont paru, généralement, tout à fait judicieuses. Et, comme je l’ai dit, elle sont l’une des composantes qui réactivent, de manière heureuse, l’intérêt du lecteur. Avec Irene Vallejo, impossible de trouver le temps long !
Ce génial ouvrage d’Irene Vallejo a reçu, en Espagne, le Prix National de l’Essai en 2020, un prix plus que mérité ! 9/10
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Papus
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Message par Papus »

Merci Poet77 pour tes retours toujours agréables à lire et qui donnent sacrément envie (très tenté par La Terre demeure), carrément chaud de relire le Vian qui m'avait giflé quand je l'ai lu vers 16/17ans et qui reste un de mes meilleurs souvenirs de lecture.

Pour ma part je viens de finir La Horde du contrevent d'Alain Damasio (SF), j'étais interpellé chaque fois que je voyais la couv' avec cette typo (que j'adore) rappellant celle de la réédition collector de Dune, et puis sur l'enthousiasme d'une pote complètement habitée lorsqu'elle m'en a parlé, me disant que l'auteur était inspiré grandement par Deleuze, j'ai dis ok, j'y vais. Et grand bien m'en a fait.
C'est génial, tout bonnement.
Écrit dans un style que je n'ai jamais croisé auparavant, et dont je suppute l'auteur d'être le seul détenteur, utilisant des symboles de ponctuation pour désigner ses personnages (au nombre de 23 pour les principaux, bien qu'une certaine attention soit particulièrement portée à une bonne dizaine d'entre eux), parfois pour traduire les courants du vent, parfois pour symboliser l'organisation spatiale de cette meute, j'avoue avoir été désarçonné sur les premiers chapitres et avoir eu besoin à plusieurs reprises de me reporter au marque page fourni avec le livre référençant les protagonistes et leurs avatars, mais toujours avec plaisir, comme on se saisit d'un arbre généalogique ou d'une carte de la terre du milieu lorsqu'on lit du Tolkien, ou qu'on sort son guide soluce lorsqu'on joue à Zelda. J'aime beaucoup ces allers retours qui ne m'ont pas sortis de la lecture bien au contraire, on se sent comme un explorateur ayant besoin de sortir sa boussole.
Donc en gros, univers créé de toutes pièces, nous démarrons en pleine tempête, notre pack de 23, la 34eme horde dans laquelle chacun-e a son rôle bien défini, est tractée par Golgoth 9ème du nom, le traceur. Ils se connaissent depuis l'enfance, et n'ont été formé que dans un seul but, partir de l'extrême aval pour découvrir l'origine du Vent, de tous les vents car prenant plusieurs formes chacune décrite avec une telle minutie qu'on le sentirai presque en lisant, se trouvant selon toute logique en extrême amont et dont aucune des précédentes hordes n'a pu rapporter le témoignage de sa découverte.
Voilà, j'en dis pas plus, mais c'est passionnant à lire, émotionnellement fort, ça donne à réfléchir, tout cela faisant écho à la quête du sens de la vie qui nous habite toutes et tous et nous offrant un récit d'aventures de grande qualité avec son pesant de péripéties.
Je recommande donc grandement et compte bien lire tout ce que le bonhomme a pu écrire.
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Message par poet77 »

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Née en 1915 et décédée en 2001, la britannique Kay Dick se fit connaître, chez elle, en Angleterre comme la première femme devenue éditrice dans ce pays. Elle publia, entre autres, des œuvres de George Orwell (1903-1950). Mais elle fut également journaliste et écrivaine. Elle écrivit des biographies littéraires, ainsi celles de Colette et de Carlyle, et quelques romans, dont Eux (They), publié en 1977, roman dystopique qui remporta un prix littéraire mais, peut-être à cause de critiques sévères, parfois sexistes, dans la presse de l’époque, se vendit si peu qu’il tomba rapidement dans l’oubli. Il ne fut redécouvert qu’à l’été 2020, presque par hasard, parce que trouvé dans une librairie caritative par un agent littéraire. Et il vient donc d’être publié, pour la première fois, dans sa traduction française, directement au Livre de Poche.
Il faut reconnaître que c’est un roman déroutant dont la lecture risque de susciter, chez un certain nombre de lecteurs, un sentiment de frustration. Ce n’est même pas, à proprement parler, un roman, mais plutôt une suite de neuf récits se situant dans une même époque indéfinie et dans un même environnement, avec des personnages récurrents et une narratrice. Ces récits relatent, de manière éclatée, quelques épisodes de vie d’une communauté constituée d’humains essayant de résister, autant qu’ils le peuvent, à la menace d’une perte totale de la culture et des émotions. Autrement dit, les neuf récits font tous entrevoir la fin des livres et des œuvres d’art tout comme l’obligation pour tous de vivre maritalement uniquement afin d’assurer la procréation, rien de plus. Les célibataires sont enlevés, les livres et les œuvres d’art volés pour être détruits.
Voilà ce qu’on comprend, tout en devant se contenter du peu de renseignements que daigne nous donner la romancière. Ceux qui font régner cet ordre nouveau, ceux qui sont chargés de contrôler, ceux qui ont mission d’arrêter les récalcitrants, restent particulièrement dans le flou. Ils sont désignés comme « eux », ils apparaissent et disparaissent, mais on n’en sait pas davantage à leur sujet. Malgré ce contexte anxiogène, la romancière multiplie les scènes paisibles, voire contemplatives, dans une nature qui semble préservée. Il y a un fort contraste entre cet environnement et la menace qui pèse sur les individus, contraste qui accentue le danger de perdre son humanité alors que la nature reste encore belle.
Il ne faut donc pas s’attendre à lire un roman touffu, comme le sont souvent les histoires futuristes ou dystopiques. Ici, c’est la suggestion qui l’emporte, voire même un certain laconisme dans le propos. Place à l’imagination du lecteur. 7/10
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Message par poet77 »

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Francis Carsac (1919-1981), de son vrai nom François Bordes, j’ai déjà eu l’occasion de parler de lui à propos d’un de ses six romans, Ce monde est nôtre. Déjà, j’avais été fasciné par cet auteur qui, ayant fait des études de géologie, entreprit un long voyage en Asie et s’imposa comme paléontologue, dirigeant un centre de recherches sur la préhistoire et se spécialisant dans l’étude des outils. Or, ce même homme, sous son nom d’emprunt, se mit aussi, parallèlement à sa carrière professionnelle, à écrire des romans et des nouvelles. Pour ce faire, il ne suivit pas les traces d’un J. H. Rosny Aîné (1856-1940), l’auteur de La Guerre du feu, il ne se tourna pas vers nos ancêtres de la préhistoire mais, au contraire, se projeta dans le futur lointain pour composer des livres de SF, des « space operas », et cela avec un indéniable savoir-faire. Ses ouvrages ayant plus ou moins disparu des rayons des librairies, fort heureusement, les éditions de l’Arbre Vengeur ont entrepris de les rééditer.
Comme Ce Monde est nôtre, Pour Patrie l’Espace est un roman captivant, bien construit, riche en péripéties, doté de personnages mémorables, tout en proposant, mine de rien, un beau bouquet de réflexions philosophiques de haut vol (et, néanmoins, à la portée du tout-venant, me semble-t-il).
Pour en résumer quelque peu le propos, il y est question d’un Terrien nomme Tinkar, membre de la Garde Stellaire, autrement dit un soldat, un exécutant aveugle des ordres émanant de l’Empereur qui gouverne notre vieux monde. Or, son astronef ayant été détérioré au cours d’un combat spatial, Tinkar, en détresse, est récupéré à bord du Tilsin, un gigantesque vaisseau interstellaire gouverné par ceux qu’on désigne du nom de « peuple des étoiles », des descendants d’individus s’étant rebellés contre l’Empire terrestre Galactique et ayant pris leur indépendance. Pour eux, les Terriens sont méprisables, ils s’en méfient, et pourtant, ayant accueilli Tinkar chez eux, le traitent avec certains égards. Ce qui ne supprime pas les préventions, peut-être même des haines.
Mais ce qu’entreprend ici de raconter Francis Carsac, c’est une histoire de changements de regards entre des individus qui, habituellement, ne se rencontrent pas, voire se détestent. Bien des éléments et bien des événements surviennent qui, chacun à sa manière, conduit à la transformation progressive des regards. Ou comment Tinkar, un soldat formé pour n’être qu’un exécutant fanatique, devient, au contact d’un peuple gouverné démocratiquement, un être doué de sensibilité, de doutes, de scrupules. Et comment des descendants de rebelles apprennent à faire cause commune avec celui qu’ils ont appris à craindre, entre autres pour vaincre un ennemi extérieur. Car il y a également un autre peuple, violent, conquérant, destructeur, portant le nom curieux de Mpfifis. Ceux-là, pour leur résister, pour les vaincre, il peut être très profitable de rassembler ses forces, entre Terrien et peuple des étoiles, plutôt que de rester divisés.
À cela s’ajoutent des histoires sentimentales, plusieurs femmes présentes dans le Tilsin se mettant à courtiser Tinkar. L’une d’elles, Iolia, fait partie d’un peuple de pèlerins, une communauté religieuse présente à l’intérieur du vaisseau spatial tout en gardant une certaine autonomie. Mais il y a aussi Anaena, une femme très belle qui ne laisse pas indifférent Tinkar. Les questionnements de ce dernier sont multiples, subtilement intégrés à un roman fourni en rebondissements. On ne s’y ennuie jamais, pas même quand l’auteur s’autorise quelques pauses à connotation philosophique. Ainsi, à la fin du roman, à propos du sens que peut avoir le gigantesque univers et l’éventualité d’un Dieu créateur : « L’univers était-il une immense machine aveugle, dans laquelle l’homme, sans autre but que lui-même, promenait sa soif infinie de certitude ? Ou bien les pèlerins étaient-ils dans le vrai ? Y avait-il un Dieu, différent de celui qu’on lui avait appris à adorer et à craindre, un Dieu bienveillant qui n’abandonnait pas ses créatures, même dans le châtiment ? ». 8/10
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Message par poet77 »

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Ne sachant pas trop où poster ceci, je m'autorise à le mettre ici. Il s'agit d'un livre de poésies dont je suis l'auteur, désormais disponible à la vente aux éditions L'Harmattan:

https://www.editions-harmattan.fr/livre ... 76734.html
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Message par poet77 »

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« L’écriture ne se limite pas à puiser dans les profondeurs de la mémoire des visions d’enfance enfouies. Toutes les épreuves de notre vie doivent s’y adjoindre. » Ces phrases programmatiques conviennent, je crois, à l’œuvre tout entière de Aharon Appelfeld (1932-2018). Le plus souvent, en effet, chez cet écrivain, c’est le regard de l’enfant qui est privilégié, non pas par un simple caprice d’auteur ni même à la façon d’une recette commode, mais par nécessité : « Un regard d’enfant, écrit-il, est indispensable à tout acte créateur. Lorsque vous perdez l’enfant qui est en vous, la pensée s’encroûte, effaçant insidieusement la surprise du premier regard. »
Enrichi de toute une expérience d’homme, c’est bien le regard de l’enfant qui, à nouveau, se dirige vers le monde ou plutôt son monde, son petit monde, dans ce roman intitulé si sobrement Mon père et ma mère, publié en 2013 en Israël. Bien sûr, il y a de l’autobiographie dans ce livre, mais pas au sens strict. Appelfeld s’inspire de son enfance, de ses parents, pour faire acte de création en se projetant dans une période si particulière, en 1938, à la veille du déchaînement des horreurs de la guerre mondiale. Pour ce faire, il se glisse dans la peau d’un enfant de dix ans, Erwin qui, comme chaque année, passe ses vacances d’été dans les Carpates, dans une isba que ses parents ont louée à un paysan. C’est là, au bord du Pruth, que se retrouvent, chaque année à cette période, des familles juives venues de la ville.
Le petit garçon, s’il aime dévorer les romans de Jules Verne, n’en exerce pas moins ses dons d’observateur, accumulant ainsi une mine inépuisable de souvenirs. Nombreux sont les vacanciers séjournant en ce lieu qui ne passent pas inaperçus aux yeux du jeune Erwin : ainsi d’un homme taciturne à la jambe coupée, d’une diseuse de bonne aventure, d’un médecin au comportement héroïque ou d’un écrivain que le garçon prend pour modèle, lui qui pressent que c’est là sa propre vocation, et d’autres encore. L’inquiétude est là, les menaces se précisent, certains songent à s’exiler, d’autant plus que l’antisémitisme se manifeste parfois concrètement, et même violemment, lorsqu’un jour des paysans viennent agresser des Juifs. « Pourquoi hait-on les Juifs ? », demande l’enfant à sa mère.
Tout le monde ne les hait pas, cependant, comme le moine Sergueï qu’Erwin et ses parents vont, un jour, visiter : un moine qui parle des Juifs comme du « peuple de Dieu », qui lit la Bible en hébreu, mais n’apprécie vraiment que les Juifs pieux. Or, c’est là un des nombreux sujets de discorde des parents d’Erwin : le père qui trouve « anachronique » la foi de ses ancêtres, alors qu’il arrive à la mère de murmurer une prière. En vérité, ces deux-là sont aussi différents l’un de l’autre qu’il est possible de l’être et leurs querelles sont fréquentes : entre une mère qui s’intéresse à tout et un père, plutôt rigide, qui ne sait pas dominer son sens critique, le garçon, lui, alors que se rapproche la barbarie qui va tout emporter, apprend à aimer la vie envers et contre tout.
Toujours superbement traduit par Valérie Zanetti, comme toutes les autres œuvres d’Appelfeld, ce roman tout de subtilité figure, sans nul doute, en bonne place parmi les nombreux ouvrages d’un auteur qui ne déçoit jamais. 9/10
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Re: Vos dernières lectures

Message par murphy »

poet77 a écrit : 13 avr. 23, 14:16 Ne sachant pas trop où poster ceci, je m'autorise à le mettre ici. Il s'agit d'un livre de poésies dont je suis l'auteur, désormais disponible à la vente aux éditions L'Harmattan: https://www.editions-harmattan.fr/livre ... 76734.html
Cher Poet77,

Félicitions sincères pour ton bouquin je te présente.
Je lis sur la sa quatrième de couverture
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Il est également l'auteur d'un blog consacré à la littérature, au cinéma, à la musique
Puis je son adresse connaitre ?
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Re: Vos dernières lectures

Message par poet77 »

murphy a écrit : 1 mai 23, 07:25
poet77 a écrit : 13 avr. 23, 14:16 Ne sachant pas trop où poster ceci, je m'autorise à le mettre ici. Il s'agit d'un livre de poésies dont je suis l'auteur, désormais disponible à la vente aux éditions L'Harmattan: https://www.editions-harmattan.fr/livre ... 76734.html
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Re: Vos dernières lectures

Message par poet77 »

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Ce livre de l’écrivain britannique Julian Barnes s’inspire très précisément et très consciencieusement de la vie du grand compositeur russe Dmitri Dmitrievitch Chostakovitch (1906-1975). Néanmoins, il n’est pas inexact d’en parler comme d’un roman et pas seulement comme d’une biographie, d’autant plus que, comme l’explique l’auteur dans une note de fin de volume, certains épisodes de la vie du compositeur, racontés par lui-même, le furent en plusieurs versions successives, remaniées et « améliorées » au fil du temps. De plus, ajoute Julian Barnes, « la vérité était une chose difficile à trouver, et plus encore à affirmer, dans la Russie de Staline. »
Cela étant dit, il ne fait pas de doute que l’approche proposée par le romancier britannique donne une impression de grande justesse du propos. Julian Barnes a surtout parfaitement réussi, m’a-t-il semblé, à rendre compte des angoisses, des tourments intimes, d’un homme qui, tout au long de sa vie, fut surveillé, de manière particulière, par les autorités de son pays.
Cette surveillance étroite, et la peur qui en fut l’une des conséquences, trouva son origine en la mémorable soirée du 26 janvier 1936, à l’occasion d’une représentation de l’opéra Lady Macbeth de Mzensk, représentation à laquelle assistait Staline en personne, entouré de hauts dignitaires. Or, avant même la fin de l’opéra, tout ce monde quitta la loge. Dès le lendemain, un article de la Pravda accusait Chostakovitch de « déviationnisme élitiste et bourgeois ». Quelques jours plus tard, le maréchal Toukhatchevski, ami et protecteur du compositeur, était arrêté, accusé de complot, puis exécuté. À la suite de ces événements, pendant des jours, Chokaskovitch fut convaincu que ce serait bientôt son tour. Ce ne fut pas le cas, l’étau se desserra, mais la peur ne disparut jamais totalement.
Julian Barnes parvient à merveille, au moyen de trois grands chapitres, à évoquer des grands moments de la vie du compositeur, tout en sondant, autant que faire se peut, les pensées profondes de l’homme, ses lâchetés, ses doutes, ses remords, ses hésitations, son courage aussi, ses amitiés et ses inimitiés. Il est question non seulement des hommes de pouvoir, mais des rapports de Chostakovitch avec ses proches, ses trois épouses successives, son fils Maxime, ainsi que de quelques autres compositeurs de ce temps-là, Tikhon Khrennikov (1913-2007), un valet du pouvoir, Igor Stravinsky (1882-1971) considéré comme un traître par les Soviétiques et Sergueï Prokofiev (1891-1953).
Même après la mort du tyran Staline, Chostakovitch ne put jouir de la paix, de la tranquillité d’esprit dont il aurait tant voulu pouvoir profiter. Son opéra maudit Lady Macbeth de Mzensk, ne fut à nouveau mis à l’affiche que très tardivement. Mais surtout, à l’époque de Nikita Khrouchtchev, l’on força le compositeur, de manière habile et retorse, à adhérer au parti communiste, ce qu’il n’avait jamais voulu faire auparavant. Homme mortifié, en proie à de nombreux doutes, Chostakovitch n’en fut pas moins un compositeur de génie dont on écoutera peut-être les œuvres avec une oreille différente après avoir lu le livre de Barnes, un livre qui nous renvoie tous à nos propres faiblesses : qu’aurions-nous fait à la place de Chostakovitch ? Sans doute pas mieux que lui. 8/10
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Re: Vos dernières lectures

Message par poet77 »

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Le titre de ce livre, ce simple mot « Appia », a agi sur le lecteur que je suis comme un aimant. Adolescent déjà, quand mon professeur d’histoire (et peut-être aussi celui de latin) évoquait cette voie construite en 312 avant J.-C., reliant Rome à Capoue, puis prolongée jusqu’à Brindisi, j’étais à la fois admiratif et rêveur. Plus tard, j’appris qu’elle ne fut pas seulement une voie romaine utile d’un point de vue marchand comme d’un point de vue militaire, mais qu’elle fut également empruntée par Paul lorsqu’il rejoignit Rome en l’an 65, par Pierre aussi puis par de nombreux pèlerins chrétiens qui voulaient rejoindre la Terre Sainte (entre autres les Croisés). Auparavant, elle servit aussi de théâtre, si l’on peut dire, pour les crucifixions ordonnées par les Romains.
Mais qu’est-elle devenue aujourd’hui, cette fameuse Via Appia ? Qu’en reste-t-il ? Pour le savoir, rien de tel que de lire le livre de Paolo Rumiz qui y raconte comment, avec quelques compagnons, il parcourut à pied les 612 kilomètres séparant Rome de Brindisi, sans GPS, instrument que notre auteur-voyageur voue aux gémonies, tant à force d’avoir les yeux fixés sur un écran on ne prend plus le temps de rien voir. Paolo Rumiz, lui, marcheur invétéré s’il en est, préfère le bâton du pèlerin à tous les guides de papier du monde et la rencontre des habitants, les yeux dans les yeux, à tous les écrans qui isolent bien plus qu’ils ne relient les humains les uns aux autres.
Mais, plutôt que de parcourir le sempiternel chemin de Compostelle (qu’il n’estime guère, c’est le moins qu’on puisse dire), c’est « la mère des routes d’Europe » qu’il a préféré emprunter, même si elle présente le désavantage d’être beaucoup moins bien entretenue que le chemin espagnol. Cette route, la Via Appia, qui fut le trait d’union entre Orient et Occident, il faut aujourd’hui la chercher, tant elle a été malmenée, surtout depuis les années 1960, laissée à l’abandon par ici, bétonnée par là, ou encore privatisée en d’autres lieux.
Parcourir ce chemin-là, précisément, pour Paolo Rumiz et ses compagnons, ce fut un moyen de protester contre l’incurie des responsables politiques et autres, coupables d’autant de négligences. Quand Paolo Rumiz fit connaître son projet, on tenta de le décourager à coup d’arguments imparables (les terrains délabrés, les propriétés privées, les chiens, la Mafia…), mais en vain. Au contraire, sa détermination fut encore plus grande. Et il fit bien, d’autant plus que l’on a affaire à un admirable conteur, attentif à tous les aspects du voyage, la recherche de ce qu’il reste de la Via Appia bien sûr, mais aussi la rencontre des Italiens du Sud (ou peut-être faudrait-il dire de l’Est, remarque Rumiz) souvent ébahis de voir un compatriote du Nord venir chez eux à pied, les paysages, les villes et les villages, les dévastations, les repas, les fatigues et les soins, etc. Rumiz raconte à merveille, tout en enrichissant son texte d’un grand nombre de réflexions pertinentes, sur l’Italie bien sûr, celle d’hier et celle d’aujourd’hui, mais aussi sur nombre de sujets qui dépassent le cadre d’un seul pays. Dans tous les cas, c’est toujours passionnant et revigorant. 8,5/10
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