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poet77
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Message par poet77 »

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Puisque ce livre est désigné comme un « roman », il convient de conserver ce terme, qui figure d’ailleurs sur la page de couverture. En vérité, ce à quoi s’est livrée Cloé Korman, avec la complicité de sa sœur Esther, c’est à une enquête minutieuse et documentée. Mais, bien évidemment, le récit qu’elle en tire et qu’elle propose à notre lecture, lui, est romancé, dans la mesure où, pour raconter, il faut laisser place à une part d’imagination et de mise en forme. On notera, dès à présent, la finesse d’une écriture qui, sans besoin de fioritures, porte avec justesse son sujet, se met à sa hauteur, et ainsi, ne peut que toucher le lecteur au profond de son cœur.
Car, ce dont il est question ici, c’est de la destinée impensable, et pourtant bien réelle, de quelques-uns des enfants (il y eut, au total, 11 104 mineurs de moins de seize ans) qui furent arrêtés, mis sous surveillance dans des camps ou des foyers, puis, pour la plupart, déportés depuis la France sous l’Occupation. Ceux qui parvinrent à Auschwitz furent aussitôt exterminés. S’efforcer, autant que faire se peut, de retracer non seulement l’histoire mais le ressenti d’une poignée d’entre eux, tel est le projet auquel s’est attelée Cloé Korman, d’autant plus que, parmi tous ces enfants, il en était trois de sa propre famille : trois fillettes, ses cousines, Mireille, 10 ans, Jacqueline, 8 ans, et Henriette, 3 ans, déportées en 1943 à Beaune-la-Rolande, avant de passer de foyer en foyer jusqu’à celui de Saint-Mandé, d’où elles furent envoyées à Auschwitz en juillet 1944.
Comment parler d’elles ou plutôt comment faire entendre leurs voix de petites filles prises dans un conte à faire peur, mais bien réel celui-là, à partir des quelques éléments que purent retrouver la romancière et sa sœur Esther ? Ce tour de force-là, Cloé Korman le relève, le transforme, le transmet au lecteur. Nous voilà avec elles, avec ces petites filles, ballottées d’un endroit à l’autre, apeurées tout en s’efforçant de se raccrocher à tout ce qui peut rassurer. C’est ainsi que les trois fillettes Korman se rapprochent de trois autres petites filles, les Kaminsky, Andrée, Rose et Jeanne qui deviennent leurs « presque sœurs » et qui, elles, miraculeusement, courageusement aussi, réussiront à survivre à cette page d’horreur.
Bien documenté, alternant les pages contemporaines (le récit des enquêtes menées sur le terrain par Cloé et sa sœur) et les pages « historiques », le roman est habité par la présence des six petites filles. Oui, sans nul doute, ce sont leurs voix que la romancière fait entendre, leurs voix retrouvées, leurs voix qui s’emplissent de toutes les voix des enfants que l’on fait souffrir. 8,5/10
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poet77
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« Un grand écrivain scandaleusement méconnu », écrivait le romancier Jean-Pierre Martinet (1944-1993) à propos d’Albert t’Serstevens (1885-1974), écrivain français d’origine belge dont on a, certainement à tort, oublié quelque peu le nom. Martinet, à qui l’on doit une subtile analyse du roman dont il est question (Un Apostolat), analyse figurant en postface du présent volume, trouva certainement en t’Serstevens un frère d’âme : réputé comme étant un écrivain profondément pessimiste, il ne fait pas de doute que le désabusement et la ruine des idéaux tels qu’ils sont racontés dans Un Apostolat durent résonner de manière particulière en son for intérieur.
Car ce que narre Albert t’Serstevens, dans un roman dont une note de fin de volume nous apprend qu’il est, en grande partie, autobiographique, l’écrivain s’étant lui-même dépeint sous les traits d’un personnage nommé Krabelinckx, c’est l’inéluctable ruine d’une grande utopie. Nous nous familiarisons, dès les premières pages, avec la poignée des fondateurs d’un projet qu’ils jugent correspondre à leur idéal : créer une communauté nouvelle, en marge d’une société qu’ils estiment « assoiffée de lucre, écrasée sous la ploutocratie des banques, réduite sous le joug du militarisme, abrutie par le clergé… ». Ils ont entre vingt et trente ans, la tête farcie d’idéaux communautaristes, libertaires et communistes à la fois, convaincus de devoir adopter un strict régime végétarien et d’avoir pour mission de vivre en frères.
Cette utopie, si elle peut se concrétiser, c’est grâce à l’apport d’un des personnages, Pascal Marin, destiné à devenir la figure de référence de tout le roman. C’est lui qui, grâce à un héritage, peut acheter un domaine de la Sarthe, bientôt nommé « cité Kropotkine », sur lequel s’établissent les membres de la communauté : Pascal donc, Krabelinckx, Chapelle (l’aîné du groupe faisant fonction, plus ou moins, de leader), Firmin Lhommel, Fernand Verd, rejoints, un peu plus tard, par un Norvégien, Henrik Jordsen, sa femme et ses enfants, puis par la bonne amie de Fernand, surnommée « la Muse ».
Ce que remarque nécessairement le lecteur, c’est que, pour décrire cette communauté, son mode de vie et ses idéaux, l’auteur use abondamment d’un vocabulaire emprunté aux religions et, en particulier, au christianisme. Dès le commencement de la cité Kropotkine, à la fin du premier repas, Chapelle se fend d’un beau discours sur l’exemple que le groupe donnera à l’humanité, discours qui est désigné comme étant une « homélie ». Bien d’autres termes sont employés : la « cellule » dans laquelle se retire Pascal, lui-même étant traité de « catéchumène », etc. En somme, l’on a affaire à une collectivité dont le train de vie s’apparente à celui d’une communauté monastique, si ce n’est qu’elle admet la mixité et ne se tourne vers aucun « dieu », sauf les « dieux » très terrestres de ceux qui ont initié le communisme.
Or, ce que s’attache à raconter t’Serstevens, c’est la ruine, qu’on pourrait presque dire programmée, de cet impensable phalanstère. Ses membres ont beau se référer à des idéaux communs, leurs différences ne tardent pas à apparaître et la division à exercer ses ravages. Pour des motifs divers, parfois futiles, ils en viennent aux invectives ou se retirent le plus possible dans leur solitude pour ne plus entendre les autres. Face à ce constat d’échec, Pascal « sent l’ardeur mystique l’abandonner ». L’un des « frères », le meilleur de tous, désespéré, se suicide.
La deuxième partie du roman se focalise sur « l’apostolat » auquel, séparé des autres membres d’un groupe désormais éclaté, décide de se livrer Pascal, convaincu qu’il peut, tout seul, par ses propres moyens, prêcher l’amour aux badauds. Pour ce faire, il se rend à Londres, mais pour se heurter rapidement à de grosses déconvenues. Ses harangues n’intéressent pas grand monde. Aidé par Déa, une femme avec qui il a noué une liaison, obligé, de ce fait, d’accepter une somme d’argent de compromission, il revient à Paris, déjà meurtri d’avoir dû se rabaisser à ses propres yeux. Dans la capitale française, il n’obtient pas davantage de succès avec la brochure dans laquelle il a compilé des textes qui peuvent se résumer par « aimez-vous les uns les autres ». Mais c’est la médiocrité à laquelle il avait dû se résoudre à Londres qui le rattrape. Son déclin est inéluctable, « il n’a plus la foi », écrit t’Serstevens, et il se met à étendre à l’humanité entière la mesquinerie qu’il a perçu avec dépit en sa propre personne. En fait, croit désormais Pascal, « tout aboutit à l’amour-propre et à l’égoïsme. »
Un Apostolat, c’est le roman du désagrégement fatal de tous les idéaux, de la perte inéluctable de toutes les rêveries de fraternité ou d’amour universels, un roman pessimiste, très pessimiste même, qui, sans nul doute, ne peut laisser qu’une forte empreinte sur son lecteur. Chacun en pourra tirer des leçons, s’il le veut, mais il ne fait pas de doute qu’on a affaire à un grand livre. 9/10
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Alexandre Angel
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Message par Alexandre Angel »

poet77 a écrit : 7 nov. 22, 11:37 Albert t’Serstevens (1885-1974), écrivain français d’origine belge dont on a, certainement à tort, oublié quelque peu le nom.
Faut dire que ce nom ne nous facilite pas la tâche :lol:
Comme "le Temps de l'innonce" et "A tombeau ouvert", "Killers of the Flower Moon" , très identifiable martinien, est un film divisiblement indélébile et insoluble, une roulade avant au niveau du sol, une romance dramatique éternuante et hilarante.

m. Envoyé Spécial à Cannes pour l'Echo Républicain
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Andre_De_Taunt
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Message par Andre_De_Taunt »

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Guerre et Londres de Céline. Du tragi-porno-comique qui ne plaira pas à tout le monde. Je n'avais lu que Le voyage jusqu'à présent. Âpre, outrancier, et pourtant souvent drôle, en auteurs contemporains je pense à Houellebecq pour tenter de trouver quelque chose qui s'approche de Céline. Ca fonctionne très bien sur moi cet alliage entre tragédie et comédie avec un petit peu ou beaucoup de cul pour le liant.
Pour le blaze j'hésitais avec "Jacques Tournante", j'ai fait dans le demi-sel, mais ne t'inquiète pas je m'arrangerai pour ne jamais être à court de poudre. Pas couleur chnouf, de la noire, comme l'encre, et bien corsée comme le petit noir, tu piges ?
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hoplahop
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Message par hoplahop »

J'ai pas encore fini Guerre. C'est bien mais ça m'a donné un peu l'impression de lire un long chapitre qui aurait pu figurer dans Casse-pipe. D'ailleurs à l'origine je crois que ce manuscrit devait figurer dans Casse-pipe. Pour un roman c'est un peu léger disons mais il y a quand même des bons passages notamment lorsqu'il se fait décorer par le maréchal alors qu'il a rien foutu... En tout cas, on retrouve vraiment la verve célinienne. Londres je l'ai un peu feuilleté. Ca avait l'air alléchant mais ça me parait un peu brouillon. Ça m'a pas donné l'impression d'être du grand Céline. En même temps, même un Céline mineur c'est toujours bon à prendre.
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poet77
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Message par poet77 »

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« Aimez-vous Brahms ? ». La question pourrait m’être posée, non pas pour les raisons invoquées dans le roman éponyme de Françoise Sagan mais parce qu’à plusieurs reprises (et, encore, en juin dernier en rendant compte d’un ouvrage d’Éric Chaillier) je me suis plu à affirmer l’admiration sans borne que j’éprouve pour un autre compositeur, Anton Bruckner (1824-1896). Or, c’est peu de dire que Johannes Brahms (1833-1897) détestait ce dernier (qui d’ailleurs le lui rendait). Brahms se gobergeait des « symphonies pythons » de Bruckner, il raillait son amateurisme et en parlait comme d’un « pauvre fou ». Bruckner, lui, traitait Brahms de « protestant frigide » et accusait ses symphonies de manquer d’idées. Tous deux étaient considérés par leurs partisans respectifs comme des chefs de file, l’un de la fidélité à un certain classicisme (Brahms), l’autre comme un des fers de lance (à la suite de Wagner, tout de même !) de la musique du futur. Les deux camps se haïssaient copieusement.
Cela étant dit, de l’eau a coulé sous les ponts et nous pouvons fort bien, aujourd’hui, ne plus tenir aucun compte de ces querelles de jadis. Elles n’ont plus lieu d’être ni d’interférer dans le plaisir que nous pouvons éprouver à nous mettre à l’écoute de l’un et l’autre compositeur. Pour ma part, si j’aime à m’immerger dans l’incomparable substrat sonore et mélodique des symphonies de Bruckner, si j’y retrouve mille accents qui résonnent jusque dans mon for interne, je suis loin de dédaigner pour autant me mettre, en quelque sorte, en osmose avec l’œuvre immense de Brahms dans toute sa diversité (et elle l’est beaucoup plus que celle de Bruckner, c’est évident).
Je ne sais pas si le livre d’Olivier Bellamy peut faire aimer Brahms davantage, car ce qui compte, c’est, bien sûr, d’écouter les œuvres, mais sans doute peut-il en renouveler la perception, l’enrichir et susciter une curiosité encore plus grande. Avec Brahms, comme l’explique fort bien l’auteur, nous avons affaire à un homme plein de contrastes. Olivier Bellamy se plaît à les énumérer en s’interrogeant au sujet des yeux du compositeur, tels qu’ils apparaissent sur un de ses portraits : « L’œil droit est fixe et pénétrant, curieux et décidé, avec une lueur de mélancolie. L’œil gauche est tout douceur et charme, avec une propension à l’humour et aux plaisirs de la vie. » « À droite, ajoute l’écrivain, c’est l’architecte des grandes formes qui est à l’œuvre. À gauche, c’est le promeneur bucolique qui prend son temps, l’éternel amoureux et l’homme de foi. »
Sans doute, l’automne convient à merveille à Brahms (comme l’hiver à Schubert, selon un autre livre d’Olivier Bellamy). On l’imagine volontiers en train de marcher sous de belles frondaisons d’automne, les mains croisées dans le dos et la grande barbe blanche en avant et trouvant son inspiration dans ce « ma non troppo », pour reprendre l’indication si présente en tête des mouvements de ses œuvres. « Brahms trouve ses thèmes grâce au rythme naturel de la marche. » Cette approche est profondément juste, même s’il ne faut pas se figurer Brahms uniquement comme un vieillard à barbe blanche. Jeune, à 20 ans, quand il se présenta à Schumann, il lui fit l’effet d’être un ange descendu du ciel, un ange qui, cependant, lui déroba tout ce qu’il avait : « son rang de premier compositeur, sa femme Clara, sa raison, son génie, sa vie. »
Brahms aima Clara tant qu’il le put, mais il ne se maria jamais, il préféra fréquenter les femmes de petite vertu. Cependant, et cela n’est pas contradictoire, comme l’écrivait le chef d’orchestre Wilhelm Furtwängler, « chaque œuvre de Brahms est un trésor enfoui, et ce trésor est amour. »
Des notations ou des citations aussi intéressantes, il y en a en abondance dans l’ouvrage d’Olivier Bellamy, un ouvrage toujours à la portée de tous les publics. Nul besoin d’être un spécialiste pour en parcourir les pages, il suffit de se laisser guider un tant soit peu par une saine curiosité et de ne surtout pas tenir compte de je ne sais quels préjugés. Il est fini, je l’espère, le temps où un pianiste aussi prestigieux que Samson François persiflait en traitant les œuvres de Brahms de « musique pour dimanche après-midi pluvieux. » Olivier Bellamy, lui, se livre avec bonheur à de passionnantes analyses des différents domaines musicaux dans lesquels Brahms s’illustra : ses quatre symphonies (qu’il composa tardivement tant il voulait ne pas démériter à la suite de Beethoven), ses concertos, sa musique de chambre, ses œuvres vocales. Une musique savante, si l’on veut, mais pas tant que ça, Brahms ne dédaignant pas de se laisser inspirer par la musique populaire, celle des tsiganes par exemple. Une musique, quoi qu’il en soit, qui, si l’on se dispose à l’écouter avec attention, va, le plus souvent, droit au cœur. 8,5/10
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Message par poet77 »

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Que ne ferait-on pas avec des si ? On peut tout imaginer, on peut tout refaire et tout recommencer avec des si. On peut aussi, comme dans ce livre de Brigitte Giraud, établir une litanie des si, de tous les si qui, si seulement l’un d’eux avait été effectif, auraient empêché la mort de quelqu’un. Car c’est bien le propos de l’autrice que d’examiner la longue liste des circonstances, des événements et des décisions prises qui, au bout du compte, se sont soldés par la mort accidentelle de son mari Claude, le 22 juin 1999, laissant Brigitte sidérée.
Vingt ans plus tard, tout est encore là, gravé en elle, tout l’enchaînement des conditions qui ont conduit à la mort de Claude, un matin où, plutôt que de se servir de sa propre moto, il décida, personne ne peut dire pour quelles raisons, d’utiliser celle du frère de Brigitte, un engin d’origine japonaise (et d’ailleurs interdit au Japon !), ayant la réputation, chez les motards, d’être particulièrement dangereux. Claude y perdit la vie, d’avoir voulu essayer cette machine qui ne devrait rouler que sur des pistes homologuées.
Ah ! Si les Japonais n’avait pas pris la funeste décision de commercialiser ce type de moto en dehors de leur propre pays ! Et si Brigitte ne s’était pas obstinée à vouloir quitter son appartement du centre de Lyon ! Si elle n’avait pas eu un coup de cœur pour une maison avec garage ! Si elle ne l’avait pas achetée ! Si elle n’en avait pas eu les clés à l’avance ! Si son frère n’avait pas voulu laisser sa moto dans le garage ! Et si, et si, et si…
Cette litanie des si, Brigitte Giraud ne l’établit pas et n’en raconte pas les détails pour s’auto-culpabiliser, mais bien plutôt comme une sorte d’enquête, peut-être libératrice. Après tout, son histoire ne s’harmonise-t-elle pas avec celles de beaucoup d’hommes et de femmes qui pourraient, eux aussi, ruminant un événement tragique de leur passé, énumérer leur propre liste de si ? D’ailleurs, en optant pour un style sobre et en se racontant comme on ferait des confidences à des amis, Brigitte Giraud peut être sûre non seulement de susciter l’attention des lecteurs mais de trouver en eux des résonances, celles d’hommes et de femmes qui voudraient, eux aussi, attraper un peu du bonheur de vivre avant qu’il ne soit trop tard. 8/10
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murphy
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J'aime beaucoup vos chroniques.
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murphy a écrit : 27 nov. 22, 09:07 J'aime beaucoup vos chroniques.
C'est un plaisir que de les partager. :D
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Message par poet77 »

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Au premier rang de tous les romans qui furent écrits sur la colonisation de l’Ouest américain, il convient, sans nul doute, de placer cet ouvrage d’Ernest Haycox (1899-1950), un écrivain qui fut non seulement l’un des meilleurs auteurs de westerns mais l’un des romanciers les plus talentueux des États-Unis, tous genres littéraires confondus (il fut admiré, entre autres, par Hemingway). Les Pionniers, qui connut une publication posthume en 1952, ne fut, contrairement à beaucoup d’autres romans de ce genre, jamais adapté au cinéma, sans doute à cause de scènes difficiles à réaliser et du grand nombre des personnages.
Ce roman est dense, c’est vrai, mais il ne faut pas craindre de s’y atteler pour autant, tant la lecture en est palpitante et passionnante d’un bout à l’autre. Nous avons affaire à un grand écrivain qui sait comment empoigner le lecteur pour ne plus le lâcher. Dès les premières pages, nous voilà happés par la description d’une caravane qui, après avoir effectué trois mille kilomètres par voie de terre, s’apprête « à franchir les cent cinquante derniers kilomètres qui la [séparent] de l’Oregon en descendant les rapides au cœur des Cascades. » Or ces derniers kilomètres sont une épreuve terrifiante pour chacun des quatre cents membres de la caravane, contraints d’affronter des éléments déchainés, le froid, la tempête, les eaux tumultueuses d’une rivière en furie, avant d’arriver enfin au lieu convoité, ces terres que l’on s’autorise à coloniser.
Dès cette impressionnante entrée en matière, Ernest Haycox prend soin de nous familiariser avec un certain nombre de personnages, hommes et femmes, qui seront les principaux protagonistes du roman, à commencer par Rice Burnett, homme entreprenant qui a beaucoup contribué à sauver la caravane du désastre durant la tempête. Ces personnages, je ne peux tous les nommer, mais il faut souligner quelques-unes de leurs caractéristiques et ainsi remarquer combien, tout en respectant le genre « western », Ernest Haycox se démarque de la plupart des clichés qu’on lui accole volontiers.
Il n’y a quasiment pas de personnages tout d’une pièce dans ce livre, de ces personnages que l’on peut définir au moyen d’un mot ou d’une formule lapidaire. Tous, ou pratiquement tous, échappent aux définitions trop simplistes. Ils ne sont pas faits d’un bloc et, quand on croit pouvoir mettre une étiquette sur l’un d’eux, c’est pour se rendre compte, quelques chapitres plus loin, qu’elle ne s’appliquait qu’à une des facettes de l’individu. Même Cal Lockyear, celui qui fait figure de « méchant » dans le récit, ne l’est qu’à cause d’une sorte de marque du destin, alors que, comme l’affirme Burnett, s’il avait pu utiliser « correctement son esprit et son immense énergie, ç’aurait été un homme formidable. »
Même des personnages que l’on peut considérer comme secondaires ont droit à un traitement qui préserve la complexité de leur identité. Ainsi d’un homme du nom de Hawn, personnage très touchant qui a pour compagne une Indienne qu’il a achetée. Pour tous les membres de la communauté des colons, il est un homme à part, un « homme à squaw », mis plus ou moins au ban de la société, alors que, par ailleurs, il ne peut pas partager grand-chose avec sa compagne, faute de parler la même langue. Ainsi surtout de Lot White, homme religieux qui s’est institué prédicateur de la communauté et ne manque pas une occasion d’en menacer les membres des feux de l’enfer. Pendant une bonne partie du roman, on a le sentiment de n’avoir affaire qu’à un homme borné, un indécrottable fanatique, jusqu’à ce qu’à la faveur d’un événement nous découvrions une tout autre facette du personnage, un homme compatissant, dévoué, passant ses jours et ses nuits au chevet de Burnett, après que ce dernier ait été victime d’un accident qui a failli lui coûter la vie. Sous la carapace du vilipendeur, il y avait un tout autre homme.
D’autre part, il est impossible de ne pas mentionner les personnages féminins de ce roman, plusieurs tenant une place prépondérante dans le cours du récit. Parmi ces femmes, et elles sont nombreuses, il en est deux qui se détachent, deux qui ne laissent pas indifférent Burnett, des femmes à qui l’auteur prête des sentiments puissants et dans les bouches de qui il met beaucoup de dialogues qui sont parmi les plus remarquables du livre. Edna et Katherine, semblables et pourtant très différentes, ont une conscience aiguë de leur condition et du poids qui pèse sur elles, du fait du puritanisme de leur communauté. Toutes deux cependant, chacune à sa manière, sont des rebelles et elles ne craignent pas d’exprimer leurs désirs, leur envie de faire l’amour, quand l’occasion se présente. Edna, surtout, peut être totalement submergée par ses pulsions sexuelles. Ni l’une ni l’autre néanmoins, ni Edna ni Katherine ne perd jamais entièrement sa dignité et jamais l’auteur ne les rabaisse. On peut affirmer que le roman d’Ernest Haycox bat en brèche le cliché selon lequel les westerns seraient tous nécessairement machistes. En l’occurrence, cela ne se vérifie pas du tout, nonobstant une jeune femme prénommée Roxy que Cal Lockyear épouse par dépit (alors qu’en vérité, il voudrait posséder Edna) et maltraite avec une brutalité qui fait froid dans le dos.
J’ai parlé assez longuement des personnages, mais ce livre est aussi, bien évidemment, le roman d’une collectivité, que ce soit dans un sens négatif ou que ce soit dans un sens positif. Dans le premier cas, l’exemple-type est celui du rassemblement de la communauté en vue d’attaquer un village indien pour en massacrer les habitants (seul Burnett refuse fermement d’apporter son concours à cette folie furieuse, ce qui lui vaut d’être mal vu par tous les autres hommes du groupe). À contrario, dans le deuxième cas, lorsque le même Burnett se retrouve en situation périlleuse, les jambes coincées dans un amoncellement de branches immergées dans la rivière, c’est toute la communauté qui se mobilise pour le tirer d’affaire.
Dans sa postface à ce roman, Bertrand Tavernier écrivait que, grosso modo, sans trop caricaturer, l’on peut distinguer deux lignes de force chez les auteurs de westerns, l’une conservatrice, l’autre progressiste. Chez les premiers, en règle générale, la nature rédemptrice s’oppose à la ville corruptrice et l’on met en avant l’individu, le loup solitaire, seul capable de « rétablir la loi et l’ordre ». Chez les seconds, au contraire, la nature peut se révéler destructrice et la collectivité l’emporte sur l’individu (comme dans beaucoup de films de John Ford, par exemple, un cinéaste à qui l’on a accolé, à tort, une étiquette conservatrice). Laissons le dernier mot à Bertrand Tavernier : « Eh bien, Ernest Haycox, écrivait-il, se révèle, dans le traitement de ces deux sujets (i. e. la nature et la collectivité) plus proche de Ford que de Hawks, de cinéastes comme de Toth que de Griffith. » 9/10
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Message par poet77 »

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Nul besoin d’être un scientifique accompli pour lire avec intérêt et non sans profit ce livre consacré au naturaliste Alexander von Humboldt (1769-1859) et à son influence. Le nom de cet explorateur naturaliste et géographe allemand fut mondialement célèbre, ses écrits eurent un énorme retentissement et furent à l’origine de plus d’une vocation, avant de disparaître plus ou moins de la mémoire collective, en tout cas de manière explicite, sans doute à cause des deux guerres mondiales du siècle dernier qui engendrèrent, dans de nombreux pays, un profond sentiment antigermanique.
Aujourd’hui, fort heureusement, plus rien n’empêche de rendre à Humboldt ce qui lui appartient et la lecture du livre très documenté d’Andrea Wulf nous fait découvrir non seulement un explorateur et un scientifique mais un visionnaire dont les découvertes et les intuitions rejaillissent, de bien des manières, jusqu’à notre temps. Pour ne prendre qu’un exemple, l’idée-force que le pape François plaça au cœur de son encyclique Laudato Si de 2015, la conviction selon laquelle « tout est lié » dans notre monde et, même, pourrait-on dire, dans l’univers entier, ce n’est pas lui qui en est l’initiateur, mais bel et bien Alexander von Humboldt. C’est ce dernier qui fut le premier, comme l’écrit Andrea Wulf, à comprendre que tout est relié comme par « des milliers des fils » et il est fort regrettable que son nom ne soit pas même mentionné dans le texte papal.
Alexander von Humboldt sut mettre à profit les deux grandes expéditions qu’il put mener à bien au cours de sa longue existence : l’une en Amérique, alors qu’il était jeune, de 1799 à 1804 ; l’autre, bien plus tard, en Sibérie en 1829. Il rêvait d’une autre expédition qu’il voulait faire dans l’Himalaya, mais qu’il ne put réaliser pour des raisons de géopolitique. Andrea Wulf raconte abondamment et avec force détails la moisson de découvertes que fit le naturaliste durant ses voyages, découvertes qui lui servirent de bases pour les ouvrages qu’il écrivit quand il fut de retour en Europe : ses relations de voyages, qui furent couronnées de succès, et son œuvre la plus ambitieuse, son Kosmos dont l’ambition était d’établir une « description physique du monde » dans sa globalité.
Si le mot « écologie » fut inventé, plus tard, par Ernst Haeckel (1834-1919), lui-même admirateur de Humboldt, c’est bien ce dernier qui en perçut les fondements. En voyageant en Amérique du Sud puis du Nord, il fut frappé par l’impact humain sur l’environnement, les déséquilibres créés par l’homme, par ses choix destructeurs. Il fut anti-colonialiste et anti-esclavagiste. Pour lui, il y avait un lien étroit entre le colonialisme et l’esclavagisme d’une part et la destruction de l’environnement d’autre part : « Il critiquait, écrit Andrea Wulf, l’injuste répartition des terres, la monoculture, la violence contre les populations autochtones et les mauvaises conditions de travail des Indiens ».
En Amérique du Sud et, en particulier, en Equateur, il mena des études précises sur les écosystèmes et fit des découvertes qui font encore autorité de nos jours. Mais il s’efforça toujours de penser le monde dans sa globalité et fut, de ce fait, à contre-courant des pratiques de nombreux scientifiques de son temps qui se spécialisaient, de plus en plus, chacun dans son domaine particulier : « Au moment où la science s’éloignait de la nature pour s’enfermer dans les laboratoires et les universités, séparées en disciplines étanches, Humboldt regroupait tous les domaines que les scientifiques professionnels voulaient séparer. » Et quand il écrivait, il s’efforçait souvent de le faire pour un large public et non pas seulement « pour des savants dans leur tour d’ivoire. » D’ailleurs, s’il écrivait des textes dont la valeur scientifique ne pouvait être prise en défaut, il ne se privait pas, pour autant, d’y mettre de la poésie. Pour lui, ce n’était nullement contradictoire.
Comme le rapporte longuement et avec précision Andrea Wulf, son influence fut considérable, non seulement de son vivant mais également après sa mort. Il se lia d’amitié avec François Arago (1786-1853) et d’autres savants, mais aussi avec Goethe (1749-1832) qui raffolait de ses écrits et de sa compagnie. Il se lia avec Simon Bolivar (1783-1830) avant de désavouer sa propension à l’autocratie, tout comme avec le président américain Thomas Jefferson (1743-1826) avec il fut toutefois en total désaccord sur la question de l’esclavage. Sur le plan scientifique, il influença grandement de nombreux biologistes, naturalistes et explorateurs, à commencer par Charles Darwin (1809-1882), grand lecteur de Humboldt, mais aussi George Perkins Marsh (1801-1882), Ernst Haeckel (que j’ai déjà mentionné) et John Muir (1838-1914). Tous ont contribué, pour une part, à une meilleure compréhension de la nature et des dangers qu’elle encourt du fait des actions des hommes : « Humboldt avait compris les dangers que connait la nature. Marsh avait rassemblé des preuves et construit un argumentaire convaincant, mais ce fut Muir qui éveilla les esprits aux enjeux environnementaux, aussi bien dans la sphère politique qu’auprès du grand public. »
Cependant, puisque tout est lié, l’influence de Humboldt ne se limita pas aux seuls explorateurs et scientifiques. Des artistes aussi s’en inspirèrent, même si c’est par ricochets, comme le verrier Émile Gallé (1846-1904) qui trouva des motifs intéressants dans les travaux de Ernst Haeckel. Quant à Jules Verne (1828-1905), « il se servit amplement des descriptions de l’Amérique du Sud de Humboldt dans sa série des Voyages extraordinaires. Il prit d’ailleurs soin de faire figurer les œuvres complètes de Humboldt dans la bibliothèque de son Capitaine Nemo. 9/10
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poet77
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En 1850, quand il fait paraître Vareuse-Blanche, Herman Melville (1819-1891) n’a pas encore écrit ce qui deviendra son roman le plus célèbre, Moby Dick, qui sera publié l’année suivante, en 1851, mais il est déjà l’auteur de plusieurs récits de voyages, en particulier dans les mers du sud, entre autres Omoo (1847) et Mardi (1849).
Cependant, le propos auquel notre auteur se livre dans Vareuse-Blanche est véritablement singulier : en s’inspirant de sa propre histoire, lui qui, en 1843, intégra l’équipage d’une frégate de guerre américaine en tant que gabier, Melville se fait fort, dans ce roman copieux, de raconter jusque dans ses moindres détails, ce que fut la vie à bord d’un navire de guerre des États-Unis à cette époque-là. Tous les aspects en sont donc minutieusement explorés, sans que cela ne devienne jamais rebutant. Au contraire, l’on a affaire à un conteur de premier ordre qui sait fort bien captiver le lecteur, tout en rédigeant un document de choix sur un mode de vie très particulier.
Disons un mot du titre tout d’abord, qui s’explique parce que tout matelot naviguant sur un bateau de guerre amené à sillonner les mers, sous tous les climats, et, parfois, à affronter des tempêtes, se doit, s’il veut survivre aux aléas climatiques, de se confectionner une vareuse le protégeant le mieux possible des rigueurs de la météo. Or, pour son malheur, le narrateur, qui est l’alter ego de Melville, ne parvient à fabriquer sa vareuse qu’au moyen d’un tissu de couleur blanche, faisant de lui le point de mire de tout le bateau, tissu que, qui plus est, il n’arrive pas, malgré tous ses efforts, à imperméabiliser. Ce vêtement, indispensable à sa survie, sera néanmoins l’un des cauchemars de son voyage.
Il y en a d’autres, comme les tempêtes qui mettent le navire en péril, avec, pour point d’orgue, le terrible passage du Cap Horn, redouté par tous les marins de ce temps-là. Melville excelle à décrire ce genre de scènes, mais son ouvrage trouve sa force la plus grande ailleurs, dans la description précise de toutes les facettes de la vie à bord. Sur un navire, tout est différent que sur la terre ferme. La vie s’y organise autrement, avec ses règles propres, ses lois, sa justice et ses injustices, son organisation, sa hiérarchie. Tout en en étant l’un des acteurs, Melville, par la voix de son narrateur, se fait l’observateur de ce monde-là, ne se privant pas d’en décrire jusqu’aux aspects les plus sordides ainsi que ceux qui le révoltent profondément.
Tout lecteur de cet ouvrage sera, sans nul doute, impressionné par la vigueur avec laquelle l’auteur dénonce les châtiments auxquels peuvent être condamnés des marins pris en faute, en particulier lorsqu’ils sont punis par le fouet, le terrible « chat à neuf queues » dont on se sert sur ces bateaux. Pour le narrateur (et donc pour Melville), rien ne peut justifier un tel supplice, il le dit et le répète avec insistance. Son regard n’est pas pour autant complaisant envers les marins, ses compagnons de bord, et il admet que leur conduite est parfois répréhensible. Il y a même, dans les recoins du navire, des individus qui se livrent à des actes qui le répugnent.
Tous les membres de l’équipage, le narrateur les passe ainsi en revue, depuis le sommet de la hiérarchie jusqu’aux marins les plus obscurs, en passant par toutes les spécialisations plus ou moins indispensables à la vie du bord, cuisiniers, magasiniers, médecin, barbier, etc., etc. Mais, au-delà d’un témoignage aussi précieux, ce livre est parcouru par une aspiration des plus louables : mettre fin aux injustices dont les navires de guerre sont trop souvent le théâtre. 8,5/10
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Message par poet77 »

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Après Ma Vie avec Apollinaire (2021), ce nouvel ouvrage de François Sureau pourrait avoir pour titre « Ma vie avec Blaise Cendrars », puisqu’il y est beaucoup question de celui-ci, mais ce ne serait pas tout à fait exact, car il manquerait l’autre personnage important du livre, Élisabeth Prévost (1911-1996). Un an dans la forêt donc, c’est le titre qui convient, d’autant plus que l’auteur commence par évoquer son appétence pour les territoires sylvestres : forêts de Kabylie, d’Argonne, de Bornéo, de la frontière entre la Thaïlande et la Birmanie, etc. Mais c’est une autre forêt qui s’impose, moins exotique que ces dernières, celle des Ardennes, près de Sedan, là où François Sureau servit en tant qu’aspirant appelé au 12ème régiment de chasseurs. Il y revient, 40 ans plus tard, et s’y trouve bien : « La forêt m’est très tôt devenue un port », écrit-il, forêt qui, ajoute-t-il, s’avère être autant un « paradis pour les anarchistes » qu’un lieu de prédilection pour les moines et les solitaires, les chartreux par exemple.
Or, et c’est là que François Sureau veut en venir, c’est cela qu’il veut évoquer au long des pages de son court récit, c’est dans cette même forêt des Ardennes que Blaise Cendrars (1887-1961), l’écrivain bourlingueur, passa une année de sa vie, en 1937-1938, avant que n’éclate la guerre et qu’il s’engage au sein des forces britanniques. Séparé d’avec l’actrice Raymone Duchâteau (1896-1986), qu’il retrouvera et épousera en 1949, Cendrars est malheureux, mais trouve auprès d’Élisabeth Prévost une complicité, une communion qui lui font du bien : « Ce qui est singulier dans sa rencontre avec Élisabeth Prévost, écrit François Sureau, c’est qu’elle lui a donné l’occasion d’un voyage pour une fois immobile… »
La jeune femme, tout comme l’écrivain, était volontiers bourlingueuse. À 23 ans, elle avait traversé le « continent noir », l’Afrique, et, quand elle rencontra Cendrars, elle venait de parcourir les routes d’Europe, de la Bretagne à la Roumanie, en voyageant en roulotte. Néanmoins, pendant cette année qu’ils passèrent ensemble dans les Ardennes, tous deux s’assagirent ou prirent le temps de faire une autre sorte de voyage, tout intérieur celui-là, spirituel sans nul doute. Tous deux se retrouvaient dans une même recherche qu’on peut désigner comme « mystique » au sens large : Cendrars « allait avec Élisabeth chez les trappistes de Chimay » et l’accompagnait, le dimanche, à la messe, même s’il en attendait la fin au café. Mais il avait dans ses lectures les « mystiques » les plus divers, aussi bien les écrits du Sâr Péladan que la Patrologie de Migne.
Inutile de gloser sur la nature exacte des relations entre Blaise Cendrars et Élisabeth Prévost. François Sureau se garde bien de se perdre en conjectures inutiles. Le plus important est ailleurs : « Dans les Ardennes [Cendrars] restait immobile, pour la première fois heureux de l’être (…). » Avec « son copain », comme disait Blaise pour désigner Élisabeth, il se sent bien. Dans L’Homme foudroyé, en 1945, il parlera d’elle en lui donnant un autre nom (Diane de La Panne).
Simple, limpide et beau, le livre de François Sureau rend un hommage mérité à ces deux êtres qui, une année durant, communièrent à un même ressourcement dans la forêt d’Ardenne. 8/10
Dernière modification par poet77 le 8 févr. 23, 08:26, modifié 1 fois.
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Alexandre Angel
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Re: Vos dernières lectures

Message par Alexandre Angel »

Monsieur 77 vous êtes dur : je n'arrive pas à suivre!
Comme "le Temps de l'innonce" et "A tombeau ouvert", "Killers of the Flower Moon" , très identifiable martinien, est un film divisiblement indélébile et insoluble, une roulade avant au niveau du sol, une romance dramatique éternuante et hilarante.

m. Envoyé Spécial à Cannes pour l'Echo Républicain
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Message par poet77 »

Alexandre Angel a écrit : 7 févr. 23, 11:21 Monsieur 77 vous êtes dur : je n'arrive pas à suivre!
:o :)
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