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poet77
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Lorsqu’il commence à tenir son Journal en 1943, le hongrois Sándor Márai (1900-1989) est déjà l’auteur reconnu d’un grand nombre de publications, en particulier de romans. Même si, dans son propre pays, il ne compte pas un nombre très important de lecteurs (il ne se fait d’ailleurs aucune illusion à ce sujet), sa notoriété, à juste titre, a commencé de grandir. Or, c’est à ce moment-là, alors que la Hongrie, encore relativement épargnée par la guerre, évolue, de manière inquiétante, vers un régime de plus en plus fasciste mis en place par l’amiral Horthy et ses Croix fléchées, que Márai, contraint de ne pas afficher publiquement ses opinions, se met à rédiger un Journal qu’il ne cessera plus de tenir jusqu’au terme de sa vie.
La traduction française qui nous est à présent proposée ne retient que des extraits significatifs de l’ouvrage. Dans l’édition hongroise, les années 1943-1948 couvrent quatre volumes. Mais, même largement amputé, ce texte n’en reste pas moins un document des plus intéressants, que ce soit sur la Hongrie de cette époque comme sur la vie et le regard d’un grand écrivain.
Précisément, ne pouvant se définir autrement que comme écrivain (et écrivain viscéralement attaché à sa langue, le hongrois), même en ces temps angoissants qu’il traverse, il persévère, autant qu’il lui est possible, dans son travail de romancier, tout en étant contraint à une forme de silence du fait des dérives politiques de son pays. C’est donc à son Journal qu’il confie ce qu’il ne peut exprimer publiquement.
Il faut le préciser, les notes prises par l’écrivain en ces années-là sont empreintes, le plus souvent, du plus grand pessimisme, non seulement au sujet de la Hongrie mais, pourrait-on dire, au sujet de l’humanité entière. Il faut dire que ce dont il est témoin ne peut qu’inciter à la noirceur. Dès les premières notes du Journal, en 1943, il écrit : « L’homme a un penchant universel et durable pour le sadisme, dont il a fourni la plus belle preuve en inventant l’enfer… ».
Mais c’est en 1944 et 1945 que le Journal abonde en réflexions anxieuses, attristées, désabusées. Face aux exactions des Croix fléchées, les fascistes hongrois, puis à l’occupation allemande à partir de mars 1944 et, enfin, à l’arrivée des Russes, l’écrivain se fait un devoir de relater chacun des faits dont il est le témoin, mais aussi et surtout d’exprimer son horreur des crimes qui se commettent. « Il n’y a pas de « réparation » possible pour ces crimes », affirme-t-il. Et nombreuses sont les réflexions au sujet des Juifs persécutés, envoyés dans les camps de la mort. Márai lui-même, déclare Catherine Fay, la traductrice de l’ouvrage, « a aidé beaucoup de Juifs pendant la guerre », à commencer par son beau-père qu’il échoua malheureusement à faire sortir du ghetto de Kassa. La femme de Márai, quant à elle, qu’il désigne simplement par la lettre L. , son nom complet étant Ilona Matzner, dut se cacher durant cette période du fait de ses origines juives.
Même une fois la guerre finie, sauf pendant une courte période d’accalmie en 1946, qui lui permet de faire éditer des extraits du Journal, l’inquiétude de Márai ne faiblit pas. Les jugements qu’il porte sur son pays sont des plus sévères : il parle de « l’immoralité de la société hongroise et de la nation hongroise ». Et, lorsque, de manière de plus en plus affirmée, se met en place le système communiste, il est conscient de n’y avoir pas sa place, pas plus qu’il ne l’avait durant le fascisme. D’où la question, toujours plus lancinante, d’un éventuel exil.
Au cœur de tant d’appréhension et, même si Márai demeure sans illusion sur l’espèce humaine (il n’existe pas de « progrès » pour elle, estime-t-il), on peut retenir, néanmoins, quelques raisons de ne pas totalement désespérer. Certes Márai voit de « la haine partout », mais il fait aussi, à l’occasion, un bel éloge des ouvriers qui, dans le dénuement le plus complet, sont parvenus, en 1946, à rétablir en trois mois la circulation des trams, l’eau courante et l’électricité à Budapest. C’est dans ces années-là aussi que sa femme et lui font la connaissance d’un très jeune garçon, orphelin, que, quelque temps plus tard, ils adopteront. On remarquera aussi la lecture intéressée et intéressante qu’il entreprend, en 1947 ou 1948, de l’Ancien Testament.
Tout n’est pas totalement désespéré, chez Márai, même si l’homme paraît très désabusé, sans illusion sur son pays, sans beaucoup de croyance en l’humanité. Il se demande si, en fin de compte, les hommes ne sont pas aussi déments que les animaux qui, enfermés dans des zoos, finissent par devenir fous. En assistant avec effroi au spectacle de la dictature qui, en 1948, s’abat, tour à tour, sur chacun des pays du bloc de l’Est, il y a de quoi se poser la question. 9/10
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Qui ne s’est jamais amusé à taper son propre nom dans un moteur de recherche ? Le jour où Pablo Martin Sánchez s’y essaya, son nom étant très répandu, il vit se dérouler sous ses yeux des pages et des pages d’occurrences. Néanmoins, parmi ses nombreux homonymes, il en est un qu’il ne tarda pas à distinguer : un certain Pablo Martin Sánchez qu’un « Dictionnaire international des militants anarchistes » recensait comme ayant été condamné à mort en 1924 après une tentative de renversement de la dictature de Primo de Rivera (Espagne, 1923-1930). Intrigué, curieux d’en apprendre davantage sur celui qui portait le même nom que lui, l’écrivain en herbe (car il souhaitait, précisément, écrire son premier roman) se mit en quête d’informations. Malheureusement, les documents d’état civil tout comme ceux des registres d’église ne lui apprirent pas grand-chose. Pas de quoi décourager pour autant celui qui, alors, se lança le défi d’écrire ce livre, juste avant (c’est, en tout cas, ce qu’il prétend) de découvrir l’existence d’une nièce de l’anarchiste. Ce fut le prélude à une série de rencontre avec cette dernière, prénommée Teresa, qui ne se fit pas prier pour raconter ce qu’elle savait de la vie de son oncle.
Désormais muni de ces précieux récits et fort des recherches purement historiques qu’il ne manqua pas de faire, l’écrivain put se lancer dans l’aventure de son roman. Il y avait matière à raconter la vie de son homonyme à la manière des feuilletonnistes du XIXème siècle (Alexandre Dumas ou Eugène Sue, entre autres) et c’est bel et bien à ce genre de romans que l’on songe en lisant L’Anarchiste qui s’appelait comme moi. Il faut dire que le parcours de Pablo Martin Sánchez s’y prête à merveille. Tout y est sujet à rebondissements de toutes sortes. Quant à démêler, dans le roman, ce qui ressort des récits de la nièce Teresa de ce qui est le produit de l’imagination de l’écrivain, il n’est pas vraiment utile de l’entreprendre. D’autant plus que ce dernier, membre de l’Oulipo, s’est amusé à créer des concordances entre son homonyme et lui-même : ainsi, pour ne prendre qu’un exemple, lorsqu’il est écrit que le Pablo Martin Sánchez du roman se laisse pousser la barbe, c’est que, au même moment, le romancier Pablo Martin Sánchez en a fait autant.
Cela étant, il ne fait aucun doute que le roman n’a rien de farfelu. Il s’appuie, au contraire, sur des faits historiques indéniables. Mais, plutôt que de se contenter d’une simple chronologie, l’écrivain a préféré, judicieusement à mon avis, alterner les chapitres sur deux temporalités : l’une s’ingéniant à raconter l’enfance et la prime jeunesse du personnage, depuis sa naissance à Baracaldo, au Pays basque espagnol, en 1890, jusqu’à son engagement dans l’anarchisme, en passant par les divers emplois qu’il exerça (journaliste à Salamanque, chaudronnier à Madrid, typographe dans une imprimerie à Paris) ; l’autre se faisant fort de narrer, par le menu, l’expédition ratée de la tentative de renversement de Primo de Rivera, depuis les préparatifs jusqu’à l’emprisonnement des rebelles, leur jugement et la condamnation à mort d’un certain nombre d’entre eux.
C’est avec un formidable brio que le romancier décrit non seulement la vie de son personnage, son parcours, mais aussi les différents lieux qu’il est amené à fréquenter et les événements dont il lui est donné d’être le témoin. Le récit se déploie sous une forme épique et foisonnante, chaque chapitre s’achevant, comme dans les meilleurs feuilletons, sur des promesses de lecture de plus en plus passionnante. Curieux, original, passionné, le Pablo Martin Sánchez du roman, avec ses particularités physiques (il est dénué du sens de l’odorat et son cœur est à droite, ce qui, à une occasion, lui sauve la vie), découvre avec émerveillement les inventions de son époque (le cinématographe), tombe éperdument amoureux d’une belle jeune femme de son pays, mais doit quitter l’Espagne et venir à Paris, en 1920, dans les faubourgs de Belleville. Il y a là dedans tout ce dont on raffole, tous les bons ingrédients des romans populaires, qu’on aurait tort de sous-estimer : amitié, amour, audace, péripéties, courage, peur et tutti quanti. Avec ces éléments-là, pas de doute, on ne peut qu’être captivé du début à la fin du roman. 8/10
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Bogus
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Message par Bogus »

poet77 a écrit : 1 oct. 21, 17:27 Image
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Ce ne devait être, au départ, qu’une nouvelle que Jack Schaefer, qui travaillait, le jour, comme rédacteur en chef d’un journal et, le soir, comme enseignant dans la prison de Norfolk, s’était mis dans la tête d’écrire pour se délasser. En fin de compte, pris par son sujet, il en fit un court roman d’un peu plus de 150 pages dans cette édition Libretto. Et un roman qui, du fait de ses qualités, devint un classique du genre (western), surtout à la suite de son adaptation au cinéma sous la direction de George Stevens, en 1953.
Tous ceux (dont je fais partie) qui apprécient immodérément le film constateront, s’il leur vient à l’idée de lire le roman, sa parfaite fidélité à ce dernier, même si, bien évidemment, celui-ci a d’avantage d’ampleur. Il est vrai que certains critiques jugent le film un brin trop académique et le choix d’Alan Ladd pour jouer son personnage emblématique pas très heureux. Ces réserves, à mon avis, n’ont pas lieu d’être. Le film supporte d’être vu et revu sans jamais se lasser. Quant à Alan Ladd, je trouve que sa silhouette correspond à merveille à la description de son personnage faite par Jack Schaefer : « Il n’était guère plus grand que la moyenne, et presque fluet. (…) Je discernais pourtant de l’endurance dans les lignes anguleuses de sa silhouette, une force tranquille dans cette façon qu’il avait de compenser, machinalement et sans effort, les mouvements de sa monture fatiguée. »
Ce personnage, ainsi décrit par Bob, le narrateur qui, à l’époque des faits, était un jeune garçon, se nomme Shane, l’homme dont on ne sait d’où il vient et dont on ne saura pas non plus où il va, à la fin du récit. Nous sommes en 1889, quelque part dans une ferme du Wyoming, au cours d’une année qui, comme l’explique fort bien Michel Le Bris dans sa passionnante préface, se situe à une époque charnière de l’histoire de l’Ouest américain. Ce sont, en effet, les temps d’un affrontement entre les grands éleveurs, premiers venus, convaincus qu’il ne pouvait y avoir de limites à leur toute-puissance (on les appelle cattle barons), et les fermiers souhaitant s’établir, à leur tour, sur ces vastes terres, quitte à empiéter sur les domaines occupés par les premiers. C’est dans ce contexte qu’intervient Shane, en se liant à la famille Starrett, une famille composée de trois membres : Joe, le père, Marian, la mère, et le petit Bob. Alors qu’au départ, il ne faisait que passer par là, Shane se laisse convaincre de se mettre au service de ces gens.
A plusieurs reprises, Bob est invité par ses parents à ne pas trop s’attacher à Shane, personnage qui, par essence pourrait-on dire, ne peut demeurer longtemps au même endroit. Mais rien n’y fait, le jeune garçon ne tarde pas à se laisser fasciner par le nouveau venu, au point qu’il se demande parfois s’il ne l’admire pas d’avantage que son propre père. Même si le roman est bref, Jack Schaefer prend le temps de bien camper les personnages et l’atmosphère. En témoigne, par exemple, le long passage où Shane s’emploie à débarrasser le terrain de la ferme d’une souche d’arbre que Joe s’était juré d’enlever sans y parvenir. En fin de compte, c’est en conjuguant leurs forces que les deux hommes en viennent à bout. Des passages comme celui-là font la beauté de ce roman, peut-être plus encore que les scènes d’affrontement, quand il s’agit de mettre un terme aux agissements du cattle baron local et de ses hommes de main, décidés à reprendre de force des terres qu’ils estiment leur appartenir. Nul doute, dès ce premier roman, Jack Schaefer démontre que son talent d’écrivain de fiction est de premier ordre. Quant à avoir eu l’idée de choisir Bob comme narrateur, celui qui, avec ses yeux d’enfants, assiste à toute cette aventure en vouant à Shane une admiration sans bornes, c’est ce qu’on appelle une idée de génie. Ce qu’on peut affirmer, après l’avoir lu, c’est que ce roman est un chef d’œuvre, bien plus encore que son adaptation au cinéma, au demeurant, comme je l’ai dit, excellente. 9/10r
Très belle histoire d’amitié, d’héroïsme et d’amour dans l’Ouest américain vu par les yeux d’un enfant (magnifique idée en effet).
Ça démarre doucettement puis quand l’intrigue se met en place, avec l’entrée en jeu des méchants, impossible de lâcher le livre.
De la première à la dernière page on est saisit par l’humanité, la beauté et la poésie de ce texte (ça fera parti de ces livre qu’on ressortira juste pour jeter un œil à certains passages sublimes).

Bon ben au tour de cet anarchiste maintenant…
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Avec Alexander Kent (1924-2017) et Patrick O’Brian (1914-2000), Cecil Scott Forester (1899-1966) compte, sans nul doute, parmi les écrivains britanniques qui se sont illustrés le plus remarquablement dans les récits d’aventures maritimes. Quand, en 1937, il écrivit le premier des romans d’une ambitieuse saga ayant pour personnage central le capitaine Horatio Hornblower, il était déjà l’auteur apprécié de deux gros succès de librairie, qui furent, tous deux, adaptés au cinéma : Orgueil et Passion (The Gun, 1933) qui inspira, en 1957, un film à Stanley Kramer ; et, surtout, African Queen (1935) qui donna lieu à un film fameux de John Huston avec Humphrey Bogart et Katharine Hepburn (1951).
Et, donc, en 1937, paraît L’Heureux Retour, premier volume d’une série de 13 romans consacrée aux aventures maritimes du capitaine Horatio Hornblower. Un des coups de maître du romancier, ce fut, dès ce premier ouvrage, de proposer un type de personnage original, éloigné de tout critère de banalité. Hornblower n’est, à priori, nullement taillé pour se comporter en héros, mais on a affaire à un homme intelligent, doué pour l’analyse, y compris dans des moments de tension extrême et capable de prendre rapidement les décisions qui lui semblent s’imposer. Ce n’est nullement quelqu’un d’infaillible cependant, mais il sait ravaler son orgueil, reconnaître ses erreurs et, si possible, les réparer. Surtout, comme un excellent britannique, il peut garder son calme, même au comble de la peur, et faire preuve d’un vrai courage. Quand ont lieu les combats navals, il ne perd pas ses moyens, mais sait se montrer chevaleresque avec ses ennemis, tout comme il parvient à trouver un juste milieu entre la nécessaire discipline à conserver sur un navire et la volonté de ne pas perdre son humanité. Il veille surtout à ne jamais paraître faible aux yeux de son équipage : « Par nature, écrit le romancier, Hornblower était le plus doux des hommes ; mais pour tout ce qui concernait son bateau, la crainte de passer pour un incapable l’amenait à montrer une dureté et une témérité inattendues. »
Dans L’Heureux Retour, Hornblower se trouve confronté à bien des difficultés. Parti du côté du Nicaragua en ayant mission d’aider un rebelle à se soulever contre la domination espagnole, Hornblower se trouve obligé de composer avec un redoutable tyran : le chef de la rébellion, qui se fait surnommer El Supremo, n’est autre qu’un fou furieux se livrant aux pires cruautés en se prenant pour un être divin. Être contraint d’apporter son soutien à un homme comme celui-là, c’est un crève-cœur. Hornblower s’y oblige autant qu’il est possible avant que le vent ne tourne. Car voici qu’arrive un contre-ordre : les Espagnols viennent de se liguer avec les Anglais afin d’affronter un ennemi commun, Napoléon ! Voici que l’ennemi d’hier se change en allié, ce qui signifie, pour Hornblower, la nécessité d’aller affronter celui qu’il avait commencé de soutenir, El Supremo, dorénavant à la tête d’un redoutable navire de combat. À cela vient s’ajouter un ennui supplémentaire : Hornblower se trouve, en quelque sorte, obligé de transporter sur la Lydia, son bateau, une passagère, qui plus est une aristocrate, lady Barbara, fuyant la fièvre jaune et souhaitant gagner, dès que possible, son Angleterre natale. On imagine sans peine ce que la présence d’une femme peut apporter en fait de troubles sur un bateau.
Je n’insiste pas davantage sur tous ces ingrédients qui composent à merveille un passionnant roman d’aventures. On peut ajouter cependant que, comme dans toutes les histoires de ce genre, quand elles sont écrites avec talent, les péripéties ne sont, d’une certaine façon, que la métaphore des tourments intérieurs des personnages et, en particulier, en l’occurrence, de Hornblower. Si le roman est palpitant, s’il demeure passionnant d’un bout à l’autre, c’est bien parce que le romancier a su parfaitement rendre compte des complexités et des débats intérieurs de son héros, y compris des démons qui l’habitent.
Enfin, il est impossible de terminer cet article sans signaler la somptueuse adaptation cinématographique que réalisa Raoul Walsh en 1951, avec Gregory Peck dans le rôle d’Hornblower et Virginia Mayo dans celui de Lady Barbara, sous le titre français de Capitaine sans peur (en anglais Captain Horatio Hornblower). 8/10
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Alexandre Angel
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Message par Alexandre Angel »

poet77 a écrit : 6 janv. 22, 10:41 Enfin, il est impossible de terminer cet article sans signaler la somptueuse adaptation cinématographique que réalisa Raoul Walsh en 1951, avec Gregory Peck dans le rôle d’Hornblower et Virginia Mayo dans celui de Lady Barbara, sous le titre français de Capitaine sans peur (en anglais Captain Horatio Hornblower). 8/10
Un des grands Walsh, tout à fait.
Comme "le Temps de l'innonce" et "A tombeau ouvert", "Killers of the Flower Moon" , très identifiable martinien, est un film divisiblement indélébile et insoluble, une roulade avant au niveau du sol, une romance dramatique éternuante et hilarante.

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Jeremy Fox
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Message par Jeremy Fox »

Alexandre Angel a écrit : 6 janv. 22, 10:51
poet77 a écrit : 6 janv. 22, 10:41 Enfin, il est impossible de terminer cet article sans signaler la somptueuse adaptation cinématographique que réalisa Raoul Walsh en 1951, avec Gregory Peck dans le rôle d’Hornblower et Virginia Mayo dans celui de Lady Barbara, sous le titre français de Capitaine sans peur (en anglais Captain Horatio Hornblower). 8/10
Un des grands Walsh, tout à fait.
Je valide ; tous comme les romans de Forester/Hornblower que j'ai tous lu vers 20 ans.
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Le livre se présente sous la forme d’une édition particulièrement soignée. Avec sa couverture cartonnée, son bandeau rouge et ses 700 et quelques pages, il ne passe pas inaperçu, d’autant plus que la plupart des libraires le mettent bien en évidence. Quant à la publicité savamment orchestrée autour de sa parution, elle est du même ordre que celle qu’on réserve aux grosses productions cinématographiques, celles qu’on appelle des blockbusters, censés attirer un grand nombre de spectateurs. Ainsi en est-il désormais de Michel Houellebecq, dont les livres sont ravalés au rang d’objets commerciaux, et rien de plus.
Venons-en cependant au contenu de ce roman (car, tout de même, il y a un contenu !), puisque l’occasion m’a été offerte de le lire. Ce n’est d’ailleurs que le deuxième livre de Houellebecq que je me farcis. Le premier, en 2015, ce fut Soumission, dont le moins que je puisse dire est qu’il ne méritait pas le battage dont il faisait l’objet. Il en est de même en ce qui concerne Anéantir, même si je lui trouve un peu plus de qualités que le précédent. Ce qui ne justifie en rien le matraquage qui accompagne sa parution.
Le nouvel alter ego de Michel Houellebecq se nomme Paul Raison, il a la cinquantaine et travaille en tant que haut fonctionnaire au Ministère de l’Economie et des Finances. Comme tous les anti-héros houellebecqiens, il est confronté à son propre vide existentiel au moment même où le couple qu’il forme avec une dénommée Prudence se trouve passablement en crise. Précisons également que l’action du récit se situe en 2027, juste au moment où se déroule la campagne pour l’élection d’un nouveau président de la République. On pourra estimer, me semble-t-il, que ce n’est pas très futé, de la part de l’auteur, que de situer son histoire dans un futur si proche de nous, ce qui la condamne à paraître rapidement totalement désuète. D’autant plus que, comme il le faisait déjà dans Soumission, Houellebecq émaille son roman de noms et de références propres à notre temps qui, d’ici une dizaine ou une vingtaine d’années, ne diront plus rien à personne. Les romans de Houellebecq semblent destinés à vieillir à la vitesse grand V.
Dans Anéantir, on peut distinguer trois niveaux de lecture. Un niveau politique, comme je viens de le signaler, avec le personnage nommé Bruno Juge (inspiré, paraît-il, de Bruno Lemaire) : on pourra, si l’on veut s’amuser, de cet aspect de l’ouvrage, de ce qu’imagine Houellebecq, de ce que deviennent, sous sa plume, certains protagonistes connus du monde politique et médiatique du paysage français, mais on pourra aussi (comme ce fut mon cas) ne voir là que banalités sans intérêt qui composent les pages les plus ternes et les plus indigestes du gros roman (par ailleurs écrit dans un style assez plat). Le deuxième niveau du roman, c’est celui qui mêle l’ésotérisme et le terrorisme. Pendant la campagne présidentielle, en effet, apparaissent régulièrement des messages cryptés, et même le dessin (comme surgi du XIXe siècle) du démon Baphomet, en même temps qu’ont lieu des attentats (vidéos macabres, fausse exécution de Bruno Juge, attaques d’une banque de sperme, massacres de migrants). Or, cette facette de son roman, Houellebecq ne semble pas savoir qu’en faire. Elle se glisse, ici et là, dans le déroulé du roman, elle crée un climat de peur mais n’a pas de réelle répercussion sur ce qui se passe. Enfin, le troisième niveau du roman (et c’est, de loin, le plus intéressant) confronte son personnage principal, Paul, à l’angoisse de la maladie, de la mort et du néant. C’est sur ce terrain, qui lui est familier, que Houellebecq s’avère le plus à l’aise. Son alter ego, en effet, se doit de résoudre des difficultés liées à la vieillesse de son père, avant de découvrir que lui-même est gravement malade : il risque de bientôt mourir d’un cancer de la mâchoire. C’est en décrivant le monde des hôpitaux, des EHPAD, des rendez-vous avec le personnel soignant, des délibérations de Paul avec son frère et sa sœur, etc., le tout imprégné d’une forte dimension métaphysique, que Houellebecq suscite le plus grand intérêt. En décrivant un personnage qui s’apprête à mourir, l’écrivain, de manière sous-jacente, traite aussi d’une civilisation qui, selon lui, non seulement est en déclin mais risque de périr.
Sur ce dernier sujet, le romancier malheureusement reste dépendant de ses obsessions et de ses limites. Sa peur des différences et sa misogynie révulsent. Mais, dans ses tentatives de trouver du sens aux destinées humaines, même si c’est, en fin de compte, pour se complaire dans de fumeuses croyances en de possibles réincarnations, il réussit, parfois, à poser les bonnes questions, par exemple en citant Blaise Pascal. On remarquera à quel point, peut-être à son corps défendant, l’auteur reste obnubilé par les religions, en particulier le christianisme. De nombreuses pages du roman y sont consacrées, d’une manière ou d’une autre. Certes, Paul ne bascule pas dans la foi, en dépit ou à cause de sa sœur catholique pratiquante, mais on devine qu’il ne faudrait pas grand-chose pour qu’advienne sa conversion.
En fin de compte, et je termine par là, il m’a semblé, et de plus en plus au fil de ma lecture, qu’au-dessus de ce roman plane, en quelque sorte, l’ombre tutélaire de Joris-Karl Huysmans (1848-1907), cet écrivain décadent dont le parcours littéraire le conduisit du naturalisme de Zola à la conversion à la foi catholique en passant par un intérêt marqué pour l’ésotérisme et le satanisme. Eh bien, il y a de tout cela dans le roman de Houellebecq : du naturalisme à la Zola, quelques incartades du côté de l’ésotérisme et du satanisme et, sinon une conversion, en tout cas une obsession caractérisée pour les religions, la foi et, en particulier, le christianisme. Cerise sur le gâteau (si l’on peut dire sur ce sujet !), Paul, le personnage de Houellebecq, meurt du même mal qui emporta Huysmans dans la tombe : un cancer de la mâchoire. Difficile de voir là une simple coïncidence. 6,5/10
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Message par Jeremy Fox »

poet77 a écrit : 18 janv. 22, 10:15 Image

Le livre se présente sous la forme d’une édition particulièrement soignée. Avec sa couverture cartonnée, son bandeau rouge et ses 700 et quelques pages, il ne passe pas inaperçu, d’autant plus que la plupart des libraires le mettent bien en évidence.
C'est certainement le plus bel objet/livre que je possède. Et sinon j'en suis à la moitié et j'adore chaque page.
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Message par Flol »

Jeremy Fox a écrit : 18 janv. 22, 10:38 j'adore chaque page.
Même la 12 ?
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Message par Jeremy Fox »

Petite préférence pour la 47.

La 12 : 8/10
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Message par Flol »

Ça c'est du débat littéraire comme je l'aime.
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Si on l’a lu, difficile de ne pas songer au livre majestueux qu’écrivit l’italien Claudio Magris en 1986. Son Danube, superbe et érudit, raconté au fil du courant, depuis la source jusqu’à l’embouchure, reste une référence incontournable dès qu’il est question de ce fleuve. Néanmoins, dès les premières pages du livre d’Emmanuel Ruben, on peut se rassurer : on n’a pas affaire à du simple rabâchage, ne serait-ce que parce que l’ouvrage est écrit à rebours de celui de Magris, c’est-à-dire depuis l’embouchure jusqu’à la source, donc en remontant le cours du fleuve. Ce parti-pris n’est pas anodin, il exprime la volonté expresse de donner une place prépondérante aux pays balkaniques que baigne le Danube (contrairement à Claudio Magris qui s’intéressait davantage aux territoires germaniques).
Le récit d’Emmanuel Ruben se divise en trois parties : « Balkaniques » donc et « Germaniques » pour terminer, avec, entre les deux, celle que l’auteur appelle « Périphériques » qui raconte, en somme, la genèse du projet, un projet né de la rencontre avec Vlad, un Ukrainien passionné d’histoire ancienne, personnage singulier qui devient le compagnon de route de l’auteur. Car, il faut maintenant le préciser, c’est l’une des grandes particularités du livre, c’est à vélo que les deux hommes ont parcouru, d’Odessa à Strasbourg, en deux fois cependant, les 4000 kilomètres séparant Odessa de Strasbourg.
Ce n’est d’ailleurs pas tant l’aspect « exploit sportif » de ce mode de locomotion qui compte que l’originalité du regard qu’il induit. Voyager à vélo, c’est se mettre au plus près du fleuve et de son environnement géographique, mais surtout de ses habitants. C’est prendre la mesure des innombrables diversités culturelles, politiques et linguistiques des pays et des territoires baignés par le fleuve. En le suivant à contre-courant, mais dans le sens des migrations, si nombreuses au cours des siècles, les deux voyageurs se pénètrent de l’histoire complexe d’une Europe marquée par ses peurs, ses conflits, ses replis identitaires. S’ils font régulièrement l’expérience de la bienveillance des habitants des différents pays traversés, de leur sens de l’accueil, les deux cyclistes n’ignorent rien des sombres soubresauts qui ont ensanglanté terres et fleuve. Le propos de l’auteur se teinte volontiers d’accents politiques, y compris en déplorant ce qu’il appelle la « suissification » de l’Europe, celle qu’impose Bruxelles, sans tenir compte des singularités des peuples.
Géographie, politique, mais aussi littérature sont convoquées au fil des pages. Car nombreux sont les écrivains et les artistes qui ont enrichi de leur regard l’un ou l’autre des territoires baignés par le Danube : Panaït Istrati, George Steiner, Danilo Kiš, Ferenc Karinthy, Imre Kertész, Robert Musil et bien d’autres. Mais n’ayons crainte, le livre n’est nullement réservé aux initiés, il est accessible à tous puisqu’il prend pour centre d’intérêt l’humain, pas seulement de façon générale mais dans la rencontre. Avec, c’est vrai, la volonté, clairement exprimée, et c’est tant mieux, de changer nos regards ou nos idées toutes faites. Ainsi, à propos de la chasse aux migrants à laquelle on se livre dans certains pays comme la Hongrie : « … nous avons beau jeu, écrit Emmanuel Ruben, d’accuser ces gouvernements de trahir l’Europe des Lumières et des droits de l’homme en menant la chasse au migrant : en fait, nous continuons à nous servir d’eux comme des concierges de la forteresse. Viktor Orbán est l’idiot utile qui permet à nos tartuffes de passer pour des philanthropes. C’est lui, aujourd’hui, le concierge de l’Europe. Il fait le sale boulot dont nous avons besoin, dans notre lâcheté, pour croire encore au mythe de l’hospitalité. Et c’est notre lâcheté qui continue de tuer aujourd’hui ces hommes, ces femmes et ces enfants tentant de traverser la Méditerranée, notre grand cimetière marin, pour fuir la guerre et la misère. » 8/10
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Re: Vos dernières lectures

Message par Jeremy Fox »

Jeremy Fox a écrit : 18 janv. 22, 10:38
poet77 a écrit : 18 janv. 22, 10:15 Image

Le livre se présente sous la forme d’une édition particulièrement soignée. Avec sa couverture cartonnée, son bandeau rouge et ses 700 et quelques pages, il ne passe pas inaperçu, d’autant plus que la plupart des libraires le mettent bien en évidence.
C'est certainement le plus bel objet/livre que je possède. Et sinon j'en suis à la moitié et j'adore chaque page.
Lu les 730 pages avec passion ; le roman le plus accessible de Houellebecq et surement le plus émouvant. Les dernières pages m'ont fait venir des larmes.
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Re: Vos dernières lectures

Message par poet77 »

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En 2004, Philippe Forest avait écrit Sarinagara, qu’il appelait son « roman japonais », et il nous propose aujourd’hui, en quelque sorte, son prolongement, un « roman chinois » (étant entendu qu’il ne faut pas comprendre ici le mot « roman » sous son acception habituelle). Et puis, comme il avait donné pour titre, au premier, le mot (signifiant « cependant ») sur lequel s’achève un poème (un « haïku ») japonais, le nouveau livre, lui, est doté d’un titre chinois qu’on peut traduire par « théâtre d’ombres » (ce qu’on appelle, chez nous, « ombres chinoises », mais qui n’est qu’une piètre imitation de ce qui se fait du côté de Shanghai ou de Beijing.)
Quoi qu’il en soit, l’expression « théâtre d’ombres » s’applique à merveille à un livre qui, s’il y est question, en effet, de la Chine et des Chinois, aborde ce sujet avec l’approche modeste de qui est bien conscient de devoir se contenter d’ombres et de ne rien transmettre que de très parcellaire. Dès l’abord en effet, le récit s’imprègne fortement d’une dimension énigmatique en même temps que ludique, le narrateur ayant trouvé dans un « fortune cookie » (un biscuit), servi à la fin d’un repas dans un restaurant du « Chinatown » parisien (XIIIe arrondissement), un papier plié en quatre, sur lequel est écrit : « Au Secours ! Je suis prisonnière dans le quartier chinois ! »
Si le message trouvé dans le biscuit n’était évidemment pas à prendre à la lettre, il n’en eut pas moins son prolongement particulier dans l’itinéraire de Philippe Forest, l’écrivain étant, en effet, amené à se rendre, une ou deux fois par an, en Chine, ses livres y étant traduits et y rencontrant du succès. Et c’est ainsi que l’énigme reprit toute sa place, mais plus vague et plus impénétrable qu’avant : « J’avais l’impression, écrit Philippe Forest, que quelque chose m’attendait là-bas que je ne devais pas laisser passer la chance de découvrir. Quoi ? Je ne le savais pas. » Plus avant dans son récit, l’auteur, en citant un écrivain chinois du nom de Shi Tiensheng (1951-2010), perçoit qu’en fin de compte il n’y a d’autre solution à l’énigme que l’énigme elle-même. C’est la quête qui compte, plus que l’aboutissement qui n’a jamais lieu.
« Je la connais si peu, s’empresse de dire l’auteur à propos de la Chine, que je me garde bien de m’imaginer que je la comprends… » Cette conviction, il ne cesse de la répéter, tout au long du livre, comme un leitmotiv. Et les écrivains auxquels il se réfère, un chapitre après l’autre, sont précisément ceux qui furent pénétrés d’une opinion identique sur ce point précis : la Chine, on peut parler d’elle, on peut écrire sur elle, mais on ne peut avoir la prétention ni de la connaître ni de la comprendre. Des écrivains aussi différents l’un de l’autre que Roland Barthes et Simon Leys (qui fut certainement l’un des auteurs les plus clairvoyants au sujet de la Chine) se rencontrèrent sur ce point précis : ce pays, nul ne le connaît ni ne le comprend !
Néanmoins, cela étant dit, Philippe Forest n’en déroule pas moins son « roman chinois », soucieux de régulièrement stimuler l’intérêt du lecteur en multipliant les approches et les expériences. En plus des écrivains déjà nommés, il prend soin d’évoquer d’autres auteurs venus d’Occident et qui furent fascinés par la Chine : en particulier, Pearl Buck et Paul Claudel. Mais il accorde aussi, fort heureusement, une large part de son récit aux écrivains chinois, non seulement Shi Tiensheng, mais aussi Lu Xun (1881-1936) (dont l’œuvre « témoigne d’un assez profond pessimisme qui confine parfois au nihilisme le plus pur », écrit-il), Bi Feiyu (né en 1964), Wang Anyi (née en 1954), Zhou Zuoren (1885-1967) ou Fang Fang (née en 1955) qui fit la chronique du confinement dû à la COVID dans Wuhan, ville close, ouvrage qui lui valut des ennuis pour avoir été perçu, en Occident, comme un pamphlet dirigé contre le régime chinois (ce qui était une interprétation abusive).
En fin de compte, pour qui lit attentivement l’ouvrage de Philippe Forest, il saute aux yeux, en quelque sorte, que l’auteur ne cesse de tourner autour d’un seul sujet : la mort. C’est elle, l’énigme sans solution autre qu’elle-même, d’autant plus qu’elle apparaît à l’auteur, obsessionnellement (et comment pourrait-il en être autrement), sous l’aspect de sa propre fille Pauline, décédée d’un cancer alors qu’elle était une toute petite fille. Philippe Forest le dit, il n’y a pas d’autre sujet pour lui et il l’aborde, d’une manière ou d’une autre, dans chacun de ses ouvrages. Dans Pi Ying Xi, dès le début, il raconte la « fête des morts » à Shanghai (fête qui a lieu, en Chine, en avril) avec son rite particulier qui consiste à brûler des papiers sur lesquels figurent les dons que l’on destine aux morts. Et ainsi de suite car c’est bien la mort, et singulièrement celle de sa fille, qui s’invite, que ce soit en filigrane ou de façon plus évidente, tout au long des pages du livre de Philippe Forest. Que ce soit en Chine ou à Paris, dans le XIIIe arrondissement, à l’occasion d’une errance dans des galeries commerciales chinoises aux boutiques enchevêtrées, errance qui lui rappelle un épisode vécu à l’époque où sa fille vivait encore et devait subir une opération.
Ajoutons, pour finir, qu’aux yeux de Philippe Forest, qui se déclare volontiers non-croyant, la quête de l’énigme qui n’a d’autre solution qu’elle-même n’est pas totalement absurde. Ou, en tout cas, elle semble être gouvernée par une sorte de logique que l’auteur ne comprend pas mais dont il fait état : « un dieu, écrit-il, - auquel, pourtant, on ne croit pas - , une providence – dont ont fait « comme si » elle existait tout en sachant bien que ce n’est pas le cas – veillant sur vous et puis guidant vos pas. » 9/10
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Re: Vos dernières lectures

Message par sixtiesfan »

poet77 a écrit : 18 janv. 22, 10:15 Image

En fin de compte, et je termine par là, il m’a semblé, et de plus en plus au fil de ma lecture, qu’au-dessus de ce roman plane, en quelque sorte, l’ombre tutélaire de Joris-Karl Huysmans (1848-1907), cet écrivain décadent dont le parcours littéraire le conduisit du naturalisme de Zola à la conversion à la foi catholique en passant par un intérêt marqué pour l’ésotérisme et le satanisme. Eh bien, il y a de tout cela dans le roman de Houellebecq : du naturalisme à la Zola, quelques incartades du côté de l’ésotérisme et du satanisme et, sinon une conversion, en tout cas une obsession caractérisée pour les religions, la foi et, en particulier, le christianisme. Cerise sur le gâteau (si l’on peut dire sur ce sujet !), Paul, le personnage de Houellebecq, meurt du même mal qui emporta Huysmans dans la tombe : un cancer de la mâchoire. Difficile de voir là une simple coïncidence. 6,5/10
Bien vu! J'ajouterai qu'un aspect de la structure du roman - les rêves de Paul enchâssés dans le récit - m'a immédiatement fait penser à "En rade" de Huysmans, un de ses plus beaux - et méconnus - romans.
Cette remarque faite, quelques 10 jours après la lecture de ce Houellebecq, je dois avouer ma grande déception devant le laisser-aller de l'écriture (l'auteur semble se caricaturer lui-même à grands renforts de "enfin" servant à résumer et clore un propos : "enfin c'étaient des écolos") et le je-m'en-foutisme de l'"intrigue" : quid du devenir de cette histoire d'attentats qui parcourt le récit et est brusquement abandonnée ?
Finalement, en dehors du récit - terrible - d'une fin de vie et de celui de la "ré-union" d'un couple, ce qui peut-être n'est pas si peu, le roman ne semble aller nulle part.
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