J'étais en train de créer le topic en même temps, les grands esprits se rencontrent

je l'efface et remets mon avis ici
Le catalogue de Dreamworks Animation est un éternel numéro de montagne russe qualitative où les formules paresseuses alternent avec de fulgurantes réussites (le récent
Le Chat potté 2(2022)). Parmi les joyaux du studio se trouve la saga des
Dragons (2010, 2014, 2019), merveille épique et émotionnelle dont le premier volet était coréalisé par Chris Sanders. Il adapte ici le roman illustré éponyme de Peter Brown publié en 2016, signant un des sommets de Dreamworks. Le postulat initial évoque convoque assez vite le spectre d'autres classiques de l'animation comme
Wall-E d'Andrew Stanton, ou du côté du cinéma live des films comme
Short Circuit de John Badham,
Le Géant de fer de Brad Bird (1999) le plus récent
Chappie de Neil Blomkamp (2015) dans l'idée de la machine laissant émerger une âme à cause d’une anomalie. En réalité, ce qui se rapprocherait le plus de l'approche de
Le Robot sauvage (influence assumée vu la similitude du design de Roz) serait la courte mais précieuse séquence de
Le Château dans le ciel d'Hayao Miyazaki (1986) voyant les anciens gardiens robotiques et guerrier de la forteresse aérienne devenu les préservateurs pacifiques de la faune et la flore des lieux désormais abandonnés par les humains. La mue de leur environnement a fait évoluer les fonctions des machines destructrices d'hier.
Le Robot sauvage semble donc prolonger la question du film de Miyazaki, ce changement est-il né de l'adaptation du programme des machines ou de la naissance d'une conscience et d'une empathie en elle ?
C'est le thème qui va irriguer le film à travers le destin du modèle 7134 de l'unité robotique Rozzum (Lupita Nyong'o), échoué accidentellement sur une île sauvage peuplée d'animaux. Chris Sanders oppose dans un premier temps et de diverses manière "Roz" à cet environnement. Le dialogue est impossible entre Roz cherchant de manière systématique et maladroite une tâche à laquelle être assignée auprès des animaux pour lesquels elle apparaît comme un monstre. Le fourmillement perpétuel de la forêt, le travail formel sur les différentes textures de végétation, apparaît en contrepoint de la présence hiératique de Roz, de la surface métallique immaculée de son corps et de ses pas maladroits et destructeurs dans ce cadre qu'elle ne maîtrise pas. Cette approche rappelle beaucoup le début de
Avatar de James Cameron (2009) lorsque Jake errait, perdu et effrayé dans la jungle des Navis dont il ne savait pas aborder l'aspect organique et vivant. Roz va user de son programme pour s'adapter (après une première scène où elle est parvenue à grimper une falaise en imitant un crabe)) dans une scène citant littéralement
Le Treizième guerrier de John McTiernan (1999), une ellipse en travelling circulaire lui permettant de prendre le temps d'observer et d'assimiler progressivement le langage des animaux. Loin d'être une facilité permettant l'anthropomorphisme en donnant la parole aux animaux, cette idée marque la première étape d'une conscience transcendant son programme pour Roz. D'ailleurs sous couvert de gags, Sanders ne lésine pas sur la cruauté du monde animal en multipliant les morts brutales durant les premières scènes. Il effectue là un rapprochement entre le "programme" naturel et impitoyable de ce monde animal (tel que l'expliquera crûment le renard Fink (Pedro Pascal) à Roz), et le programme artificiel qui détermine les actions de Roz.
En écrasant accidentellement un nid d'oies, Roz trouve sa "mission" en devant s'occuper du seul œuf rescapé d'où sortira Joli-bec (Kit Connor). Dès lors le duo va constituer une anomalie, un bug face à leur "programme" naturel. On retrouve l'éloge des parias, des rejetés et des "weirds" chers à Chris Sanders, cette célébration de la différence qui saura se faire unificatrice dans le génial
Lilo et Stitch (2002) et
Dragon. En souhaitant accompagner l'apprentissage de l'envol et l'émancipation de Joli-bec, Roz se fond dans la forêt et se familiarise avec son peuple dans un mouvement qui se fait désormais plus fluide, qui s'éloigne de la dimension saccadée des premières scènes. C'est désormais Joli-bec l'anomalie moquée, inadaptée et rejetée, incapable de prendre son envol comme les autres oies. Chris Sanders élargit progressivement l'horizon de l'île au fil de l'assimilation de Roz et Joli-bec à son rythme, sa topographie et façonne des visions de grands espaces somptueuses dont la beauté peut exister pour les personnages désormais aptes à l'appréhender. La bascule du "programme" vers les sentiments réels chez Rozz se fait avec une grande subtilité. Elle demeure un robot sans effets appuyés "d'anthropomorphisme" et de facilités pour l'humaniser (absence de bouche, regard froid et statique), ce qui est une vraie différence avec Wall-E qui était d'office présenté comme une machine capable de sentiments. La gestuelle passant d'appliquée à délicate, l'intonation passant de la jovialité mécanique à la douceur, les attentions sortant du cadre fonctionnel pour une volonté plus "maternelle" participent à cette évolution soignée. Roz ne perd jamais ses atours de machine et c'est du cheminement intérieur que découle la transformation extérieure travaillant davantage la symbolique - la jambe de Roz reconstruite avec des éléments de la forêt.
Ainsi après avoir mis savamment tous ces éléments en place dans une narration posée, Sanders fait décoller l'émotion dans des séquences à l'emphase saisissante - et portée par un superbe score de Kris Bowers. La scène d'envol des oies pour la migration est précédée d'une vue subjective de la "machine" Roz marquant sa tâche auprès de Joli-bec comme accomplie, mais ce qui la saisit pour la faire courir et accompagner du regard le départ de son "fils" relève d'autres chose, un sentiment. Le réalisateur procède ainsi peu à peu au processus inverse, en montrant la faune capable de transcender son programme pour survivre à l'hiver par l'entraide initiée par Roz. C'est une utopie dont s'estompent les instincts prédateurs, l'équilibre dominant/dominés grâce à la présence de l'intruse assimilée qu'est Roz, tout comme Joli-bec sauvera les oies du danger grâce à sa différence cultivée avec sa mère. La dernière partie, malgré un trop-plein de péripéties et l'introduction pas forcément nécessaire d'un méchant, est dans cette continuité et offre encore de beaux moments magnifiant les enjeux intimes et collectifs dont Roz est le pivot. Chris Sanders le déploie par la mise en scène avec Roz échappant au danger en reprenant tous les mouvements animaliers qu'elle a assimilé, en affirmant son individualité dans un dialogue citant explicitement Lilo et Stitch (lorsqu'elle est désignée par le matricule de son modèle et dit s'appeler Roz) et par sa "résurrection" défiant la logique mécanique mais pas celle du cœur. Bons sentiments finement traités, personnages attachants et brio formel, Le Robot sauvage est superbe film qui nous cueille jusqu'au bout par sa fin ouverte - les romans constituant une trilogie on valide la possible suite. 5/6